Par Maxime Tondeur
Ixelles (pr. Brabant, arr. Bruxelles ; aujourd’hui Région de Bruxelles-Capitale), 10 janvier 1946 – 17 février 1973. Ouvrier sidérurgiste, licencié en sciences économiques, militant communiste, activiste de la gauche radicale des années post 1968, membre du Parti communiste (Grippa), fondateur du mouvement de la gauche radicale Universités-Usines-Union, puis du groupe maoïste La Parole au peuple, petit-neveu d’Henri Fuss, neveu de Pierre Joye.
Robert Fuss est le troisième enfant de René Fuss (1912-1999), avocat, résistant et auditeur militaire durant la Seconde Guerre mondiale, chroniqueur judiciaire au journal Le Soir de 1945 à 1975, et de Madeleine Joye (1913-1992), orthodontiste. La famille Fuss est, au 20e siècle, dans l’establishment juridique, médiatique et politique bruxellois, une famille renommée de juristes et de directeurs de presse, politiquement aux frontières du libéralisme progressiste et de la social-démocratie. L’arrière-grand-père de Robert Fuss, Gustave Fuss (1850-1893) est avocat et échevin libéral à Schaerbeek, où une rue porte aujourd’hui son nom. Son grand-père, Lucien Fuss (1888-1946), avocat lui aussi, est nommé directeur du journal Le Soir en 1936. En 1940, avec l’ensemble de la rédaction et des propriétaires de la famille Rossel, il entre en résistance, refusant toute collaboration au Soir volé dont l’occupant nazi s’est emparé. À la Libération, il reprend sa fonction jusqu’à son décès en avril 1946. La grand-mère paternelle de Robert Fuss est la fille de Léon Furnemont (1861-1927), homme politique libéral, puis député socialiste, militant du suffrage universel. Son grand-oncle, Henri Fuss-Amoré (1882-1964), typographe, publiciste et juriste, est, au début du 20e siècle, une grande figure de l’anarchisme en Belgique et en France, et particulièrement du syndicalisme révolutionnaire. Après la Première Guerre mondiale, il fait une carrière de haut fonctionnaire au Bureau international du travail à Genève et au ministère du Travail et de la Prévoyance sociale dont il sera le secrétaire général. Annette Fuss (1878-1956), sœur de Henri Fuss, est l’épouse d’Émile Max, avocat et mandataire libéral progressiste. Jean Corvilain (1919-2008), avocat, époux de Jacqueline, la sœur de René Fuss, prendra la direction du Soir de 1969 à 1985. Parmi les cousins de la famille, on compte la sénatrice socialiste Marie Spaak, le libéral Paul-Émile Janson, ancien ministre et chef de gouvernement, le socialiste (puis démocrate francophone) Paul-Henri Spaak*, ministre, Premier ministre puis secrétaire général de l’OTAN.
Robert Fuss est, par sa mère, le neveu de Pierre Joye (1909-1984), docteur en droit, économiste, rédacteur en chef de La Voix du peuple et du Drapeau rouge et membre du Comité central du Parti communiste de Belgique (PCB).
Après des études secondaires à l’Athénée d’Uccle (Bruxelles), Robert Fuss, encore indécis sur la voie qu’il veut suivre, s’inscrit à l’Université de Cambridge pour une année d’immersion en langue anglaise. En 1964, il entame sa première candidature en Sciences économiques à l’Université libre de Bruxelles (ULB). En novembre 1964, il participe, aux côtés de son frère Michel, à sa première manifestation contre l’envoi de parachutistes belges à Stanleyville (aujourd’hui Kisangani, République démocratique du Congo) dans le cadre de l’anéantissement militaire de l’insurrection populaire, dite des Simbas ou encore des mulelistes, en pleine extension dans l’Est et le Centre du pays. En 1965, il rejoint, l’Union des étudiants communistes de Belgique (UECB), l’organisation étudiante du Parti communiste dit prochinois dirigé par Jacques Grippa. Il y retrouve son frère, et y côtoie, parmi d’autres, les leaders étudiants, Michel Graindorge et Jacques Wattier. Il milite activement : c’est ainsi qu’on le voit en janvier 1966, à une journée d’action contre les mesures antisociales du gouvernement Spaak Eyskens, dans la manifestation syndicale des étudiants, pour, ensuite, rejoindre un rassemblement ouvrier à La Louvière. Il participe aussi, dès le printemps 1966, aux actions des Comités d’Action anti-impérialistes des jeunes, animés par Jeanne Vercheval-Vervoort en solidarité avec la lutte du peuple vietnamien. C’est là qu’il rencontre Hélène Van den Steen (née en 1949), étudiante, qui, militante active elle aussi, sera la compagne de sa trop courte vie. Notons aussi sa participation, en 1965 et 1966, aux championnats de ski de Belgique à Val d’Isère (France), ainsi qu’aux Universiades à Innsbruck (Autriche).
