SOMVILLE Roger. [Belgique]

Par Jean Puissant

Schaerbeek (pr. Brabant, arr. Bruxelles ; aujourd’hui Région de Bruxelles-Capitale), 13 novembre 1923 – Tervuren, (aujourd’hui pr. Brabant flamand, arr. Louvain-Leuven), 31 mars 2014. Enseignant, peintre défenseur du réalisme, militant communiste.

La réunion syndicale, 1966, huile sur toile (L250 x H190) (Musée d’art et d’histoire de Saint-Denis, France).
La réunion syndicale, 1966, huile sur toile (L250 x H190) (Musée d’art et d’histoire de Saint-Denis, France).

Roger Somville est le fils d’un ouvrier marqueteur, mort jeune, et d’une vendeuse du magasin bruxellois La Tentation. Son grand-père est typographe et un oncle lithographe, affiliés sans doute au syndicat professionnel, l’Association libre des compositeurs et imprimeurs typographes (ALCIT), dirigé depuis 1926 par un anarchiste notoire Jean De Boë, qui réunit à Bruxelles la quasi-totalité des salariés du secteur. Somville aurait été politiquement influencé par ces derniers. Après des études moyennes, il poursuit son cursus à l’Académie Royale des Beaux-Arts de Bruxelles, à l’École nationale supérieure d’Architecture et des Arts décoratifs (aujourd’hui École nationale supérieure des arts visuels) de La Cambre à Ixelles (Bruxelles), et dans l’atelier d’art monumental du peintre Charles Counhaye.

Professeur d’art monumental de 1947 à 1984 et directeur de l’Académie des Beaux-Arts de Watermael-Boitsfort (Bruxelles) de 1958 à 1984, Roger Somville fonde en 1946, avec Edmond Dubrunfaut (1920-2007), son complice sur de nombreux projets, et Louis Deltour (1927-1998) le Centre de rénovation de la tapisserie de Tournai. Tous les trois s’associent pour créer en 1947 le groupe Forces Murales.
Avec son épouse Simone Tits, céramiste, il établit en 1951 l’atelier La Céramique de Dour, situé dans un local apporté par Émile Cavenaile (1906-1997), brasseur Dourois, d’origine protestante, et son épouse Francine, qui réunit, outre les Somville, les sœurs Marie-Henriette et Thérèse Bataille, Monique Cornil, Claire Lambert et Paul Timper avec lequel il s’associera ultérieurement à diverses reprises. Il contribue également à la création du Mouvement Réaliste en 1969 et du Collectif d’Art Public en 1979.

Le groupe Forces murales, inspiré des artistes mexicains Diego Rivera, David Alfaro Siqueiros, José Clemente Orozco, influencé par les français Jean Lurçat et Bernard Lorjou, promeut des formes d’art diverses (tapisseries, fresques…) destinées à être présentées au public le plus large. Esthétique domestique et art monumental relèvent d’une même approche réaliste, en réaction frontale avec l’art non-figuratif qui devient dominant à l’époque. Plusieurs textes et peintures témoignent de cette esthétique combative comme de l’engagement social et politique de l’artiste. Très jeune, il se mobilise pour les grandes causes sociales et vit intensément les grands conflits de son époque : montée du fascisme, mouvements ouvriers. Diverses œuvres concrétiseront cet engagement, représentation de travailleurs manuels, de manifestations, de cris de révolte ou destinés à des locaux syndicaux, à des réfectoires... La loi de 1957, dite Masereel (coalition gouvernementale socialiste-libérale), organise le financement d’œuvres d’art dans l’espace public, ce qui ouvre de nouvelles perspectives à cet artiste engagé. Thématiques et lieux de « publicité » des œuvres, sont intimement mêlés. « La création d’un art public exaltant la vie et le travail des hommes, leurs luttes, leurs souffrances, leurs joies, leurs victoires, art à placer à la portée de tous, là où passent et vivent les hommes ». En témoigne, par exemple, son intérêt renouvelé pour les victimes de la fusillade de Louvain lors de la grève générale en faveur du suffrage universel en 1902.
Roger Somville, qui adhère au Parti communiste de Belgique (PCB) en 1951, est membre de sa commission culturelle. Il rédige quelques articles consacrés à des artistes pour le quotidien du PCB, Le Drapeau rouge en 1953-1954, et aussi pour La Gauche en 1957. Il figure à diverses occasions sur des listes électorales du PCB. Il est également actif à l’Union belge pour la défense de la paix (UBDP), tout comme Émile Cavenaile. En 1970, il fait partie du Conseil culturel du Conseil mondial de la paix.

