Par Elara Bertho
Né en 1932 à Zinder (Niger), mort en 1993 à Zinder ; militant du Sawaba ; député de Zinder en 1958.
Abdoulaye Mamani est né en 1932 à Zinder [1]. Il s’engage dans les rangs du Sawaba (« calme, sérénité » en haoussa), parti anticolonial issu d’une scission avec le RDA, dont les membres ont manifesté de profondes affinités avec le bloc de l’Est et partageaient des lectures approfondies des textes du communisme. Il devient rapidement « l’idéologue du parti », rédigeant des discours, des tracts, des libelles. Djibo Bakary est la figure de proue du mouvement, attaché à la défense des « petites gens » (talaka, « les gens du peuple » en haoussa), aux populations urbaines pauvres, au « prolétariat ». Mamani rédige le journal du parti, intitulé précisément Talaka. Le Sawaba inquiète les autorités françaises, et lorsque le parti appelle à voter NON au référendum de 1958, en réclamant l’indépendance immédiate, les diplomates français font tout pour évincer le mouvement, y compris en usant de basses manœuvres. C’est l’un des premiers actes de la « françafrique » : Pierre Messmer demande au gouverneur Jean Colombani d’intervenir, le Sawaba est empêché de militer. Djibo Bakary est écarté et remplacé par le plus docile Diori Hamani [2]qui instaure dès 1960 un régime à parti unique, le PPN (Parti Progressiste Nigérien). Mamani est député de Zinder, il proteste contre les pleins pouvoirs conférés à Diori Hamani sans que cela ne soit suivi d’effet.
Mamani voyage beaucoup, il prend part à un colloque à Stockholm sur le désarmement, il visite Moscou en 1959. En 1960, les cadres du parti sont arrêtés par Diori Hamani, dont Mamani, relâché finalement quelques mois plus tard. Le Sawaba est interdit mais des réunions se tiennent de manière clandestine dans des bars. Des jeunes sont formés au maniement des armes et plusieurs sont envoyés à Marnia, en Algérie (via Accra et Casablanca).
Mamani quitte le Niger en 1960, sa trace est alors difficile à suivre. Il possède une carte du FLN algérien, il séjourne en Algérie entre 1962 et 1963, puis plus longuement en 1964, et semble avoir écrit des pièces de théâtre pour la radio algérienne, mais je n’ai pas retrouvé de traces de ces textes. Il visite des camps d’entrainement de Tamanrasset, de Marnia. Djibo Bakary, Abdoulaye Mamani et Ousmane dan Galadima se réunissent à Porto Novo pour planifier une opération de destitution de Diori Hamani qui a lieu le 27 septembre 1964. Des commandos dispersés en Haute Volta, au Dahomey, au Nigéria, au Ghana et au Mali devaient converger vers Niamey mais ils ont été arrêtés et l’opération se solde par un échec. Van Walraven pointe plusieurs causes possibles de cette révolution empêchée, parmi lesquelles : la mauvaise préparation des hommes, le manque d’armement des commandos (des armes subventionnées par la République Populaire de Chine auraient été interceptées par Sékou Touré pour son propre compte), l’absence de lien avec les syndicats de Niamey… Dans les mémoires des militants, Mamani et Bakary demeurent des intellectuels, trop éloignés de la base militante et des guérilleros. [3]
Mamani est contraint à l’exil. Il fait paraître chez Oswald un recueil de poèmes, Poèmérides, en 1972 [4]. . Il travaille à une Anthologie de Poésie de combat qui ne voit pas le jour [5]. Il participe au concours théâtral interafricain, et deux de ses pièces sont publiées dans ce cadre, Le Balai en 1973 et Le fils du griot en 1974 [6] . Il ne revient au Niger qu’à l’appel de Seyni Kountché en 1974. Il est malheureusement arrêté en 1975 sur des charges floues – les anciens militants sawabistes restant structurellement des menaces pour le pouvoir. Mamani est emprisonné au camp de Dao Timmi, au pied des montagnes Totomaï, dans des conditions terribles, aux côtés de l’écrivain Ibrahim Issa et de Ousmane dan Galadima. C’est dans sa cellule souterraine, à la lueur d’une bouche d’aération qu’il a rédigé Sarraounia sur du papier toilettes et des carnets de notes livrés clandestinement par certains gardiens compatissants [7] . L’histoire est celle d’une reine azna (saraunya signifie « reine » en haoussa) s’étant opposée à l’avancée de la colonne Voulet-Chanoine en 1899. Après avoir passé plus de quinze ans à lutter dans l’opposition, la majeure partie du temps en exil, Mamani n’a plus aucune illusion sur sa carrière politique. Sarraounia est la transfiguration littéraire de ses idéaux politiques déçus : héroïne anticoloniale, elle incarne tout à la fois la résistance à la colonisation et un commentaire sur le premier régime de Diori. Dans un discours final, Sarraounia livre un résumé des thèses sawabistes : redistribution des terres, rejet de l’ethnicisation de la vie politique, laïcité de la vie publique, défense du « petit peuple ». Mamani sort de prison en 1979, il est transféré à l’hôpital d’Agadez pour un glaucome. Le roman paraît en 1980 chez l’Harmattan [8]. Il travaille à une adaptation au cinéma avec Med Hondo, le film sort en 1986 et remporte le prix du FESPACO, à Ouagadougou, en 1987 [9] . Un lycée à Dosso porte le nom de « Sarraounia », en hommage au roman de Mamani. Progressivement, l’héroïne littéraire devient mythe national, fondatrice d’une mémoire de résistance à la colonisation et de lutte contre l’oppression.
