KAUFER Irène. [Belgique]

Par Simon Hupkens

Cracovie (pr. Petite-Pologne, Pologne), 26 février 1950 – Bruxelles (Région de Bruxelles-Capitale), 5 novembre 2022. Autrice, militante syndicale, féministe, militante antiraciste, antisexiste et pour les droits de la communauté LGBT.

Irène Kaufer (à la guitare) chante le rock des femmes, Liège, 1981 (collection privée).
Irène Kaufer (à la guitare) chante le rock des femmes, Liège, 1981 (collection privée).

Irène Kaufer naît le 26 février 1950 à Cracovie dans une famille juive. Son père, Stefan Kaufer, est un survivant de la Shoah, remarié après la perte de sa première épouse et de leur enfant dans les camps d’extermination nazis. Le souvenir de cette enfant décédée est entretenu par le père et est également porté par Irène Kaufer qui s’en exorcisera au travers de l’écriture de Dibbouks paru peu avant sa mort. Sa mère, Ernestine Briefel, professeure d’allemand, qui a elle aussi subi la perte de son premier compagnon, a, quant à elle, échappé à la déportation en travaillant en Allemagne sous une fausse identité. Alors qu’Irène Kaufer est âgée de six ans, ses parents décident de s’installer en Israël mais face à la dureté de leurs conditions d’existence, ils en partent un an et demi plus tard pour s’établir en Belgique.
Arrivée en 1958, la famille se fixe à Anvers (Antwerpen, pr. et arr. Anvers) où le père trouve un emploi dans le commerce diamantaire. Scolarisée dans l’école juive d’Anvers, Irène Kaufer est quadrilingue avant l’âge de dix ans et est capable de s’exprimer polonais, hébreux, néerlandais et français.
Après l’enseignement secondaire, Irène Kaufer s’engage dans des études de mathématique à l’Université libre de Bruxelles (ULB) puis bifurque vers la psychologie en 1969. Débutant ses études universitaires à la rentrée 1968, elle est rapidement prise dans l‘atmosphère contestataire qui anime la vie étudiante à cette période. Les premières élections étudiantes dans le cadre de la réforme universitaire post-68 lui donnent l’occasion de représenter ses pair.e.s au conseil de faculté où elle aiguise sa conscience sociale et féministe. Elle reste déléguée de la faculté de psychologie durant toutes ses études et obtient sa licence de psychologie industrielle avec la plus grande distinction en 1973.
À la même période, Irène Kaufer participe à construire le mouvement féministe et lesbien en Belgique au travers de collectifs tels que Les Biches sauvages (qui devient en 1975 Homo-L) ou la Maison des femmes de Bruxelles. Elle participe dans ce cadre à la première Journée de la femme organisée en Belgique le 11 novembre 1972 au Passage 44.

Au sortir de ses études, faute d’obtenir les crédits lui permettant de continuer une carrière dans la recherche, Irène Kaufer s’engage au journal POUR qui vient d’être créé. POUR, sous-titré Un journal libre au service du peuple, hebdomadaire fondé en 1973 par Jean-Claude Garot, ex-rédacteur en chef du mensuel Le Point, ambitionne d’être le lieu d’expression des luttes de la Nouvelle gauche qui foisonnent dans la période post-68. Se réclamant de l’autogestion, fonctionnant par assemblées générales, le journal s’appuie sur une équipe essentiellement bénévole au rythme de travail effréné. Il diffuse en moyenne 3 000 exemplaires chaque semaine. Irène Kaufer va y occuper la fonction de secrétaire de rédaction. Elle devient l’une des militantes rémunérées de l’équipe du journal et une de ses plumes les plus prolifiques. Elle couvre nombre de luttes syndicales, féministes et environnementales des années 1970. Lorsque les membres du journal POUR créent l’organisation politique Pour Le Socialisme (PLS), elle en devient une des figures publiques. Elle sera même en tête de la liste E-NON (Europe Non) lors des premières élections européennes de 1979.
POUR connaît quelques succès de diffusion à l’occasion de la publication d’enquêtes comme celle sur les camps d’entraînement de l’organisation d’extrême-droite Vlaamse Militanten Orde (VMO) ou celle sur le fichage des militants politiques et syndicaux par la gendarmerie. En 1981, le siège du journal est incendié par des militants d’extrême-droite, déclenchant un mouvement de solidarité et une récolte de fonds qui permettront la relance du journal. Cependant, la reparution du journal dans une nouvelle formule qui vise à élargir son audience sera de courte durée : faute d’un lectorat suffisant, la publication est arrêtée en mai 1982.

