BAUNE Eugène [BEAUNE]

Né le 5 septembre 1799 à Montbrison (Loire), mort le 8 mars 1880 à Bâle (Suisse). Agent de commerce, puis professeur et journaliste. Républicain, représentant du peuple en 1848 et en 1849.

Fils d’instituteur, Eugène Baune fit d’excellentes études classiques au collège de sa ville natale, alors préfecture de la Loire. À 15 ans, après le retour de l’île d’Elbe de Napoléon Ier, il s’enrôla dans le 64e régiment de ligne qui participa à divers combats dans les Ardennes, non loin de Waterloo. Le 30 juin, jour de la capitulation, il était de retour à Paris, puis à Jargeau. Il fut nommé sous-officier, à quelques jours de son seizième anniversaire qu’il aurait passé en prison à la suite de manifestations hostiles au nouveau régime. Il voyagea ensuite dans le bassin méditerranéen, en Espagne, au Levant et surtout en Italie où il resta quelques années, ayant obtenu un emploi d’ » inspecteur des fermes générales » dans la province de Terre d’Otrante, du royaume de Naples où les Bourbons avaient été rétablis. C’est sans doute à cette période qu’il devint carbonaro pour s’affilier ensuite à la charbonnerie française dès son retour, probablement vers 1821.
Il reprit ses études tout en travaillant, sans doute chez un négociant en soie. Dans la perspective de se consacrer à l’enseignement, il travailla surtout l’histoire et les mathématiques. En 1826, il devint sous-directeur de l’École spéciale de Commerce du quartier des Brotteaux, à La Guillotière (Rhône), près de Lyon, puis à partir de 1827 donna des cours d’arithmétique, d’histoire et de géographie commerciales. Cette école ferma fin 1828 et Baune devint professeur d’histoire moderne et de statistique commerciale à l’Institution de M. Grandperret, à Saint-Clair, toujours dans la banlieue de Lyon. Il se joignit au mouvement d’opposition contre la Restauration et s’affilia à la Charbonnerie particulièrement active dans le Sud-Est, tout en écrivant dans les feuilles, plus ou moins confidentielles, dont pouvaient disposer les adversaires du régime. Après la révolution de Juillet, il devint un des chefs les plus actifs du mouvement républicain, tant dans le Rhône que dans la Loire.
En 1831, toujours professeur, il ne prit point part à l’insurrection de novembre 1831, mais il utilisa son influence pour empêcher les ouvriers du faubourg à se joindre à ceux de la Croix-Rousse et cette crise attira son attention sur l’importance des problèmes spécifiquement ouvriers. Il rédigea, alors, un Essai sur les moyens de faire cesser la détresse de la fabrique de Lyon, publié en 1832, dans lequel il préconisait des réformes à la fois techniques, économiques et sociales que seul un changement de régime politique pouvait promouvoir. C’est ainsi que Baune s’acquit une grande influence aussi bien chez les salariés que chez les chefs d’atelier qui voyaient en lui un défenseur compétent en même temps qu’un conseiller technique d’un dévouement certain.
En 1834, Eugène Baune, directeur de l’École spéciale de Commerce de Lyon, qu’il avait ressucitée et où il enseignait également, était président de la section lyonnaise de la Société des droits de l’Homme. Dès février, la crise économique, très dure, provoqua des mouvements de grèves essentiellement parmi les canuts. Mais la grève échoua, et devant les menaces d’extension du mouvement, le gouvernement porta l’affaire sur le plan politique, fit poursuivre en justice plusieurs grévistes et aggrava la loi « liberticide » sur les associations. Pendant que les manifestants, venus soutenir les inculpés comparaissant le 5 avril devant le tribunal correctionnel, faisaient renvoyer l’audience au 9 et accompagnaient en foule la dépouille mortelle d’un de leurs compagnons mutuellistes, le comité de la SDH préparait un appel aux soldats pour qu’ils fassent cause commune avec les ouvriers. Elle avait conclu à la résistance : Association, Résistance, Courage. Dès le début de la séance du procès du 9, les forces de l’ordre refermèrent le piège qu’elles avaient tendu et ce fut le début de l’insurrection qui dura 6 jours et connut d’horribles épisodes, particulièrement dans le faubourg de Vaise, avec le massacre de la rue Projetée, la rue Transnonain-des-Lyonnais.
Arrêté dès le début de l’insurrection, le 10 avril, à son domicile, place Sathonay, Eugène Baune, fit partie de la soixantaine d’inculpés lyonnais retenus sur plus de 500 arrestations, dont la plupart des chefs républicains, car il fallait montrer que cette insurrection avait été une tentative de subversion républicaine. Après une instruction de dix mois, l’arrêt d’accusation fut signé le 6 février 1835 et les inculpés lyonnais furent transférés à Paris pour le procès de la Cour des Pairs et continuèrent à subir des interrogatoires, notamment le 24 avril, où Eugène Baune nia que la SDH voulait conspirer contre le gouvernement mais qu’elle cherchait seulement à améliorer le sort des classes inférieures. On a aussi soupçonné qu’il était le chef de la charbonnerie à Lyon.