Mamani continue à travailler à des textes littéraires, romans, pièces de théâtre, poèmes. Il publie une nouvelle dans un collectif, « Une nuit au Ténéré » [10] . Il décède en 1993 sur la route tandis qu’il allait recevoir le prix littéraire Boubou Hama.
Il confie ses archives à Jean-Dominique Pénel, qui les conserve toujours à Asnières où ce dernier réside. Pénel a consacré beaucoup de temps et d’énergie à éditer les textes inédits, qui représentent la majeure partie de son œuvre littéraire. Le thème de la résistance à la colonisation s’y déploie en plusieurs volets, permettant de restituer Sarraounia au sein d’une trilogie : Le puits sans fond est consacré à l’assassinat sur ordre du sultan de Zinder Ahmadou May Roumji du capitaine Cazemajou et de son interprète Olive en 1898, tandis que La passion de Ba Bemba raconte le siège de Sikasso par les troupes françaises la même année . Les divagations d’un nègre hippy, Shit sont deux autres textes qui explorent deux trajectoires d’Africains-Américains, déserteurs de la guerre du Viet-Nam, qui trouvent refuge pour l’un à Rome et pour l’autre à Paris.
Par Elara Bertho
ŒUVRE : Mamani, Abdoulaye. Poèmérides, Honfleur, P.J. Oswald, 1972. — Mamani, Abdoulaye, Le Balai : Comédie de l’absurde, Paris, D.A.E.C. Coopération, 1973. — Mamani, Abdoulaye, Le Fils du griot, Paris, DAEC Coopération, 1974. — Mamani, Abdoulaye, « Une nuit au Ténéré » dans Magnier, Bernard, Paris-Dakar : autres nouvelles. Nouvelles en tête, Paris : Souffles, 1987 . — Mamani, Abdoulaye, Sarraounia : le drame de la reine magicienne, Collection Encres noires, Paris, L’Harmattan, 1980, réédition 1992. — Mamani, Abdoulaye, Oeuvres poétiques : Poémérides, Eboniques, préface à l’Anthologie de poésie de combat, premiers poèmes, Édité par Jean-Dominique Pénel, Paris, L’Harmattan, 1993. — Mamani, Abdoulaye, Le puits sans fond : roman, Édité par Elara Bertho et Jean-Dominique Pénel, Paris, L’Harmattan, 2014. — Mamani, Abdoulaye, Idriss Alaoma : le caïman noir du Tchad ; La passion de Babemba : poème épique ; Néo-africanthropus, Édité par Jean-Dominique Pénel, Paris, L’Harmattan, 2014. — Mamani, Abdoulaye, À l’ombre du manguier en pleurs ; suivi de Une faim sans fin, Édité par Elara Bertho et Jean-Dominique Pénel, Paris, L’Harmattan, 2014. — Mamani, Abdoulaye, Les divagations d’un nègre hippy ; suivi de, Shit ! Paris, L’Harmattan, 2017.
SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE : Walraven, Klaas van, The Yearning for Relief : A History of the Sawaba Movement in Niger, Leiden, Brill, 2013 . — Walraven, Klaas van. « Sawaba’s rebellion in Niger (1964-1965) : narrative and meaning », 2003, en ligne.