DOLIVIER Pierre

Né à Neschers (Puy-de-Dôme) le 21 ou le 24 octobre 1746, mort le 20 février 1830 à Dinan (Côtes-du-Nord, Côtes-d’Armor) ; curé de Mauchamps (Seine-et-Oise) de 1784 à 1793 ou 1794 ; théoricien de la propriété viagère du sol et non du communisme agraire ; défenseur des pauvres d’Étampes en mars 1792, lors du meurtre du maire de la ville.

C’est cette circonstance qui vaut à Pierre Dolivier sa notoriété, depuis que Jean Jaurès a mis en évidence son intervention aux Jacobins (27 avril 1792) puis à l’Assemblée nationale (1er mai).

Cependant, au printemps 1792, Pierre Dolivier (ou D’Olivier) avait déjà fait parler de lui dans le diocèse de Clermont-Ferrand, au bailliage d’Étampes, puis dans le département de Seine-et-Oise.

Issu d’une famille modeste ou pauvre, près de Champeix, dans la région d’Issoire, Pierre Dolivier, fils d’un notaire, avait un oncle prêtre, l’abbé Meyrand, curé dans la Sarthe en 1793. Après le séminaire, il fut envoyé comme « vicaire d’une petite paroisse située dans les montagnes d’Auvergne ». Instruit et conscient de sa valeur, il entra en conflit avec ses confrères ignorants et avec l’autorité ecclésiastique qui les soutint. L’occasion, ce fut, en 1777, la demande faite à lui Pierre Dolivier par un curé voisin de prêcher le jour de la fête de saint Clair, saint dont la dévotion venait d’être introduite dans cette paroisse voisine, et dont l’intercession procurait ou devait procurer une guérison des maux d’yeux. Dolivier refusa et prononça un « Discours sur l’abus des dévotions populaires », qu’il fera imprimer en 1788 (in-8°, 56 pages, Bibl. Nat., D 2/14958). Ce discours fit scandale, moins à cause de ce qu’il contenait, et qui était une simple mise en garde contre la superstition, que de ce qu’on supposa de protestantisme chez son auteur. Un synode de 1 200 prêtres aurait été réuni à Clermont-Ferrand, qui chassa sans l’entendre le vicaire de son vicariat. Pendant six mois, il fut entièrement à la charge de ses parents, qui avaient juste le nécessaire. Puis, durant quatre ans, on l’envoya comme vicaire « au loin ».

« Enfin — selon ses dires — après bien des chagrins et des peines, je suis parvenu à obtenir dans une campagne isolée une petite cure qui me vaut environ huit cents livres, sort qui peut paraître peu digne d’envie, mais qui a pour moi le grand avantage de fixer mon existence, de me soustraire à toute domination arbitraire, et de me procurer des jours de paix, et pas tout à fait inutiles. » (Discours sur l’abus des dévotions populaires, p. 56.)
La cure dont il s’agit était celle de Mauchamps (diocèse de Paris), dont Dolivier évaluait le revenu brut pour l’année 1790 à 853 livres, 2 sols, 6 deniers, et le revenu net, frais d’exploitation et de battage déduits, à 653 livres. (Arch. Dép. Seine-et-Oise, 3 Q 47). Huit cents livres, ce fut également le chiffre retenu en l’an IX pour liquider la pension qu’on lui versa comme ancien prêtre. (Arch. Dép. Seine-et-Oise, V 138).
Dolivier était heureux à Mauchamps, et cette fois-ci, en bonnes relations avec ses voisins du clergé autour d’Étampes. Le 6 mars 1789, il leur adressa sa Lettre d’un curé du bailliage d’Étampes à ses confrères (in-8°, 8 pages, Bibl. Nat., Lb 39/1372). Deux thèmes s’y mêlaient : celui de la suppression des ordres, celui du relèvement de la condition du bas clergé. Dolivier disait : « Qu’il ne soit plus alors question d’ordres ; tout alors se facilite ; tout s’arrange de soi-même. Dès ce moment, l’intérêt commun devient un point central, autour duquel la Nation s’arrondit, et tous les citoyens ne se voyant plus que sous le double rapport de réclamants de la loi et de responsables de la loi, s’efforcent de concourir à sa perfection » (pp. 5-6). Et encore : « Cette distinction d’ordres ne rouvrira-t-elle pas toujours la même rivalité, les mêmes prétentions, la même opposition au bonheur commun ? » (p. 5). Bonheur commun, expression chère à Babeuf, dont on sait au moins qu’il a connu l’Essai sur la justice primitive [...] de Dolivier. Dans un esprit richérien, Dolivier voulait d’autre part que fût tirée « de cet avilissement dans lequel l’insultante et fastueuse domination de nos chefs se plaît à la retenir, la dignité de notre ministère ». Comme remède premier, il proposait d’en finir avec les gros décimateurs, avec « l’inique abus qui nous enlève la gerbe que le peuple ne prétendit donner qu’à ceux qui remplissent envers lui ses fonctions pastorales », car, « tant qu’il y aura une classe d’hommes qui, sans le secours d’aucun mérite, mais uniquement par droit de naissance, se croira faite pour commander, nous serons toujours avilis, méprisés » (p. 7).