Désigné secrétaire politique de l’UECB à la rentrée d’octobre 1966, Robert Fuss s’impose par sa capacité d’initiative, ses qualités d’organisateur, son sens de la synthèse politique et sa sensibilité au monde du travail. Il est à l’initiative de l’organisation d’un Comité d’action des travailleurs de la Cité universitaire, soumis à un statut particulièrement précaire. Ce comité s’élève contre les licenciements arbitraires et pose ses revendications en matière de salaire et de conditions de travail, tout en appelant les travailleurs à se syndiquer. La Centrale générale des services publics (CGSP) les soutient en initiant la création d’un comité de sécurité et d’hygiène (CSH).
C’est aussi l’année de multiples actions contre l’agression américaine au Vietnam. Le 27 janvier 1967, à l’ULB, dans l’auditoire Janson plein à craquer, plus d’un millier d’étudiants et de militants anti-impérialistes empêche un discours de Harold Kaplan, sous-secrétaire d’État américain, invité par le Cercle du libre examen pour défendre la politique des États-Unis. Le drapeau du Front national de libération du Sud Vietnam (FNL) est brandi. Le lendemain, Robert Fuss passe au journal télévisé de la radio-télévision belge (RTB) pour y expliquer le mouvement. À Bruxelles, il participe à de nombreuses actions radicales, parfois minoritaires comme l’accueil particulier, devant le monument du Soldat inconnu, du vice-président des États-Unis, Hubert Humphrey, bombardé d’œufs et de farine. En mai 1967, lors de l’incendie de l’Innovation, une tentative policière, vite avortée, tente d’en faire porter la responsabilité aux militants qui y avaient manifesté leur solidarité avec le Vietnam. Fuss subit, comme des dizaines de militants, perquisition et interrogatoire. Il participe activement, en mobilisant de nombreux étudiants, à la grande Marche antiatomique du 23 avril 1967 qui regroupe toutes les tendances de la solidarité avec le Vietnam, du pacifisme à l’anti-impérialisme.
Cette première expérience politique, en tant que cadre communiste, se termine à l’été 1967 par un double évènement. L’interruption de ses études d’abord, puisque Robert Fuss décide de faire son service militaire qu’il effectue en Allemagne, en tant que sous-officier, dans le Régiment des blindés à Düren (Rhénanie-du-Nord-Westphalie). Une rupture politique ensuite. Dans les années 1960 et 1970, l’activisme militant est étroitement lié aux controverses idéologiques qui mènent souvent à des exclusions, à des scissions à répétition, au sectarisme ; elles obligent néanmoins à un effort de lecture et d’assimilation des textes marxistes. Robert Fuss se plonge dans le débat, porté par la Révolution culturelle chinoise et le maoïsme, qui ébranle, à l’été 1967 le petit parti grippiste, sur le rôle et la nature du parti d’avant-garde, le lien entre parti communiste et masses populaires (« la ligne de masse »), les méthodes de direction au sein du parti, etc. S’il espère un débat de fond, il n’a comme toute réponse de Jacques Grippa*, en qui il a pourtant placé toute sa confiance, que manipulations et exclusions en masse. Une page se tourne.