Dès leur arrivée à la Conciergerie, le 27 mars, sollicités par leurs coaccusés parisiens, les Lyonnais constituèrent un comité de défense comprenant Baune, Caussidière, Lagrange*, Maillefer, Tiphaine et d’autres. Les Parisiens refusaient une défense classique, estimant que ce procès fournissait l’occasion de le transformer en un véritable congrès républicain et qu’il fallait faire appel aux défenseurs de leur choix, les avocats désignés s’étant récusés. Les Lyonnais par contre voulaient faire éclater la vérité sur l’insurrection de leur ville. Les comités de défense purent se réunir le 18 avril et signer une convention selon laquelle ils s’en remettaient à la décision des défenseurs dont ils avaient établi la liste, comprenant l’élite des républicains. Bien que profondément divisés, la grande majorité d’entre eux se prononça pour le refus des débats si la liberté de la défense n’était pas intégralement respectée et de ne se rendre devant la cour qu’accompagnés du défenseur de leur choix. Eugène Baune, qui avait demandé comme défenseurs Raspail et J. Seguin qui lui seront refusés, présida le 4 mai une réunion où il dut arbitrer le différent entre Michel de Bourges et Dupont de Bussac, représentant la majorité et le Lyonnais Jules Favre, partisan d’une défense classique, affrontement qui devait se renouveler, encore plus violent, le lendemain chez Blanqui. C’est lui qui, ayant protesté contre les restrictions des droits de la défense et renouvelé la demande de sa femme d’assister aux débats de la Cour des Pairs, s’était entendu répondre par le chancelier Pasquier, rappelant la tradition de la Cour de ne pas admettre les femmes aux audiences : « La demande que vous faites est étrangère à votre défense. C’est un hors-d’œuvre... ». C’est encore lui qui lut en audience le 7 mai la protestation des défenseurs, publiée la veille. Au nom des accusés, il déclara, malgré les interruptions de séances que « la défense étant absente, les apparences mêmes de la justice... évanouies... ils refusent... de participer par leur présence à des débats où la parole est interdite, et aux défenseurs et aux accusés... ils ne se présenteront... que contraints par la force... ».
Pendant plusieurs semaines, il fallut les traîner de force à l’audience, puis certains acceptèrent de répondre à partir du 8 juin. C’est encore Eugène Baune qui protesta lorsque le procureur Martin du Nord demanda le 10 juillet la disjonction des Lyonnais, qui fut décidée le lendemain. Les réquisitoires furent prononcés en l’absence des accusés et Baune refusa tout avocat en dehors de ceux qui étaient désignés par les accusés. Le verdict fut sans doute aggravé du fait de l’enlisement du procès, commencé seize mois auparavant, de l’évasion de Sainte-Pélagie de vingt-sept inculpés parisiens survenue le 12 juillet et de l’attentat Fieschi (28 juillet). Avec six autres accusés, Eugène Baune fut condamné à la déportation le 13 août 1835.
D’abord détenu à La Force, il fut transféré à la citadelle de Doullens (Somme) le 7 janvier 1836. Après l’évasion de huit détenus en octobre 1836, sa femme fut accusée d’avoir apporté des outils et des cordes aux conjurés et fut emprisonnée une dizaine de jours. C’est lui encore qui présida un curieux « tribunal » qui, les premiers jours de mai 1837, devait juger l’un de leurs codétenus, Marc Reverchon, parce qu’il était ami du directeur de la prison, Prat, ancien carbonaro, et qu’il avait poussé plusieurs d’entre eux à solliciter un recours en grâce. Libéré par l’amnistie du 8 mai 1837, peu après il quitta Doullens dont il n’était pas parvenu à s’évader, en passant par Arras, pour rejoindre les environs de Lyon, où il n’avait pas le droit de pénétrer.
Après l’amnistie, il collabora au National et fut l’un des créateurs de La Réforme.De fait, s’étant trouvé quelques jours à Lyon fin septembre 1837 il fut prié de quitter la ville.
Dans ce dernier journal, il dénonça le rapprochement que les républicains du National, exclusivement tournés vers les problèmes politiques et négligeant la question sociale, acceptaient de réaliser avec les orléanistes de la gauche dynastique. Il joua un rôle actif dans la campagne des banquets. La révolution de Février fit de lui un commissaire de la République dans la Loire.
Le 23 avril 1848, il fut élu représentant de ce département, le troisième sur onze, par 70 169 suffrages. Lors des Journées de Juin, la réaction l’accusa d’avoir tenté de sauver une centaine de personnes arrêtées par la garde mobile. Il s’abstint de voter l’ordre de félicitations à Cavaignac, il vota contre l’ouverture de poursuites à l’égard de Louis Blanc et de Marc Caussidière, contre le rétablissement du cautionnement et le maintien de l’état de siège, pour le droit au travail.
Le 2 juin 1849, présidant une séance du Club du salon Ragache qui se réunissait, 49, rue de Sèvres, à Vaugirard (Seine), il déclara devant 400 personnes que les vrais chefs du peuple étaient dans le comité démocratique socialiste et parmi les hommes de la Montagne. C’est d’ailleurs comme Montagnard qu’il fut élu à la Législative dans le département de la Loire par 35 098 voix (inscrits : 118 427, votants : 75 232). À l’assemblée, il vota contre l’expédition de Rome, contre la loi Falloux, contre la loi restreignant le suffrage universel. Avec ses collègues, Boissel et Michel (de Bourges), il assista, en avril 1851, à Nantes, aux débats judiciaires au cours desquels furent condamnés un certain nombre d’affiliés à la Fraternelle.
Après le 2 décembre 1851, il dut s’exiler en Belgique où il gagna sa vie en donnant des leçons particulières, puis il se rendit en Suisse où il cessa toute activité politique.
Principaux militants compromis en 1834 : Agnès François, Allier Pierre, Barrier Gabriel, Berlier, Bringard, Chabany Antoine, Chevalier Honoré, Delorme Jean-Camille, Ducreux Jacques, Grandjasse, Hedde Philippe, Martin Antide, Pavillet François, Pérellon, Reverchon Pierre dit cadet, Rouchouse, Roux Gilbert, Villesme.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article25988, notice BAUNE Eugène [BEAUNE], version mise en ligne le 20 février 2009, dernière modification le 15 mai 2022.

