BUREAU Allyre

Né le 16 avril 1810 à Cherbourg (Manche), mort le 31 octobre 1859 à Kellum’s Springs (Texas). Polytechnicien et ami de Victor Considérant ; journaliste, publiciste et musicien. Arrêté et brièvement emprisonné après le 13 juin 1849 ; membre et dirigeant de la colonie fouriériste de Réunion.

Allyre Bureau naquit à Cherbourg où son père, Antoine Bureau, militaire de carrière et homme libéral, était alors en garnison. Élève brillant, après plusieurs années d’internat, il entra à Polytechnique en 1829. Sensible à la fermentation intellectuelle qui régnait alors dans les Écoles, ce fut avec fougue qu’il prit part à la Révolution de 1830 à l’occasion de laquelle il reçut la croix de Juillet. Pendant ces journées, voulant à toute force prendre part aux combats de rue, Allyre Bureau se serait enfui en sautant par une fenêtre de chez son correspondant, Guillaume Rey.. Affolée à la découverte de sa disparition, Zoé Rey, la fille de son correspondant, partit à sa recherche, le retrouva, et ils se fiancèrent sur une barricade. En décembre il signa la « protestation des Élèves de l’École polytechnique », publiée le 23, qui refusaient les remerciements de la Chambre après les manifestations contre l’issue du procès des ministres de Charles X. Sorti sous-lieutenant d’artillerie, il fut nommé à l’École d’application de Metz (1831) et c’est là qu’il fit la connaissance de Victor Considerant, de deux ans son aîné. Ce fut le début d’une amitié qui dura jusqu’à la mort. Désormais, Allyre Bureau appartenait au fouriérisme qui lui inspira trois articles pour Le Phalanstère. Six mois plus tard (juillet 1832), il démissionnait de l’armée et entrait au Conservatoire de musique. Pour vivre, il donna des leçons de musique et de mathématiques et mit des romances en musique. Il se lia avec les romantiques : Victor Hugo, Nerval, Célestin Nanteuil, Théophile Gautier, Alexandre Dumas, Liszt. En 1835, il épousa Zoé Rey et ils eurent trois fils et une fille. Il s’engagea alors comme violoniste au Théâtre Italien (ce qui l’amena à une prise de conscience des intérêts sociaux des artistes) en même temps qu’il collaborait à La Phalange (1836-1843). Il y tint le feuilleton musical, pressentant notamment le génie de Berlioz, alors si discuté. Opposé à la doctrine de l’art pour l’art, il voulait une musique utilisée à des fins sociales. Après 1840, il consacra aussi des articles de fond à la critique des abus de l’époque, s’attachant à chercher les racines du mal.

À partir de 1843, la Démocratie pacifique devint l’organe quotidien de l’école sociétaire, et Allyre Bureau fit partie des administrateurs du mouvement. Devenu le second de Considerant, il participa à l’évolution vers l’engagement démocratique. Enthousiasmé par la révolution de 1848, il y vit l’avènement du règne social grâce à la proclamation du droit au travail. Mais, fouriériste, il réclamait le progrès social sans spoliation et l’accession de tous à la propriété. Il était président de l’Association des musiciens de Paris, sorte de société de secours mutuels, dont les membres voulurent le porter candidat aux élections. À cet effet, Allyre Bureau rédigea une courte brochure, L’Art dans la République, où il réclamait la démocratisation de l’art, en particulier la nationalisation des théâtres et la fonctionnarisation des artistes. Il présidait d’autre part le Club des républicains socialistes.
Sa famille étant originaire de la Marne, il se présenta dans ce département. Sa candidature fut patronnée par le club rémois « Comité démocratique du faubourg Cérès » qui avait adopté pour programme était le manifeste électoral de la Démocratie pacifique (Allyre Bureau en était un des signataires). Il fit campagne comme socialiste phalanstérien, se défendant d’être communiste. Les candidats de gauche étant trop nombreux, les voix s’éparpillèrent et Allyre Bureau n’obtint que 6 206 suffrages sur 93 164 votants.

Appelé en 1849 par le Comité électoral des Corporations des travailleurs de Reims, il se présenta de nouveau aux élections, second sur la liste du « Comité central démocratique des Amis de la Révolution », de tendance socialiste, et recueillit 18 427 voix sur 77 308 votants. Son programme était beaucoup plus précis : sa candidature, comme les deux brochures qu’il avait publiées cette année (Plus de conscription, Plus de droits réunis), lui avaient permis de préciser sa pensée.

