BOUJU Louis

Par Gérard Boëldieu

Né le 8 septembre 1814 à Chantenay (Sarthe), mort le 24 avril 1871 à Paris (XIe arr.) ; instituteur communal dans la Sarthe de 1836 à 1850 ; révoqué par le préfet de la Sarthe le 3 juin 1850 ; victime du coup d’État du 2 décembre 1851, condamné par la commission mixte de la Sarthe à l’interdiction de ce département.

Petit-fils d’un maréchal-ferrant de Sablé (Sarthe) du côté paternel, d’un tisserand de Chantenay (Sarthe) du côté maternel, Louis Bouju, fils aîné d’un tailleur d’habits, naquit dans une famille de condition très modeste qui compta cinq enfants. Contrairement à sa mère, son père ne savait pas signer son nom.

Infirme du bras droit, inapte au travail manuel, Louis Bouju, ayant, contrairement à son frère cadet et à la première de ses sœurs qui ne savaient pas signer leur nom, reçu des rudiments d’instruction, s’engagea ou fut poussé dans la carrière d’instituteur. En 1834, il passa avec succès le concours d’entrée à l’École normale d’instituteurs de la Sarthe nouvellement créée au Mans en application de la loi Guizot du 28 juin 1833. Ses aptitudes furent jugées « ordinaires ». Titulaire d’une portion de bourse départementale, soutenu par un notable de Chantenay, en l’occurrence Louis Gasselin né en 1794, propriétaire, ancien praticien, adjoint au maire de 1828 à 1835, maire ensuite jusqu’en 1866, juge de paix, futur conseiller général de la Sarthe en 1843 et futur représentant à l’Assemblée constituante d’avril 1848, qui prit à sa charge la part des frais qui incombait à ses parents, parce que ceux-ci, trop pauvres et alors dépendant du bureau de charité, ne pouvaient les assumer, Bouju en sortit en septembre 1836, muni du brevet élémentaire.

Son premier poste d’instituteur communal fut Sillé-le-Philippe (canton de Montfort), 1100 hab., où, le 6 février 1837 il épousa Adélaïde Bergeot, dix-neuf ans, alphabétisée, fille de petits cultivateurs-propriétaires. Leurs deux fils y naquirent. Pendant quatre ans et demi, Bouju fit l’école à Sillé-le-Philippe, « avec succès », selon ses supérieurs. Ce qui lui valut une lettre de félicitations du préfet.

En 1841, Bouju passa à Coulans (canton de Loué), 1904 hab. En 1848, il fut des instituteurs sarthois qui accueillirent la Seconde République avec enthousiasme. Il s’immisça dans la campagne électorale pour l’Assemblée constituante (mars) puis celle des municipales (août) au point d’être jugé « beaucoup trop politique » par les modérés de Coulans qui, dès lors, exigèrent son départ. Tout en louant le « maître zélé et actif », l’inspecteur Dalimier, venu enquêter sur place, recommanda une mutation « dans l’intérêt de la paix et du bon ordre ». Le 23 août 1848, l’adjoint au maire de Coulans informait le préfet que Bouju, pourtant « compromis en rien », convenait lui-même de la nécessité de son changement, « pour sa tranquillité ». L’adjoint plaidait ensuite afin qu’« un père de famille depuis 14 ans dans l’enseignement soit bien placé » : « Bouju mérite d’être protégé. Il est reconnu depuis longtemps pour son affection pour le gouvernement républiquain (sic) ». Et de dresser ce portrait élogieux de l’instituteur : « un bon patriote remplissant ses devoirs » ; acceptant tous les pauvres : « à la dernière inspection les élèves qui ont reçu les éloges de M. l’inspecteur étaient les enfants pauvres » ; « il emportera les regrets des familles et aussi de ses nombreux amis ». Après avoir refusé Neuvillette, non loin de Coulans, dans le canton voisin de Sillé-le-Guillaume, où il risquait d’être mal accueilli, Bouju accepta Saint-Aubin-des-Coudrais, 1190 hab., proche de La Ferté-Bernard.

