DELORY Gustave, Émile

Par Justinien Raymond

Né le 1er septembre 1857 à Lille (Nord), mort le 17 août 1925 à Lille ; a exercé tour à tour les métiers les plus divers au cours d’une vie militante (règleur, pelotonneur, cantonnier, gérant de coopérative, imprimeur compositeur, clicheur, journaliste) ; animateur de la fédération socialiste du Nord, membre de la CAP comme titulaire (1912-1914) et comme suppléant (1915-1918), membre de la commission de contrôle (1914-1915) ; maire, conseiller général, député du Nord (1925).

Gustave Delory était le fils d’un ouvrier filtier de Lille et, à l’âge de treize ans, il exerçait le métier de son père après avoir été apprenti régleur et apprenti « peigneran ». Il était, depuis trois ans, ouvrier pelotonneur dans la fabrique Descamps-Beaucourt lorsqu’éclata, en 1881, une grève de protestation contre un règlement d’atelier jugé trop draconien par les travailleurs. Delory était alors le secrétaire du syndicat du textile dont il avait été un des fondateurs en 1879. Il fut, avec son camarade Delvoye, le porte-parole des ouvriers mécontents auprès du patron de l’usine. Celui-ci donna une suite favorable aux réclamations, mais congédia les délégués. Les travailleurs s’inclinèrent sur les conseils de Delory qui, pour la première fois, se trouva sans travail, alors qu’il venait de fonder un foyer le 8 mai 1880.

Gustave Delory refusa l’indemnité que, conformément à son règlement, lui devait le syndicat, et il alla, d’usine en usine, longtemps en vain, à la recherche de travail. Le tenancier du débit de boisson qui abritait le syndicat du textile, étant en même temps piqueur aux travaux publics de la ville, l’aida à se faire embaucher comme cantonnier. Le voici donc au service de la ville dont il devait être le maire, casseur de cailloux pour le salaire horaire de vingt-cinq centimes au moment où, le 29 novembre 1880, il allait être père de la fille qui sera son premier enfant. Peu après, il entra comme manœuvre aux ateliers de la Compagnie des Chemins de fer du Nord, à raison de trois francs par jour.

En octobre 1882, sur les instances de ses camarades, Gustave Delory abandonna cette tâche pour assurer la direction du journal Le Forçat, en remplacement de Gustave Jonquet, que la maladie contraignait à un séjour dans le Midi. Moins d’un an plus tard, le journal disparut et Delory se retrouva momentanément sans gagne-pain jusqu’à son entrée comme perceur au criquet à l’usine de Fives-Lille où il travailla pendant dix-huit mois. Absent pour une période d’instruction militaire, puis en raison d’une bronchite, il fut congédié par la Compagnie du Nord qui le rendait responsable des attaques dont elle était l’objet de la part des journaux et militants socialistes. Convalescent, il aida sa femme au travail de dévidage du coton auquel elle avait dû s’adonner pour assurer la subsistance des siens.

Guéri, Gustave Delory se remit en quête d’un salaire. « Dire la rancœur, le découragement que l’on ressent après une longue journée de courses inutiles, a-t-il écrit, ce n’est pas possible ; seuls ceux qui ont passé par là, et ils sont malheureusement nombreux dans notre belle société, sauront comprendre quel était mon état d’âme » (Le Réveil du Nord, 19 août 1925). Un travail intermittent d’aide-boulanger le laissait dans un embarras d’autant plus grand que, sa belle-mère étant tombée à sa charge, il devait assurer la vie de quatre personnes. Un ami cordonnier l’en tira en lui offrant de travailler avec lui, ce qu’il fit jusqu’au jour où le journal socialiste Le Cri du Peuple risquant de disparaître, on le pria d’en reprendre la vente sérieusement. Il s’en fit le colporteur, accomplissant chaque jour, pour 35 ou 40 sous, une trentaine de km à travers les rues de Lille, de Fives et de Saint-Maurice. Il habitait alors, au 34 de la rue des Tanneurs, un pauvre logement que ses visiteurs appelaient « la mine ».

