BERNARD François Marie Camille dit BARRET, dit BERNARD-BARRET

Par Laurent Gonon

Né le 3 septembre 1813 à Thônes (Haute-Savoie), mort le 22 octobre 1897 à Turin (Italie) ; révolutionnaire lyonnais ; l’un des chefs de la Société des Droits de L’Homme ; l’un des fondateurs de la société des Voraces.

BERNARD-BARRET François Marie Camille, dit BERNARD, dit BARRET
Henri Besset, Laurent Gonon
Né le 3 septembre 1813 à Thônes (Haute-Savoie), mort en 1897 à Turin (Italie) ; fabricant en soie ; l’un des fondateurs à Lyon de la société des Voraces (1846) ; révolutionnaire lyonnais ; l’un des chefs de la Société des Droits de L’Homme (1848-1849) ; condamné par contumace (1849) ; exilé en Italie.
Né à Thônes (Haute-Savoie), diocèse d’Annecy, François Bernard était un enfant légitime de Joseph Bernard, marchand drapier, négociant, âgé de trente-deux ans et d’Antoinette Duport, âgée de vingt-sept ans. En novembre 1816, son père devait être nommé Procureur des pauvres au Sénat de Savoie (période sarde), puis décéder à Chambéry en mars 1830. Le 29 juin 1834, Antoinette Duport, sa mère, décéda à Lyon (Rhône) au domicile de son fils François Bernard, fabricant de soierie, 9 rue Dumenge. Bernard (-Barret) entretint malgré tout ses relations (réseau d’affaires tissé par son père ?) avec la Savoie, car nous retrouvons la délivrance d’un passeport (n° 113) dès le 4 juillet 1831 à son nom : « Bernard François, profession fabricant, habitant la Croix-Rousse », pour Nantua ; et un visa à Nantua (n° 116), le 24 décembre 1831. Sa résidence réelle, après le décès de sa mère, glissa au domicile de sa future femme, puis de son ménage, à Saint-Paul, à Lyon, où il ne fut jamais recherché. Son identité, Bernard-Barret, n’était pas inconnue. Sous ce nom, naquirent dans le quartier Saint-Paul son premier enfant Alphonse (1837), avant son mariage (novembre 1838) avec une fille de canut Catherine Bourret, ouvrière en soie, puis Jean-Claude (1839) et François (1845).
En 1841, lors de la création de la société d’édition du journal d’Étienne Cabet Le Populaire, des associations lyonnaises, représentées par François Bernard-Barret et Blaise Murat, souscrivirent un certain nombre d’actions dont elles demandèrent le remboursement en août 1846. Les orientations politiques du journal ne correspondant plus à leurs attentes. Cabet, rédacteur en chef du Populaire était connu et estimé des ouvriers lyonnais, mais en 1846 il prit une autre orientation, l’éloignant des besoins de la lutte des ouvriers lyonnais. Un échange de correspondances (septembre 1846) entre Bernard-Barret et Cabet le souligna. En mars 1843, Cabet désapprouva l’idée incluse dans la brochure de l’Union Ouvrière de [Flora Tristan6> 24362], militante socialiste et féministe, et refusa de la publier dans Le Populaire. Elle lui reprochait d’avoir démobilisé la classe ouvrière, lui faisant attendre patiemment l’avènement quelque peu mesquin de l’Icarie. C’est ce que reprocha aussi Bernard-Barret dans sa correspondance à Cabet.
En 1846, les sociétés secrètes qui déjà minaient le gouvernement étaient l’objet d’actives poursuites et cherchaient en conséquence tous les moyens de se soustraire aux recherches de la Police. C’est alors que Bernard-Barret, Vincent et d’autres chefs des Mutuellistes et des Droits de l’Homme créèrent la société des Voraces ou plutôt qu’ils se donnèrent ce nom pour avoir l’occasion de se réunir en nombre, dans les cabarets, gargotes et autres lieux publics. Pour masquer ces menées politiques et pour empêcher toutes recherches de la part de la police ils exigèrent des débitants que le vin leur fut vendu au litre et non à la bouteille. Ostensiblement voilà tout ce qu’alors paraissaient être les Voraces, une réunion d’individus qui ne voulaient plus boire au cabaret autrement qu’au litre.
Après la révolution de février 1848 Emmanuel Arago fut nommé Commissaire du Gouvernement provisoire du Rhône (préfet). Mais dès son arrivée à Lyon, le 27 février 1848 il constitua le Comité exécutif provisoire pour la ville de Lyon avec Démophile Laforest, maire provisoire. Le Comité comprenait cinquante-neuf noms, dont Bernard-Barret, chef d’atelier, cours des Tapis à la Croix-Rousse. Sa véritable identité était cependant clairement et officiellement réaffirmée, le 5 mars 1848, lorsque Emmanuel Arago publia la constitution provisoire de la nouvelle municipalité, pour administrer la ville de la Croix-Rousse. Dès le 4 mars 1848, « le citoyen Bernard-Barret propose que la commission centrale de l’hôtel de ville (de Lyon) émette un vœu favorable pour que le gouvernement provisoire ordonne l’élargissement de tous les détenus pour coalition ou collision par suite des questions de salaires. Adopté à l’unanimité », nota Le Tribun du peuple. Le 10 avril, Emmanuel Arago arrêta la commission nommée pour la répartition des travaux de la première commande faite par le gouvernement à la fabrique de soierie lyonnaise. Bernard-Barret figura dans la liste des ouvriers et chefs d’ateliers. Le 6 juin 1848, Bernard-Barret était signataire de la déclaration du Comité central de l’Hôtel de ville : « Lyonnais, Le Comité central en cessant ses fonctions prolongées par l’autorité supérieure, malgré sa démission réitérée, éprouva le besoin de remercier les citoyens qui l’ont soutenu par leur concours dévoué dans son œuvre difficile… Vive la République démocratique ! » Après le décret du 28 février 1848, instituant la « Commission de gouvernement pour les travailleurs » dite « Commission du Luxembourg », la