Pour quelqu’un qui est à l’affût du nouveau, les premiers mois de 1968 doivent combler Robert Fuss. Caserné en Allemagne et éloigné donc du terrain des luttes en Belgique, il saisit très vite la portée du mouvement étudiant de janvier 1968 à Louvain (Leuven, aujourd’hui pr. Brabant flamand, arr. Louvain) et l’espoir d’alternative marxiste pour les militants de gauche. Il étudie la brochure du Studentenvakbeweging (SVB-Mouvement syndical étudiant), Ervaringen uit twee jaar strijd te Leuven (Expériences de deux années de lutte à Louvain), et il écrit à son camarade Jacques Wattier : « Je suis en train de dévorer le "Que Faire" du SVB ; quel formidable outil de travail ! » Après en avoir détaillé et commenté la table des matières, il propose « d’étudier l’expérience de Louvain sur la base de cette brochure, de tirer les leçons du "syndicalisme étudiant" depuis 1960-1961 et d’établir un projet de journal ». Il y voit, pour la gauche révolutionnaire étudiante, l’outil nécessaire pour une nécessaire rupture avec le corporatisme et aussi avec « toute forme de démocratie formelle » et en particulier avec sa forme technocratique. Et au niveau politique pour la rupture avec ce qu’avait été le grippisme.
En mai 1968, Rober Fuss reprend à l’ULB son engagement militant. Il s’attache à dynamiser un groupe de travail de « liaison avec les travailleurs de l’ULB », et aide à formuler le cahier de revendications des manœuvres et femmes de ménage, au grand dam des patrons qu’étaient les autorités académiques et de certains représentants syndicaux.
Pour lui, ce sera une belle expérience politique, à la marge de l’Assemblée Libre étudiante, mais au cœur des contradictions de classes de la communauté universitaire.
L’après mai 1968 voit Robert Fuss se donner trois priorités. La première est la fondation en octobre, à la rentrée universitaire, du mouvement de la gauche radicale, Universités-Usines-Union (UUU), qui regroupe, au fil des mois, des intellectuels révolutionnaires, des éléments de la gauche radicale étudiante, des syndicalistes de l’Union étudiante syndicale et des militants issus du Parti communiste (tendance Grippa). Si UUU à ses débuts apparaît plus comme un groupe de réflexion et d’analyse sur la fonction de l’université bourgeoise dans la société, Robert Fuss, pour qui la théorie doit toujours être liée à la pratique, apparaît comme un leader, en décembre 1968, sur les barricades de la résistance contre l’intervention policière sur le campus de l’ULB, décidée par le tout fraîchement désigné président du Conseil d’administration, Henri Simonet*, figure de proue du Parti socialiste bruxellois. La seconde est la liaison avec la gauche étudiante flamande issue des mouvements de Louvain en janvier 1968 et de Gand (Gent, pr. Flandre orientale, arr. Gand) en mars 1969 ; il traduit ses documents, participe à leurs réunions et aux actions aux portes des usines. On le verra, en mars 1969, orateur francophone à la tribune d’une assemblée populaire nationale à Louvain, sur l’unité du mouvement étudiant en Belgique. Enfin, sa troisième priorité est de dynamiser la liaison de la gauche étudiante avec le monde du travail. Dès la première grève ouvrière à l’usine de montage automobile Citroën en novembre 1969 à Forest (Bruxelles), brisée par l’intervention de la gendarmerie et le licenciement de 24 travailleurs, il organise la mobilisation de masse des étudiants en soutien aux travailleurs avec la publication d’une enquête ouvrière (« Solidarité avec les ouvriers de Citroën »), des meetings communs du mouvement UUU avec l’Union étudiante syndicale et la Jeune garde socialiste, la participation d’un millier d’étudiants à la manifestation syndicale du 27 novembre 1969. Homme de contacts, il établit les liens avec des militants ouvriers comme Hubert Hedebouw* à Citroën ou Paul Binje* à l’usine Michelin à Leeuw-Saint-Pierre (aujourd’hui pr. Brabant flamand, arr. Hal-Vilvorde) en grève en février 1970. Il popularise également, par la traduction et la publication de brochures, la grève des mineurs du Limbourg de janvier 1970.