Dolivier publia également un Exposé des sentiments que j’ai manifestés dans l’assemblée du bailliage d’Étampes, adressé à tous les curés du royaume (in-8°, 23 pages, Bibl. Nat., Lb 39/7126), brochure parue vers juin 1789 et qui relatait des incidents survenus au printemps pendant la période électorale. Dolivier, secrétaire de l’assemblée, s’y serait dressé contre le président de l’assemblée, l’abbé de Morigny ; il aurait réclamé le vote par tête « le seul national », et se serait écrié : « Un curé honnête homme et plébéien devenir évêque ! Ne serait-ce pas un scandale affreux, et toute la noblesse ne crierait-elle pas à l’injustice et à la dégradation de l’épiscopat ? » (p. 13). Et si l’abbé de Morigny l’avait finalement emporté, ce n’avait été que par 32 voix contre 19 (p. 21).

L’atmosphère de la Révolution convenait au tempérament de Dolivier, qui délaissa peu à peu sa cure, comme en témoigne la tenue des registres de catholicité de Mauchamps (Arch. Mun. Mauchamps), et se rendit souvent à Étampes ou à Paris. Il fit imprimer des opinions déjà républicaines en 1791 dans Le Vœu national et ouvrit dans l’été, devant la Société populaire d’Étampes, sans succès d’ailleurs, le procès de la monarchie, « tandis que l’Assemblée constituante venait de la réhabiliter et de lui donner de nouvelles forces ». « Ce qui faillit, a-t-il écrit plus tard, me valoir les honneurs de la lanterne ». (Adresse au Comité de Sûreté générale..., Bibl. Nat., Lb 41/3347).

Le 3 mars 1792, sur le marché aux grains d’Étampes, la spéculation faisait monter les prix. Une manifestation spontanée de « la classe laborieuse » voulut « mettre des bornes à la cupidité des vendeurs ». Le maire Simoneau proclama la loi martiale. Il fut débordé et assassiné.

Dolivier, au nom de « quarante personnes [...] qui ont eu le bonheur de ne tremper en rien dans la malheureuse affaire », entreprit d’expliquer dans une Pétition (Bibl. Nat., Lb 39/5905) lue aux Jacobins et à la Législative, ce qui s’était passé et pourquoi cela s’était passé ainsi.

Simoneau n’était pas exempt de responsabilité dans ce qui lui était arrivé. « Combien ne nous paraîtrait-il pas plus digne d’éloges si, au lieu de s’en être tenu à une âpre et repoussante inflexibilité, il eût pris davantage conseil d’une salutaire et courageuse prudence ! » (p. 5). « M. Simoneau, riche au moins de 18 à 20 mille livres de rente, à la tête d’un commerce immense en tannerie, qu’il exerçait avec tout l’avantage que donne l’aisance, n’aurait-il pas été aussi intéressé dans celui des grains ? J’entends plusieurs personnes prétendre en être certaines ; moi, je n’affirme rien » (note, p. 7).

Là est la question. Et il semble bien que, d’une manière ou d’une autre, Simoneau fût solidaire des spéculateurs.