En décembre 1980, Irène Kaufer exprime, avec d’autres militant.e.s, un désaccord concernant le projet de professionnalisation de l’équipe du journal et demande la collectivisation des infrastructures, propriété de Jean-Claude Garot. Parmi les militant.e.s qui soutiennent sa position, on compte le chanteur, compositeur et comédien Claude Semal, autre permanent de POUR et PLS. Cet épisode provoque son exclusion de la rédaction de POUR et de PLS et clôture le seul engagement d’Irène Kaufer au sein d’une organisation politique, excepté sa présentation comme candidate d’ouverture, en 17ème position sur la liste Ecolo aux élections régionales de 2009.

La musique et particulièrement la chanson française joue un rôle important dans la trajectoire militante d’Irène Kaufer : lors des mouvements sociaux et des luttes auxquels elle participe, elle interprète volontiers les chansons du répertoire militant. En 1981, elle rencontre la chanteuse et militante Christiane Stefansky par l’intermédiaire de Claude Semal. Celle-ci lui demande de lui composer une chanson à l’occasion de la journée des femmes de 1981. Ce sera le Rock des femmes qui fait allusion au statut cohabitant introduit par l’ONEM (Office national de l’emploi) cette année-là et qui connaîtra une certaine postérité dans les manifestations des années 1980. Irène Kaufer composera par la suite plusieurs autres chansons interprétées par Christiane Stefanski ou par elle-même et sa compagne, la réalisatrice, compositrice et militante Julie Carlier, au cours de plusieurs récitals sur les scènes de Wallonie et de Bruxelles.

C’est sa culture musicale qui permet à Irène Kaufer d’obtenir un emploi de vendeuse au rayon « chanson française » de la FNAC lorsque la firme ouvre un premier magasin à Bruxelles à la fin de 1981. Rapidement, elle fonde à la FNAC une section syndicale du Syndicat des employés, techniciens et cadres (SETCa – syndicat socialiste) qui se distingue par l’originalité de ses méthodes de lutte et son attachement à combattre les discriminations de tous ordres. Elle anime notamment un mouvement de grève contre une modification des grilles salariales en 2005. À cette occasion, elle mobilise ses affilié.e.s jusqu’au magasin FNAC des Champs-Élysées à Paris pour l’occuper momentanément et tenir un concert dénonçant les conditions de travail au sein du groupe.
Durant toute sa carrière à la FNAC, Irène Kaufer cumule les mandats de présidente de la section syndicale du SETCa, de présidente de délégation au conseil de sécurité et d’hygiène (CSH), devenu en 1996 le comité pour la prévention et la protection au travail (CPPT,) et au conseil d’entreprise (CE) tant national qu’européen. Elle occupe les fonctions de secrétaire du CE national et du CE européen en alternance avec son homologue de la Confédération des syndicats chrétiens (CSC) et présidente de la section syndicale CNE de la FNAC, Sevgi Akyol. A la suite d’une dernière lutte syndicale en 2006 et alors qu’une majorité de travailleurs et travailleuses de la FNAC acceptent la réforme des grilles barémiques et la réorganisation du travail imposée par la direction, Irène Kaufer quitte ses fonctions syndicales et son emploi après 25 ans passés dans l’entreprise. À 56 ans, elle entre dans le secteur associatif au sein de l’ASBL Garance comme animatrice d’un projet de lutte contre les violences faites aux femmes de plus de 55 ans. C’est au sein de cette structure qu’elle termine sa vie professionnelle.

Autrice et journaliste, Irène Kaufer continue à écrire bien après son engagement à POUR : outre la publication de trois romans et d’un livre d’entretiens avec la féministe, philosophe et romancière Françoise Collin, elle collabore régulièrement aux revues Politique, Axelle, organe du mouvement d’éducation permanente féministe Vie féminine, ainsi qu’à la Revue Nouvelle. Tirant parti de tous les canaux de communication de son époque, elle publie ses articles et ses textes via un blog personnel dès 2012 et est active sur les réseaux sociaux. À la fin de sa vie, elle contribue au journal en ligne L’Asymptomatique aux côtés de Claude Semal.

