Par notice complétée par Gauthier Langlois
Né le 5 septembre 1796 à Rouen (Seine-Inférieure), mort le 17 mai 1860 à Paris (XVIIe arr.) ; fabricant de produits chimiques et homme de lettres parisien ; membre de sociétés républicaines, quarante-huitard ; opposant au coup d’État du 2 décembre 1851, il fut expulsé et se réfugia à Jersey.
Il avait épousé, Sidonie, rentière née vers 1825, fille de François Eugène Auguste Pompée de Félix de la Motte et de Caroline Adèle van den Cruyce. Son beau-père était un ancien major et propriétaire dans le département du Nord. Sa belle-mère, plus connue sous le nom de Coralie de Félix de la Motte, était femme de lettre et résidait à Bruxelles. On lui doit une comédie et des chansons.
Des chansons contre les Jésuites valurent à Joseph Cahaigne un mois de prison pour « outrage » en 1826. Il était membre de la Société des Amis du Peuple. Ayant échappé à l’arrestation collective du 1er juin 1832, il fut l’un des signataires de la protestation du 3 juin 1832 et participa à la mise en place de l’émeute des 5 et 6 juin.
En 1848, rédacteur en chef de La Commune de Paris, il fut dépossédé de ce journal par Sobrier, qui profita de son départ pour Poitiers, où il présentait sa candidature à l’Assemblée nationale.
Le 15 mai, il se contenta de se rendre à la Chambre sans manifester, puis au siège du journal, 16, rue de Rivoli. Là, il se désolidarisa de la manifestation. Il ne continua cependant pas la publication du journal, qui cessa le 19. Le 23 juin, cet artilleur de la garde nationale, qui n’était pas armé, s’abstint de rejoindre son unité et se trouvait avec le colonel de la IIIe légion, place des Saints-Pères. Il gagna Montmartre où il prétendit avoir passé la nuit. Le 24 au matin, on le retrouve à la barricade de la barrière Rochechouart, mais il ne participait pas à l’insurrection. Il fut pourtant arrêté. En relations étroites avec Recurt, Ulysse Trélat et la famille Cavaignac, il fut libéré, en septembre 1848, de la détention que lui coûta surtout sa mésintelligence avec son propriétaire. En 1850, il fit partie du Comité électoral socialiste et en 1851 du Comité central de Résistance (Voir Greppo Louis, Pensée), d’où son arrestation préventive au petit matin du 2 décembre 1851.
Interné dans la prison parisienne de Mazas, il fut transféré au fort d’Ivry puis de là au Havre, dans un convoi de prisonniers destinés au bagne de Cayenne. Le 10 janvier 1851 il embarquait dans le navire Canada et fit la traversée jusqu’à Brest dans des conditions épouvantables, entassé avec 103 autres forçats presque sans air, sans eau et nourriture dans un réduit de 63 m2. Arrivé à Brest il fut transbordé avec ses compagnons dans le navire Duguesclin, en instance de départ pour la Guyane. Rendu malade par les conditions de sa captivité, il fut transféré en février dans l’hôpital militaire de Brest où séjourna au moins jusqu’au 1er mai. Entre-temps il avait appris que sa condamnation au bagne avait été commuée en expulsion. Après une étape à Landivisiau il se rendit à Londres où il publia les poèmes et les notes qu’il avait écrit pendant sa captivité : Une voie de proscrit. En octobre 1852 il était l’un des 150 proscrits présents à l’enterrement du député Frédéric Gournet. Le cortège funéraire était précédé de la bannière rouge avec un crêpe noir et l’inscription « République démocratique et sociale ».
Il se réfugia alors dans l’île de Jersey où il s’engagea activement dans les activités politiques des proscrits. Il devint rédacteur de L’Homme de Ribeyrolles, côtoya régulièrement Victor Hugo et fut plusieurs fois le porte-parole des proscrits, notamment lors des célébrations d’anniversaire de la révolution de 1848. Le 21 octobre 1853 il présidait l’assemblée générale des proscrits républicains de Jersey qui déclara le sieur Julien Hubert comme espion et agent provocateur de la police de Napoléon III. Il fit partie des 35 proscrits qui signèrent, le 17 octobre 1855, la protestation rédigé par Victor Hugo contre l’expulsion de Jersey de Charles Ribeyrolles, du colonel Louis Pianciani et de Philippe Thomas. Cette signature lui valu, comme tous les autres, l’expulsion de l’île. Avant de partir, il laissa ce mot sur l’album de photos et souvenirs offert par les Hugo et leurs proches à leur ami, le centenier Philippe Asplet :
« Lorsque je pris parti pour la République, j’avais profondément étudié la question sociale. La République devint pour moi la représentation aussi exacte que possible de tout ce que les hommes peuvent désirer de bien, de beau, de grand. - En face des ignominies du régime monarchique, je ne me dissimulai pas les dangers de la route. la vérité, la justice, le sentiment, parlèrent plus haut que toutes les inspirations personnelles. Homme de devoir, je laissai derrière moi toutes les précautions, toutes les craintes, -fais ce que dois, me dis-je, advienne que pourras. Saint-Hélier, octobre 1855. »
Avec sa femme, Cahaigne suivit les Hugo et s’installa à Guernesey. Toujours ami de Victor, il reçut l’aide du poète qui, en 1857, paya sa caution alors qu’il était emprisonné pour non-paiement d’arriérés. En janvier 1858, le poète achève même « d’éteindre sa dette » avec l’aide de deux autres proscrits.
