Par Claude Roccati, Pierre Vincent
Né le 3 août 1949 à Cusset (Allier) ; cheminot, agent puis cadre du SERNAM ; syndicaliste CGT, membre du bureau de la Fédération CGT des Cheminots (1979-1990), membre de la commission exécutive confédérale de la CGT (1992-2003), secrétaire confédéral de la CES (2003-2009), secrétaire général adjoint de la CES (2009-2011) ; militant communiste.
Issu d’une famille de mineurs du Pas-de-Calais, de culture communiste, Joël Decaillon passa son enfance et son adolescence à Vichy (Allier) où ses parents s’installèrent après la Seconde guerre mondiale. Les familles maternelles et paternelles étant restées dans le nord de la France, il fréquenta aussi le bassin minier où il séjournait durant les vacances scolaires. Au sein d’une fratrie de cinq enfants, il grandit auprès d’un père ouvrier professionnel, ancien ouvrier-soudeur aux Ateliers centraux des mines, employé ensuite dans une usine d’armement et d’une mère s’occupant du foyer. Dans une ville qui s’y prêtait peu, il vit son père, ancien résistant, militer activement, comme l’ensemble de sa famille, dans les rangs communistes et à la CGT, et notamment pour la paix en Algérie, action qui le conduisit à l’époque à être arrêté plusieurs fois.
À l’âge de vingt ans, en 1969, Joël Decaillon entra à la SNCF comme attaché groupe VII d’abord à la gare des Batignolles, à Paris. Adhérant immédiatement à la CGT, il devint rapidement membre de la section PCF des Batignolles. Il le demeura jusqu’à son déménagement – pour raisons familiales (mariage et naissance de sa première fille, l’aînée de trois enfants) – à Soissons (Aisne) en 1974. En novembre 1970, encouragé par son responsable au syndicat CGT Paris-Ouest-Rive droite, René Peytavin, il rejoignit le Service national des messageries (SERNAM), afin de participer à l’implantation de la CGT dans ce service de fret de la SNCF nouvellement créé. En 1976, il succéda à René Peytavin à la tête du collectif national SERNAM-CGT, devenant membre du comité mixte professionnel et intégrant la commission exécutive de la Fédération CGT des Cheminots. Il fut, à la suite, membre du Conseil supérieur des transports, fonction qu’il assuma jusqu’en 1984. En 1979, il accéda au bureau fédéral. À cette occasion, il devint permanent de la Fédération, partageant son bureau, rue Pierre Semard, avec Christian Dellacherie. Il demeura membre du bureau fédéral jusqu’au congrès de mars 1990.
Chargé de mettre en place l’Union interfédérale des transports imaginée par Georges Séguy – il en fut le secrétaire général jusqu’en 1989, il représentait alors la CGT dans de nombreux organismes, dont le Conseil national de la statistique-Groupe des transports (1982-1994) et le Conseil national des transports (1984-1989). Il poursuivit ses activités syndicales en tant que secrétaire adjoint et président de la commission économique du Comité central d’entreprise (CCE) de la SNCF (1985-1988) et secrétaire du Comité de groupe SNCF (1985-1988). Il demeura représentant pour le deuxième collège du personnel à la succursale SERNAM de Saint-Quentin (Somme) jusqu’en 1995.
C’est à cette période que Joël Decaillon commença à fréquenter ses premières réunions internationales et se familiarisa avec les questions européennes, au cœur de sa future « carrière » militante. En effet, la branche cheminot avait la particularité de disposer depuis plusieurs années, à l’initiative des Belges, d’un séminaire international qui regroupait les fédérations cheminotes, quelque soient leurs affiliations internationales, y compris donc celles de la FSM, ce qui permettait aux cheminots CGT de fréquenter des syndicalistes hors de la sphère communiste et d’initier des pratiques unitaires à l’échelle européenne. À partir de 1984, l’instauration d’un Comité paritaire des chemins de fer, un des premiers à être créé à cette échelle, dont Joël Decaillon devint membre, accentua cette activité internationale.
C’est en raison de cette expérience européenne et alors que Joël Decaillon souhaitait quitter la fédération dirigée par Georges Lanoue qu’Henri Krasucki lui confia le soin de représenter la centrale au Comité économique et social européen à partir du mois de février 1989, un lieu alors loin d’être stratégique pour la CGT. Par la suite, il occupa en son sein plusieurs fonctions. Ainsi, en 1990, il devint membre du bureau de la section des transports et communications et, à ce titre, rapporteur de plusieurs avis concernant les chemins de fer, le transport routier, les communications et les médias. Il fut aussi vice-président de la section Environnement, santé publique et consommation.