Au cours d’une de ses randonnées, Gustave Delory découvrit la possibilité de reprendre, 21, rue de Béthune, le débit de boisson à l’enseigne « À la Ferme ». L’espoir « d’un petit gain supplémentaire » s’offrait à lui : il ne pouvait le négliger, d’autant que ce havre, dans sa vie errante, lui apparaissait comme « un refuge pour les amis » (Ibid.). L’estaminet, abri du prolétaire sans travail, et transformé par lui en antre de propagande, le cas de Delory est presque banal dans l’histoire anecdotique du mouvement ouvrier. Il tira de sa position indépendante, des contacts nombreux et répétés que lui assurait sa profession passagère, le plus large parti pour aider à la création et à la vie de syndicats ouvriers et à la propagande socialiste. En 1886, Delory et quelques-uns de ses camarades lancèrent, à leurs risques et périls, un organe socialiste Le Travailleur qu’ils remirent deux ans plus tard à la fédération socialiste.

Gustave Delory aida aussi à l’essor de coopératives de consommation. En 1892, il fut un des fondateurs de « l’Union », coopérative de boulangerie et d’épicerie, ouverte rue du Poids, puis, 7, rue Massillon et adhérente du Parti ouvrier. Installée 47, rue d’Arras, avec un entrepôt, 49, rue du Poids, elle réunissait, en 1900, 5 000 familles. Son activité commerciale s’était étendue aux tissus et vêtements. Cette année-là, Delory la représenta au congrès de la Bourse des Coopératives socialistes de France à Paris. Il présida l’une des séances. Il préconisa un versement, minime, par la coopérative, à la caisse du Parti ouvrier, tout en s’opposant à l’obligation pour le coopérateur d’adhérer au parti. En 1901, il accueillit les congressistes à la mairie de Lille et participa à leurs débats tumultueux comme un conciliateur. Si son activité politique l’éloigna de l’administration de « l’Union », Delory resta un coopérateur jusqu’à la fin de sa vie. À partir de 1889, il assura personnellement la gérance d’une autre coopérative, « l’Imprimerie ouvrière », créée par la fédération du Parti ouvrier, où travailla son fils Émile Delory. Dès lors, il se fit imprimeur, compositeur, clicheur, journaliste, confondant une fois encore, mais dans des conditions moins précaires que par le passé, sa vie professionnelle et le combat social et politique qu’il menait depuis sa jeunesse et qui allait bientôt lui ouvrir un champ d’action semé de moins d’embûches.

À moins de vingt-deux ans, Gustave Delory devait avoir acquis une certaine notoriété parmi ses camarades de travail lillois, puisque un congrès ouvrier local le mit au nombre des quatre délégués envoyés, sans mandat précis, au congrès de Marseille en 1879. À l’issue du compte rendu de leur mandat, devant l’assemblée générale du syndicat des ouvriers filtiers, Delory en fut nommé secrétaire. Avec deux de ses compagnons, il s’était rangé à Marseille dans la minorité corporatiste et réformiste, ce qui ne présageait pas l’orientation qu’il allait bientôt prendre.

Lors du congrès du Havre (16-22 novembre 1880), où cette minorité fit sécession d’avec les révolutionnaires, Delory s’était déjà rallié à ces derniers. Dès son retour de Marseille, il avait participé aux réunions d’étude et de discussion d’un petit groupe qui trouvait dans L’Égalité (deuxième série) sa pâture intellectuelle. Ce groupe appela en 1880 Jules Guesde, Chabert et Fournière en conférences publiques à Lille. Le Nord présentait les meilleures conditions de réceptivité aux idées sur lesquelles se fondait le PO depuis le congrès de Marseille. Sa structure sociale simple et heurtée était conforme au schéma des explications marxistes vulgarisées par Guesde et ses disciples : une masse de salariés, un patronat maître du salaire qui assure le pain quotidien, vendant parfois aussi ce « pain » dans ses propres boutiques où une partie du salaire ouvrier faisait retour. Le dimanche 9 octobre 1881 s’ouvrit à Roubaix, dans une salle de la Brasserie centrale, le congrès fondateur de la Fédération socialiste du Nord avec 250 à 300 délégués représentant trente-trois groupes, dont 5 de Lille et une vingtaine de Roubaix. Sous la présidence d’Henri Carette, Gustave Jonquet fit un long exposé et Gustave Delory intervint très brièvement. La suprématie roubaisienne se traduisit par le choix du siège et l’élection de Carette au secrétariat fédéral. Les deux délégués au congrès national de Reims (30 octobre-6 novembre 1881) furent Henri Carette et Jules Guesde. La fédération tarda à se prononcer sur la scission possibiliste de 1882 (notes de Jean Piat).

