BARBÈS Armand [BARBÈS Sigismond, Auguste, Armand], dit DUROCHER

Par Notice revue et complétée par Jean Risacher

Né le 18 septembre 1809 à Pointe-à-Pitre (Guadeloupe), mort le 26 juin 1870 à La Haye (Pays-Bas). Républicain démocrate, conspirateur sans faiblesse.

Armand Barbès
[Lithographie de Jeannin]

Son père, Basile Barbès (1769-1834), issu d’une longue lignée de bourgeois ruraux de Capendu (Aude), enthousiasmé par la Révolution, avait abandonné la prêtrise pour devenir médecin, puis, à partir de 1798 médecin militaire. De l’armée d’Égypte où il se distingua, il passa en 1801 aux troupes qui stationnaient à la Guadeloupe. Il s’y maria avec la fille d’un médecin français, qui portait presque le même nom que lui, puisqu’elle s’appelait Marguerite Berbas, elle-même d’origine française, sa mère étant née Chaber de la Charrière. De cette union naquirent, à la Guadeloupe, Armand, l’aîné, une sœur, Augusta (1812), un frère, Louis (1814). La famille revint en France à la chute de l’Empire.
Le Dr Barbès avait fait acheter pendant son long séjour aux Antilles la propriété du Beauvoir, près de Carcassonne, dans l’Aude, dont il était originaire. Nommé médecin du roi à la Guadeloupe en 1816, il sollicita un congé pour raison de santé et ne quitta plus l’Aude où il acheta une seconde propriété en 1820, celle de Fourtou, mais le roi lui retira son poste honorifique à la Guadeloupe, en dépit de ses protestations.
Armand Barbès se complut à Fourtou ou à Beauvoir dans une vie assez indolente, peu pressé d’entreprendre les études de médecine que son père avait choisies pour lui, après des études secondaires faites d’abord avec Jean Marcou, ancien curé de Villalier, marié et pédagogue reconnu, puis au collège de Sorèze (Tarn) de 1823 à 1828. Il se trouvait encore sur les terres familiales après les journées de Juillet 1830, et sa prestance le désigna aux yeux de ses concitoyens de Villalier (Aude) pour devenir le chef de leur garde nationale. Riche, il équipa les hommes à ses frais, ce qui ne dut pas nuire à sa popularité. Républicain déjà, il partit pour Paris (à la fin de 1831 ?), faire sa médecine, recommandé par un ancien de Sorèze Étienne Arago*. Il s’inscrivit en réalité à l’École de droit, ne fréquenta pas les cours, mais s’initia à la politique, devenant membre de la section « Montagnards » de la Société des Droits de l’Homme du IIe arrondissement. La mort de son père en février 1834 lui permit, par la fortune qu’elle lui conféra, d’être désormais son maître.
Les insurrections d’avril 1834 à Lyon et à Paris amenèrent, en vertu de l’arrêt de mise en accusation du 6 février 1835, la comparution devant la Cour des Pairs de 164 accusés. Bien que n’ayant apparemment pas pris part aux journées parisiennes des 13 et 14 avril, il fut arrêté aussitôt, le 21 ou le 26 avril, sans doute à cause de son appartenance à la SDH, et fut remis en liberté pour non-lieu dès le 25 juillet 1834. Des documents furent saisis chez lui, entre autres un reçu de l’Association en faveur de la presse patriote et diverses lettres. Dès le 17 avril 1835 son nom figurait dans la liste des cent trente-trois défenseurs choisis par les accusés d’avril qui se réunirent chez Auguste Blanqui* le 5 mai 1835, signèrent une protestation des défenseurs datée du 6 mai 1835 et l’Adresse aux accusés du 11 et comparurent au Procès des signataires à la Chambre des pairs, du 29 mai au 5 juin 1835. Alors que la majorité des appelés se récusaient en disant qu’ils n’avaient ni signé ni publié cette adresse, Barbès reprocha d’abord à la chambre « la forme brutale des questions, invitation à répondre contre la vérité pour éviter une nouvelle orgie », mais, s’étant à son tour récusé, ne fut finalement pas poursuivi.
