Par Maëlle Gélin
Tenue à Londres du 23 au 25 juillet 1900 ; initiée par Henry Sylvester-Williams ; crée l’Association panafricaine.
À l’aube du XXe siècle, la quasi-totalité du continent africain est sous domination européenne (aux exceptions notables du Liberia et de l’Éthiopie) alors que se termine la deuxième vague de colonisation. L’heure est à l’institutionnalisation de la domination coloniale sur le continent et au développement de l’administration. Cependant, à rebours d’une idée préconçue selon laquelle les mouvements intellectuels et politiques critiques de la domination coloniale n’apparaîtraient qu’aux lendemains des deux Guerres mondiales, le cas de la première conférence panafricaine de Londres de 1900 montre bien que ces mouvements sont concomitants du processus même de colonisation.
À la toute fin du XIXe siècle, des intellectuels à la croisée des mondes africain, caribéen et américain commencent à réfléchir à la nécessité d’améliorer la condition des populations africaines ou afro-descendantes en situation coloniale. La conférence panafricaine de Londres est un premier rassemblement de ces acteurs, et marque en quelque sorte l’année zéro du panafricanisme. Son principal initiateur, Henry Sylvester-Williams, est un Trinidadien formé aux États-Unis et au Royaume-Uni. Sensibilisé, au cours de sa formation, à la condition de différentes sociétés africaines colonisées (notamment en Afrique du Sud), Sylvester-Williams fonde en 1897 l’African Association à Londres, qui vise à combattre l’oppression économique, sociale et politique subie par les Africains assujettis par l’Empire britannique.
C’est dans le cadre de l’activité de l’African Association que naît l’idée d’une grande conférence dont l’objectif serait de mettre à l’agenda la condition des populations africaines et afro-descendantes en situation coloniale. Dès ses débuts, la conférence se conçoit selon une logique transatlantique : Henry Sylvester-Williams fait appel à des acteurs francophones (Bénito Sylvain, Anténor Firmin), ainsi qu’aux intellectuels afro-américains les plus influents de la période (Booker T. Washington, W.E.B Du Bois). C’est d’ailleurs dans le contexte de la préparation de cette conférence que le terme « panafricain » semble être formellement écrit pour la première fois comme une réponse au colonialisme européen. Il sera ensuite repris par la presse.
Du 23 au 25 juillet 1900, 37 délégués venus des États-Unis, des Caraïbes et d’Afrique se rassemblent donc à Londres, dans le sillage de grands événements comme l’Exposition universelle de Paris pour permettre aux participants d’outre-Atlantique de mutualiser certains coûts du voyage en Europe. C’est au sein du Westminster Town Hall qu’ont lieu les discussions, principalement entre délégués anglophones nord-américains et caribéens. Les acteurs du congrès, très majoritairement issus des fractions les plus élitaires du monde noir (professions intellectuelles et libérales), créent à cette occasion l’Association panafricaine, qui sera basée à Londres – forme actualisée de l’African Association de Sylvester-Williams. Le comité exécutif de cette association se constitue alors de personnalités de « l’Atlantique noir », comme la militante afro-américaine Anna Julia Cooper ou le compositeur britannique Samuel Coleridge-Taylor. Élément notable, l’association comptera en 1901 davantage de membres d’origine non-africaine que d’Africains et Afro-descendants.
Quel bilan peut-on tirer, au-delà de la création d’une association panafricaine, de cette conférence ? Les recommandations finales sont élaborées par Bénito Sylvain et réclament principalement l’action des pays indépendants – Éthiopie, Liberia, Haïti – pour protéger et faire valoir les droits des populations noires du monde face au colonialisme. Mais l’on retient davantage le texte alors rédigé par W.E.B Du Bois, « l’Adresse aux nations du monde ». Ce texte résonne comme un avertissement et affirme la nécessité de favoriser l’émancipation et le développement culturel, économique et social des sociétés « de couleur ». C’est dans ce texte que l’on trouve ainsi la célèbre affirmation quasi prophétique de Du Bois : « le problème du XXe siècle est celui de la ligne de couleur ». Enfin, les délégués élaborent une série de réclamations qui concernent la situation en Afrique du Sud, en revendiquant notamment la fin du travail forcé et du système de passeports et de fichage qui cible les Noirs.
Première d’une série de conférences panafricaines qui rythment le XXe siècle, la conférence de Londres connaîtra des lendemains difficiles du fait d’un manque de moyens financiers, de la concurrence d’autres organisations comme la NAACP aux États-Unis, et de la disparition rapide, dans les années 1910, de ses principaux instigateurs. Il faudra ainsi attendre le Congrès panafricain de 1919 à Paris pour que soit de nouveau organisée une rencontre de grande ampleur.
Notice parue dans : Les sociétés africaines et le monde : une histoire connectée 1900-1980, Ed. Atlande, 2022.
Par Maëlle Gélin
Boukari-Yabara A., Africa Unite ! Une histoire du panafricanisme, La Découverte, 2017 (1re éd. 2014). — Hooker J.R., « The Pan-African Conference 1900 », Transition, n° 46, 1974, p. 20-24. — Lara O.D., La Naissance du mouvement panafricaniste, Maisonneuve et Larose, Paris, 2000.