Le DBMOB rend hommage à José Gotovitch (1940-2024)
José, ébranlé par la disparition brutale de sa « douce » Emy, miné par la maladie, a décidé lucidement et courageusement, ce samedi 17 février 2024, d’arrêter l’horloge de « son temps présent ».
José Gotovitch, né dans les Marolles, quartier populaire du centre de Bruxelles où vivaient de nombreux immigrés juifs originaires d’Europe centrale, enfant caché pendant la guerre, poursuit d’excellentes études à l’athénée Léon Lepage, puis à l’Université libre de Bruxelles (ULB), où il obtient en 1961 une licence en histoire avec un mémoire consacré à la presse censurée en Belgique occupée lors de la Première Guerre mondiale. Il réalise ensuite une étude sur la « flamentpolitiek » allemande durant cette même période. Élevé dans la langue française, il a dans l’oreille le yiddish de ses parents. Sa proximité avec les langues germaniques le fait remarquer et engager dans la recherche sur la Seconde Guerre mondiale par les professeurs John Bartier et Jacques Willequet qui trouvent des sources de financement pour six chercheurs et les bases d’un Centre de recherche sur la Seconde Guerre mondiale ayant pour caractéristique d’être national, pluraliste, mêlant académiques représentant des universités belges et des représentants des associations patriotiques et de résistance. Les chercheurs sont des universitaires, mais des chercheurs associés, en raison de leurs travaux de qualité, sont bientôt admis. Construction originale, fragile, instable, mais incontestablement productive où José joue un rôle croissant.
Quelques épisodes plus loin, dans une atmosphère de guerre froide relatée par Martin Conway et Pieter Lagrou dans une contribution, « José Gotovitch, cinquante ans au cœur et aux marges de l’historiographie de la Belgique contemporaine », publiée dans la Revue belge d’histoire contemporaine en 2019 (2-3, p. 222-248), José Gotovitch se voit contraint d’étudier le monde communiste auquel il a adhéré dès sa prime jeunesse plutôt que la résistance à laquelle il consacre de premiers travaux, notamment un répertoire de la presse clandestine. Certains milieux résistants refusent en effet de voir un communiste affirmé s’occuper de certains dossiers. Le compromis trouvé le maintient en activité mais l’oriente vers l’étude du seul Parti communiste pendant la guerre. Il est l’auteur, avec Jules Gérard-Libois, directeur du Centre de recherche et d’information socio-politiques (CRISP), du très remarquable et remarqué An 40. La Belgique occupée, publié à Bruxelles en 1971, et d’une mémorable thèse sur la Résistance communiste pendant la guerre (Du rouge au tricolore. Les communistes belges de 1939 à 1944, Bruxelles, 1992), qui est rééditée en 2018 sous le titre de Du rouge au tricolore. Résistance et parti communiste. De 1989 à 2004, il dirige le Centre d’études de la Seconde Guerre mondiale, aujourd’hui CegeSoma (Centre d’études Guerre et Société), à mettre en relation avec l’Institut d’histoire du Temps présent (IHTP) de Paris. Le centre, bilingue pluraliste intégré aux Archives de l’État, est unanimement reconnu en Belgique pour la qualité de ses travaux et sa contribution au débat public et médiatique. Assistant à ses débuts du professeur John Bartier puis professeur à l’ULB, José y participe à la création en 1989 du Groupe d’histoire et sociologie du communisme, intitulé aujourd’hui Centre d’histoire et de sociologie des gauches.
John Bartier pense à l’époque, avec Francis Sartorius, à un dictionnaire biographique du mouvement ouvrier en Belgique. José Gotovitch est sans doute déjà sensibilisé à l’idée de biographies multiples constitutives d’une méthode de compréhension des phénomènes sociaux. Pour sa thèse, il utilise largement l’histoire orale dont il est un précurseur en Belgique, sans pour autant en faire un objectif, mais un moyen heuristique nécessaire, mais aussi la biographie qui, répétée, ouvre la voie à une véritable prosopographie de la résistance communiste, à Bruxelles en particulier. La fréquentation des archives allemandes, puis de celles du Komintern à Moscou lui ouvre sa participation à la conception et à la réalisation du dictionnaire des Kominterniens, Komintern : l’histoire et les hommes. Dictionnaire biographique de l’Internationale communiste en France, à Moscou, en Belgique, au Luxembourg, en Suisse (1919-1943), édité à Paris en 2001. Il participe à plusieurs activités du Maitron à Paris. Son dernier ouvrage, Allons au-devant de la vie. Une histoire des jeunesses et étudiants communistes en Belgique (1921-1945), édité à Bruxelles en 2023, met en valeur nombre d’engagements individuels et fait également écho à ses idéaux de jeunesse.
Il n’est donc pas étonnant de le voir participer activement aux premières réalisations du Dictionnaire biographique des militants du mouvement ouvrier en Belgique : A-B, publié à Bruxelles en 1996, puis au Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier en Belgique (DBMOB), mis en ligne dans le site du Maitron, et à la préparation en cours d’un volume de plusieurs centaines de notices. Il en fut un membre, très présent, du comité de rédaction et du comité scientifique du groupe de contact FRS-FNRS qui accompagne l’entreprise. Ses contributions concernent principalement les communistes, mais sans exclusive. Il faut lire ou relire sa belle biographie d’Isabelle Blume, importante militante socialiste, féministe, antifasciste, exclue du Parti socialiste belge (PSB) lors de la guerre froide. Sa dernière à venir concerne le dirigeant socialiste Victor Larock, personnalité forte du mouvement socialiste clandestin. Il contribue également de la même manière à la Nouvelle Biographie Nationale éditée par l’Académie Royale de Belgique. José est également directeur scientifique et longtemps animateur du Centre des archives communistes de Belgique (CArCoB asbl), aujourd’hui Centre des archives communistes, pacifistes, de solidarité internationale et de lutte contre le colonialisme et l’apartheid, en Belgique.
Doté d’une plume aiguisée depuis l’adolescence, José Gotovitch a collaboré au Drapeau rouge, à l’organe des Étudiants communistes de Belgique qu’il a dirigé, En avant ainsi que le groupe. Cela le conduit à de véritables bonheurs d’écriture. José, chercheur rigoureux, animateur d’équipes, communicant recherché (voir Jours de guerre, magazine de la télévision et radio belge francophone de 1989 à 1995), fut également « bon camarade » et toujours prêt à faire la fête.
José Gotovitch, qui revendique ses origines juives, son engagement franc-maçon et communiste, est membre de l’Académie royale de Belgique (Classe des Lettres et des Sciences morales et politiques).