En impulsant cet élan vers le monde du travail en lutte, Robert Fuss est le moteur du tournant ouvrier de UUU par la participation active aux grèves de la région bruxelloise dans les années 1969-1970 : Michelin, Nestor Martin à Ganshoren (Bruxelles), Les Forges de Clabecq (aujourd’hui commune de Tubize, pr. Brabant wallon, arr. Nivelles) et Citroën à nouveau.
Homme d’analyse, Robert Fuss rédige de nombreuses notes sur le rôle du syndicat, qui s’inscrivent à l’époque dans le courant d’une gauche radicalement antisyndicale, partisane du développement d’organisations ouvrières autonomes, tel qu’il s’exprime dans les grèves « sauvages » du mai ouvrier belge. Le syndicat est analysé comme un appareil d’état monolithique « avec sa logique propre de collaboration de classe qui lui interdit désormais de défendre les travailleurs ».
Homme d’action, alors qu’il participe à une distribution de tracts aux portes de l’usine Citroën, le 29 janvier 1971, Robert Fuss est attaqué et grièvement blessé à la tête, par les nervis de la milice patronale, armés de coups de poing américains et de matraques. Il ne verra pas le procès d’octobre 1973 qui les condamnera.
1970 est dans l’histoire sociale de notre pays une année particulièrement mouvementée, aussi bien pour le monde du travail que pour le mouvement étudiant. C’est aussi l’année qui doit voir Robert Fuss proclamé licencié en sciences économiques de l’ULB. En particulier, en juillet 1970, la direction de la Cité universitaire de l’ULB annonce des hausses de prix des repas du restaurant et des chambres de 20 à 30 %. UUU, à l’initiative de Fuss, s’y oppose, par une méthode radicale, en appelant dès le 1er septembre à « passer (à la caisse) sans payer ». Face à cette action suivie par une large majorité de consommateurs, les autorités de l’Université, le président Simonet, le recteur André Jaumotte en tête, refusant tout compromis, choisissent d’emblée le « tout répressif ». Une petite centaine d’étudiants, devant leur refus de toute discussion, interrompt la séance du Conseil d’administration et bombarde ses membres ’œufs et de tomates. Fuss, porte-parole du groupe, est, dans la foulée, exclu de l’ULB, avec interdiction de pénétrer sur le campus. Le 22 septembre 1970, il est arrêté par la police judiciaire. Transféré au parquet, il est inculpé, dans le cadre de l’action au restaurant universitaire, de « destruction ou de tentative de destruction d’édifices par explosion, de vol par effraction, de vol simple, de rébellion contre agent avec coups et blessures », faits « punissables de la peine de travaux forcés à perpétuité ». Incarcéré au secret à la prison de Forest, Fuss utilise son temps d’enfermement pour rédiger son mémoire de licence. Il est libéré après un mois, toute poursuite pénale ayant été abandonnée, mais son exclusion définitive de l’ULB avec interdiction de présenter son mémoire est cependant confirmée le 9 novembre.
Avec les autres militants de UUU, exclus ou licenciés, comme Jacques Wattier, étudiant en sciences sociales, Michel Nejszaten, assistant en chimie, Robert Fuss rédige le texte de leur défense politique, « Les accusés accusent », texte de rupture avec l’Université bourgeoise : « Votre université est devenue une gigantesque usine moderne qui fabrique à longueur d’année des cerveaux atrophiés qui forment l’armée de répression idéologique du corps social » ; profession de foi idéologique aussi. Ils se proclament communistes et maoïstes, « acteurs de la révolution prolétarienne, partisans d’une université qui soit le bien commun du peuple ». En avril 1972, il obtient « par mesure de clémence », l’autorisation de présenter son mémoire intitulé « Les relations entre les employeurs, les syndicats et les travailleurs dans le secteur des fabrications métalliques de 1960 à 1970 », sous la direction du professeur Guy Spitaels*.
