BÜRKLI Karl

Par Michel Cordillot, Soulas de Russel

Né le 30 juillet 1823 à Zürich, mort le 20 octobre 1901 à Mettmenstetten (Zürich). Tanneur, puis administrateur de coopératives. Fouriériste, membre et dirigeant de la colonie de Réunion (Texas) ; homme politique suisse, membre de l’AIT.

Issu d’une famille patricienne très aisée et destiné à une carrière militaire, il était entré à 17 ans à l’École militaire de Zürich, véritable Saint-Cyr helvétique. Mais, doté d’un caractère très affirmé, Karl Bürkli interrompit cette formation à la discipline des armées pour laquelle il ne se sentait pas fait et, à la grande déception de son père, déclara vouloir devenir tanneur-corroyeur.
Après de dures conditions d’apprentissage, il entreprit un voyage de compagnonnage à Lausanne et Genève, puis Lyon (Rhône), Marseille (Bouches-du-Rhône) et Paris. À Lausanne il participa aux discussions de l’Arbeiterverein au sujet de l’ouvrage de Wilhelm Weitling, Garantien der Harmonie und Freiheit. A Paris, il se montra désireux à la fois d’approfondir les connaissances théoriques nécessaires à son métier et peut-être encore davantage de se cultiver, de s’abreuver aux sources françaises des idées nouvelles. À la Sorbonne, où il suivait entre autres les cours du soir du chimiste Dumas, et l’un de ses condisciples, un Guadeloupéen (s’agissait-il de Dubreuil ? voir ce nom), lui fit lire en 1846 la brochure de Mathieu Briancourt*, L’Organisation du Travail et l’association, puis Solidarité, vue synthétique de la doctrine de Fourier d’Hippolyte Renaud*. Ces deux ouvrages furent pour lui une révélation. Enthousiasmé, il se mit à fréquenter les cercles fouriéristes, où il fit la connaissance de Considerant qui exerça sur lui une fascination sans borne. Cette découverte initiatique, de rare qualité, de l’idéologie de Fourier eut chez Karl Bürkli l’effet d’un coup de foudre, qui le détermina à se vouer aux idéaux fouriéristes et à ceux du grand mouvement social français.
Ayant repris son voyage, vers le milieu de 1847, Karl Bürkli parcourut l’Angleterre, la Belgique et la Hollande pour arriver dans sa ville natale la veille de la révolution de Février. Il créa aussitôt un atelier de tanneur, mais réalisa très vite que des capitaux importants lui étaient nécessaires. Parallèlement, il commença son travail de propagande socialiste, notamment au sein du Grütliverein, association créée en 1836, en développant les théories de François Coignet* dans son ouvrage, De la réforme du crédit et du commerce, paru en 1849 et prônant la vie associative.
Avec J.-J. Treichler et quelques membres du Grütliverein, il créa en 1851 un Konsumverein (Association de consommation), au départ pour l’achat de cigares et de serviettes, qui devint rapidement la plus importante d’Europe, mais l’obligea à abandonner la tannerie. En même temps, il réussit à conquérir un siège au Grand conseil de Zurich.
Toutefois, lorsque Considerant entreprit de fonder sa colonie fouriériste en Amérique et malgré l’énorme succès de son Konsumverein, Karl Bürkli n’hésita pas un instant à répondre à son appel, et fut associé à l’élaboration de la Convention provisoire destinée à servir de charte à la future colonie sociétaire de Réunion. En Suisse, il se mit en devoir de collecter des fonds (plus de 150 000 F au total), traduisit à des fins de propagande, avec Gaspar Baer, la brochure Au Texas, et prit finalement la tête du groupe de trente et un phalanstériens helvétiques qui embarqua à Brême le 2 avril 1855 pour rejoindre Réunion. Il y arriva le 5 juillet, en compagnie de vingt-six compatriotes, car une fois en Amérique, il avait estimé que cinq des membres du groupe n’étaient peut-être pas « aptes aux rudes travaux des commencements ».
Dès la publication des statuts de la Société de Réunion, il fut choisi par Considerant pour faire partie du Conseil de direction. Mais six mois plus tard, ce dernier ayant refusé son accord pour la mise en route d’une tannerie, Karl Bürkli, découragé, quitta la colonie et partit pour l’Amérique centrale où il mena une existence errante jusqu’à l’été 1858. Il rentra alors en Suisse.
En 1861, il fut à l’origine de la fondation à Zürich du premier syndicat des tailleurs de pierre. Grâce à l’aide de ses fidèles amis suisses, il put alors retrouver à Zürich son poste de responsable au Konsumverein. Mais, bien qu’étant resté un « phalanstérien endurci, excellent homme [...] revenu avec une fois intacte », il ne sut pas renouer avec l’ambiance si fructueuse d’antan. Des dissensions personnelles et politiques opposaient de plus en plus Karl Bürkli, soutenant l’idée de Coignet de création d’entrepôts étatiques, à son ancien ami J. J. Treichler, d’option résolument libérale et farouchement, qui n’hésita pas à employer des méthodes sournoises pour conduire Karl Bürkli à quitter le Verein. Il ne put mener à bien son rêve audacieux de développer l’association zürichoise bien au-delà des fournitures de pain, de café et de savon à bon marché.
Il prit avec son frère un restaurant qui devint rapidement le quartier général des démocrates et se voua à la politique avec l’idée de promouvoir les conditions favorables à l’amélioration du sort des ouvriers. En juillet 1863, il participa à La Chaux-de-Fonds à un congrès démocratique convoqué par le comité central de la Helvetica de Berne. Il en sortit une « Association pour la création de congrès démocratiques ». Parmi les treize membres de son comité central, figurait Johann Philip Decker et Karl Bürkli. Ce dernier fut aussi un des tout premiers adhérents de l’AIT en Suisse et fut l’un des fondateurs de la section de Zürich, où tout le monde le surnommait « le chef de tribu » ou « le Texan ». Cette section le délégua, de même que la section de Wetzikon, au Congrès de Genève de 1866. Il participa aux travaux de la commission chargée de rédiger les règlements de l’Internationale. L’année suivante, il participa au congrès de Lausanne et fut l’un des quatre secrétaires du congrès. Au congrès de Bâle (1869), soutenu pas divers délégués allemands (Rittinghausen, Liebknecht), il souleva la question de la législation directe, laquelle ne figurait pas à l’ordre du jour. Bakounine* s’éleva contre cette proposition, qui fut alors rejetée.
La scission puis la disparition de la Première Internationale ne modifièrent pas ses convictions. Il accepta en 1880 d’être le correspondant à Zürich de la Revue Socialiste de Benoît Malon*. Toujours très actif au sein du parti socialiste suisse, consacrant les dernières années de sa vie à la rédaction d’ouvrages sur des sujets sociaux, il participa en 1893 au Congrès de Zürich de la Deuxième Internationale, y faisant une fois encore l’apologie de Fourier. Il mourut d’une infection pulmonaire.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article27883, notice BÜRKLI Karl par Michel Cordillot, Soulas de Russel, version mise en ligne le 20 février 2009, dernière modification le 19 août 2016.

