CRUZ Viriato Francisco Clemente da

Par Angela Lazagna

Né le 25 mars 1928 à Kikuvo, Porto Amboim (Angola), mort le 13 juin 1973 à Beijing (Chine) ; marié avec Maria Eugénia Leite da Cruz ; Movimento dos novos intelectuais de Angola/Mouvement des nouveaux intellectuels d’Angola (MNIA) (cofondateur) ; Parti Communiste Angolais (PCA) (cofondateur) ; Movimento Anti-colonialista/Mouvement anticolonialiste (MAC) (cofondateur) ; Frente Revolucionária Africana para a Independência nacional das Colónias Portuguesas/Front révolutionnaire africain pour l’indépendance nationale des colonies portugaises (FRAIN) (cofondateur) ; Movimento Popular para a Libertação de Angola/Mouvement Populaire pour la libération de l’Angola (cofondateur et secrétaire général) ; poète, écrivain ; nationaliste ; marxiste.

Viriato Francisco Clemente da Cruz était un poète, nationaliste, marxiste et révolutionnaire angolais. De sa jeunesse en Angola à son exil en Chine, il a mené une carrière politique et intellectuelle marquée par la lutte pour la libération de l’Angola face au colonialisme portugais. Il s’agit d’une trajectoire cosmopolite et transnationale dont les horizons de référence incluent des échanges réguliers avec des intellectuels et des politiciens de pays aussi divers que le Portugal, le Brésil, la France, la Belgique, l’Allemagne, la Guinée, le Congo, l’Algérie et la Chine. En tant que créateur et fondateur du Parti Communiste de l’Angola (PCA), du Mouvement anticolonialiste (MAC), du Front révolutionnaire africain pour l’indépendance nationale des colonies portugaises (FRAIN) et du Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA), sa trajectoire oscille entre affinités et tensions avec les mouvements indépendantistes africains en exil et se définit par son approche, elle-même non exempte de conflits, du « socialisme chinois ».

Viriato a circulé dans les divers milieux politiques et littéraires de Luanda. Toutefois, c’est au sein du Mouvement des nouveaux intellectuels d’Angola (MNIA), fondé en 1948 et dont la devise était ‘Découvrons l’Angola’ (Vamos descobrir Angola), que Viriato s’impose en tant que poète et nationaliste. Ce mouvement, dont le caractère de contestation du colonialisme portugais s’exprimait dans des poèmes, des nouvelles et des articles publiés dans la revue Mensagem, décrivait les dures conditions sociales dans les musseques (mot kimbundu, quartiers pauvres, périphériques, généralement de construction précaire) et exposait des revendications nationalistes. Viriato accumulait également, depuis sa jeunesse en Angola, des lectures de théoriciens marxistes.

À l’époque, il y avait à Luanda un certain nombre d’antifascistes, de progressistes et même de communistes portugais exilés en Angola pour des raisons politiques. Certains d’entre eux étaient professeurs au lycée Salvador Correia, où Viriato a étudié. Ces anti-salazaristes ont alimenté l’éducation marxiste de certains jeunes angolais, parmi eux Viriato da Cruz.

Les échanges culturels et politiques entre les jeunes nationalistes angolais et un groupe de jeunes écrivains brésiliens de Florianópolis (Santa Catarina, Brésil), qui formaient le groupe Sul (Sud) dans les années 1950, ont également joué un rôle important dans cette formation marxiste. Cet échange a été une source importante par laquelle Viriato da Cruz a obtenu de la littérature marxiste, ainsi que des revues et des romans, sans aucune médiation du parti communiste portugais (PCP) ou du parti communiste brésilien (PCB). Dans les lettres envoyées par Viriato da Cruz à l’écrivain Salim Miguel, rédacteur en chef de la revue Sul, figurent des titres de livres sur des auteurs marxistes soviétiques et chinois commandés par lui. Viriato lui-même a reconnu plus tard, dans un article publié en 1964 dans la revue Révolution, éditée par l’avocat français Jacques Vergès, l’importance de cet échange pour sa formation critique, ainsi que pour celle de ses compagnons d’armes :
« ... des contacts entre de jeunes Angolais et de jeunes écrivains brésiliens aboutirent à l’introduction clandestine en Angola de livres et de revues qui engagèrent une partie de la jeunesse dans le débat sur les grands problèmes de l’après-guerre : la question sociale, le fascisme et la démocratie, le colonialisme et l’autodétermination des peuples etc. »

En 1955, il fonde le Parti Communiste de l’Angola (PCA) avec Ilídio Machado, António Jacinto et Mário António Fernandes de Oliveira. Le procè-verbal de la fondation du PCA est signé le 12 novembre 1955 sous les pseudonymes suivants : Mon’a Mondu (da Cruz) ; Paulo Costa (I. Machado) ; Carlos Duarte (A. Jacinto) et José Nunes (M. A. F. De Oliveira).