C’est comme organisateur de l’évasion de Sainte-Pélagie de quelques-uns des principaux accusés parisiens du Procès d’avril, le 12 juillet 1835, que Barbès fit son entrée dans la grande histoire du parti républicain démocratique. Depuis août 1834 et la disparition de la Société des Droits de l’Homme, Barbès avait organisé clandestinement la Société des Familles. Lors de l’attentat de Fieschi* (28 juillet 1835), Barbès était assez connu pour qu’on songeât, à la préfecture de police, à l’inquiéter, comme on inquiétait Armand Carrel*. Il n’en fut rien, mais les policiers regrettèrent ensuite de n’avoir pas obéi à leur premier mouvement.
Le formulaire d’adhésion aux Familles rédigé par Barbès était d’inspiration démocratique sans mélange de socialisme. « Demande : Que penses-tu du Gouvernement actuel ? Réponse : Qu’il est traître au peuple et au pays... Demande : Quel est le principe qui doit servir de base à une société régulière ? Réponse : L’égalité. Demande : Quels doivent être les droits du citoyen dans un pays bien réglé ? Réponse : Le droit d’existence, le droit d’instruction gratuite, le droit de participation au gouvernement. Les devoirs sont : le dévouement envers la société et la fraternité envers ses concitoyens. » Pur programme de démocratie politique, donc.
Le 10 mars 1836, Blanqui, qui avait adhéré aux Familles en 1834 ou 1835, et Barbès furent arrêtés ensemble dans la chambre de Barbès, 10 rue Saint-Benoît (Xe arr., maintenant VIe). Il s’agissait d’une fabrication de cartouches surprise par la police. Blanqui et Barbès luttèrent avec le commissaire pour lui reprendre une liste de membres des Familles dont il s’était emparé. Ils y réussirent. Blanqui avala la liste. Mais la police avait les renseignements qu’elle désirait, car elle avait saisi chez Barbès un portefeuille appartenant à l’étudiant en médecine Lamieussens*, autre membre des Familles qui s’avéra être indicateur de police. Dans ce portefeuille, laissé là comme par hasard, se trouvait une liste identique. Inculpé de délit d’association, de violence et voies de fait, Barbès fut écroué à la Force, puis à Sainte-Pélagie, emprisonné jusqu’au 27 décembre. Tandis que Blanqui était frappé de deux ans de prison, Barbès, plus jeune et qui avait un passé moins chargé, s’en tira avec une année. Il avait en effet été condamné au procès des poudres à un an et 1 000 F en 1re instance, le 11 août 1836, peine confirmée en appel, le 23 octobre 1836. Sa famille obtint qu’il effectua sa peine à la prison de Carcassonne où il se présenta au préfet le 31 décembre, avec 24 heures de retard et de liberté imprévue. Le maire de Carcassonne, Sarrand, pour avoir été trop bienveillant envers Barbès son parent, fut révoqué, épisode qui engagea une partie des bourgeois carcassonnais dans le camp libéral. Barbès fut transféré à la prison de Montpellier (Hérault) le 21 janvier 1837. L’amnistie du 8 mai 1837 le libéra avant terme.
Barbès demeura à Carcassonne. Il y médita de nouvelles sociétés secrètes et écrivit une brochure qui marquait l’évolution de ses idées et lui valut des poursuites : Quelques mots à ceux qui possèdent en faveur des Prolétaires sans travail. Sans devenir pour cela socialiste, Barbès s’intéressait au prolétariat, « la portion la plus intéressante et la meilleure du peuple, cette portion qui, par l’injuste constitution de la société, est condamnée à produire toujours sans jamais recueillir ». Il réclamait le bénéfice, pour le prolétaire privé « de son unique ressource, le travail », d’un droit de vivre, plus généreux que défini. Il avait réussi à rassembler de nombreux amis comme Alberny*, Doux père*, Fagès*, Paliopy*et Trinchant*, qui signèrent avec lui la brochure, et aussi Caillé, Chapert, Celles, Doux fils, Lagarde, Lapérinne, Parrouquia, Raynaud. Acquitté par les assises de l’Aude, il fut néanmoins frappé d’un mois de prison pour injure à magistrat le 7 août 1837.
