BERNARD Martin, dit MARTIN-BERNARD

Né le 17 septembre 1808 à Montbrison (Loire), mort à Paris le 22 octobre 1883. Ouvrier typographe et imprimeur. Membre et animateur de sociétés républicaines et sociétés secrètes. Représentant du peuple à la Constituante de 1848 et à la Législative de 1849. Député d’extrême gauche de 1871 à 1875.

Fils cadet d’un imprimeur-libraire de Montbrison, issu lui-même d’une véritable lignée d’imprimeurs, Charles-Laurent Bernard (1780-1826) et de Jeanne Durand (1782-1847), Martin Bernard fit des études classiques au Collège royal de Montbrison tout en faisant son apprentissage avec son père dont, comme son frère aîné, il souhaitait adopter la profession. En 1826, il vint à Paris pour se perfectionner dans son état et sensibilisé par la guerre de libération de la Grèce, tenta en vain de s’y engager. Devenu compositeur d’imprimerie, il rentra à Montbrison avant la fin de la Restauration. « Retenu par d’impérieuses affaires de familles », « ce fut là, écrit-il, que j’appris à la fois la publication des Ordonnances de Juillet, les combats et la victoire du peuple. Cette fois je pleurai de rage et blasphémai mon destin. » Revenu à Paris en janvier 1831, il fut attiré par les saint-simoniens, surtout pour leur idée d’association, et se passionna pour l’étude de la Révolution de 1789 et le personnage de Robespierre, sans rejeter totalement son éducation catholique. Adhérant au début de 1833 à la Société des droits de l’Homme (suivant les sources, dans la section Convention, du VIIe arr. ou Arena du IIIe), il participa à la grève des imprimeurs en novembre de la même année. Il était membre de la commission qui adopta à Paris le 24 novembre 1833, le tarif et le règlement de « l’Association libre typographique » et qui le 1er décembre fut l’un des dix membres élus de son comité typographique.

Marin-Bernard écrivit un article important qui parut dans la Revue républicaine en novembre 1834 et avril 1835 ; « Sur les moyens de faire descendre la République dans l’atelier ». Sans avoir participé aux journées d’avril 1834, il fut quand même interrogé, mais bénéficia d’une ordonnance de non-lieu. Il fut désigné parmi les défenseurs des accusés qui devaient se réunir le 5 mai 1835 chez Auguste Blanqui et publier dans la presse, le 6, une protestation contre le refus de leur défense par la Cour des Pairs, le 11 une lettre de soutien aux accusés et le 12 un appel pour une souscription en leur faveur, textes qui devaient valoir à leurs signataires de comparaître devant la chambre des pairs. Comme les autres, il déclara au procès des défenseurs du 20 mai qu’il n’avait ni signé ni autorisé la publication de la lettre des défenseurs. C’est à cette époque qu’il rejoignit la Société des Familles dont il devint rapidement l’un des responsables. En mars 1836, les principaux chefs des familles, dont Armand Barbès et Auguste Blanqui, furent arrêtés. À son tour Martin Bernard le fut, sur inculpation d’association illicite, entra à Sainte-Pélagie le 4 juin 1836, fut libéré sous caution par la 2e Chambre le 17 juillet, et semble avoir bénéficié d’un non-lieu avant l’ouverture du procès des poudres d’août.

Dès les débuts de 1837, il joua un rôle essentiel dans la création de la Société des Saisons sur les débris des Familles, bien que les autres responsables, Barbès et Blanqui, aient été libérés en mai. Le premier resta dans le Midi jusqu’au début de 1838, puis vint à Paris, y fut arrêté, enfermé à Sainte-Pélagie, relâché après deux ou trois mois et repartit rapidement chez lui. Blanqui, quant à lui, était assigné à résidence près de Pontoise.

Lors du soulèvement du 12 mai 1839, déclenché par les Saisons, il commandait avec Blanqui la colonne qui se dirigea vers l’Hôtel de Ville. Il était un des signataires de la proclamation lue par Barbès : « L’heure fatale a sonné pour les oppresseurs, le lâche tyran des Tuileries se rit de la faim qui déchire les entrailles du peuple. » Il figurait sur la liste du gouvernement provisoire établie par les insurgés aux côtés de Armand Barbès, Auguste Blanqui, Voyer d’Argenson, Lamennais, Dubois, Laponneraye. Contrairement à Barbès et comme Blanqui, il réussit à échapper aux forces de l’ordre et ne fut arrêté que le 21 juin suivant. Il comparut avec dix-neuf autres accusés, dont Barbès, le 27 juin 1839, devant la Cour des Pairs, lors du procès de la première catégorie. Conformément aux règles des sociétés secrètes, il refusa de se défendre, disant aux pairs : « Vous êtes mes ennemis, vous n’êtes pas mes juges. » Un rapport officiel le dépeint ainsi durant le procès : « Son attitude est ferme et pleine d’assurance, il regarde souvent Barbès et semble échanger avec lui des signes d’intelligence ».