En 1963, Roger Somville réalise une tapisserie monumentale de 63 m² intitulée Le Triomphe de la Paix, inspirée d’un poème de Bertold Brecht, de sentiments pacifiste et anti-impérialiste. C’est une commande des autorités belges qui est offerte paradoxalement au siège parisien de l’OTAN, aujourd’hui présente à la Commission européenne à Bruxelles. En mai 1968, il peint un calicot pour l’Assemblée libre de l’Université libre de Bruxelles (ULB) qui trône toujours dans l’ancienne salle du conseil d’administration (aujourd’hui nommée salle Somville), assemblée représentative élue issue du soulèvement culturel et intellectuel de l’époque et participe et anime, avec 200 artistes, l’occupation du Palais des Beaux-Arts.

Roger Somville est très présent lors des manifestations anti-nucléaires, pour la paix au Vietnam, pour le Chili d’Allende… Dans la foulée, il réalise, de 1974 à 1976, une peinture murale de 600 m², Notre Temps, pour la station Hankar du métro bruxellois qui anticipe le Street Art. Il est accompagné par des élèves et anciens élèves, dans cette aventure : Marc Bolly, Roger Dewint, Paul Gobert, Peter Schuppisser, Paul Timper, Anne Van Loo. En 1979, à la demande de l’Université catholique de Louvain (aujourd’hui UCLouvain, Louvain-la-Neuve, commune d’Ottignies, pr. Brabant, wallon, arr. Nivelles), il réalise Qu’est-ce qu’un intellectuel ?, peinture murale de 410 m² (Collectif d’Art Public).

L’œuvre énergique de Roger Somville se caractérise par des couleurs éclatantes et des formes percutantes. De nombreux portraits de son épouse Simone nous familiarisent avec son visage souriant, dupliqué et interprété à l’infini dans de très nombreuses œuvres comme le visage de LA femme. Il expose en Belgique, France, Allemagne, Italie, Espagne, dans les pays de l’Est européen, au Mexique, à Cuba, au Japon. Il déclare : « L’Art est une merveilleuse manière de vivre, qui exprime l’odeur du temps, l’émouvante rumeur du combat acharné et sans cesse renouvelé des hommes pour un monde moins injuste » (Hop là ! Les pompiers les revoilà, Bruxelles, 1975). Tout en tenant ses distances par rapport à la peinture naturaliste, il consigne ses réflexions sur le sens et les moyens de la peinture dans trois ouvrages : Pour le Réalisme, publié en 1970, Hop là ! Les pompiers les revoilà en 1975 et Peindre en 2000. Parallèlement aux œuvres murales, Somville réalise de nombreuses séries thématiques de peintures, de dessins, de gravures, de tapisseries et de céramiques. Dans son œuvre, il cristallise ses combats politiques et la fuite en avant qui caractérise notre société mais aussi l’infinie poésie de l’amour et de la vie quotidienne, évoquée dans des scènes de plage, de rue et de cafés de nuit.
Depuis 1959, il travaille également dans un atelier à Olmet (département du Puy-de-Dôme, France). Il est aussi franc-maçon, reçu à la loge L’Amitié Victor Bohet du Grand Orient de Belgique en 1965.

Enthousiaste, intarissable sur son œuvre et ses intentions, Roger Somville et son épouse, Simone, qui ont deux enfants, Marc et Claire, accueillent chaleureusement leurs visiteurs dans sa maison-atelier de la chaussée de Bruxelles à Tervuren. Les œuvres de Somville sont présentes dans les collections publiques belges et étrangères, notamment : Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique (Bruxelles), Musée de la Tapisserie (Tournai), Musée d’Art et d’Histoire de Saint-Denis (Paris), Mausolée du Martyr Juif inconnu (Paris), Musée de l’Ermitage (Saint-Pétersbourg), Musée d’Art moderne (Mexico), Galerie nationale (Sofia).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article252925, notice SOMVILLE Roger. [Belgique] par Jean Puissant, version mise en ligne le 22 novembre 2023, dernière modification le 22 novembre 2023.

Par Jean Puissant

La réunion syndicale, 1966, huile sur toile (L250 x H190) (Musée d'art et d'histoire de Saint-Denis, France).
La réunion syndicale, 1966, huile sur toile (L250 x H190) (Musée d’art et d’histoire de Saint-Denis, France).
Roger Somville, s.d. (Photographie Cercle d'éducation populaire-CEP), Bruxelles).
Roger Somville, s.d. (Photographie Cercle d’éducation populaire-CEP), Bruxelles).

ŒUVRE : voir liste dans le site qui lui est consacré : www.rogersomville.com.

SOURCES : Site WEB : www.rogersomville.com – BRYS-SCHATAN G., Roger Somville, Atelier Vokaer, Bruxelles, 1988.

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