Barbès rejoignit Paris au début de 1838, mais fut rapidement arrêté pour délit d’association. Faute de preuves, il fut remis en liberté le 1er juin. Il retourna alors à Carcassonne et semble avoir tenté de créer un organe de presse à Montpellier. Il resta à Carcassonne jusqu’au 12 avril 1839 et arriva à Paris le 23. On peut se demander dans ces conditions comment il pût participer à Paris à la création de la Société des Saisons, hormis son séjour de plusieurs mois en 1838 à Sainte-Pélagie, lieu qui s’est avéré propice à ce genre d’opérations... Cédant enfin, à contre-cœur, à l’insistance de Blanqui, il rejoignit ses compagnons de la nouvelle société républicaine qui comptait de six cents à sept cents affiliés en 1838 et qui monta à neuf cents, probablement, en 1839. D’après Joseph Benoît*, il passa à Lyon en avril 1839 pour créer des liens avec la Société des Fleurs, c’est probablement lors de ce voyage : « Barbès vint lui-même établir ces rapports avec les autres sociétés existantes, », évoquant la Société des Familles. Il s’agit bien sûr de la Société des Saisons. Les Saisons passèrent à l’attaque le 12 mai de cette année-là. Une affiche fut placardée au centre de Paris, au nom d’un Gouvernement provisoire qui comprenait dans l’ordre : Barbès, Voyer d’Argenson*, Auguste Blanqui, Lamennais*, Martin Bernard*, Dubosc* et Laponneraye*. De fait, les trois dirigeants de la Société des Saisons avaient ajouté à leurs noms ceux de notabilités républicaines qui n’avaient probablement pas été consultées. L’insurrection fut vaincue, après s’être emparée un moment de l’Hôtel de Ville. Premier des chefs à avoir été capturé, avant Martin Bernard et longtemps avant Blanqui, Barbès, blessé, fut reconnu malgré la fausse identité qu’il déclina. Sa blessure était grave à tel point que Blanqui le crut mort et ne put renouveler avec lui ce qu’il avait fait pour Stévenot, blessé lui aussi et qu’il soigna, lui permettant ainsi d’échapper à la police. Le volume et le poids de Barbès, deux fois et demi les siens, constituèrent un obstacle infranchissable (« A l’impossible nul n’est tenu » expliqua Blanqui à cette occasion...). Cet événement fut cependant l’une des sources de la haine de Barbès vis-à-vis de son compagnon d’armes, qu’il accusa, après l’avoir forcé à rentrer à Paris contre son gré, de l’avoir abandonné et d’avoir déserté par peur et par lâcheté, sentiment que la « justice » louis-philipparde sût si parfaitement exploiter et développer.
Barbès comparut au Procès des journées de mai 1839 consacré aux inculpés de la première catégorie qui s’ouvrit dès le 11 juin. Conformément à l’attitude des chefs des sociétés secrètes pour qui ce genre d’action est un acte patriotique, dont on n’a pas à se « défendre devant des juges ; car je ne vous reconnais pas pour mes juges : vous êtes mes ennemis et je vous livre ma tête », il ne répondit pas aux questions posées lors de son interrogatoire, sauf pour se disculper de la mort d’un officier et déclarer qu’il était bien « le chef de l’insurrection ». Ancien carbonaro, Mérilhou, pair de France, chargé du rapport d’instruction, connaissait bien cette règle qui ne pouvait que lui faciliter les choses. De plus, renforcé par le procureur Frank Carré encore plus violent, il ne rata pas une occasion pour enfoncer le clou de la trahison de Blanqui. La condamnation à mort de Barbès, prononcée le 12 juillet, souleva l’indignation. Les étudiants manifestèrent pour demander la commutation de la peine au garde des Sceaux. Sa sœur Augusta, qui avait épousé le banquier Claude Carles, par l’intermédiaire de Lamartine* puis de Montalivet, obtint de Louis-Philippe la grâce de son frère dont la peine fut commuée, le 14, en travaux forcés, malgré l’avis défavorable des ministres. Victor Hugo*, qui était intervenu lui aussi, mais un peu plus tard, s’était attribué le mérite de cette grâce déjà obtenue, tronquant la réponse royale... Barbès confirmera son attitude de toujours quand écrivant à Lamartine pour le remercier de son intervention, il précisera : « tout recours à ce pouvoir m’était souverainement odieux, Monsieur, ma sœur agissait à mon insu, contre ma volonté formelle ». Barbès bénéficiera le 31 décembre 1839 d’une commutation de peine en déportation. Louis-Philippe dira plus tard qu’il avait été choqué qu’Augusta Carles ne l’ait même pas remercié de son geste, ce qui peut peut-être expliquer un changement d’attitude par la suite.