La maladie de Gustave Jonquet renforça la place de Gustave Delory promu secrétaire fédéral en 1882, en même temps que directeur du Forçat. Le 17 janvier 1883, la fédération du Nord, Delory en tête, se rallia au guesdisme en ratifiant toutes les résolutions du congrès de Roanne de 1882. À son retour, Jonquet combattit cette orientation, mais sans grand succès, le terrain n’étant pas, dans le Nord, favorable au possibilisme. Désormais, Delory ne cessa plus d’être la cheville ouvrière et l’animateur de la fédération socialiste du Nord, une des plus solides du POF, du PS de France, puis de la SFIO. Il la représenta aux congrès de Roubaix (1884), de Lille (1890) dont il fut l’organisateur et au cours duquel le PO se constitua définitivement et fixa son règlement général. En 1896, Delory s’attira de violentes critiques nationalistes pour avoir reçu à Lille le leader de la social-démocratie allemande, Liebknecht. En 1899 et en 1900, il participa aux congrès généraux des organisations socialistes à Paris, salle Japy et salle Wagram. En 1899, il rapporta au nom du Comité d’entente au début du congrès dont il présida en outre la seconde séance. Le mercredi 6 décembre, il intervint après A. Briand qui prôna la grève générale comme moyen d’action. Sans en rejeter l’emploi éventuel, Delory en écarta l’affirmation de principe. Loin de la considérer comme une panacée, il la jugeait peu réalisable, dangereuse même, quand existe une armée de chômeurs en réserve. Il repoussa l’argument de la grève générale moyen d’action révolutionnaire sur le terrain légal : « Le parti ne constituera pas l’unanimité de la classe ouvrière, lorsqu’il sera appelé à prendre le pouvoir (...), déclara-t-il ; ce jour-là, il faudra que la partie consciente de la classe ouvrière impose la dictature du prolétariat » (C. rendu congrès, Paris, 1899, p. 249). Le 8 décembre, il apporta l’adhésion du POF à l’idée de la constitution d’un groupe parlementaire socialiste unique placé sous le contrôle direct du Comité général. Au cours de ces années, Delory lança « l’Internationale » comme hymne révolutionnaire. Il en avait trouvé les paroles dans Pottier. Par l’intermédiaire d’un certain Bergot, il demanda à Adolphe Degeyter d’en composer la musique pour la chorale de la section socialiste lilloise, « La Lyre des Travailleurs ». Au congrès régional de Troyes (1888), Delory chanta et fit chanter « l’Internationale » pour la première fois hors de la région du Nord (le Réveil du Nord, 19 août 1925). L’arrestation préventive, insoutenable en droit puisqu’elle ne lui valut qu’une journée de détention, dont il fut l’objet le 1er mai 1890 témoigne de la place que lui reconnaissaient depuis longtemps les pouvoirs publics dans le mouvement ouvrier lillois.

Il fut encore délégué aux congrès du POF à Romilly (1895), Lille (1896), Montluçon (1898), Épernay (1899), Ivry (1900), Roubaix (1901), Issoudun (1902). À Reims (1903) et à Lille (1904) il représenta le Nord aux congrès du Parti socialiste de France. Il fut étroitement mêlé à la réalisation de l’unité socialiste. En 1896 déjà, à Saint-Mandé, en compagnie de Flaissières, il assista Millerand à la présidence d’un éphémère rassemblement socialiste. Délégué au congrès international d’Amsterdam (1904) et à la commission d’unification créée au lendemain de ce congrès par les deux partis socialistes, il participa au congrès de la salle du Globe (1905) d’où sortit la SFIO. Il représenta la fédération unifiée du Nord de 1906 à 1911 aux congrès de Limoges, Nancy, Toulouse, Saint-Étienne, Nîmes, Saint-Quentin. Au congrès de Limoges, alors que beaucoup de délégués, par opportunisme électoral, se montraient réticents, il appuya sans réserve Madeleine Pelletier revendiquant, pour la femme, la pleine égalité, donc le droit de vote. Il assista au congrès de Tours (1920) sans y jouer un rôle actif : il ne parut pas à la tribune ; et après la scission qui s’y effectua, il resta dans la SFIO.