Héritier des grands principes de 89, il les porta jusqu’à leurs conséquences extrêmes. Voulant la liberté sous toutes ses formes, il précisait : « Si une guerre est réprouvée par le sentiment populaire au point qu’on ne puisse pas trouver assez de volontaires pour la soutenir, c’est que le gouvernement aura eu tort de la déclarer, et alors il sera bon et juste qu’elle ne puisse pas avoir lieu. » Il prônait aussi l’égalité devant la loi, devant le devoir militaire, et un enseignement gratuit et ouvert à tous. Fouriériste convaincu, il était disciple fidèle de la forme qu’avait donnée Considerant à la doctrine. Mais Allyre Bureau était aussi un homme de 48, réclamant l’émancipation de tous les opprimés : salaire suffisant pour les femmes, égalité dans le mariage, amélioration du sort des enfants et des vieillards, etc. Il croyait en la bonté naturelle de l’homme en particulier et du peuple en général, qu’il parait de toutes les qualités. Partisan de l’internationalisme pacifique, il souhaitait l’émergence d’une communauté internationale des travailleurs. Mais il manifestait aussi un souci de réalisation concrète et pratique dans ses conceptions économiques et sociales. Outre ses demandes d’organisation du travail, d’enseignement gratuit et ouvert à tous, il réclamait la nationalisation immédiate des chemins de fer, de tous les moyens et voies de communication, des mines, des banques, des assurances, etc. Pour les entreprises agricoles et industrielles, qui devaient rester privées, l’État agirait par commandite. Les ouvriers participeraient aux bénéfices. Partisan convaincu de l’impôt progressif sur le revenu. Allyre Bureau imagina une échelle qui exemptait les revenus les plus bas. Il demandait l’abolition des impôts indirects, remplacés par un impôt somptuaire sur les produits de luxe, ainsi que la suppression des octrois, la révision des tarifs douaniers, etc. Il réclamait une réforme du service militaire (enrôlement des seuls volontaires, primes de service, retraites) avec utilisation des soldats à des travaux d’utilité publique. Quant aux moyens d’action qu’il envisageait pour un tel programme, ils connurent une évolution. Allyre Bureau ne comptait au début que sur la force morale pour amener le triomphe du socialisme. Mais les événements lui montrèrent l’insuffisance de la seule arme idéologique.

Lors de l’affaire du 13 juin 1849, il fut arrêté en sa qualité de membre du Comité de la Presse démocratique et sociale et pour avoir assisté aux réunions préparatoires de l’insurrection. Il demeura cinq mois en prison avant d’être jugé en Haute Cour à Versailles et finalement acquitté. En 1850, il se présenta à des élections complémentaires dans le Cher, avec son ami Guérin, pour remplacer deux contumax du 13 juin, Félix Pyat et L.-L. Vauthier. Le parti de l’ordre organisa une campagne très violente contre eux et ses candidats furent élus, mais Allyre Bureau avait néanmoins recueilli plus de 25 000 voix.

Considerant et Cantagrel s’étant exilés en Belgique pour ne pas être condamnés, ce fut lui qui prit en charge l’administration de l’école sociétaire et la direction du journal. En même temps qu’il assurait une bonne part de la rédaction, il devait faire face aux difficultés qui frappaient la Démocratie pacifique : problème du financement et de la censure, ce qui l’amena à un « parti-pris de quasi-abstention politique » (lettre du 20 janvier 1851), jusqu’à ce que le journal disparaisse, le 30 novembre 1851. Devant l’échec de l’engagement politique, il allait contribuer à ramener l’école aux fondements de la doctrine sociétaire, avec le désir de l’expérimentation pratique : « La campagne théorique pure peut être regardée comme close » (lettre du 16 mai 1852).

Pendant que Bureau procédait à la liquidation des diverses sociétés appartenant à l’École et se délassait en se livrant à des expériences de spiritisme, Considerant était parti en éclaireur pour les États-Unis. Pour construire la commune de ses rêves, « champ d’asile » ouvert à tous les socialistes, il avait choisi le Texas. Il suscita un tel enthousiasme que dans tous les milieux, des centaines de personnes s’offrirent à partir. Une société de colonisation (commandite par actions) se fonda à Bruxelles, le 26 septembre 1854. Allyre Bureau en fut le premier gérant, secondé par Guillon et Godin-Lemaire. C’était l’époque où il traduisait les romans de Mayne-Reid et mettait en musique de très nombreux chants socialistes écrits par Eugène Pottier, auteur de l’Internationale.