Barbès entra au Mont-Saint-Michel dès le 17 juillet 1839 et y vécut trois ans et demi dans l’horreur, soumis souvent à des séjours de plusieurs semaines aux « loges » ou au cachot qui le rendirent malade de phtisie, victime de violences et de brutalités. Parfois la vie s’organisait, sa sœur et sa famille pouvaient venir le voir, suivant l’humeur du directeur de la prison, changeant souvent et qui parfois les recevait. Disposant de revenus relativement importants, Barbès avait pu constituer autour de lui un entourage très privilégié, ayant même fait épouser la fille d’un de leur geôlier par l’un de ses amis, Charles Élie*. Il y avait ainsi deux camps hostiles au Mont, l’autre s’étant constitué autour de Blanqui. Des détenus appelaient Barbès et Martin Bernard « La Marmite » ou « le colon de la Guadeloupe » et « son digne préfet de police, le natif de Montbrison » ou « Martin-Roussel-Bernard »... Ces rapports tendus n’empêchèrent cependant pas qu’en octobre 1841 la famille de Barbès, les Carles firent publier une Pétition de M. Carles aîné et de Mme Augusta Carles née Barbès, sœur d’Armand Barbès, au sujet du système cellulaire de la prison du Mont-Saint-Michel, rédigée avec l’ami de Blanqui et son correspondant, Fulgence Girard*, avocat à Avranches et avec l’accord de Blanqui à qui elle avait été soumise. Cette brochure amorça une campagne de presse en faveur des prisonniers, appuyée par des célébrités du barreau et alimenta également les débats de 1843 et 1844. Cela n’empêcha pas non plus que, le 10 janvier 1842, Barbès, Blanqui, Martin Bernard et Hubert* tentèrent une évasion en commun que Barbès fit échouer, en glissant et se blessant dans un vacarme qui réveilla les sentinelles, peut-être entraîné par son poids... À cette évasion manquée, la mère de Blanqui avait collaboré. Et Blanqui, lui aussi détenu au Mont-Saint-Michel depuis le 6 février 1840, insistait dans ses lettres pour que ses amis en liberté intervinssent lorsque Barbès tomba malade, afin qu’il fût transféré dans une prison du Midi, où il pourrait guérir. Barbès ne le paya pas de retour, car dès le Mont-Saint-Michel il affirma que, le 12 mai 1839 Auguste Blanqui avait eu peur.
Barbès fut transféré à la prison de Nîmes le 26 janvier 1843 où, incarcéré avec les prisonniers de droit commun, il put toutefois recevoir de plus fréquentes visites de ses parents et amis. Ainsi que Blanqui, Martin Bernard et quelques autres, Barbès ne bénéficia pas des remises de peines accordées par Louis-Philippe en octobre 1844, à l’occasion de son voyage en Angleterre et du mariage du duc d’Aumale. Il ne bénéficia pas non plus de la remise de peine accordée en décembre à Blanqui qui la refusa. Peut-être le roi se souvenait-il de l’attitude d’Augusta Carles ? Ce n’est donc que la révolution de février qui libéra Barbès. Nous sommes le 25 février 1848 ; il est dix heures du soir. Barbès sort et rentre passer dans sa cellule la nuit du 25 au 26 ; il écrit avant de s’endormir à un ami : « La République, si les choses n’ont pas changé, est entre les mains des Girondins. Adieu ; dans peu de temps, quoi qu’ils fassent, l’égalité sera maîtresse de la terre ».
Nommé gouverneur du Palais du Luxembourg, Barbès, qui s’était naturellement rendu à Paris, refusa cet honneur, invoquant, selon certains, des questions de santé. Lamartine le reçut et lui conseilla d’user de son influence sur le peuple pour le modérer. Barbès ressuscita avec Villain*, Napoléon Lebon*, Huber*, la Société des Droits de l’Homme des premières années de la monarchie de Juillet et créa un club parisien, rival de la Société républicaine centrale de Blanqui, qui prit le nom de Club de la Révolution.
Au club de la Révolution, contrairement à ce qu’on a parfois conclu hâtivement, le « citoyen Marx » intervenant au cours du printemps 1848 ne pouvait être Karl Marx qui, aux dates ou périodes indiquées, était soit en état d’arrestation à Bruxelles soit à la rédaction de la Neue Rheinische Zeitung à Cologne.
