CALLAND Victor

Né en 1807, en Flandre, dit-on, mort le 22 août 1865 à Jouarre (Seine-et-Marne). Architecte et propriétaire foncier. Publiciste socialiste chrétien d’affinités fouriéristes.

Il appartenait à une famille aisée et perdit son père peu après sa naissance. Sa mère se remaria et, en 1815, le mit au collège, où il devait rester dix ans, et où, surtout après la mort de sa mère (1822), il apprit à détester le régime universitaire, ce qui explique peut-être pourquoi, en 1846, on le verra combattre pour la liberté de l’enseignement. Il entra à l’École des Beaux-Arts, dans la classe d’architecture, encore que ses goûts l’eussent poussé plutôt vers la peinture. Il en profita pour lire énormément : 20 000 volumes, paraît-il. Il traversa une crise de doute et, selon son propre aveu, se livra « à la sensualité, cet horrible monstre ».
Il fréquenta les milieux fouriéristes et, en 1837, au bureau de La Phalange publia un Hymne à la femme par un phalanstérien. Il s’y montrait hostile à l’indissolubilité du mariage et stigmatisait l’ordre social qui livre la femme à la prostitution. Il se convertit au catholicisme à la fin de 1837 ou au début de 1838. Le 15 septembre 1838, en effet, alors qu’il était aux Beaux-Arts, il fit paraître une Initiation à ma vie intellectuelle et religieuse, où il parlait de sa foi nouvelle. Sa conversion n’entraîna pas de rupture complète avec les fouriéristes. C’est que Calland avait bien connu Fourier qu’il jugeait « le plus grand et le plus profond de tous les économistes modernes ». Il croyait que la doctrine du phalanstère et le christianisme ne pouvaient que gagner à s’épauler mutuellement. Néanmoins, il vivra désormais à l’écart de l’école fouriériste.
Comme Robert Owen, il pensait qu’il était nécessaire de réformer la société par l’éducation. Dès avant sa conversion, il avait d’ailleurs rêvé de créer une sorte de collège « rural » d’esprit fouriériste. Il entreprit, à pied, un voyage d’étude qui le conduisit dans le Nord-Ouest, puis l’Est de la France, en Belgique, en Hollande et en Rhénanie. Il resta plusieurs mois dans les fermes-écoles de Grignon, de Roville, de Mesnil-Saint-Firmin. Sur la question de l’enseignement agricole, il rédigea alors un important traité, resté à l’état de manuscrit. Il songea, ensuite, à créer une sorte de phalanstère catholique adapté au XIXe siècle : le « Palais de Société », où logeraient 1 000 personnes, sans compter le personnel de service, au milieu d’un domaine de 500 à 1 000 hectares. Le 15 septembre 1846, il adressa à Louis-Philippe le projet de fondation du premier « Palais de Société », qu’il envisageait d’installer à 20 lieues de Paris, par exemple dans sa propriété de Beau-Site près de Jouarre (Seine-et-Marne). Il voulait y accueillir toute personne ayant 600 à 800 francs de rente. Cette institution devrait servir de modèle à la future association des travailleurs, qu’on constituera « quand le problème de l’édification du travail aura été résolu, non d’après les rêveries dangereuses de quelques socialistes, mais par l’esprit vivifiant de la charité chrétienne, cette loi immortelle du monde moral ». Il préconisait de la sorte la construction de 3 000 palais pouvant abriter 3 millions de personnes servies par 500 000 domestiques élevés à la dignité de fonctionnaires. Il affirmait à Louis-Philippe que c’était le seul moyen d’endiguer les futures révolutions.
Il entendait également agir sur les esprits par la presse à qui, la même année (1846), il consacra deux brochures : Du journalisme. Moyen infaillible pour le détruire et le régénérer en trois mois, et De la presse comme moyen providentiel de régir le monde au XIXe siècle. Dans ces deux opuscules, il développait l’idée qu’il faut « régénérer la presse par la charité ». Sans aller jusqu’à considérer leur auteur comme un des siens, Démocratie pacifique les salua chaleureusement.
Ses affinités fouriéristes, du reste, Calland ne les cachait pas. Il disait en 1840 dans sa Charte divine ou Théorie de l’ordre providentiel du monde qu’il « avait cherché à concilier les tendances du théoricien avec l’ordre spirituel chrétien et avait accordé une grande importance à la théorie de l’attraction passionnelle qui, selon lui, se manifeste en trois domaines : le sensualisme qui vient de l’instinct de conservation des corps, le spiritualisme qui vient du désir de conservation de l’âme, le socialisme qui vient du désir de conservation de l’espèce. »
Calland accueillit avec enthousiasme la révolution de Février. Dès le 28, il fit placarder une affiche : Aux catholiques républicains. Science de la politique, extraite d’un de ses manuscrits : La théorie du christianisme, mais qui, en fait, ne fournissait pas de solution à la question sociale. Le 16 mars 1848, il publia une Profession de foi adressée à tous les électeurs du département de Seine-et-Marne. Il y ébauchait un système de grands travaux, d’impôt progressif, de crèches pour l’enfance, de chauffoirs pour les voyageurs, de cours d’adultes où l’on enseignerait l’histoire et la morale, de collèges agricoles avec fermes modèles, de banques cantonales, etc... Il disait notamment : « N’oublions pas les travailleurs : ils doivent être surtout représentés dans la prochaine assemblée. Trop longtemps les directeurs des peuples ont méprisé le travail du peuple. Que le travail désormais soit saint et béni ; comme l’égoïsme, la paresse est un crime. Bientôt, l’association de toutes les forces sociales, de toutes les activités légitimes et de toutes les productions nécessaires, l’association, dernier mot du siècle, donnera au travail sa solennelle et religieuse consécration. »
En 1849, Calland fut candidat aux élections législatives dans le département de Seine-et-Marne ; il ne fut pas élu. À partir de juin de la même année, il collabora à la Revue des Réformes et du Progrès. En janvier 1850, il fonda la Revue du Socialisme chrétien qui ne connaîtra que sept numéros (janvier-juillet 1850). Il y exposait ses théories et s’efforçait de prouver que le socialisme est issu du christianisme et que le meilleur moyen d’empêcher les progrès du socialisme athée est de faire un socialisme « basé sur l’ordre moral ». Il proposait en 1862 que la doctrine fût enseignée dans un « Institut libre des hautes sciences sociales » où il y aurait, notamment, un cours de « philosophie sociale politique ». Un comité d’économistes, de jurisconsultes, d’ingénieurs, de théologiens devrait rechercher les moyens pratiques « d’anéantir le paupérisme en amenant le travailleur, par son simple labeur, aux droits de la propriété, aux jouissances de la vie sociale, aux bienfaits de l’ordre religieux ».
Pour lui la solution tiendrait dans la création d’un « Palais des familles », nouveau nom du « Palais de Société », espèce de couvent pour familles catholiques. Le but étant d’« élever au sein de la vieille Europe sceptique et chancelante une grande école sociale catholique », il était en correspondance avec nombre de prêtres et de laïques catholiques, tels Alphonse Gilliot ou l’abbé Héraudeau. Il était aussi l’ami de Louis-François Guérin. Arnaud de l’Ariège le jugeait, pour sa part, avec sévérité.
Et toujours, dans les projets de Calland, subsistait le souvenir conscient de Fourier : l’attraction matérielle et l’attrait moral, la « commune associée », tout cela, qui se rencontre jusque dans les derniers écrits de Calland, provenait de celui que Calland nommait toujours « le plus grand socialiste moderne ».

