BAILLET Eugène

Par Philippe Darriulat

Né et mort à Paris (20 octobre 1829-30 mars1906), bijoutier puis photographe ambulant, chansonnier, mémorialiste des goguettes et des chansonniers-ouvriers.

Eugène Baillet
Eugène Baillet
Communiqué par Philippe Darriulat

Fils d’un artisan parisien, il fréquente l’école jusqu’à l’âge de 10 ans et devient apprenti à 12 ans chez un bijoutier. Très tôt il participe aux goguettes, notamment les Enfants du temple que préside [Victor Rabineau] où il se lie avec les principaux chansonniers de la monarchie de Juillet. C’est à l’occasion de l’enterrement de Lafitte, en 1844, qu’il fait la connaissance de [Béranger] auquel il voue une très grande admiration. Lorsque la Révolution de février éclate il n’a que 18 ans mais certaines de ses productions sont déjà connues ; Bachimont assure que Louis-Charles Durand a publié dès 1847 Les Héros de la Bastille (AN ABXIX 707). Tout de suite après les journées de février il affirme son identité de chansonnier engagé en écrivant Le Cri des Français, Au citoyen Guizot, Ventôse et en fondant à Ménilmontant la goguette les « Ménestrels républicains ». En mars il devient délégué central aux ateliers nationaux. Lors des journées de juin, surpris en train d’apporter du pain aux combattants des barricades, il manque d’être fusillé. Il ne doit son salut qu’à l’intervention d’un commissaire qu’il avait rencontré lors d’une soirée de goguette. Il plaide alors pour que l’indulgence soit accordée aux vaincus en publiant dans la Ruche populaire « Grâce pour les vaincus » qu’il dédie à Cavaignac. Béranger lui écrit afin de le féliciter de cette composition. Les deux hommes entretiennent à partir de ce moment des relations suivies, Eugène Baillet se rend très souvent au domicile du « poète national » où il rencontre Michelet, Lamennais et Lamartine. Dans le recueil La Voix du Peuple Baillet reprend certaines de ses productions antérieures et propose « Respect aux monuments », où il appelle le peuple à repousser la tentation du vandalisme révolutionnaire, et « Pauvre mère » une plainte sur les malheurs des familles des déportés de juin. On retrouve aussi sa signature dans le Républicain lyrique où il écrit notamment des chansons à la gloire des héros de la gauche républicaine et socialiste : « Raspail », « Proudhon », « Au Sergent Boichot » (numéros de mai, juin et juillet 1849). A cette date, la plupart de ses chansons témoignent d’une très grande déception vis-à-vis de l’évolution de la situation depuis la chute de Louis-Philippe. Dans Le Vrai républicain, tout en rejetant le communisme, il appelle le peuple parisien à se préparer à de nouveaux affrontements avec « la réaction », et dans Veillons il s’inquiète : « Le sang versé sur le pavé des rues/ Menace encor d’être du sang perdu ». Vers 1850 il fréquente l’arrière-salle de la librairie d’Henri Piaud où de nombreux goguettiers se retrouvent pour chanter. Il participe aussi à des recueils où la note politique est marginale, il se spécialise alors dans la chanson de genre : scènes populaires, tableaux d’ateliers, idylles ouvrières, etc. Les refrains qu’il écrit dans ce style après 1851, circulent dans des recueils destinés au colportage comme Le Chansonnier des dames, Chanson d’hier et d’aujourd’hui, La Muse des ateliers. Il connaît dans ce registre quelques succès notables comme Viens donc, un titre souvent entendu dans les ateliers féminins. Pendant cette période, il reste en contact avec ses amis goguettiers et aurait même régulièrement rencontré certains d’entre eux, notamment [Pierre Dupont] et [François Barillot], dans un chalet situé près du Luxembourg. En 1853 il entre à la Lice chansonnière dont il devient président cinq ans plus tard. C’est là qu’il se lie d’amitié avec [Eugène Pottier]. L’auteur de l’Internationale lui dédie, en 1857, son chant La Guerre et Bachimont a conservé une lettre où ce dernier le remercie très chaleureusement, et en vers, pour les soirées lyriques qu’il lui a permis de passer. Après 1855 il abandonne le métier de bijoutier et devient photographe ambulant, on lui doit des portraits de plusieurs chansonniers. Cette nouvelle profession l’oblige à de nombreux déplacements qui lui permettent de prendre contact avec des sociétés lyriques de province. C’est ainsi que nous le retrouvons, à Saint-Etienne, membre d’honneur du Caveau stéphanois et du Temple de la chanson. Il propose aussi des titres aux cafés-concerts : Les Compagnons charpentiers, chanson interprétée à l’Alcazar, et La Religieuse, l’histoire d’une sœur qui fait « d’étranges rêves » en voyant des amoureux s’embrasser ; une composition que la censure impériale ne laisse évidemment pas passer. Il aurait aussi commencé une biographie des Conventionnels. En 1870 il écrit des chants patriotiques. Sous la IIIe République il consacre une partie importante de son temps à entretenir la mémoire des goguettes. On lui doit notamment une notice biographique sur Charles Gille, De quelques ouvriers poètes, en 1898, des articles sur Debraux parus en 1903 dans L’Intermédiaire des chercheurs et curieux et une « Histoire de la goguette » publiée entre le 26 mars et le 1er octobre 1891 par Paris Chanson, un journal dont il est rédacteur en chef. Des correspondances conservées par Bachimont semblent montrer qu’il a été tenté par le boulangisme.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article25589, notice BAILLET Eugène par Philippe Darriulat, version mise en ligne le 20 février 2009, dernière modification le 23 décembre 2010.

Par Philippe Darriulat

Eugène Baillet
Eugène Baillet
Communiqué par Philippe Darriulat

ŒUVRE : De quelques ouvriers-poètes : biographies et souvenirs, Paris, Labbé, 1898. — La petite Muse. Chansons et poésies d’Eugène Baillet. Édition augmentée de nouvelles chansons, Paris, Labbé, 1901. — Chansons d’hier et d’aujourd’hui, Paris, L. Vieillot, 1867 : Chansons et petits poèmes, avec préface : Fragments de l’histoire de la goguette... Nouvelle édition entièrement revue par l’auteur, Paris, L. Labbé, 1885. — « Histoire de la goguette », dans Paris Chanson, n° 1 à 20 [1891]. Ainsi que de nombreux petits recueils dont les principaux sont cité dans le corps de cet article.

SOURCES et bibliographie : AN : ABXIX 707 (collection Bachimont). — F18 1556, F18 1879. — BN, département des arts et spectacles, fonds Fréjaville GF X(9) et fonds Rondel Ro 14112. — Marius Boisson, Charles Gille ou le chansonnier pendu (1820-1856), histoire de la goguette, Paris Peyronnet 1925. — Pierre Brochon, La Chanson sociale de Béranger à Brassens, Paris éditions ouvrières 1961. — Philippe Darriulat, La Muse du peuple, chansons sociales et politiques en France 1815-1871, Rennes, PUR, 2010. — Pierre-Léonce Imbert, La Goguette et les goguettiers, étude parisienne, 3e édition, Paris 1873.

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