Irène Kaufer meurt des suites d’un cancer le 5 novembre 2022 à Bruxelles à l’âge de 72 ans. Suivant ses dernières volontés, son avis nécrologique s’accompagne, comme un dernier geste militant, d’un appel aux dons pour l’ASBL Garance et la Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article252948, notice KAUFER Irène. [Belgique] par Simon Hupkens, version mise en ligne le 25 mars 2024, dernière modification le 16 avril 2024.

Par Simon Hupkens

Irène Kaufer (à la guitare) chante le rock des femmes, Liège, 1981 (collection privée).
Irène Kaufer (à la guitare) chante le rock des femmes, Liège, 1981 (collection privée).

ŒUVRE : [Collectif], Les cahiers du Grif, Femmes entre elles. Lesbianisme, n° 20, avril 1978 – Fausses pistes, Bruxelles, Éditions Luc Pire,1996 – Avec LIZIN A.-M. et SUSSKIND S., Femmes, paix, développement. Réseaux de femmes en Méditerranée, Bruxelles, Éditions Luc Pire, 1998 – Parcours féministe (entretien avec Françoise Collin), Bruxelles, Labor, 2005 – « Mariage ou mirage ? » et « Homodéparentalité : dans l’intérêt de l’enfant (fiction) », Chronique féministe. Féminismes et lesbianismes, n° 103-104, juillet/décembre 2009 – Déserteuses, Louvain-la-Neuve, Academia-L’Harmattan, 2015 – « Haine des hommes », La Revue nouvelle, n° 5, 2020, p. 49-53 – « Je partirais d’une phrase… », dans S. LORIAUX S. ET PLATEAU N. (dir.), « Françoise Collin : l’héritage fabuleux », Sextant, n° 33, 2016, p. 131-137 – Dibbouks, Paris, L’Antilope, 2021 – Blog d’Irène Kaufer.

SOURCES : BOUFFIOUX M., Pour : sous la plage... les pavés, mémoire de licence en journalisme, ULB, 1988 – BEY M., « Sous les pavés, une presse libérée ! Trois tentatives de journalisme radical en Belgique après 1968 : "Notre Temps" (1972-1977), "Hebdo" (1975-1977) et "Pour" (1973-1982) », dans GOTOVITCH J., MORELLI A. (dir.), Presse communiste, presse radicale (1919-2000). Passé/Présent/Avenir ?, Bruxelles, Éditions Aden, 2007, p. 64-92 – AVG-Carhif, Irène Kaufer : le périodique POUR et ses chansons [Vidéo], Youtube, mis en ligne le 29 juin 2020, page consultée le 5 janvier 2024 – AVG-Carhif, Irène Kaufer : le féminisme lesbien [Vidéo], Youtube, mis en ligne le 29 juin 2020, page consultée le 5 janvier 2024 – PANET S., « Rencontre avec Irène Kaufer, qui met les maux en mots dans son nouveau roman », Axelle. Média féministe belge. n 238, avril 2021, p. 36-37, mis en ligne le 1er avril 2021, page consultée le 5 janvier 2024 – VANVELTHEM L., avec KINET F. et HUPKENS S., « Du mouvement étudiant à l’ASBL Garance : Irène Kaufer, une vie d’engagement à l’intersection des luttes », Analyse de l’IHOES, n° 220, mis en ligne le 26 décembre 2022, page consultée le 5 janvier 2024 – LOOTVOET V. , MARTENS Y., « Juste une femme », Ensemble, n° 100, septembre 2019, p. 38-46 – Belga, édité par JACQUET T., « L’autrice et militante féministe Irène Kaufer est décédée », dans Site Web : rtbf.be, mis en ligne le 6 novembre 2022, page consultée le 11 janvier 2023 – « Irène Kaufer s’en est allée », dans Site Web : ujpb.be, mis en ligne le 7 novembre 2022, page consultée le 9 août 2023 – « Prologue », Sextant : Hommage à Irène Kaufer, 39/2023, mis en ligne le 25 mai 2023, page consultée le 27 juillet 2023 – Entretien avec Claude Semal, réalisé par Simon Hupkens à Bruxelles le 7 septembre 2023 – Entretien avec Sevgi Akyol, réalisé par Simon Hupkens à Liège le 4 décembre 2023 – Contacts avec Julie Carlier, février 2024.

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