BRESSY Agathon

Né le 13 novembre 1806 à Arpajon (Seine-et-Oise), mort en Algérie où il avait été transporté après le coup d’État, sans doute en 1852. Médecin et oculiste, journaliste et révolutionnaire socialiste, organisateur des corporations rémoises, la plus forte organisation ouvrière de la Seconde République.

Médaille frappée en 1848
Médaille frappée en 1848

Membre de la Société des droits de l’Homme, il avait pris part, à Lyon, aux insurrections populaires de 1831 et 1834, avec Marc Caussidière* dont il était l’ami et qui l’utilisa comme chirurgien aide-major dans sa garde prolétarienne et mutuelliste. Compromis avec lui dans le grand procès d’avril 1835, il s’exila et voyagea à l’étranger. Il est difficile, sans avoir davantage d’explications, de partager les affirmations de Gustave Laurent qui prétendit, sans en apporter la preuve, que Bressy entra alors en relations avec Karl Marx, et précisa même qu’« il en étudiait et en répandait les doctrines ». Ce qui est plus assuré, c’est qu’il était le correspondant du journal néo-babouviste La Fraternité de 1845 et qu’il en partageait les idées communistes matérialistes.
En avril 1848, Caussidière l’appela à ses côtés, à la préfecture de police, en qualité de chirurgien de la garde républicaine, chargé du service de santé du bataillon des « Montagnards », caserné, rue Saint-Victor (XIIe arr., maintenant Ve). Un décret du Gouvernement provisoire, du 2 mai 1848, le nomma chirurgien aide-major de la garde républicaine. Il fut licencié le 16 mai 1848, comme tout ce corps. Il entra alors en rapports avec les démocrates rémois et vint se fixer à Reims, avec sa famille, 21, rue Talleyrand, où il donna des consultations.
Il acquit, rapidement, une très grande influence dans les milieux ouvriers de la ville. Sous sa direction, le 12 novembre 1848, se constituait un comité qui s’intéressa, tout d’abord, à l’élection du président de la République. Le 18 novembre, il paraissait pencher pour Ledru-Rollin*, puis, après avoir reçu une lettre de Proudhon*, discuta les candidatures de Raspail* et de Louis-Napoléon Bonaparte (20 novembre). le dimanche 9 décembre, le comité organisa, rue Saint-Nicaise, à Reims, un grand banquet populaire qui rassemblait plus de 4 000 ouvriers.
Bressy fit adopter le principe d’une vaste association rémoise, sur le modèle de celles qui avaient été tentées à Lyon en 1834, et groupant toutes les corporations ouvrières. On en dénombrait 21 dans la cité : chamoiseurs, charpentiers, chauffeurs, cordonniers, couvreurs, débitants, fileurs en cardé, fileurs en peigné, métallurgistes, maçons, menuisiers, peigneurs, peintres, tailleurs de pierre, tailleurs d’habits, teinturiers, terrassiers, trieurs, tisseurs, tondeurs et tonneliers. À l’approche de l’hiver 1848-1849, Bressy, Lecamp* et Courmeaux* fondèrent, également, la « Société rémoise d’assistance fraternelle » qui, selon Courmeaux, qui en rédigea les statuts, devait « venir en aide aux classes pauvres et réunir tous les prolétaires dans une commune pensée d’humanité et d’entraide sociale ».
Le 7 janvier 1849, Bressy annonça la parution prochaine de L’Association rémoise, journal fondé par les corporations. La feuille devait sortir chaque jeudi et chaque dimanche. La rédaction était installée, 6, rue du Cloître, à Reims. L’abonnement, pour la ville, était respectivement de 3 F, 6 F, 12 F par trimestre, semestre ou pour l’année. Pour la Marne et pour les autres départements les prix ci-dessus étaient majorés, respectivement de 2 et 4 F. Le prospectus du 7 janvier 1849, signé de Bressy, renfermait les lignes suivantes : « La propriété, pour nous, est inviolable et sacrée, le travail doit jouir du même droit [...] la politique du jour nous occupe peu [...] nous ne formulons aucune doctrine, nous voulons nous organiser par l’association [...] nous arriverons pacifiquement, logiquement à notre but : l’émancipation du prolétariat, comme la bourgeoisie a atteint le sien par les mêmes voies. » Dans son journal, Bressy défendit certaines idées des buchéziens et certaines idées de Proudhon. Le n° 1 du 11 janvier 1849, insérait un article de Bressy : « De l’association du travail », où il démontrait que l’association était le seul moyen, pour l’ouvrier, de devenir propriétaire de l’instrument de son travail. Et de citer l’exemple des succès remportés par les grandes entreprises capitalistes. Il affirmait également : « L’association hâtera l’avènement de ces résultats si désirés : la communauté intérieure, d’abord, et, comme complément, le libre échange. » Le n° 2, du 14 janvier 