À Saint-Aubin-des-Coudrais, toujours « actif et zélé », aimé de la plupart de ses élèves, l’instituteur Bouju exerça un grand ascendant sur la population et la municipalité. Politiquement engagé aux côtés des Démocrates-socialistes de La Ferté-Bernard, après les élections législatives des 13-14 mai 1849 il fut traduit, le 27 juillet, devant le comité d’instruction primaire de l’arrondissement de Mamers pour y recevoir un avis. Il promit d’en tenir compte mais n’en fit rien. Le 16 février 1850, dans le cadre de l’application de la loi Parieu du 11 janvier 1850, qui confiait pour six mois aux préfets le pouvoir de sanctionner les instituteurs pour raisons de morale ou/et d’opposition politique au parti de l’Ordre, le desservant de Saint-Aubin-des-Coudrais le dénonça au préfet de la Sarthe pour propagande hostile au gouvernement, fréquentation des cabarets où, disait-il, Bouju lisait à haute voix des journaux déjà condamnés tels le Bonhomme manceau, la Réforme, maltraitance d’enfants à qui Bouju parlait « en se servant d’expressions grossières », enfin pour avoir traité son supérieur hiérarchique de « tyran ». Plus tard il ajouta que Bouju faisait de la politique dans sa classe d’adultes en hiver. Envoyé sur place à la demande du préfet, l’inspecteur Dalimier écouta, réunis à la mairie, les membres du comité local d’instruction, dont le maire et le curé, et quelques conseillers municipaux. Tous firent preuve d’une grande réserve. Introduit, Bouju, s’adressant à l’inspecteur, se déclara victime de procédés dignes de l’ « Inquisition », terme que sous la pression des personnalités locales présentes il rétracta, de même celui de « tyran ». L’inspecteur rendit compte au préfet le 24 février : « Depuis quelques mois Bouju se calme. Il est difficile de prouver ce qu’on dit […] Le sieur Bouju a pris un tel empire dans la commune, il exerce sur les autorités locales une telle influence que M. le curé est obligé de garder le silence devant les autorités et d’user des plus grands ménagements. Toutes les sympathies sont pour l’instituteur […] il en abuse ; il méprise le curé ». Et l’inspecteur de conclure que Bouju, « ardent et irascible, pas toujours maître de lui », devait être éloigné. Le 12 mars, le comité d’arrondissement, par 8 voix contre 3, se rangea à cet avis, après avoir toutefois rejeté une proposition de révocation (9 voix contre 2). Le 16 mars, Bouju envoya sa démission au préfet qui la refusa. Peu après, « pour faits de propagande hostile au gouvernement », par exemple colportage de la pétition contre la loi électorale qui restreignait le suffrage universel, le préfet le suspendit de ses fonctions pour une durée de 5 mois. Au mépris de la loi du 11 janvier 1850 car en principe il était toujours instituteur public, mais conformément à des consignes lancées par la presse démocrate-socialiste, Bouju ouvrit une école privée à Saint-Aubin-des-Coudrais où un nouvel instituteur communal était annoncé. Cette dernière initiative motiva sa révocation (arrêté préfectoral du 3 juin suivant). À la mi-avril 1850, Bouju prononça un discours, jugé modéré par la police, aux obsèques de Laurent Couronne, ancien maire de Saint-Aubin-des-Coudrais, « estimé des pauvres ». En août, il s’installa à La Ferté-Bernard où, sous le nom de sa femme, il fonda une école privée. Celle-ci comptait 30 élèves à la fin d’octobre 1850.