De l’unité de 1905 à 1911, la section lilloise passa de 1804 à 2250 adhérents et devint la première section de la première fédération socialiste, Cet essor était dû pour une large part à l’action de son guide, Delory ; il était lié à la fois comme cause et comme effet à ses succès électoraux. Le 20 juillet 1890, une élection de protestation contre son arrestation du 1er mai le porta au conseil d’arr. Au banquet traditionnel offert le 20 août aux élus cantonaux par le préfet, il ne fut pas invité. Il entra au conseil général en 1898, fut battu en 1901, réélu en 1913, porté pour un temps à la vice-présidence de l’assemblée départementale où il siégea jusqu’à sa mort. En 1896, sa liste enleva douze sièges au deuxième tour des élections municipales de Lille avec une moyenne de 9 945 voix sur 39 435 inscrits et 30 875 votants, les listes conservatrice et républicaine en recueillant respectivement 11 117 et 8 818. Delory fut élu maire le 17 mai. Il le demeura en 1900. Il avait été réélu au premier tour avec deux colistiers et sa liste enlevait encore vingt sièges au ballottage avec 15 494 voix sur 43 422 inscrits et 35 766 votants contre 14 370 à la liste de droite et 5 130 à la liste républicaine. En 1904, Delory et sept de ses colistiers furent réélus au premier tour, mais la moyenne des voix socialistes tomba à 12 359 sur 43 829 inscrits et 37 703 votants contre 18 581 à la droite et 5 875 aux républicains. Malgré une entente des socialistes avec ces derniers, tous les sièges en ballottage passèrent à la liste modérée et Delory dut céder l’écharpe de maire à Charles Delesalle. Il la reprit en 1919 et la conserva jusqu’au moment où, vaincu par la maladie, il l’abandonna à Roger Salengro (mai 1925). À l’Hôtel de Ville, son œuvre fut « tout imprégnée de sens pratique » (Le Réveil du Nord, 19 août 1925) : cantines scolaires, écoles, œuvres d’assistance aux vieillards, d’aide aux salariés et aux chômeurs, travaux de voirie et d’urbanisme.

Élu député de la troisième circonscription de Lille en 1902, 8 908 électeurs sur 20 391 inscrits ayant répondu au deuxième tour à l’appel du Parti socialiste de France pour « la véritable république (...), qui transformera la propriété capitaliste en propriété collective ou sociale » (Arch. Ass. Nat.), Delory conserva son mandat jusqu’à sa mort. À une double élection sénatoriale partielle du 2 avril 1905, il recueillit 84 voix, 65 allant à son colistier Julien Roussel. Leur retrait au second tour assura l’élection des deux candidats radicaux. En 1906, tout en défendant un programme de revendications immédiates, Delory, député sortant, candidat socialiste SFIO, déclara à ses électeurs : « Il n’est qu’un moyen de vous affranchir, c’est de substituer à la propriété capitaliste la propriété collective qui, gérée par vous et pour vous, fera de tous, serfs modernes du salariat, des producteurs associés et libres... » (Arch. Ass. Nat.). Par 9 424 voix sur 21 669 inscrits, il fut réélu dès le premier tour de scrutin. En 1910, par 10 650 sur 23 464, il le fut après un ballottage et sur un appel du même ton. En 1914, sur la seule présentation du programme socialiste, sans profession de foi personnelle, il retrouva son siège dès le premier tour, par 11 002 voix sur 25 550 inscrits contre 10 871 à son adversaire Delesalle.