commission pour l’organisation du travail apparaissait à Lyon le 8 mars. Bernard-Barret y fut intégré et participa aux travaux. Le tableau des membres du conseil municipal de la Croix-Rousse, résultant des élections des 30 et 31 juillet 1848 montra que Bernard-Barret avait été élu avec 739 voix sur 1 210 votants à la section de l’Enfance. Le 9 septembre 1848, le nouveau Conseil municipal de la Croix-Rousse est installé, Bernard-Barret François Marie il y siégea jusqu’en juin 1849, après y avoir été élu et réélu. Le 22 septembre, le préfet déclara au ministre de l’Intérieur : la majorité du conseil appartient au parti socialiste ou au parti démocratique exalté. Cependant, il faut tenir compte de la volonté populaire, le président du Conseil des ministres nomma le maire Rejanin Antoine Barthélemy, et les adjoints Bernard-Barret François Marie et Barmont Henri Merchior ; Gros Jean-Marie, adjoint spécial pour la section de Saint Clair. Dans cette période, on remarque que Bernard-Barret, adjoint, signait encore Bernard. Le 20 mars 1849, sur proposition du ministre de l’Intérieur, le président de la République, Louis-Napoléon Bonaparte, révoqua de leurs fonctions « les sieurs Bernard-Barret et Barmont, adjoints au maire de la Croix-Rousse, département du Rhône ». C’était l’épuration. Une « visite domiciliaire » avait eu lieu le 6 mars « chez MM. Bernard-Barret, cours de tapis à la Croix-Rousse ; Cautel-Baudet, rue des trois carreaux, 11 ; Millet, rue des quatre chapeaux, 11 ; Berteault, Adolphe, rue Labédoyère, 20, à la Guillotière ; Favier, place Colbert ; Murat, rue du commerce, 9 ; la Veuve Aisne, imprimeur lithographe ; Rey-Sezanne, imprimeur lithographe ; Castel, rue de la République, 15 », notait le rapport du commissaire. « Qui ont amené les plus heureux résultats, à savoir que tous ces messieurs sont membres actifs et chefs de la société des Droits de l’Homme et du Citoyen. »
Élu municipal à la Croix-Rousse, Bernard-Barret n’en poursuivit pas moins son action politique parmi la population ouvrière. Le 30 octobre 1848 on le remarqua parmi les administrateurs du Comité des Droits de l’Homme. Le 28 avril 1849 il publia, avec les membres du Comité central des sociétés démocratiques et la Société des Droits de l’homme, « la liste unique et définitive pour les élections législatives » qui devait rencontrer un grand succès électoral. Quatre ouvriers furent élus députés du Rhône Joseph Benoît, Esprit Doutre, Louis Greppo et Claude Pelletier. Bernard-Barret avait-il émigré immédiatement après l’émeute du 15 juin 1849, le commissaire central Galerne, rapportera le 21 août : « Le nommé Bernard-Barret qui fait l’objet d’un mandat ci-joint n’a pas été trouvé à Lyon, ni dans la banlieue. Le domicile de cet inculpé est resté inconnu. De quoi nous avons rédigé le procès-verbal que nous avons signé ». Les fins limiers de la police manquaient sans doute d’un peu de perspicacité. Cependant, le 4 décembre 1849, le 2e Conseil de guerre permanent de la 6e division militaire condamna, par contumace, François Bernard-Barret à la peine de la déportation. Cependant, en sept.-oct. 1850 on le cherchait encore, Bernard-Barret apparaissait parmi les membres de la loge maçonnique de Caluire (Rhône) des Amis des Hommes.
Plus tard, c’est en Italie qu’il demeura. A Turin sur les bords du Pô, où il avait créé avec deux de ses fils une « belle affaire » de soierie, tissage d’ombrelles et d’éventails, dira avec admiration l’un de ses arrières petits-enfants. À Turin, où son épouse décéda en 1881, où lui-même disparût le 22 octobre 1897. En juin 1849 il ne partit pas directement en Italie. La Savoie n’était pas encore la France, elle ne le redevint qu’en 1860 ; elle pouvait donc constituer une terre d’accueil temporaire. Bernard-Barret avait conservé de solides attaches dans sa province d’origine, tant familiales, amicales que commerciales. Le 23 juin 1852 à Annecy, il fut témoin au mariage de Jules Joseph Genève avec Jeanne Andréanne Sève. Le Patriote Savoisien du 15 novembre 1853, dans un article intitulé « Intérêts savoisiens. Du tissage de la soie dans nos contrées », le journal met en évidence le « succès de la maison de soierie qui s’est formée, il y a bientôt deux ans, à Annecy, sous la direction de MM. Bernard-Barret et Rey. Livrée presque exclusivement à ses propres forces, elle est parvenue à augmenter le nombre de ses métiers, à le tripler même ». Le journal évoque une rentabilité de 11 % dont ont bénéficié les apporteurs de capitaux. On s’interroge sur l’identité de son associé. Ne serait-ce pas François Rey, né en 1823 au Petit-Bornand (Faucigny), tisseur à Lyon depuis 1840, participant à l’expédition des 1 300 Savoisiens, dont une compagnie de Voraces de 200 hommes, partis de Lyon le 30 mars 1848 pour instaurer la République en Savoie ? Encouragés par Emmanuel Arago : « Vous êtes tous dévoués à notre glorieuse République... ». L’épopée se solda par un cuisant échec à la frontière sarde.
Le combat de Bernard-Barret pour l’unité du mouvement ouvrier lyonnais et ses revendications fut constant et public, même si à certaines périodes de répression (interdiction des associations de plus de vingt personnes) il poursuivit clandestinement son travail idéologique et d’organisation. C’est un trait constant que l’on retrouve jusqu’en 1848-1849 - même s’il fut condamné par contumace dans le cadre d’une répression massive du mouvement ouvrier – les écrits et les actes de Bernard-Barret, « un chef bien connu du socialisme », en témoignent.