Le « vétéran de la République », comme le nommait Charles Hugo continuait à participer à des activités politiques, notamment en se rendant à Londres aux réunions du Comité révolutionnaire où il était sous la surveillance de la police du Second Empire. Voici comment, en octobre 1858, un mouchard au service de Bonaparte, qui se disait correspondant parisien du Morning Herald, discréditait ce comité dans les journaux londoniens :
« (...) Le comité révolutionnaire n’est pas du tout meilleur que la Marianne, et si son objet est différent, il est également sans scrupules quant aux moyens qu’il emploie. On dit que peu de temps avant janvier, les sections, dirigées par Louis Blanc et Ledru-Rollin, se sont associées au comité révolutionnaire pour une action en commun. Victor Hugo, a-t-on dit de bonne foi, a fait un don de 10 000 francs à la caisse du comité révolutionnaire, et dirige les sociétés secrètes de Guernesey et de Jersey, qui sont en relation confidentielle avec celles qui ont leur siège à Londres. Le comité révolutionnaire est lié au « Bureau de l’Imprimerie universelle » de Zeno Swietoslawski, Rupert-street, Hay Market. Des brochures dans toutes les langues y sont publiées, avec si peu de secret qu’elles sont placées devant la fenêtre. Par curiosité, j’ai assisté à la séance publique de cette assemblée révolutionnaire. L’endroit où se tenait la réunion était une sorte de cave ; une pancarte, imprimée en lettres rouges, était placée à la porte, invitant le public à venir participer à la « fête républicaine ». Quatre tables oblongues occupaient le centre de la pièce, couvertes de cruches de gin, de bière et de brandy. Du tabac et des pipes furent également fournis. Un vieux réfugié français, enroué par l’abus de liqueurs alcoolisées, ouvrit la séance par un discours furieux, ne s’interrompant que de temps en temps pour se jeter un petit verre dans le gosier. Son public le désignait familièrement comme « Le Père Cahaigne ». Il m’a été décrit comme un ancien journaliste parisien. Un ancien rédacteur en chef de la Réforme, Ribeyrolles, entra dans la salle déjà en état d’ivresse, brailla une allocution parsemée de serments de la plus grossière description, puis s’assit pour faire de nouvelles recrues à l’aide d’une bouteille de cognac. La plus grande partie du public, composée d’ouvriers à longue barbe et aux cheveux non peignés, vêtus de chemisiers souillés et déchirés, se jetaient comme des loups affamés sur les bouteilles d’eau-de-vie. Après les discours, les débats se sont terminés par un chant. Le président, le susdit Cahaigne, a hurlé une chansonnette dont le refrain était « Frères, il faut du sang ». Alors que la séance tirait à sa fin, le président citoyen est tombé sous le coup d’un réfugié en état d’ébriété appelé Vincent, et ils se donnaient encore des coups de poing en quittant les lieux. »
C’est sans doute à la suite de l’amnistie de 1859 que le couple Cahaigne rentra en France. L’année suivante il était établi à Paris au 47 Grande rue quartier des Batignolles (XVIIe arr.). Joseph mourut au domicile conjugal et fut enterré le 19 mai 1860, oublié et dans la plus grande indifférence, dans la fosse commune du cimetière des Batignolles.
Par notice complétée par Gauthier Langlois
SOURCES : Notice auteur de la BnF. — Arch. Min. Guerre, A 2114 et B 330. — Arch. PPo, A a/428. — Arch. privées de la famille Alavoine-Baudains, Liste établie par Eugène Alavoine après 1870. — Maison de Victor Hugo - Hauteville House, Album Asplet, folio 13, photographie du proscrit Cahaigne. — A la France. L’agent provocateur Hubert, Jersey : imp. universelle, [1853]. — Victor Hugo, « 1853-L’espion Hubert », Oeuvres inédites de Victor Hugo. Choses vues, 1888, p. 291-330. — Le Temps, 4 août 1883. — J.-Cl. Caron, La société des Amis du Peuple (1830-1833), mémoire de maîtrise, sous la direction de Louis Girard, Paris IV, 1978. — Ph. Matthey, Les membres des sociétés secrètes républicaines parisiennes sous la monarchie de Juillet, mémoire de maîtrise sous la direction de Philippe Vigier, Paris X, 1986. — Jean-Claude Farcy, Rosine Fry, « Cahaigne - Louis Joseph Antoine », Poursuivis à la suite du coup d’État de décembre 1851, Centre Georges Chevrier - (Université de Bourgogne/CNRS), [En ligne], mis en ligne le 27 août 2013. — Thomas C. Jones, « A “coup d’État” in Jersey ? », Diasporas, n° 33, 2019, En ligne. Notes de Rémi Gossez et Jean Risacher.