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article27987, notice CALLAND Victor , version mise en ligne le 20 février 2009, dernière modification le 17 mai 2018.

ŒUVRES : Initiation à la loi des Harmonies universelles. Extrait eu Courrier de l’Aisne des 14 et 28 juillet 1836, in-8°, 7 pp. — La Stratégienne, ou la Chevalière, le Tournoi, la Bellone : partie multiple et combinée, ou nouveau jeu mathématique et cabalistique du billard, Paris, chez l’auteur, 1836, gr. in-fol. — Hymne à la femme par un phalanstérien, Paris, 1837, in-8°, 10 pp. — Initiation à ma vie intellectuelle et religieuse, dédiée à mes amis, Soissons, impr. Fossé-Darcosse, 1838, in-8°, 18 pp. — Idée du Christianisme considéré comme la religion, l’histoire et l’avenir du genre humain, Paris, 1839, in-8°, 47 pp. — Charte divine ou Théorie de l’ordre providentiel du monde, devant servir d’introduction à l’étude des doctrines religieuses et sociales du genre humain dans le mouvement harmonique de l’Univers, Paris, Didot, 1840, gr. in-fol. — De l’Avenir du Monde, Senlis, libr. Billot, 1842, in-8°, 16 pp.
Les deux brochures sur la presse ont été publiées l’une à Beau-Site, propriété de Calland, près de Jouarre, l’autre à Paris, toutes les deux en 1846.
Aux catholiques républicains, science de la politique. Affiche du 28 février 1848 (Extrait de la Théorie du christianisme fondée sur ses rapports avec les lois de l’Univers, les traditions sacrées des peuples et la destinée sociale du genre humain, ouvrage inédit. Bibl. Nat., Lb 53 1457.) — Profession de foi adressée à tous les électeurs du département de Seine-et-Marne. Affiche. (Murailles révolutionnaires de 1848, t. I, pp. 143-145). — Notice sur Jouarre, chez l’auteur, 1848, in-8°, 16 pp. — Collaboration à la Revue des Réformes et du Progrès, à partir de juin 1849. — Revue du Socialisme chrétien.
Culte de l’humanité, préparation à l’unité religieuse et politique des peuples, Paris, 1853, in-8°, 16 p. (extrait de la Théorie de l’ordre providentiel du monde, 1840). — Institution des Palais de Famille. Solution de ce grand problème : le confortable de la vie à bon marché pour tous (en collaboration avec Albert Lenoir. Paris, 1855, in-8°, 48 pp.) — Suppression des loyers par l’élévation de tous les locataires au droit de propriété, Paris, 1857, in-32, 64 pp. — Bulletin adressé aux souscripteurs de la Société des Palais de Famille. Résumé de l’exposé général, par Victor Calland, Albert Lenoir et Louis de Noiron, Paris, impr. de J. Best, mars 1858, in-8°, 15 pp. — Suppression des loyers et organisation du bien-être, Paris, chez tous les libraires, 1858, in-32, 64 pp. (3e édition). — Fondation d’un Institut libre des hautes sciences sociales, par une réunion de catholiques, La Ferté-sous-Jouarre, 1862, in-8°, 16 p.

SOURCES : Arch. Dép. Seine-et-Marne, 611 F 5. — J. Balteau, M. Barroux, M. Prévost, R. d’Aman, T. de Morembert, Dictionnaire de Biographie française, Paris, Letouzey, 1933 sq. — J.-B. Duroselle, Les débuts du Catholicisme social en France (1822-1870), Paris, PUF. 1951.

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