ŒUVRE : Histoire de Lyon pendant les journées des 21, 22 et 23 novembre 1831, contenant les causes, les conséquences et les suites de ces déplorables événements, Lyon, A. Baron ; Paris, Moutardier, 1832, in-8°, 288 p. (paru sans nom d’auteur et généralement attribué à Auguste Baron). — Essai sur les moyens de faire cesser la détresse de la fabrique de Lyon 1832. — Collaboration au National et à la Réforme.

SOURCES : Arch. Nat., BB 18/1473, Bull. du parquet de Paris, 3 et 4 juin 1849. — BB 30/391, P 40. — Arch. PPo., A a/428. — Cour des Pairs. Affaire du mois d’avril 1834, Paris, Imprimerie Royale, 1835. Vol. 6,11. — Louis Blanc, Histoire de Dix ans, Paris, 1841-1844. — Cour des Pairs. Procès politiques, 1830-1835, Inventaire dressé par J. Charon-Bordas, Paris, Archives Nationales, 1983. CC 556 d 2 nos 199 et 713 ; 619 d 9 s/s-d 3. — Robert, Bourloton et Cougny, Dictionnaire des Parlementaires français. — I. Tchernoff, Le parti républicain au coup d’État et sous le Second Empire, Paris, Pedone, 1901. — Claude Latta, « Lyon 1834 : les victimes de la répression de la seconde révolte des canuts », dans Répression et prison politique en France et en Europe au XIXe siècle, colloque de la Société d’Histoire de la révolution de 1848 et des Révolutions du XIXe siècle, Paris, Créaphis, 1990. — Fernand Rude, « Les insurgés d’avril 1834 à Clairvaux et à Doullens », dans Répression et prison politique en France et en Europe au XIXe siècle, colloque de la Société d’Histoire de la révolution de 1848 et des Révolutions du XIXe siècle, Paris, Créaphis, 1990. — Jean-Claude Vimont, La prison politique en France, Paris, Anthropos, 1993. — L.-A. Blanqui, œuvres I. Des origines à la Révolution de 1848, textes présentés par D. Le Nuz, Nancy, Presses Universitaires, 1993. — Claude Latta, Eugène Baune (1799-1880). Un républicain dans les combats du XIXe siècle, Montbrison, 1995. — — Gazette des Tribunaux, 26 octobre 1836, p..1159, 2ème et 3ème col.. ; 29 septembre 1837, p. 1167, 1ère col. — Notes de M. Cordillot, J. Risacher, R Shapira.

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