1849, s’élevait contre les articles 414, 415, 416 du code pénal punissant les coalitions d’ouvriers, et contre la doctrine du « laissez-faire, laissez-passer ». Le numéro suivant expliquait que la concurrence n’était qu’un piètre stimulant « qui ne pèse jamais que sur la main-d’œuvre, que sur le travail », et il soulignait que le but de l’union des corporations rémoises était de lutter contre la concurrence effrénée qui « frappe de stérilité notre production, porte la misère dans les campagnes comme dans les villes, fait mourir de faim le travailleur ». Le numéro du 15 février 1849, dans un supplément, publiait le rapport, lu le 16 janvier 1849, à l’Assemblée des délégués du Luxembourg, par le mécanicien Chipron, sur le projet de Proudhon de « Banque du peuple et Syndicats de la production et de la consommation ». Bressy approuvait chaleureusement ce projet, bien que, précisait-il, il ne partageât pas toutes les idées de M. Proudhon. Il publiait l’acte de société de la « Banque du peuple » et l’appel à la souscription des actions de 5 fr. Peu après, d’ailleurs, Bressy fonda, avec Lecamp, Génin* et Mandart*, une Banque du peuple à Reims, qui eut son siège dans les bureaux du journal, 6, rue du Cloître. Un article, paru le 18 février 1849, résumait parfaitement les opinions de Bressy : « Le socialisme, pour nous déclarait-il, consiste à faire supporter les impôts à ceux qui peuvent et doivent les payer, à organiser le travail industriel et agricole, afin que le travailleur ne périsse pas de faim et de misère. »
Le journal L’Association rémoise, dont Bressy était le rédacteur en chef et Lecamp le gérant, devait paraître jusqu’au 6 juin 1850 (204 numéros). Le fondateur aurait voulu que chaque corporation rémoise souscrivît au journal une ou plusieurs actions de 500 F, payables à raison de 50 F par an. Deux seulement purent le faire. On décida, alors, de remplacer cette souscription par une cotisation hebdomadaire de 3 ou 4 sous donnant droit à l’abonnement. Le journal eut rapidement 1 400 abonnés.
En fait, l’Association des corporations constituée par Bressy poursuivait, à la fois, des buts politiques et des buts économiques. Elle entendait pratiquer une besogne de solidarité « reconnue par tous les statuts des corporations rémoises pour les secours à accorder à tous les membres, soit en cas de chômage ordonné, soit dans le cas où des fonctions publiques et gratuites leur auraient été dévolues par leurs concitoyens ». En même temps, elle comptait faire de la propagande socialiste et prendre part aux luttes électorales. Bressy disait : « Ces corporations sont basées sur les principes de la solidarité et de la mutualité ; elles ont pour but l’émancipation du prolétariat et l’exploitation du travail par lui-même. » Il entra en relations avec la Commission du Luxembourg.
Dans le courant de 1849, les corporations rémoises groupaient déjà 5 000 membres actifs, habitant la ville et, en outre, environ 5 000 enfants mineurs, femmes, étrangers et citoyens non domiciliés. Chaque corporation était administrée par une commission de cinq membres qui présidaient, à tour de rôle, tous les mois. Un comité directeur central était composé de deux délégués ouvriers par corporation, et par les rédacteurs du journal qui n’avaient que voix consultative. Il devait se mettre en rapports avec toutes les corporations ouvrières de la ville et des communes environnantes et avec toutes les associations de France constituées sur les mêmes principes. L’Association rémoise des corporations avait à Reims l’appui du journal L’Industriel républicain ; à Paris, celui du Peuple de Proudhon, de La République d’Eugène Bareste de La Révolution démocratique et sociale, de Ch. Delescluze.
Pour la préparation des élections législatives du 13 mai 1849, le comité central se transforma en « Comité électoral permanent » sous la présidence de Bressy. Il soutint une liste de sept candidats comprenant, notamment, Allyre Bureau,* un phalanstérien, collaborateur de Considerant* à Démocratie pacifique, Ferdinand Flocon*, Ferrand*, Félix Pyat*. La liste obtint, à Reims, une moyenne de 5 000 voix et la réaction attribua ce succès, « à la belle organisation de Bressy », mais, dans tout le département, elle ne recueillit que 25 000 suffrages et aucun de ses candidats ne fut élu. Malgré le vent de réaction qui soufflait, alors, sur le pays, Bressy maintint son Comité électoral permanent à son siège, rue du Cloître, sous la présidence d’Eugène Courmeaux.