Mais les nouvelles responsabilités confiées à Louis Viannet à l’issue du XLIIème congrès confédéral, qui en firent le numéro deux officieux de la confédération, en charge des questions européennes, et les bouleversements mondiaux de l’année 1989 qui obligeaient la CGT, non sans tiraillement, à revoir sa position internationale, donna une nouvelle dimension à l’activité de Joël Decaillon. Les deux hommes étaient en effet convaincus qu’il fallait que la CGT retrouve sa place en Europe et intègre à terme la Confédération européenne des syndicats (CES). C’est à ce long travail de dix ans que se consacra Joël Decaillon en secondant Louis Viannet puis Bernard Thibault, en tant que responsable du collectif confédéral Europe et, à partir de 1992, en tant que membre de la commission exécutive confédérale. Ainsi, presque immédiatement après son entrée à la confédération, il accompagna Henri Krasucki et Jean Magnadias dans une rencontre avec Jacques Delors. De même, il participa à la rédaction de la nouvelle demande d’adhésion à la CES, sous forme d’une lettre d’Henri Krasucki à Ernst Breit et Matthias Hintersheid, à l’occasion de son congrès en 1991 et organisa les premiers entretiens entre Jean-Louis Moynot et Peter Seideneck, alors adjoint d’Emilio Gabaglio au début des années de 1990.
La stratégie patiemment mise en œuvre débuta par la nécessité de faire exister la CGT sur la scène européenne, syndicale, politique, intellectuelle, même en portant une voix critique, ce qui passait, par la participation à des manifestations européennes, à l’image de celle du 18 octobre 1989 à laquelle la CGT s’associa, mais aussi l’organisation de colloques sur des thèmes européens et des formations approfondies dans la centrale pour que les militants puissent s’emparer de ces sujets. Aussi il organisa des rencontres entre Henri Krasucki et Bruno Trentin, alors secrétaire général de la CGIL d’une part, Antonio Gutiérrez et Marcelino Camacho, respectivement secrétaire général et président des Commissions ouvrières espagnoles (CCOO), avec qui les relations s’étaient refroidies au cours des années 1980 et Nicolas Redondo de l’UGT d’autre part.
En parallèle à ses activités militantes, Joël Decaillon suivit à l’époque une formation qui lui permit d’obtenir un diplôme d’études supérieures (DES) à l’Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) dans la spécialité « Europe-Entreprises », diplôme pour lequel d’ailleurs il fut reçu premier de la promotion 1993-1994.
En 1999, année où finalement la CGT intégra la CES, au moment où Bernard Thibault fut élu secrétaire général de la centrale, il poursuivit son travail sur l’Europe en étant cette fois-ci nommé responsable du nouvel Espace Europe-International – il partagea alors cette fonction avec Alphonse Véronèse. Une des premières actions internationales menées fut alors l’organisation du premier voyage à l’étranger de Bernard Thibault comme secrétaire général de la CGT, en Pologne pour renouer les liens avec Solidarnosc. Continuant à suivre les relations avec la CES, il participa régulièrement à son comité exécutif en tant que représentant de la CGT. Ce fut aussi à cette époque qu’il fut à l’initiative d’un collectif « Développement durable » chargé de coordonner l’action avec les fédérations sur ce sujet.
En 2003, au dixième congrès de la CES alors que l’Anglais John Monks succédait à Emilio Gabaglio, Joël Decaillon devint un des sept secrétaires et prit en quelque sorte la succession de Jean Lapeyre, issu de la CFDT, en tant que représentant français au sein du bureau bruxellois. Le choix de laisser la place à un membre de la CGT permit de conforter la nouvelle place de la centrale dans la confédération. En tant que cheville ouvrière de cette adhésion, Joël Decaillon fut tout désigné pour occuper cette fonction.