Par Michel Cordillot, Soulas de Russel

ŒUVRE : Traduction de la brochure de Considerant Au Texas, sous le titre de Auswanderung nach Hoch-Texas, Zürich, Orell Füssli, 1855.

SOURCES : Congrès ouvrier de l’Association internationale des travailleurs tenu à Genève du 3 au 8 septembre 1866, Genève, impr. J. C. Ducommun et G. Dettinger, in-8°, 30 p. — P. Lang, Karl Bürkli. Ein Pionier des schweizerischen Sozialismus, Zürich, 1925. — H. Faucherre, Umrisse einer genossenschaflichen Ideengeschichte, Bâle, 1927. — H. Faucherre, « Bürkli », in Internationales Handwörterburg des Genossenschaftwesens, Berlin, Tomianz, 1928. — H. E. Mühlemann Anfänge der schweizerischen Konsumgenossenschaftsbewegung, Thèse, Bâle, 1939. — H. Handschinn, H.E. Mühlemann et W. Rüf, Die Genossenschaftsbewegun der schweitzerischen Konsumenten, Bâle, 1941. — H. Handschinn, Der Verband schweizerischen Konsumverein (VSK), 1890-1953, Bâle, 1954. — H. Faust, Geschichte des Genossenschaftsbewegung, Francfort/Main, 1977. — F. Leichsenring, Stefan Gschwind, ein praktizierender Genossenschaftsbewegung Genossenschaftler und Sozialreformer, Nürtingen, 1986. — K. Pettermand, « Die schweizerische Konsumgenossen-schaftsbewegung », in Schriften des Vereins für Sozialpolitik, 150e vol., 3e partie. — Michel Cordillot, « Biographie de Karl Bürkli », Cahiers Charles Fourier, n° 4, 1993. — Notes de D. Soulas de Russel

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