Considerant était installé au Texas et avait fondé la colonie de « Réunion », à trois kilomètres de Dallas. Les responsabilités en Europe reposaient sur la gérance qui, en s’appuyant sur les nouvelles reçues de la colonie, rédigeait un Bulletin destiné à informer les actionnaires. Devant les difficultés qui s’accumulaient (terres achetées très cher, manque d’argent, très dures conditions climatiques), Considerant quitta Réunion, en abandonnant la direction au seul Cantagrel. La gérance prit alors des mesures énergiques et décida de dépêcher sur place Allyre Bureau qui pratiquait parfaitement l’anglais. Il embarqua avec sa famille le 25 septembre 1856 sur le François Arago, et arriva à La Nouvelle-Orléans le 4 décembre. Il y séjourna une semaine. Le 19 du même mois, il rallia Austin (Texas) en diligence. Tandis que sa famille s’installait dans cette ville, Allyre Bureau se rendit à San Antonio le 23 pour y rencontrer Considerant, dont l’idée semblait être de liquider l’expérience de Réunion pour en tenter une nouvelle dans les cañons d’Uvalde. Puis Allyre Bureau partit pour Réunion, où il arriva le 17 janvier 1857. Consterné par la situation qu’il y découvrit, abattu, tiraillé, ballotté entre les intérêts des actionnaires et ceux des colons, il finit par tomber malade. Averti, Considerant ne jugea pas à propos de revenir le rejoindre à Réunion, mais s’y fit représenter par le fidèle Vincent Cousin. Allyre Bureau prononça alors la liquidation du centre collectif et remboursa, de leurs avances et de leur travail, les colons en terres, outils et bestiaux. Le 28 janvier 1857, une affiche signée Allyre Bureau annonçait que la colonie était dissoute et que les affaires seraient reprises en main par la Société générale. Puis il tomba en état de prostration. Avertie par le Dr Savardan, Mme Bureau se rendit à Réunion. Elle y arriva le 4 mars 1857 puis repartit pour Austin en compagnie de son mari deux jours plus tard. Le 25 mai, ayant récupéré, Allyre Bureau alla passer trois semaines avec Victor Considerant, participant à une expédition pour visiter les cañons d’Uvalde. En novembre, il entreprit un voyage Austin-Houston.

Dans les premiers jours de janvier 1858, Allyre Bureau revint s’installer à Réunion, où il avait fait l’acquisition de trois terrains. Il apportait avec lui tous ses meubles venus de Paris, y compris un piano (qui ne fut pas comme on l’a dit le premier piano de Dallas, le rédacteur du Dallas Herald en ayant acquis un dès 1849). Il reprit alors avec Vincent Cousin l’administration de Réunion, où toute sa famille s’installa courant avril.
Aidé par ses fils, Allyre Bureau cultivait alors la terre, tout en s’efforçant d’animer la vie artistique et culturelle de la communauté. Chargé de l’administration et de la gestion du magasin (dernier vestige du centre collectif), il se rendait deux ou trois fois par an à Houston pour y faire des achats. C’est à l’occasion d’un déplacement dans cette ville qu’il contracta le choléra en octobre 1859. Il mourut en quelques jours, loin des siens, sur la route du retour.

Privée de ressources, sa famille décida alors de retourner s’installer en France.

En 1874, Zoé Bureau était toujours en contact avec Amédée Simonin à New York.

Allyre Bureau inspira une vive sympathie à ses contemporains qui, tous, s’accordèrent à reconnaître en lui des vertus morales exceptionnelles, alors que lui-même les considérait comme inhérentes à l’homme.

Voir Croutelle* (neveu).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article27871, notice BUREAU Allyre , version mise en ligne le 20 février 2009, dernière modification le 17 janvier 2014.

ŒUVRES : En dehors des œuvres citées ci-dessus, Allyre Bureau, qui a écrit de très nombreuses compositions musicales gravées ou inédites, élaboré des manuels et fait des traductions, a publié des articles dans le Phalanstère, la Phalange, la Démocratie pacifique, le Bulletin de la Société de colonisation européo-américaine du Texas, le Bulletin du Mouvement sociétaire en Europe et en Amérique.

SOURCES : On se reportera à l’ouvrage de Gabrielle Rey : Le Fouriériste Allyre Bureau (1810-1859), Aix-en-Provence, 1961, Thèse de lettres. Mme Rey, qui nous a fourni tous les éléments de cette biographie, a notamment utilisé les archives familiales, les archives de l’école sociétaire (Arch. Nat. 10 AS 28 à 42), la collection Lovenjoul, trois affiches électorales conservées à l’Institut français d’Histoire sociale (cote 14 AS), la notice biographique parue dans Tribune des Peuples, 22 octobre 1849, et l’étude de G. Renard, « Une candidature phalanstérienne dans la Marne », dans La Révolution de 1848 et les révolutions du XIXe siècle, t. IV, n° 22. — Le Globe, 23 décembre 1830. — Le Devoir, septembre 1901. — Fonds Simonin, Library of Congress. — Notes de M. Cordillot et de Guy Clermont.

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