Il quitte Luanda le 10 octobre 1957, dans le but de fédérer les nationalistes angolais dans la métropole. À Lisbonne, il séjourne chez son ami, le nationaliste cap-verdien Amílcar Cabral, qu’il avait déjà rencontré à Luanda. Il organise chez lui une réunion avec les nationalistes angolais Lúcio Lara et Eduardo Macedo dos Santos pour les informer de la situation politique en Angola.

De Lisbonne, Viriato se rend à Paris, où il a passé plusieurs semaines, partageant la chambre de Mário Pinto de Andrade (Angolais), qui travaillait comme secrétaire d’Alioune Diop, et de la revue Présence Africaine. Dans la capitale française, il se réunit avec encore d’autres nationalistes des colonies portugaises, comme Amílcar Cabral, Marcelino dos Santos (Mozambicain) et Guilherme Espírito Santos (Sao Tomé-et-Principe). Lors de cette réunion, ils ont discuté de la situation coloniale, des moyens de l’éteindre et de la nécessité de créer un organisme politique anticolonial qui regrouperait les jeunes Africains des colonies portugaises. C’est à ce moment-là que Viriato lance les prémices de ce qui deviendra le MAC, créé plus tard à Lisbonne, en 1959.

Cependant, en raison des conditions de survie précaires dans lesquelles il se trouvait à Paris, Viriato s’est rendu à Liège, en Belgique, en janvier 1958, à la recherche de José Carlos de Oliveira Sousa Horta, muni d’une lettre de présentation écrite par Marcelino dos Santos. Viriato et José Carlos se sont rapidement liés d’amitié. Cette relation amicale durera jusqu’à la mort de Viriato da Cruz. C’est au cours de ces rencontres que, selon Horta, Viriato aurait eu des contacts plus approfondis avec les œuvres de Mao Zedong. Viriato avait déjà commencé à lire des textes de Mao et d’autres révolutionnaires chinois alors qu’il était encore en Angola. Sans trouver de travail à Liège, Viriato se rend à Francfort, où il reste toute l’année de 1958, vivant dans la maison des Bouvier et soutenu par la famille De Barry, des amis de Mário de Andrade. De Francfort, Viriato s’est installé à Berlin-Est (capital de la République Démocratique d’Allemagne) en 1959, à l’invitation de l’Union des écrivains allemands (de la RDA).

Au cours du premier congrès de l’Organisation des écrivains afro-asiatiques (OEAA), à Tachkent (Ouzbékistan), Viriato da Cruz et ses compagnons Mário Pinto de Andrade et Marcelino dos Santos nouent des contacts avec des membres d’autres délégations africaines, comme le poète Nazim Hikmet, et avec William Du Bois, l’un des fondateurs du panafricanisme. C’est précisément dans ces circonstances que la délégation chinoise les a invités à se rendre en Chine, où ils se sont rendus en octobre 1958 en tant que membres du MAC.

En mars 1959, avec Mário Pinto de Andrade, da Cruz participe au IIe Congrès des écrivains et artistes noirs, à Rome. Il y présente un exposé intitulé “Des responsabilités de l’intellectuel noir”, où il critique la politique coloniale portugaise d’assimilation, arguant que la lutte contre le colonialisme devrait se fonder sur « l’unité des Africains ». Il côtoie alors Franz Fanon, porte-parole du Front de libération nationale (FLN) en Algérie.

La question du métissage a toujours pesé sur les décisions politiques de Viriato da Cruz (Viriato était métis). Lors de la création du MPLA, en 1960, il n’a pas voulu occuper la présidence du mouvement (il a occupé la position de Secrétaire-général). En 1961, les dirigeants du MPLA se sont installés à Kinshasa, où ils ont commencé à subir l’hostilité d’un autre mouvement, l’Union des Populations de l’Angola (UPA) qui les a accusés d’être à la tête d’un mouvement de métis et de communistes. Cette situation a eu une incidence sur la décision de Viriato da Cruz d’imposer, en 1962, que tous les membres métis du comité directeur du MPLA démissionnent, ce qui a provoqué la première crise majeure du mouvement et a contredit ses statuts, qui avaient été conçus et rédigés par Viriato lui-même.

Cette même année, Agostinho Neto, président d’honneur du MPLA, a réussi à s’échapper de la prison au Portugal où il se trouvait depuis 1960, avec le soutien du parti communiste portugais (PCP). Neto s’oppose à la théorie de Viriato du « retrait tactique » des non-noirs des organes dirigeants du MPLA. Le fait que Viriato était plus proche de la Chine et Neto de l’URSS (via le PCP) a également contribué à la première crise majeure du MPLA.Viriato et ses adeptes sont alors expulsés du MPLA, en 1963, après une lutte entre son groupe et celui de Neto. En 1964, Viriato et son groupe rejoignent le Front national de libération de l’Angola (FNLA), fondé à partir de la fusion entre l’UPA et le Parti démocratique de l’Angola (PDA). Mais son séjour au sein du FNLA a été de courte durée.