L’armée allemande le saisit comme otage en 1914, l’enferma quelque temps à la citadelle de Lille, puis le déporta, de novembre 1916 à avril 1917, au camp de Holzminden. En 1919, il prit la tête de la liste socialiste. Il fut réélu, au quotient et redevint maire. Leur profession de foi s’élevait « avec force contre l’intervention en Russie... ». Face à la situation « effrayante » du pays sur laquelle « tous les partis bourgeois font le silence », elle revendiquait « la réduction des armements », « la révision sévère des marchés et des profits de guerre », « la conscription des fortunes aussi légitime assurément que la conscription des hommes », « la reprise de l’exploitation, au compte de la nation, des chemins de fer et de tous les grands instruments de transport (...), des mines (...), des grandes usines métallurgiques, des forces hydrauliques, des carburants, des raffineries et de l’alcool, des banques et du service des assurances ». Dans l’immédiat, Delory et ses camarades demandaient pour le prolétariat urbain le développement d’un système d’assurance sociale, « la réduction progressive des heures de travail », la fixation d’un « minimum de salaire fondé sur le coût normal de la vie », et, pour les travailleurs de la terre, une indemnité de plus-value aux fermiers à l’expiration des baux et l’« organisation coopérative des petits propriétaires et fermiers pour la production, la vente des produits, l’achat des semences, machines et engrais, l’assurance contre la grêle et la mortalité du bétail ». « Vous pouvez, si vous le voulez, lançaient-ils à tous les travailleurs, devenir les maîtres du pouvoir politique (...), vous en emparer légalement et devenir à votre tour l’État » et, « en socialisant les grandes entreprises capitalistes (...), vous aurez mis fin à une organisation sociale qui porte en elle la guerre entre les individus et entre les classes et qui contient des germes de guerre entre les nations... » (Arch. Ass. Nat.).

Réélu en mai 1924, Delory, malade, dut ralentir son activité et abandonner bientôt la mairie de Lille. Il mourut un peu plus d’un an après le renouvellement d’un mandat qu’il détenait depuis vingt-trois ans. Il l’avait rempli dans le même esprit réaliste qui guida son œuvre municipale et qu’il disait être l’apanage des gens du Nord : « Nous sommes, dans le Nord, surtout pratiques. » (C. rendu congrès, Paris 1899, p. 246). Son action parlementaire se confond avec la vie même d’un groupe socialiste dont il ne se dissocia jamais et qui en fit longtemps son trésorier.

Gustave Delory symbolisait le socialisme guesdiste du Nord, alliant la plus grande rigueur dans l’affirmation des principes à un sens aigu du possible dans l’action et ne reculant pas devant l’opportunisme tactique. S’il fut le disciple de Guesde, il était prédisposé à recevoir son enseignement et il fut découvert autant que formé par son maître. En 1888, appelé pour une tournée de propagande dans le Nord, Guesde exigea qu’un membre de la section lilloise « ouvrît le feu » à chaque réunion. Delory parla le premier, salle du Château. Quand il eut défini brièvement le but poursuivi, quelques auditeurs le questionnèrent. Entraîné, il parla pendant une heure. « Vous pouvez maintenant aborder seul la réunion publique, lui déclara J. Guesde, il suffira de donner immédiatement les renseignements que ce soir vous n’avez donnés qu’en réponse aux questions que j’avais prié des amis de vous poser » (Le Réveil du Nord, 19 août 1925).

Gustave Delory parlait la langue simple de l’homme du peuple qu’il était resté, à la « silhouette trapue et massive », à la « bonne grosse tête ronde et rose », à la « démarche lente et paisible » (Le Populaire, 24 février 1930). Il cherchait à convaincre plutôt qu’à émouvoir. « Sa parole était lente comme sa démarche » (Ibid.). Ni son tempérament ni sa formation ne le portaient à l’éloquence. Il s’exprimait à la Chambre des Députés comme devant les travailleurs lillois, comme dans les multiples congrès qu’il fréquenta, en des « interventions courtes, précises, marquées au coin du bon sens » (Ibid.).

Enfant d’une famille pauvre, « né dans une cave malsaine » (Ibid.), il n’alla presque jamais à l’école. Tout ce qu’il savait, il l’apprit seul, par la lecture, la réflexion, par les multiples expériences de sa vie professionnelle, syndicale et politique. Elles furent mûries par une intelligence native qui semble avoir été exceptionnelle, d’autant qu’elle resta inculte. Le mot intelligence revient toujours dans tous les journaux du Nord au lendemain de sa mort. Le savant helléniste Bracke ne semble donc pas avoir cédé à l’esprit de camaraderie et à l’émotion que lui apporta la nouvelle de la mort de Delory survenue au cours d’un congrès socialiste réuni à Paris quand il déclara : « Devant Delory s’inclinaient les plus grands intellectuels » (Le Progrès du Nord et du Pas-de-Calais, 18 août 1925).