En tant que secrétaire confédéral de la CES, il prit en charge notamment, les questions touchant à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), le marché du travail et la formation. Mais surtout il prit en charge, à sa demande, les questions de développement durable qui jusqu’à alors étaient peu évoquées. Un des dossiers importants dans lequel il s’impliqua fût l’élaboration d’une position de la CES sur le règlement Reach proposé par la Commission comme un nouveau système de contrôle des substances chimiques dangereuses qui rencontrait l’hostilité de la Fédération européenne des mines, de la chimie et de l’énergie (EMCEF) ainsi qu’IG Chimie, la fédération allemande. Une task force fut mise en place pour parvenir à une position commune adoptée par l’ensemble du comité exécutif en mars 2004. Il participa également au lancement de la Spring alliance qui regroupait syndicats et ONG afin d’élaborer des positions communes en direction des institutions européennes. Pour la CES l’enjeu était notamment de pouvoir réfléchir à des thématiques comme le changement climatique et ses conséquences sur l’emploi, en tentant de concilier enjeux sociétaux et défense de l’emploi. Enfin, il diligenta une étude de la CES sur le changement climatique et l’emploi, menée avec le cabinet Syndex, le cabinet allemand Wupertal et l’Istas espagnol qui fut publiée le 1er novembre 2009, première étude de référence sur le sujet de la part d’un acteur syndical.
En parallèle de ses fonctions à la CES, et toujours sur ces questions qui cherchent à articuler environnement et travail, Joël Decaillon présida la fondation Sustain labour, créée par les Commissions ouvrières (CCOO) et l’UGT, deux centrales espagnoles. Fondation qui fut ensuite intégrée à la Confédération syndicale internationale (CSI).
Au moment du débat sur le traité constitutionnel européen en 2005 et alors que le débat faisait rage à la CGT et en France, il publia une tribune pour défendre l’apport et le caractère novateur de la charte des droits fondamentaux, joint au projet de traité. Cette prise de position fut perçue par certains comme un engagement dans le débat pour voter en faveur du Oui au référendum, alors que la CGT se divisait profondément, la commission exécutive confédérale n’ayant pas souhaité donner de consigne de vote tandis que le comité confédéral exprimait un fort rejet du texte.
Élu secrétaire général adjoint de la CES en 2009, succédant à la portugaise Maria Helena André en partance, il fut en charge du dialogue social, de la politique industrielle et du développement durable. Décidé à ne rester que le temps de deux mandats à Bruxelles (Belgique), il n’occupa cette fonction que deux ans durant une période de transition alors que le mandat de John Monks prenait fin.
Après avoir quitté ses mandats syndicaux en 2011, Joël Decaillon occupa des responsabilités au sein de l’association LASAIRE (laboratoire social d’actions d’innovation de réflexions et d’échanges), dont il fut le vice-président de 2011 à 2018. Il créa ensuite, avec notamment son ancien compère de la fédération CGT des Cheminots, Christian Dellacherie et l’ancien syndicaliste CFDT et député européen Edouard Martin, une nouvelle association, BRIDGE qui se donna comme ambition de réfléchir, selon la signification de son titre, aux façons de « bâtir le renouveau industriel sur la démocratie et le génie écologique ». Il pouvait alors donner libre cours à ses velléités de dialogues et d’échanges par-delà les différentes chapelles.
Joël Decaillon refusa de recevoir le Mérite national qui lui fut proposé par le gouvernement de Lionel Jospin.
Par Claude Roccati, Pierre Vincent
ICONOGRAPHIE : Bibliothèque numérique des Archives CGT Cheminots.
SOURCES : Arch. confédérales CGT : diverses brochures confédérales, fonds Krasucki 7 CFD 154, boîte 59 CFD 37. — Biographie du Maitron de Pierre Vincent. — Alain Beuve-Méry, « Joël Decaillon, l’émissaire de la CGT à Bruxelles », Le Monde, 4 mai 1999. — Leila de Comarmond, Les vingt ans qui ont changé la CGT, Éditions Denoël, 2013. — Paule Masson « Itinéraire d’un militant CGT au cœur du syndicalisme européen », L’Humanité, 13 mai 2011. — Claude Roccati « Europe and the divisions of French trade unionism : a growing awareness », in Andrea Ciampani and Pierre Tilly (eds), National Trade Unions and the ETUC : A History of Unity and Diversity, Brussels, ETUI, 2017, 215 p., p. 45-66. — Ivan du Roy « Joël Decaillon, CGT : un cheminot à Bruxelles », Témoignage chrétien, 19 juin 2008. — Tribune signée avec Daniel Rautureau, « Constitution européenne : un socle pour les luttes à venir », Le Monde, 6 octobre 2004. — Renseignement fournis par Joël Decaillon, 2022. — Entretiens avec Joël Decaillon le 9 février 2015 et le 21 février 2023.