Pour Dolivier et ses copétitionnaires, ce qui était en cause, c’était en fait certains principes sociaux admis par Simoneau et ses amis, qui comptaient d’ailleurs parmi les bourgeois patriotes. D’abord, la liberté du commerce des grains. Dolivier affirmait qu’elle devait être comprise comme une liberté de transit et de transactions, non comme « la liberté indéfinie des prix » (p. 8) ; il envisageait la possibilité et même le devoir de taxer dans les cas de disette. En second lieu, et comme conséquence de cette limitation de la liberté de commercer, Dolivier posait le problème de la propriété : « La nation seule, écrivait-il, est véritablement propriétaire de son terrain » (note, p. 12). Enfin, il plaçait le « cultivateur ouvrier » avant le propriétaire, car, « la main qui devrait avoir la meilleure part aux dons de la nature est celle qui s’emploie le plus à la féconder » (p. 9). Dolivier démontrait en outre « que les plus pauvres sont les vrais interprètes, les vrais gardiens des droits de l’homme, parce qu’ils ne sont en effet que des hommes et qu’en eux aucun privilège d’aucune sorte ne fait obstacle à l’humanité ». Ainsi s’exprime Jaurès pour qui, ce faisant, Dolivier orientait la déclaration des droits de l’homme « vers la grande lumière socialiste ». Sur le moment, Robespierre avait distingué la Pétition et l’avait republiée dans son journal.
Le 12 novembre 1792, Dolivier se maria. Un enfant naîtra de cette union, Camille, qui mourra à l’âge de cinq ans. Cependant, Gabriel Deville (Thermidor et directoire, p. 547), fait mourir à 58 ans, le 27 juin 1857, un fils de Dolivier (le même qui se maria en 1824 à Châlons-sur-Saône). Mais avant son mariage, le 21 octobre, à l’issue des vêpres, Dolivier avait cru devoir expliquer longuement à ses paroissiens les raisons de son acte. Il donna de son Discours [...] deux éditions à Étampes (Bibl. Nat., 8°, Ln 27/6141 et 6141 bis). Il écrivit aussi aux Jacobins de Paris : « Je suis curé de campagne et je me suis marié le 12. Le cœur me dit que j’ai fait une bonne action. Mais comme cela n’a point été sans être obligé de combattre les difficultés qu’opposait le célibat sacerdotal, j’ai fait un discours dont je vous envoie quelques exemplaires. » (Journal du soir de Sablier, 22 novembre 1792) Pour lui, le mariage des prêtres assurait « le triomphe des bonnes mœurs sur le faux honneur célibataire ».
Dolivier, marié, demeura sans doute prêtre un peu plus d’un an. Il composa au printemps 1793 et publia à la fin de l’automne son principal ouvrage : Essai sur la justice primitive pour servir de principe générateur au seul ordre social qui peut assurer à l’homme tous ses droits et tous ses moyens de bonheur (in-8°, 44 pages, Bibl. Nat., Lb 41/3190).

L’Essai sur la justice primitive range Dolivier parmi les précurseurs les plus importants du socialisme. Ce que Dolivier mettait en question au départ, c’était la propriété héréditaire du sol. « Quoi ! de deux enfants qui viennent au monde, dont l’un est fils d’un riche propriétaire, et l’autre d’un infortuné manouvrier qui ne possède que ses bras pour subvenir à sa subsistance, le premier naît avec des droits immenses, et le second n’a pas même celui de reposer nulle part sa chétive existence ! [...] Et nous osons parler de liberté, d’égalité ! » (p. 21). La propriété incriminée par Dolivier, c’était la propriété immobilière seule, dont il disait : « La terre, prise en général, doit être considérée comme le grand communal de la Nature » (p. 12). « De là il suit encore que la portion de terre répartie à chacun, ayant été tirée du droit commun, doit y revenir après lui » (p. 19). En conséquence, Dolivier préconisait l’institution d’une propriété viagère du sol, qui lui paraissait très différente de la « loi agraire » des Romains. « Chaque classe de citoyens ne voit que d’après le prisme de son intérêt particulier, et soutient que ce qu’il voit est essentiellement la justice. Les riches possesseurs la font consister dans ce qu’ils appellent leurs propriétés ; les pauvres, dans un partage agraire qu’ils convoitent : les uns et les autres ont tort » (p. 8). Dolivier n’envisageait pas cependant une application brutale de son principe de propriété viagère du sol. « Du reste, je crois devoir rassurer les possesseurs actuels, en prévenant que je suis loin de proposer que l’on mette toute la rigueur de mes principes en exécution à leur égard » (p. 29). Pour la propriété mobilière, Dolivier la jugeait au contraire transmissible par essence. L’homme « ayant sur le produit de son industrie un domaine absolu, il peut le transmettre à volonté, ou dans l’ordre de succession que la loi établit » (p. 19).