ŒUVRE : Déclaration du comité central de l’Hôtel de ville, 6 juin 1848, Bernard-Barret en est signataire (BM Lyon, 5314 Coste 04 f. 088.) ; 1848, Déclaration des Droits et du Règlement de la Société des Droits de l’Homme et du Citoyen, avec Murat, Renaux, Favier, Rozi, Berteault, Chalon, Girard, Hubert et Mollard (AD69-R.1077) ; Mai 1848, Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, présentée à la Convention Nationale (AD69-R.1058) ; Fév./mars 1849, Face aux provocations, « appel à l’union, la persévérance et au courage intelligent » lancé par la Société des Droits de l’homme et du citoyen, signataires : Bernard-Barret, Cautel-Baudet, Berthaud, A. Favier et Murat (AD69-R1058) ; Mai 1849, publication de la brochure de la Société des Droits de l’Homme, titrée « L’INTERVENTION, Appel à son bon sens, à son honneur » et signée de Ad. Berteault, Murat, Bernard-Barret, Châlon, Rosi, Favier, Girard, Hubert, Mollard, s’oppose à l’intervention militaire française en Italie, qui vient d’être décidée (AD69-R.1059).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article25843, notice BERNARD François Marie Camille dit BARRET, dit BERNARD-BARRET par Laurent Gonon, version mise en ligne le 20 février 2009, dernière modification le 2 septembre 2021.