Le 12 juillet 1839, il fut condamné à la déportation et enfermé au Mont-Saint-Michel le 17. Quand Barbès voulurent s’évader du Mont-Saint-Michel, Martin-Bernard fut mis dans le secret, dans les premiers jours de janvier 1842. Aidé par Alexandre Thomas, Pierre Antoine Béraud et Jean Dubourdieu, il tenta de s’échapper, dans la nuit du 11 février 1842, avec Armand Barbès, Auguste Blanqui et Constant Hubert. Mais l’affaire échoua et, le 23 février 1844, il fut transféré à Doullens (Somme).

La révolution de 1848 fit de lui le commissaire général du Gouvernement provisoire dans les départements de l’Ardèche, de la Loire, de la Haute-Loire, enfin du Rhône où il remplaça Emmanuel Arago. Le 13 mai 1848, à Lyon, des ouvriers d’un chantier national détruisirent des métiers destinés à la manufacture Bonnet à Jujurieux (Ain), qui pratiquait une méthode de travail honnie des ouvriers, parce qu’elle avilissait les salaires par l’emploi de femmes logées, nourries et habillées par le patron, et par conséquent très peu payées. (Le manufacturier Bonnet, sous couleur de moralisation, avait institué pour les ouvrières un régime de couvent ou de béguinage qui ne laissait pas de lui rapporter beaucoup.) Arrêtés et déférés à la justice, ils furent délivrés par un coup de force des Voraces qui, par deux fois, se saisirent du substitut du procureur de la République considéré comme un otage et l’entraînèrent à leur quartier général de la Croix-Rousse. Des barricades se dressèrent et la force armée faillit entrer en collision avec les ouvriers retranchés sur le plateau de la Croix-Rousse. Martin-Bernard signa l’ordre d’élargissement des prévenus et tout rentra dans l’ordre.

Entre-temps, le 23 avril 1848, il avait été élu député de la Loire, le sixième sur onze, par 47 066 suffrages. Il siégea à l’extrême gauche. Le 9 août 1848, il vota contre le rétablissement du cautionnement, le 26 août contre les poursuites à l’encontre de Louis Blanc et de Marc Caussidière, le 18 septembre pour l’abolition de la peine de mort, le 2 novembre pour la reconnaissance du droit au travail, le 25 novembre contre l’ordre du jour de félicitations à Cavaignac, le 30 novembre contre l’expédition de Rome, le 27 décembre contre l’impôt sur le sel, le 22 janvier 1849 contre l’envoi en Haute-Cour des accusés du 15 mai, le 1er février pour l’amnistie générale, le 2 mai pour l’amnistie aux transportés.

Il fut réélu à l’Assemblée législative, toujours dans le département de la Loire, le quatrième sur neuf, par 36 014 voix (inscrits : 118 427, votants : 75 232). Il avait déjà été repris par l’action clandestine. En janvier 1849, il avait organisé avec Delescluze une société de propagande la Solidarité républicaine, dont le projet fut présenté sous forme de brochure dès novembre 1848 et dont les bureaux se trouvaient, 15, rue Coquillière, et 1, rue des Bons-Enfants (IVe arr., maintenant Ier), et qui avait des affiliés à Saint-Quentin, Bordeaux, Issoudun, Marseille, Tarascon, Nîmes, Rouen, Le Havre, Chalon-sur-Saône, Poitiers, Loudun, Niort, Rochefort, Orange, Blois, Tours. Sous le régime du parti de l’Ordre, un grand nombre d’arrestations devait désorganiser cette association.

Avec Ledru-Rollin, Félix Pyat, Ferdinand Gambon, Jean-Marie Deville, Jean-Baptiste Boichot, il prit part à l’affaire du 13 juin 1849. Il ne réussit à échapper aux poursuites qu’en s’exilant. Une perquisition, d’ailleurs négative, fut opérée à son domicile parisien, 16, rue d’Antin, dans l’hôtel garni de Mme de Bergue, née Bayeux. Il vécut en Belgique, puis en Angleterre et à Jersey où il retrouva son compagnon de prison Alexandre Thomas. Il y collabora au journal L’Homme dirigé par Ribeyrolles.