Ses qualités de caractère et de cœur ne semblent pas avoir été moindres. Pas une note discordante dans le concert d’hommages qui, à sa mort, monta vers lui dans la presse ou au bord de sa tombe. Celui de Charles Delesalle, fils de son ancien rival, ne fut pas le moins vibrant. « Gardien jaloux de la tradition, déclara-t-il, adversaire de toujours du Parti socialiste à Lille, j’ai tenu à être aujourd’hui le premier à suivre sa dépouille (...). Bon et généreux, il le fut par nature ; droit et loyal, il le fut par caractère ; fidèle à ses principes, il le fut par probité. Grand citoyen et bon Français devant l’envahisseur, il le fut au-dessus de tout éloge (...). Mon cher Delory, permettez à votre adversaire de toujours de vous dire l’estime en laquelle il n’a cessé de vous tenir » (Grand Écho du Nord de la France, 21 août 1925).

Protocolaire ou amical, l’éloge funèbre peut ne pas être mensonger, mais reste sujet à caution. Quand un adversaire l’apporte, si chaleureux, il peut être retenu comme un témoignage.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article3019, notice DELORY Gustave, Émile par Justinien Raymond, version mise en ligne le 30 juin 2008, dernière modification le 1er novembre 2022.

Par Justinien Raymond

Fourni par la Bimoi, Lille

ŒUVRE : Journaux auxquels Delory collabora : Le Forçat, premier organe socialiste de la région du Nord dont le 1er numéro parut le 14 juillet 1882. — Le Cri du Peuple. — Le Travailleur. — L’Humanité : Delory y donna quelques articles avant 1914. Le 3 octobre 1908, il y publia son premier article de tête sous le titre « Question de méthode ».
Écrits : Delory est l’auteur de deux brochures : Un budget bourgeois, brochure écrite en collaboration avec H. Ghesquière dont nous n’avons pas retrouvé d’exemplaire. — Aperçu historique sur la fédération socialiste du Nord. 1876-1920, Lille, 1921.

SOURCES : Arch. Ass. Nat., dossier biographique. — Hubert-Rouger, La France socialiste, op. cit., p. 351 et Les Fédérations socialistes I, op. cit., p. 392 à 467 et passim. — Congrès général des organisations socialistes françaises (tenu à Paris du 3 au 8 décembre 1899), compte rendu sténographique officiel. Paris, 1900. — La presse du Nord, surtout à l’occasion de la mort de Delory : Le Télégramme du Nord, 18 août 1925. — La Dépêche, quotidien de la région du Nord, 18 août 1925. — Le Progrès du Nord, 18 août 1925. — Le Quotidien de Paris, 18 août 1925. — Grand Écho du Nord de la France, 21 août 1925. — Le Réveil du Nord, 19 août 1925. — Le Progrès du Nord et du Pas-de-Calais, 18 août 1925. — Parti socialiste SFIO. Congrès national de Limoges 1-4 novembre 1906, compte rendu sténographique, p. 149-150. — Jean Verlhac, La Formation de l’Unité socialiste, 1898-1905, DES, Paris. — L.-O. Frossard, « Gustave Delory », Le Populaire, 24 février 1930. — P. Brizon et E. Poisson, La Coopération in Encyclopédie socialiste de Compère-Morel, 1913. — H. Samson : monographie de « l’Union de Lille » par son directeur-gérant et le Dr Veraeghe in le Mouvement socialiste, 15 janvier 1901. — Cl. Willard, Les Guesdistes, op. cit. — Jean Piat, Une page d’histoire à rectifier. La Fédération socialiste du Nord n’est pas née à Lille en 1882 avec Gustave Delory (dossier multigraphié), 1998. — Martine Pottrain, Le Nord au cœur. Historique de la Fédération socialiste du Nord du Parti socialiste, 1880-1993, Lille, 1993.

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