Le théoricien et le militant ne faisant qu’un chez Dolivier, il avait prévu une mesure pratique, le recensement des terres données à loyer, base d’une réforme progressive transformant le locataire en copartageant, et il avait fait admettre par une assemblée de paysans de la région d’Étampes « qu’il est souverainement injuste que nos lois humaines disposent à perpétuité du champ de la Nature » (p. 41).

Dolivier fut chargé par le comité de Sûreté générale d’une « mission patriotique » dans la Sarthe, au moment même où paraissait l’Essai. Dans une Adresse imprimée, il protesta contre l’incarcération de son oncle maternel, le curé patriote Meyrand, dénoncé par des contre-révolutionnaires, et il exposa ses propres mérites révolutionnaires depuis 1777, parmi lesquels, bien sûr, le serment constitutionnel de 1791.

Il paraît difficile, en l’absence de documents, de fixer avec certitude la date de la déprêtrisation de Dolivier. Le dossier de liquidation de l’an IX auquel il a déjà été fait allusion laisse supposer que ce fut en l’an II.
Quoi qu’il en soit, on retrouve Dolivier professeur à l’École centrale de Seine-et-Oise. Il y enseigna l’histoire à partir de juillet 1796, et jusqu’en 1802. Ses opinions politiques et sociales n’avaient pas changé. En témoigne la brochure parue en vendémiaire an VIII (octobre 1799), Sur les moyens d’arracher la République à ses pressants dangers, et d’écarter les obstacles qui s’opposent à l’affermissement de ses destinées (Paris, in-8°, Bibl. Nat., Lb 42/2520). Dolivier y jugeait dérisoire l’emprunt forcé de l’été 1799 sur les riches. « Pourquoi faut-il que, tandis que nos pauvres défenseurs donnent tout leur sang, gratuitement, on n’ose demander aux riches, qu’à titre d’emprunt, des secours pécuniaires ? » (p. 7). C’est que « tout ce qui porte le nom de propriété est placé comme dans un sanctuaire inviolable, d’où l’on écarte sévèrement la moindre suspicion, le moindre examen qui en pourrait divulguer le crime » (p. 9). Mais s’il faisait allusion à ce que devrait être un « vrai droit de propriété » (p. 10). Dolivier ne répétait pas les termes de l’Essai et se bornait à des mesures passagères, mais radicales pour parer aux dangers de la patrie : conscription des fortunes foncières ou mobilières, versement obligatoire au trésor public des revenus excédant une somme à fixer, conscription des indigents. Il adhérait au néo-jacobinisme de 1799 et disait que les crimes de la réaction l’ont emporté sur ceux de la Terreur, « tant pour le nombre que pour le genre d’atrocité » (p. 42).

Le coup d’État du 18 brumaire (9 novembre 1799) fit oublier ces suggestions égalitaires de Dolivier. Son dernier écrit, daté de l’an IX (1800-1801) fut un Essai sur les funérailles, où une allusion était faite à la mort de Camille Dolivier (vers 1797-1798), et où « un conseiller d’État » reprochait à Dolivier de trop désirer « le bien général ».

À la fin de 1801, Dolivier entreprit de défendre les Écoles centrales menacées par le projet gouvernemental de leur substituer des lycées. Avec l’aide de son collègue Leuliette, il fit paraître une Correspondance des Écoles centrales et de l’Instruction publique en général, interrompue après le second numéro, en décembre, sous peine de révocation. (Arch. Dép. Seine-et-Oise, L 673). La soumission de Leuliette et de Dolivier n’empêcha pas leur éviction du personnel des lycées. Dolivier fut, comme on l’a dit, pourvu d’une pension.

Au moment de son décès, il était indiqué comme « ancien professeur d’université ». Son épouse mourut à Rennes (Ille-et-Vilaine), le 10 décembre 1849.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article30087, notice DOLIVIER Pierre , version mise en ligne le 20 février 2009, dernière modification le 12 février 2019.

SOURCES : Histoire socialiste : les pages de Jean Jaurès (La Législative) et celles de Gabriel Deville (Thermidor et Directoire), qui, le premier s’est efforcé de retracer la biographie de Pierre Dolivier. — Abbé Alliot, « Le clergé pendant la Révolution dans le district d’Étampes », Annales de la Société historique et archéologique du Gâtinais, t. XXXVI, 1er fascicule, 1922. — Note de A. Perrier. — État civil de Dinan.

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