Il rentra en France lors de l’amnistie de 1859. Lors des élections de 1863, il fut l’un des 25 membres d’un comité constitué chez Carnot pour diriger la campagne électorale. De nombreux ouvriers avaient pris part à l’organisation du dit comité et à l’élection de ses membres, mais les pouvoirs publics lui interdirent toute activité. Gustave Lefrançais rapporte, dans ses Souvenirs d’un Révolutionnaire, qu’en 1866, au premier étage d’un café situé à l’angle du boulevard et de la rue Montmartre, dans une petite salle du fond, se réunissaient tous les soirs quelques vétérans de 1848. Ce petit groupe s’appelait le Bras cassé. On y rencontrait Martin-Bernard qui, pour caractériser ses opinions politiques, disait simplement qu’il était ami de Barbès et récitait en entier, à tout propos, selon Lefrançais, les discours de Robespierre. En 1869, les socialistes et les républicains lui demandèrent de se présenter aux élections ; il refusa et fut remplacé par Dorian. Martin-Bernard était volontiers considéré par les jeunes de la fin de l’Empire et des débuts de la Troisième République comme un anachronisme vivant. Il était normal de plaisanter ses idées ou sa personne, et de l’appeler, à cause de la pointure de ses chaussures, « les plus grands pieds de la Sociale », quand ce n’était pas « le plus grand pied de la Sociale ».

Le 8 février 1871, il fut battu aux élections dans le département de la Loire, mais élu à Paris. À l’Assemblée de Bordeaux, il siégea à l’extrême gauche. Il vota contre la paix, pour le retour de l’Assemblée à Paris, contre le maintien de l’état de siège (4 décembre 1873), pour l’ensemble des lois constitutionnelles (1875). Il fut battu, à Saint-Étienne, par César Bertholon, lors des élections législatives de 1876 et abandonna alors la vie politique.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article26344, notice BERNARD Martin, dit MARTIN-BERNARD , version mise en ligne le 20 février 2009, dernière modification le 26 décembre 2020.

ŒUVRE : « Sur les moyens de faire descendre la République dans l’atelier », in Revue républicaine, 10 décembre 1834, p. 289-302 et 10 avril 1835, p. 52-68. — Dix ans de prison au Mont-Saint-Michel et à la citadelle de Doullens, Paris, 1851.

SOURCES : Bnf, notice autorité. — Arch. Nat., BB 18/1473 ; BB 30/394, P 414 bis. — Arch. PPo., A a/424, pièces 16, 61, 119 ; B a/1197 et fichier alphabétique. — Arch. Dép. Paris (Seine), registres d’écrou DY8/9-1692 — Procès des accusés des 12 et 13 mai devant la Cour des Pairs, Paris, 1839. — Cour des Pairs. Procès politiques, 1830-1835, Inventaire dressé par J. Charon-Bordas, Paris, Archives Nationales, 1983, CC 589 d 2 (Section de la Convention). — Cour des Pairs. Procès politiques, 1835-1848, Inventaire dressé par J. Charon-Bordas, Paris, Archives Nationales, 1984, CC 726, d 1 n° 2 ; 750 ; 772 (Sociétés communistes). — G. Lefrançais, Souvenirs d’un révolutionnaire. — F. Jeanjean, « L’éternel révolté ». (La Révolution de 1848, t. IV, n° 20, mai-juin 1907, n° 23 nov.-déc. 1907). — Alain Faure, Conflits politiques et sociaux au début de la monarchie de Juillet, 1830-1834, mémoire de Maîtrise, Université de Paris X, 1974, p. 162 — P. Chauvet, Les Ouvriers du livre, vol. 2, p. 118, 125, 155-56. — Claude Latta, Un républicain méconnu, Martin Bernard (1808-1883), Saint-Étienne, Centre d’études Foréziennes, 1980. — Les Amis du Mont-Saint-Michel, Bulletin annuel, n° 106, année 2001, p. 24-25. — Charlier Sylvie, Association et ouvriers du livre (1830-1840), mémoire de maîtrise d’histoire, Université de Paris VIII, 1996, p. 74 et 75. — Notes de Jean Risacher et Gauthier Langlois.

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