En même temps, l’Association des corporations inscrivait à son programme l’étude des questions d’enseignement, l’organisation d’un service médical pour les classes laborieuses, celle de l’assistance publique et d’une institution de crédit. Au comité de dix-huit membres qui la dirigeait figuraient Courmeaux, Bienfait, Louis Lecamp. Mais, surtout, la propagande de Bressy fut vive et agissante. Ses articles, lus et commentés en ville, remuaient profondément les masses prolétarisées des faubourgs. Il faut dire qu’ils proposaient des solutions immédiates et pratiques : création de boucheries, de boulangeries municipales au profit des corporations ouvrières, d’habitations à bon marché pour les tisseurs, etc. Au sein de l’Association des corporations fut effectivement créée une coopérative d’achats de denrées en commun. Le 23 novembre 1849, une boulangerie sociétaire était ouverte, 38, rue Fléchambault. Les tailleurs d’habits ouvraient un atelier de confection. La corporation des tisseurs organisait une société d’exploitation de son industrie et débitait ses produits. Enfin, des cours professionnels étaient institués par Bressy. Pour les faire vivre, il fit appel « à tous les citoyens animés du principe de fraternité et qui voulaient coopérer à l’affranchissement du prolétariat par leur initiative [...] afin de laisser toujours dominer la voix du peuple ».
En juin 1849, Bressy et ses amis rémois attendaient le succès de l’insurrection parisienne et, prévoyant une nouvelle révolution, se tenaient prêts à en prendre la tête. Le 12 juin, Bressy dirigeait la manifestation qui se déroula à Reims ; il fut reçu par la municipalité, en compagnie de Courmeaux, Henrot*, Bienfait*, Perin*, Gentil* et Durand* et lui remit une protestation signée en outre de Genin*, Damin*, Doudot*, Labasse*, Mandart*, Louis Lecamp, Beaumont*, Lejeune*, s’élevant contre l’expédition de Rome, réclamant la suspension du sous-préfet hostile aux organisations ouvrières et aux revendications prolétariennes, exigeant la reconnaissance, par les autorités rémoises, d’une République démocratique et sociale, comme étant conforme aux principes posés par la Révolution, demandant la distribution d’armes aux ouvriers et leur incorporation dans la garde nationale. On raconte que Bressy fit alors courir le bruit de l’arrestation et de l’emprisonnement à Vincennes du président de la République et celui de la formation d’une Convention nationale. Le 14, on apprit l’échec de la « journée » parisienne du 13. Bressy, Courmeaux, Bienfait eurent beaucoup de mal à calmer les ouvriers rémois et à éviter qu’une émeute ne se portât sur l’Hôtel de Ville pour le saccager. Le 16, arriva, de Paris, l’ordre d’arrêter « dix-sept des chefs socialistes rémois ». Bressy le fut, à Charleville, le 17, et ramené à Reims, dans la nuit du 19 au 20 juin. Une perquisition effectuée à son domicile, rue Talleyrand, provoqua de vives manifestations. Un cortège de plus de 200 ouvriers se forma et marcha sur l’Hôtel de Ville aux cris de « Vivent les Montagnards ! Vive Bressy ! »
L’instruction lui fit grief de ses relations avec Louis Blanc* et la Commission du Luxembourg, et avec Morizet*, ancien chef de bataillon de la garde républicaine de Paris, originaire de Reims, ami personnel de Ledru-Rollin et qui renseignait les démocrates de la ville sur les événements de la capitale. Dès le début des poursuites, le comité fondé par Bressy prit le nom de « Conseil central des corporations ». Le 18 août, le procureur rédigea son réquisitoire définitif. Bressy était poursuivi pour complot contre la sûreté de l’État et pour avoir fait partie de comités ou de cercles politiques, sans la permission de l’administration municipale.
Cependant, son journal, L’Association rémoise, continuait de paraître, Dans son numéro du 1er novembre 1849, il publiait un projet pour « solidariser » les associations ouvrières, prévoyant la création, par industrie, d’une fédération groupant les différentes associations d’entreprises, et celle d’un Conseil général de solidarité entre les différentes fédérations.
Le procès contre les socialistes rémois se déroula à Melun du 26 au 28 décembre 1849. Bressy y fut défendu par Jules Favre qui le dépeignit comme un « homme d’intelligence et de cœur » qui « instruit et moralise » les ouvriers. Tous les accusés furent acquittés. Dans sa prison, Bressy avait composé un « chant socialiste », « La Rémoise », qu’il data du 2 novembre 1849 et qu’il publiera dans son Almanach démocratique pour 1850. En voici le premier couplet avec le refrain :
Malgré vos cris, race jésuitique,
Nous travaillons à notre liberté.
Nous n’avons pas fondé la République