Après le coup d’État du 2 décembre 1851, parmi les 199 Républicains condamnés par la Commission mixte de la Sarthe, 6 habitaient La Ferté-Bernard, dont Bouju condamné, le 19 février 1852, à « l’interdiction du département », sous l’inculpation : « agent de la Société démocratique, ardent, actif, incorrigible et dangereux ». En mai 1852, de Genillé (Indre-et-Loire), Bouju sollicita vainement une permission pour se rendre à La Ferté-Bernard où sa femme s’employait à vendre des terres dont elle avait hérité. Il résidait à Maintenon (Eure-et-Loir) lorsque fut proclamé le Second Empire (2 décembre 1852). Désireux de profiter de l’amnistie offerte par Napoléon III à cette occasion, il fit sa soumission au gouvernement et, n’ayant été l’objet d’aucune plainte, obtint sa grâce le 2 février 1853, restant toutefois sous la surveillance de la haute police. Lors de l’amnistie générale de 1859, Bouju et sa famille habitaient toujours en Eure-et-Loir, à Chartres. La famille s’installa ensuite à Paris. De Louis Bouju et de son dernier frère, Joseph, né en 1825 à Chantenay, tailleur d’habits comme leur père, marié en 1854 au Mans, établi ensuite à Écommoy (Sarthe) lieu de naissance de son épouse, puis à Paris, dans le 20e arrondissement, on ne sait lequel rejoignit l’autre dans la capitale.

Bouju résida dans le XIe arrondissement où il mourut le 24 avril 1871, et non le 7 mai 1873 comme porté dans l’inventaire du fonds des Archives nationales relatif à l’application de la loi de Réparation nationale du 30 juillet 1881 (cf. Denise Devos, op. cit. page 437). Les déclarants du décès furent ses deux fils. L’aîné était ébéniste, le cadet comptable. Tous les deux habitaient chez leurs parents. Conformément à la loi du 19 juillet 1871, l’acte de décès de Bouju, enregistré sous la Commune de Paris, fut annulé (acte dit « batonné ») puis refait (acte « rétabli ») le 28 mai 1873.

Comment interpréter la mention professionnelle « instituteur », sans plus de précisions, portée sur l’acte de décès de Bouju ? Allusion à sa formation initiale ? Bouju le redevint-il à l’occasion ? Donna-t-il des leçons particulières ? Dans la lettre de sa veuve et ses fils envoyée en 1881 à la commission chargée d’estimer le montant des pensions à verser au titre de la Réparation nationale, il n’est nullement question de profession : depuis « son expulsion de la Sarthe », lit-on, Bouju ne fit « que végéter misérablement jusqu’à sa mort […] Tout travail étant impossible à trouver, Madame Bouju a dû vendre une petite propriété lui appartenant en propre d’une valeur de 7000 F […] La ruine complète ».

La veuve de Bouju obtint une pension de 800 F. Souffrant de maux d’estomac, elle mourut le 22 juin 1882 à Paris, au domicile de ses deux fils, dans le quatrième arrondissement.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article27248, notice BOUJU Louis par Gérard Boëldieu, version mise en ligne le 20 février 2009, dernière modification le 17 mai 2018.

Par Gérard Boëldieu

SOURCES : État civil de Chantenay, de Sillé-le-Philippe, du Mans (consultés sur le site des Archives départementales de la Sarthe) ; état civil de Paris (consulté sur le site des archives de la ville de Paris). — Arch. dép. de la Sarthe : 1 T 961 (École normale du Mans, élèves) ; 1 T 103 (sur l’école de Sillé-le-Philippe avant 1850) ; 1 T 584 à 587 (rapports hebdomadaires des inspecteurs dont ceux de Dalimier en 1848), 1 T 92 (contient la lettre de 1848 de l’adjoint au maire de Coulans) ; 1 T 1244, 1 T 113, 1 T 563 (contiennent rapports et lettres relatifs à Bouju à Saint-Aubin-des-Coudrais) ; 1 T 614 Instituteurs punis depuis la loi du 11 janvier 1850 ; M 95 bis 19 Rapports des commissaires de police au préfet. Situation politique du département [1850-1852] ; 4 M 424 (signalement des condamnés par la Commission mixte de la Sarthe) ; 4 M 425 (devenir de ces condamnés jusqu’en 1858, lettres A à D). — Arch. nat. : F15 4081 (Sarthe), loi de réparation nationale du 30 juillet 1881, pensions obtenues. — Denise Devos, La Troisième République et la mémoire du coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte. La loi de réparation nationale du 30 juillet 1881, Paris, Archives nationales, 1992.

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