Barbès était aussi colonel de la XIIe légion de la garde nationale.
Il prit parti en avril pour l’authenticité du document Taschereau. Voir Blanqui Aug.* Le 13 avril 1848, les électeurs de l’Aude, où les menées du clergé conservateur n’avaient pu avoir raison de son prestige, par 36 703 voix sur 67 165 votants et 75 718 inscrits, l’envoyèrent siéger à l’Assemblée constituante. Il s’assit à la Montagne, mais y siégea peu de temps puisque le 15 mai il s’associa avec les manifestants qui envahirent le Palais-Bourbon. Inscrit sur une nouvelle liste de membres d’un Gouvernement provisoire qui n’exista jamais, acclamé par la manifestation qui se transforma en émeute, il fut fait prisonnier, détenu au donjon de Vincennes, jugé par la Haute Cour de Bourges (Cher) et condamné à vie le 2 avril 1849, après avoir revendiqué la proposition qu’il aurait faite dans le tumulte de la séance perturbée par la foule d’établir un impôt d’un milliard sur les riches.
Il fut incarcéré à la maison centrale de Doullens (Somme), puis à Belle-Île-en-Mer (Morbihan) où il arriva par convoi spécial et privé, le 9 novembre 1850 et où ses amis constituèrent un groupe dont les démêlés avec celui constitué autour de Blanqui ont été l’objet de travaux contradictoires. Gracié en 1854 par Napoléon III qui avait eu connaissance de lettres, notamment à George Sand, où il exprimait des vœux pour le succès de l’expédition de Crimée, il choisit de se murer dans l’exil et s’installa à La Haye (Pays-Bas), d’où il correspondit avec ses amis, George Sand surtout, inconsolable de son départ. Son intransigeance démocratique vis-à-vis de l’usurpateur alla de pair avec un patriotisme sans faille, qui, avec les maux résultant de seize années de captivité, le tint peut-être à l’écart de l’internationalisme naissant. Mais beaucoup de ceux qui l’avaient suivi furent désorientés par l’amnistie imposée à leur héros... Sa sœur Augusta se rendit à son chevet en 1870 et put recueillir son dernier souffle, quelques jours avant l’avènement de la République qui avait été sa raison de vivre.
Très brave et méritant le surnom que les contemporains lui avaient donné de « Bayard de la Démocratie ", Barbès n’avait été qu’un homme d’action sans projet. Il n’écrivait guère, et en dehors de la brochure citée ci-dessus on ne peut citer de lui que des articles et de courts brûlots. Ce qu’il a fait de mieux ce sont les quelques pages autobiographiques intitulées Deux jours de condamnation à mort (les 13 et 14 juillet 1839, sa grâce étant du 15). Reproduites dans La Vraie République de Thoré* au début de mai 1848, ainsi que ne nombreuses lettres publiées par les comités républicains qui en étaient destinataires, elles ont beaucoup contribué à la légende populaire de Barbès, dont le crédit ne disparut qu’à la fin du siècle devant le socialisme montant.
C’est encore plus net dans son pays d’origine. Ayant beaucoup agi, mais peu écrit, sa victoire posthume fut de devenir le symbole de la république démocratique et sociale. Il fut l’objet d’un culte dont le retour de ses cendres en 1885 et surtout l’inauguration de sa statue en 1886 furent les moments forts. Celle-ci, entourée d’une grille décorée de bonnets phrygiens devint un lieu de ralliement des manifestations de la gauche. Un commando d’extrême droite vint la maculer d’encre par une nuit de janvier 1935. Le 11 novembre 1941, autour de Barbès, se réunit en plein jour un groupe de résistants. En mars 1942, Vichy enleva la statue pour envoyer le bronze à la récupération des métaux non ferreux. Les résistants distribuèrent alors de petits papillons portant ces mots : « Carcassonnais, les vendus de Vichy font enlever la statue de Barbès. Protestons contre cet acte ignoble » et inscrivirent au goudron sur le socle : « Voilà où nous mène la collaboration. Barbès tu seras vengé. » Le 14 juillet et le 20 septembre 1942, les manifestations, de plus en plus imposantes, convergèrent autour de cette absence qui en vint à symboliser la liberté perdue. La Cançon de Barbès, en occitan, qui semble dater de 1848, est restée dans la mémoire populaire et dans le répertoire du chanteur Claude Marti. À Villalier, son village natal, près duquel se trouve son tombeau et dont la mairie est ornée d’un portrait en médaillon, il n’est pas rare d’entendre, à l’occasion d’une noce ou d’une fête, entonner cette chanson, ce qui montre l’étonnant charisme de cette vie toute entière meurtrie mais indomptée.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article25707, notice BARBÈS Armand [BARBÈS Sigismond, Auguste, Armand], dit DUROCHER par Notice revue et complétée par Jean Risacher, version mise en ligne le 20 février 2009, dernière modification le 7 juin 2021.