Par Laurent Gonon

ŒUVRE : Adresse présentée au préfet du Rhône. Bernard, rédacteur, signe avec Bouvery, président ; Falconnet, vice-président ; Guillot, Labory, Rozier, Maçon-Sibut, Marel, Charnier, Bonnard, et Lavalée. (Cf. Prospectus de L’Echo de la Fabrique, 23 oct. 1831). — « Rapport fait et présenté à Monsieur le Président du Conseil des Ministres. Sur les causes générales qui ont amené les événements de Lyon. Par deux chefs d’ateliers : Bernard et Charnier. » Imprimerie de Charvin, Lyon. (BMLyon, cote 117.190). – Série d’articles dans L’Écho de la Fabrique, d’août 1833 à février 1834 : Nous croyons faire plaisir à nos lecteurs en ..., Prospectus du 23 octobre 1831 ; Aux lecteurs, N° 33 du 18 août 1833 ; Un mot sur la question lyonnaise, N° 33 du 18 août 1833 ; Réponse aux éloges, N° 34 du 25 août 1833 ; Des abus en fabrique, N° 34 du 25 août 1833 ; Réponse à la lettre de M. J.C.B., N° 35 du 1 septembre 1833 ; Réponse au Précurseur, N° 35 du 1 septembre 1833 ; Du Conseil des prud’hommes, Réponse à M..., N° 36 du 8 septembre 1833 ; Du Procès, N° 36 du 8 septembre 1833 ; Puisque M. J.C.B. J.-C.Bergeret, N° 36 du 8 septembre 1833 ; Abus en Fabrique, N° 39 du 29 septembre 1833 ; Du compagnonnage, N° 40 du 6 octobre 1833 ; De la Caisse de Prêt. A la suite de la ..., N° 41 du 13 octobre 1833 ; Appel aux Citoyens en faveur d’un père de ..., N° 41 du 13 octobre 1833 ; M. Marius Chastaing ..., N° 42 du 20 octobre 1833 ; Au nombre des causes qui soulèvent ..., N° 42 du 20 octobre 1833 ; De l’apprentissage, N° 43 du 27 octobre 1833 ; Nous avons reçu de M. Marius Chastaing ..., N° 43 du 27 octobre 1833 ; Un mot sur les Affaires, N° 44 du 3 novembre 1833 ; Des abus, N° 45 du 11 novembre 1833 ; Réponse à l’ Echo des Travailleurs ..., N° 45 du 11 novembre 1833 ; Banquet des Mutuellistes, N° 46 du 17 novembre 1833 ; De la réélection partielle, N° 51 du 22 décembre 1833 ; MM. Bernard, chef d’atelier et ..., N° 53 du 5 janvier 1834. (http://echo-fabrique.ens-lsh.fr) - Déclaration du comité central de l’Hôtel de ville, 6 juin 1848, Bernard-Barret en est signataire (BM Lyon, 5314 Coste 04 f. 088.) - 1848, 20 juil. - Circulaire de l’administration de la Société des chefs d’ateliers tisseurs de Lyon et des villes suburbaines. Le bureau de l’administration est constitué : Lericel, président ; Bernard, vice-président ; Perron, secrétaire ; Lapierre, trésorier. (BM Lyon 113975) – 1848, Déclaration des Droits et du Règlement de la Société des Droits de l’Homme et du Citoyen, avec Murat, Renaux, Favier, Rozi, Berteault, Chalon, Girard, Hubert et Mollard (AD69-R.1077) – Mai 1848, Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, présentée à la Convention Nationale (AD69-R.1058) – Fév./mars 1849, Face aux provocations, « appel à l’union, la persévérance et au courage intelligent » lancé par la Société des Droits de l’homme et du citoyen, signataires : Bernard-Barret, Cautel-Baudet, Berthaud, A. Favier et Murat (AD69-R1058) – Mai 1849, publication de la brochure de la Société des Droits de l’Homme, titrée « L’INTERVENTION, Appel à son bon sens, à son honneur » et signée de Ad. Berteault, Murat, Bernard-Barret, Châlon, Rosi, Favier, Girard, Hubert, Mollard, qui s’oppose à l’intervention militaire française en Italie, qui vient d’être décidée (AD69-R.1059).

SOURCES : Arch. Dép. Rhône. — Arch. Dép. Savoie, fonds sarde ; Le Sénat de Chambéry dans la société savoyarde du XVIIIe siècle, par Frédéric Meyer Université de Savoie ; Bibliothèque Municipale de Lyon, placard, BM Lyon 5314, fd Coste 26, f° 167. — Arch. Nat., BB 18/1473, rapport du commissaire central de police de Lyon du 20 septembre 1849. — Justin Godart, Journal d’un bourgeois de Lyon en 1848, Paris, 1924. — Joseph Benoit, Confessions d’un prolétaire, présentation de Maurice Moissonnier, Éditions sociales, Paris 1968.

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