Cependant depuis plus d’un an, Robert Fuss s’est engagé dans une autre voie : travailler et militer en usine. Début 1971, il est embauché chez Volkswagen à Forest, usine de montage automobile de 1 800 travailleurs, en majorité des jeunes ; il y travaille à la chaîne du garnissage. Il s’inscrit ainsi dans le mouvement post 1968 de « l’établissement » en usine de militants intellectuels révolutionnaires. En Belgique, ce sont les militants du futur Alle macht aan de arbeiders (AMADA : traduction littérale : tout le pouvoir aux travailleurs) qui en sont les pionniers. Ils sont suivis par les différents courants marxistes, léninistes, maoïstes à Louvain, et Bruxelles (Mouvement social étudiant, UUU, et ensuite l’Union des communistes marxistes léninistes (UCMLB) et La Parole au peuple).
C’est également une démarche de nombreux militants maoïstes en France. Il s’agit non plus que les étudiants se mettent « au service » des luttes ouvrières, mais bien, d’organiser, à travers les luttes, une force révolutionnaire ouvrière dans les grandes entreprises.
Il y a certes un débat sur le type d’organisation à construire, le projet d’un nouveau parti ouvrier d’avant-garde, fondé sur le marxisme-léninisme ou celui d’une organisation ouvrière révolutionnaire à partir de comités de lutte autonomes. C’est dans ce dernier projet que Robert Fuss et ses camarades maoïstes, se sont inscrits. Début 1971, ce débat aboutit à l’éclatement de UUU en deux groupes, Tout le pouvoir aux travailleurs (TPT), base de la future UCMLB, et les militants qui constitueront, à l’automne 1972, La Parole au peuple. Ils décident alors de se regrouper dans une organisation « maoïste », qui portera le nom de son journal périodique publié de 1972 à 1977, La Parole au peuple, et qui sera parfois appelée, surtout par ses adversaires, les « mao-spontex ».
Aux usines Volkswagen, Robert Fuss et ses camarades publient un journal d’usine Samen sterk – Tous unis diffusé aux portes de l’entreprise. Avec des ouvriers de la peinture, un comité de lutte regroupant la jeune gauche ouvrière est formé. En juillet 1971, il est à la tête d’une grève sauvage victorieuse pour récupérer une prime syndicale. Ils considèrent à l’époque le syndicat, plus comme un gestionnaire d’accords de paix sociale dans le cadre de conventions collectives signées avec le patronat de Fabrimétal, que comme une organisation de combat de défense des travailleurs. Fuss analyse la grève dans une brochure signée par « des ouvriers maoïstes de VW », mais à la fin octobre 1971, identifié comme meneur du mouvement, il est licencié sur-le-champ avec indemnité de préavis.
Après une courte période de chômage, en janvier 1972, Fuss est embauché aux Forges de Clabecq à l’atelier des tourneurs à cylindres, comportant une quarantaine de travailleurs en charge de préparer les cylindres pour le laminoir. Ils ont en 1969 mené une longue grève pour leur salaire soutenue par le vice-président de la délégation FGTB (Fédération générale du travail de Belgique, syndicat socialiste) de l’entreprise, le communiste Antoine Sabbe, mais sabotée par certains responsables de la FGTB comme contraire aux accords de paix sociale.
En novembre 1972, Robert Fuss participe au 1er Congrès, en France, des Comités de lutte d’atelier initiés par la Gauche prolétarienne. Il prend contact avec le Groot Arbeiderskomitee en Flandre. Curieux des expériences ouvrières, il épluche l’ouvrage des Quaderni Rossi italiens, Luttes ouvrières et capitalisme d’aujourd’hui.
L’établissement de Robert Fuss en usine ne l’éloigne pas des milieux intellectuels démocratiques, qu’il connait bien. Il est très actif, aux côtés de Maurice Beerblock*, Cécile Draps, Juliette Broder, Jacques Boutemy et d’autres, dans le Secours rouge international (1970-1973), créé dans la foulée de l’exemple français, pour organiser la lutte contre la répression et particulièrement pour préparer les procès ouvriers contre les licenciements de masse et, en correctionnelle, contre les milices patronales.