Après un séjour à Alger et à Paris, en 1966, Viriato et sa famille partent s’installer en Chine, en pleine révolution culturelle. Viriato avait accepté l’invitation de l’aile pro-chinoise du bureau de l’OEAA – dont le siège avait été établi à Pékin après la scission avec l’aile soviétique – de travailler comme conseiller sur les colonies portugaises en Afrique. Lorsqu’il est arrivé à Pékin, il a séjourné avec sa famille à l’Hôtel de l’Amitié (Youyi binguan), destiné aux étrangers.

Lors de la fête nationale de la République populaire de Chine, célébrée le 1er octobre 1966, Viriato prononce un discours depuis la tribune de la place Tien An-men, en présence du président Mao Zedong, du vice-président Liu Shaoqi et du premier ministre Chu En-Lai. Dans ce discours, il dénonce l’impérialisme américain et s’en prend au révisionnisme soviétique, défendant un « front international unique » contre l’impérialisme américain qui devrait unir les peuples d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine.

Entre le 15 novembre 1966 et la première semaine de janvier 1967, Viriato da Cruz fait partie de la « délégation d’amitié » de l’OEAA en voyage dans divers pays d’Afrique et d’Asie. En présentant un rapport sur la possibilité d’expansion du socialisme en Afrique, Viriato s’est exprimé négativement sur la viabilité d’une telle expansion, contrairement à l’orientation officielle du régime chinois.

En 1969, Viriato perd son emploi à l’OEEA et entame une série de tentatives pour quitter la Chine avec sa famille, mais sans succès. La détérioration de sa santé et la dégradation de ses conditions matérielles s’accentuent de jour en jour.
En mai 1970, un autre incident a contribué à l’aggravation de la détérioration émotionnelle et physique de Viriato da Cruz. Avant d’être convoqué pour se présenter à la police chinoise et craignant qu’il ne s’agisse d’un « piège », Viriato brûle tous les documents qu’il avait écrits au cours des dernières années.

Viriato da Cruz et sa famille sont arrivés à Pékin en pleine révolution culturelle et sont devenus les otages des nombreuses contradictions qui entouraient cette période de l’histoire chinoise. Leur situation s’est encore aggravée lorsqu’ils ont été expulsés de l’Hôtel de l’Amitié et relogés à P’ou Houang-U, un quartier situé au sud de Pékin. Le quartier dans lequel Viriato et sa famille ont été renvoyés ne leur offrait pas de conditions de travail. Ils y sont restés isolés, sans contact avec d’autres étrangers. Le 13 juin 1973, après plus de deux mois passés dans l’hôpital National de Pékin, Viriato da Cruz meurt dans un contexte d’isolement et d’anonymat.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article252915, notice CRUZ Viriato Francisco Clemente da par Angela Lazagna, version mise en ligne le 27 novembre 2023, dernière modification le 22 novembre 2023.

Par Angela Lazagna

OEUVRE : Cruz, V. da, « Des responsabilités de l’intellectuel noire », Présence Africaine, Paris, n. 27/28, août/nov. 1959, p. 321-229. — Cruz, V.da « Angola : quelle indépendance... », Révolution. Revue mensuelle internationale, Paris, n. 6, fév., 1964, p. 5-16. — Cruz V. da « Long life to Chairman Mao, the Leader of Revolutionary People – Speech by da Cruz, fighter of the Angolan National Liberation Movement », Peking Review, n. 41, October 7, 1966, p. 24 manque pages.

SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE : Birminghan, D., A short history of modern Angola, Oxford, Oxford University Press, 2015. — Laban, M. (et al.), Viriato da Cruz : cartas de Pequim, Luanda, Edições Chá de Caxinde, 2003. — Lara, Lúcio. Um amplo movimento... Itinerário do MPLA através de documentos e anotações (até fevereiro de 1961). 3ed. rev. e aum., Luanda, Edição do autor, 2017. v. 1. —
Lazagna, A., « Viriato da Cruz : da luta anticolonial ao exílio em Pequim », Tempo e Argumento, Florianópolis, v. 13, n. 34, set-dez 2021. Disponible sur : http://dx.doi.org/10.5965/2175180313342021e0107. (Consulté le 30 mai 2022). —
Marcum, J., The Angolan revolution : the anatomy of an explosion, 1950-
1962
, Cambridge, MA, MIT Press, 1969. — Messiant, C., 1961 : L’Angola coloniale, histoire et société. Les premices du mouvement nationaliste, Basel, P. Schlettwein Publishing, 2006. — ______ « Sur la première génération du MPLA : 1948-1960. Mário de Andrade, entretiens avec Christine Messiant », Lusotopie, 1999. Disponible sur : https://www.persee.fr /doc/luso_1257-0273_1999_num_6_1_1259. (Consulté le 30 mai 2022). —



« Luanda (1945-1961) : colonisés, société coloniale et engagement nationaliste », dans L’Angola postcoloniale : sociologie politique d’une oléocratie, Karthala, 2008, v. 2. p. 157-197.

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