Pour être encore un bétail exploité.
Nous voulons tous avoir le droit de vivre,
Notre travail ne vous appartient pas
La France veut le prolétaire libre,
Nous garderons les produits de nos bras.
Refrain
Combattons l’aristocratie,
Comme Jésus, chassons les publicains,
Honneur à la démocratie,
Nous sommes tous républicains.
Rentré à Reims au début de 1850, Bressy lança son Almanach démocratique dans tout le département de la Marne. D’allure nettement socialiste, il réclamait la « République rouge » et publiait des chansons prolétariennes. L’Association des corporations reprit ses activités sous le nouveau nom de « Chambre du travail ». Elle groupait environ 1 700 adhérents payant une cotisation mensuelle de 1 sou. Se servant de ses titres d’oculiste et d’officier de santé, Bressy parcourait les campagnes pour faire de la propagande.
L’autorité poursuivait la lutte contre les associations ouvrières rémoises. En mars 1850, elle prit un arrêté d’expulsion contre les ouvriers étrangers qui y adhéraient. La loge maçonnique de l’« Union parfaite », à laquelle Bressy appartenait et où l’on étudiait les doctrines socialistes et communistes, fut fermée. Néanmoins, les corporations réussissaient à étendre leur influence sur plusieurs communes de l’arrondissement de Reims. Elles versaient des allocations aux chômeurs et surtout aux grévistes. En juin 1850, Bressy fut de nouveau inquiété, condamné à un mois de prison, pour un exercice de la médecine qualifié d’illégal et pour outrage à magistrat. Pendant un temps, l’association ouvrière rémoise dut cesser toute agitation. Il lui fut interdit de tenir des réunions. Un décret présidentiel du 26 décembre 1850 devait prononcer la dissolution des sociétés de secours mutuels établies à Reims, d’abord sous le titre de « Corporations réunies » puis sous celui de « Chambres du travail ». Le décret fait mention de treize corporations encore groupées à cette époque : les tisseurs, les trieurs, les teinturiers, les apprêteurs, les peigneurs, les tailleurs de pierre, les maçons, les menuisiers, les charpentiers, les ouvriers en métaux, les peintres, les terrassiers, les couvreurs. Rappelons qu’à l’origine, il y avait vingt et une corporations ainsi groupées.
En novembre 1851, la police signalait que Bressy était en correspondance avec les comités révolutionnaires de Londres et de Paris. Il fut arrêté le 4 décembre. Il avait rassemblé sur les remparts de Saint-Nicaise une foule considérable qu’il avait haranguée, qu’il avait cherché à soulever et qu’il se disposait à conduire à l’Hôtel de Ville pour s’emparer de l’administration municipale. Le rassemblement fut dispersé par la troupe et Bressy appréhendé. Le 8 décembre, une manifestation en sa faveur fut rapidement étouffée. Il faut dire que la Marne avait été l’un des 39 départements mis en état de siège. Le 16 février 1852, Bressy fut transféré à Châlons-sur-Marne, première étape de la transportation en Algérie où il devait mourir.
Voir Arnold Pierre*, Bérat*, Bienfait Jules*, Bisset*, Callay*, Dauphinot Ad.*, Dauphinot Jean,Simon*, Desmarets Jean-Étienne.*, Diancourt L.*, Doudot*, Douillat Rémi*, Dupont-Dupré*, Durand*, Farre*, Faure*, Génin*, Gentil François*, Henrot Alexandre*, Labasse*, Lecacheur*, Lecamp Louis*, Lejeune Alfred*, Lequin*, Mandart Baptiste*, Migeot Jean-Pierre*, Moret Armand*, Paris Auguste*, Dr Périn*, Rève*, Rohart*.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article27589, notice BRESSY Agathon, version mise en ligne le 20 février 2009, dernière modification le 7 février 2018.
Médaille frappée en 1848
Médaille frappée en 1848

ŒUVRES : Almanach démocratique pour le département de la Marne. Reims, s. d. (1850), in-8°, 116 p. — L’Association rémoise Journal du Travail, de l’Industrie, de l’Agriculture et du Commerce fondé par les corporations ; Reims, in-fol, 11 janvier 1849-6 juin 1850 (bi puis tri hebdomadaire). (A partir du 25 janvier 1849 : L’Association rémoise ; Journal fondé par les corporations. Politique, Travail, Industrie, Agriculture et Commerce). Bibl. Mun. Reims, CR. V. 1215 G.G.

SOURCES : Arch. Nat., BB 18/1473 (parquet, cours d’appel Reims), BB 30/363 ; BB 30/383 (Association rémoise) ; BB 30/394, 414 bis. — Arch. Min. Guerre, B 35. — Arch. Dép. Marne, 30 M 16 ; 30 M 17 ; 30 M 18. — Boussinesq et Laurent, Histoire de Reims depuis les origines jusqu’à nos jours, Reims, 1933, tome II, 2e partie.

ICONOGRAPHIE : Boussinesq et Laurent, Histoire de Reims depuis les origines jusqu’à nos jours, Reims, 1933, tome II, 2e partie, p. 631.

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