Dans le mouvement initié en 1971-1972, par la création d’une commission publique d’enquête sur le home pour enfants Vrij en vrolijk à Brasschaat, Fuss mobilise aussi bien des amis avocats, des journalistes, des assistants sociaux que des jeunes, victimes des mauvais traitements. Il rencontre ainsi le groupe de jeunes travailleurs réuni au sein de l’asbl Les Mauvaises herbes, animé par Daniel Bekaert, actif notamment dans les mouvements contre les « bagnes d’enfants ». Il a la ferme conviction qu’il y a une place pour chacun dans le combat révolutionnaire.
En 1971, Robert Fuss et sa compagne, Hélène Van den Steen, déménagent dans un quartier populaire de Saint-Gilles (Bruxelles). Ensemble, ils s’y implantent en organisant des jeux pour les enfants ou en affichant des informations locales pour les habitants. Couple de militants, il participe avec des avocats et des travailleurs sociaux à la création dans le quartier de La Boutique de droit destinée à répondre bénévolement aux problèmes juridiques des gens. À la fin de 1972, le couple participe à la fondation de La Parole au peuple ; ils y voient une alternative au dogmatisme, en ancrant ce projet à une réelle compréhension du lien entre la théorie et la pratique, et à l’application par les militants révolutionnaires de la ligne de masse.
Dans la nuit du 16 au 17 février 1973, au retour d’une rencontre avec le groupe des Mauvaises herbes (voir BEKAERT X., « BEKAERT Daniel. [Belgique] », dans maitron.fr, mis en ligne le 7 septembre 2022), Robert Fuss, au volant de sa deux chevaux, trouve la mort dans une collision frontale avec une moto. Roger Noël*, dit Babar, figure du mouvement libertaire en Belgique qui est à ses côtés, est grièvement blessé. Il est inhumé en présence de sa compagne, de sa famille, de ses camarades de combat, ses collègues sidérurgistes et de nombreux amis, au cimetière de Verrewinkel à Uccle. Un hommage lui est rendu à la salle Marollia, dans le quartier des Marolles à Bruxelles le 25 février 1973.
Par Maxime Tondeur
ŒUVRE : FUSS R. (éd. responsable), UUU, Ouvriers modernes, société de consommation, science neutre. Nouvelles mythologies, Bruxelles, s.d. – « Un large mouvement d’étudiants progressistes … Comment et à quelles conditions ? », Les Cahiers du libre examen, n° 1, XXIIIe série, 1969-1970 – Les relations entre les employeurs, les syndicats et les travailleurs dans le secteur des fabrications métalliques de 1960 à 1970, mémoire de licence en sciences économiques, Bruxelles, ULB, 1972.
SOURCES : IHOES, fonds Robert Fuss, archives personnelles – Entretiens avec Michel Fuss réalisés par Maxime Tondeur en février 2023 et juin 2023 – Entretien avec Hélène Van den Steen réalisé par Maxime Tondeur en avril 2023 – La Voix du peuple, 1963-1968 – La Parole au peuple, 1972-1977 – SVB Leuven, Ervaringen uit twee jaar strijd te Leuven, Leuven, acco, s.d. – ABRAMOWICZ M., « Au cœur de la galaxie marxiste-léniniste de Belgique », dans LANUQUE J.-G., UBBIALI G., La Belgique sauvage. L’extrême gauche en Belgique francophone depuis 1945, Lormont, Le Bord de l’eau, octobre 2009, p. 104-115 (Dissidences, n° 7) – DAL ZILIO S., « Esquisse historique du mouvement maoïste bruxellois Université‐Usine‐Union », Analyse de l’IHOES, n° 202, mis en ligne le 29 août 2019 – TONDEUR M., « Éléments d’une histoire vécue : Les années UUU (Universités-Usine-Union) 1968-1971 », Les études de l’IHOES, 2020/1 [En ligne] – TEICHER É., « Une brèche dans le système belge de relations collectives ? Les grèves à Citroën Forest (1969-1970) », Le Mouvement social, n° 278, 2022/1, p. 89 à 113.