Par Notice revue et complétée par Jean Risacher

Armand Barbès
[Lithographie de Jeannin]

SOURCES : Arch. Dép. Paris (Seine), Registres d’écrou DY4/22-5096 et DY8/8-1167 (1834) ; DY4/31-1370 et DY8/9-2577 (1836). — Arch. Dép. Morbihan, série Y, écrou 244. — Cour des Pairs, Affaire des 12 et 13 mai 1839. Rapport fait à la Cour par M. Mérilhou, Imprimerie royale, 1839-1840. — Cour des Pairs, Affaire des 12 et 13 mai 1839. Réquisitoire de M. Frank Carré, procureur général du Roi, Imprimerie royale, 1839-1840. — Cour des Pairs. Procès politiques, 1830-1835, Inventaire dressé par J. Charon-Bordas, Paris, Archives Nationales, 1983, CC 601 d 1 n° 101). — Cour des Pairs. Procès politiques, 1835-1848, Inventaire dressé par J. Charon-Bordas, Paris, Archives Nationales, 1984. CC 709 d 5 n° 36 ; 725 ; 726 d 1 n° 1 ; 748 n° 497 ; 750 ; 790. — Gazette des Tribunaux, 18 avril au 6 juin 1835 ; 21 et 23 octobre 1836. — Le Moniteur Universel, 11 août 1836 ; 19 octobre 1836. — L. Nouguès, Une condamnation de mai 39, Paris, Dry aîné, 1850. — Louis Blanc, Histoire de Dix ans, Paris, 1877. — J. Benoît, Les Confessions d’un prolétaire, mss., publiées par les Éditions Sociales, Paris, 1968. —J.-F. Jeanjean, Armand Barbès (1809-1870). Sa vie. Son action politique. Sa correspondance, tome I, Paris, Cornély, 1909 ; tome II, Carcassonne, 1947 ; tome III (1er fascicule), Carcassonne, 1952. Avec ce court fascicule (28 pages in-8°), l’ouvrage arrive à la journée du 15 mai 1848. — Suzanne Wassermann, Les Clubs de Barbès et de Blanqui en 1848, Paris, s. d. — Camille Leymarie, « Barbès et Blanqui à Belle-Ile », dans La Nouvelle Revue, 1er juin 1898. — E. L’Hommedé, Le Mont-Saint-Michel, prison politique sous la monarchie de Juillet, Paris, Boivin, 1932. — Maurice Dommanget, Blanqui à Belle-Île, Paris, 1935. — P. Amann, "Karl Marx, quarante-huitard français ?" in International Review of Social History, 1961, VI, p. 249-255. — M. Dommanget, Auguste Blanqui. Des origines à la Révolution de 1848. Premiers combats et premières prisons, Paris, Mouton, 1969. — Bert Andréas, Marx’ Verhaftung und Ausweisung Februar/März 1848, Trier, 1978. — C. Latta, Un républicain méconnu, Martin Bernard, 1808-1883, Saint-Étienne, Centre d’Études foréziennes, 1980. — Disque Monta-vida, de Claude Marti, éd. Ventadorn, 1980. — Rémy Pech, « Armand Barbès », Les Audois, Dictionnaire biographique, sous la direction de Rémy Cazals et Daniel Fabre, Carcassonne, 1990. — Tracts et journaux clandestins (1940-1944), Archives de l’Aude, 1992, p. 24-25. — L.-A. Blanqui, Œuvres I. Des origines à la Révolution de 1848, textes présentés par D. Le Nuz, Nancy, Presses Universitaires, 1993. — Notes de R. Cazals, J. Grandjonc, J.-Y. Mollier. — Bernadette et Philippe Rossignol, "Armand Barbès homme politique du XXe", Généalogie et Histoire de la Caraïbe, n° 26, avril 1991, p. 212

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