DUCHAMP Victor [né DUCHAMP Gaspard, Eliza, Victor ]

Par Jean-Michel Steiner

Né le 4 octobre 1815 à Yssingeaux (Haute-Loire), mort le 2 février 1887 à Saint-Étienne (Loire) ; avocat ; montagnard, républicain socialiste ; maire de Saint Priest-en-Jarez (Loire), conseiller municipal puis maire de Saint-Étienne (1881-1884), conseiller général de la Loire (1871-1887).

Victor Duchamp
Victor Duchamp

Issu d’une ancienne famille de robe, Victor Duchamp était le fils de Marie Thérèse Pouzols et de Jean-Baptiste Joseph Casimir Duchamp, avoué au tribunal d’Yssingeaux (Haute-Loire), ville où ses parents s’étaient mariés en 1813. Son père fut maire d’Yssingeaux de 1833 à 1843, et son frère cadet Casimir, maire de Tence.

En 1840, Victor Duchamp était avocat à Yssingeaux. Il accueillit avec ferveur la révolution de 1848 et l’installation de la République. Inculpé à la fin de 1851 de « propagande socialiste » et « d’affiliation à une ou plusieurs sociétés secrètes », il fut poursuivi devant la cour d’Assises pour avoir fait circuler une pétition politique dans le département de la Haute-Loire. Il appartenait sans doute à un groupe de républicains hostiles au coup d’État de Louis Napoléon Bonaparte qui furent inculpés avec lui : Béraud Claude, Clavier Antoine, Colombet Jean-Marie, Colombet Jean-Pierre, Louis-Armand Cussinel, Darlès Louis, Dufaux Cirgues, Gidon Antoine, Lafond Jean-Pierre, Martinon de Saint-Ferréol Amédée, Odin François, Salichon Gabriel, Samon, Solvain Jean-Jacques et Trioullier Alexandre. En janvier 1852, le procureur général de Riom déclara : « Duchamp a abusé de son influence sur les ouvriers de Monistrol pour les pervertir. Il était en relation avec les représentants de la Montagne et les chefs socialistes du département [...] Il est nécessaire de l’éloigner du territoire ». Le fait d’appartenir à une famille de notables lui valut probablement l’indulgence d’un procureur qui réclama que plusieurs de ses co inculpés soient envoyés en Algérie.

Bien qu’acquitté, Duchamp jugea plus prudent de s’exiler à Genève, ville où il occupa des emplois d’horloger et d’imprimeur, se forma aux questions d’économie politique, s‘initia à la question ouvrière et polémiqua avec A. Perdiguier à propos de théories développées dans Mémoires d’un compagnon.

Revenu en France une dizaine d’années plus tard, il s’installa comme avocat à Saint-Étienne en 1866. Il reprit peu à peu une activité politique et s’engagea aux côtés d’Antide Martin. En 1869 et signa dans La sentinelle populaire plusieurs articles hostiles à Dorian adversaire d’Antide Martin aux élections législatives.

Élu en 1871 conseiller général du canton de Saint-Étienne Nord Ouest en battant Faure-Belon, Victor Duchamp se fit réélire en 1877 et 1883. Il entra au conseil municipal de Saint-Étienne en 1871 où il fut réélu en 1874, 1878 et 1881. Avocat inscrit au barreau de Saint-Étienne de 1866 à 1876, il fut secrétaire général de la mairie en 1876 & 1877, avant de retourner au barreau. Élu à la municipalité de Saint Priest-en-Jarez (Loire), lors d’une élection complémentaire le 17 septembre 1876, il fut élu maire de cette commune le 8 octobre 1876 mais démissionna par courrier daté du 12 janvier 1878 : élu à la fois au conseil municipal de Saint Priest et de Saint-Étienne, il décida d’opter pour celui de Saint-Étienne. Le cabinet du préfet précisait à son sujet : « 11000 francs de rente, républicain très convaincu, intelligent ».

Initié à la Franc-maçonnerie lorsqu’il résidait à Genève, le 10 mai 1857, Duchamp s’affilia à la loge « L’Industrie » du Grand Orient de France, le 10 mai 1871. Vénérable en 1874, il démissionna le 12 janvier 1876.

Lors des élections municipales de 1881, il forma une liste unifiant toute la gauche stéphanoise et comprenant des républicains (opportunistes et radicaux) mais aussi des socialistes. La liste ayant remporté les élections de 1881, Duchamp fut nommé maire. La combinaison inédite qui l’avait porté à la tête de la ville valut à Duchamp d’être qualifié, par certains auteurs, de « premier maire socialiste de Saint-Étienne ». Les maires étaient alors toujours nommés par le pouvoir central et mis en place par son représentant. Le 13 février 1881, le préfet Thomson affirma sa communauté de vue avec le nouveau maire : « Notre accord contrariera peut-être nos adversaires communs, les éternels ennemis du suffrage universel et de la liberté. Vous êtes tous ici des républicains, des républicains sincères, tous vous avez combattu le bon combat sous un régime détesté ; vous avez aussi combattu ensemble à une époque plus récente, lorsqu’un vent de réaction menaçait nos libertés ». Victor Duchamp exprima dans sa réponse un point de vue balancé : « En venant installer la nouvelle administration municipale (…) vous avez répondu au désir de la majorité des électeurs. La population de Saint-Étienne est presque entièrement composée de travailleurs rudement éprouvés par la persistance de la crise industrielle (… ). Patients et comptant sur l’esprit de justice du Parlement, ils se sont bornés à émettre des vœux dont la plupart sont en ce moment même soumis à l’approbation de la Chambre des Députés et du Sénat. Notre population si honnête, si âpre au travail qu’elle quitte la navette pour le pic ou la lime, est profondément dévouée à la République et sait attendre des manifestations seules du suffrage universel, la réalisation de ses légitimes demandes ».

Dernier maire nommé par le pouvoir central, Duchamp eut l’honneur d’être le premier maire élu par le Conseil. Lors de la séance du 7 mai 1882, on procéda à un vote solennel au cours duquel Duchamp fut désigné dès le premier tour par 31 voix.
Le mandat de Duchamp a été marqué – c’est l’époque des lois Ferry - par un gros effort en matière d’éducation. De nombreuses écoles primaires et maternelles ont été rénovées ou créées, une École professionnelle de filles ouverte (1881). Soucieux d’améliorer le niveau général d’éducation des ouvriers adultes en développant les cours du soir, Victor Duchamp fit adopter le premier projet de « salle de conférences et de cours publics » d’où devait sortir, 20 ans plus tard le bâtiment de la Bourse du Travail. Parallèlement était entreprise la laïcisation systématique des écoles primaires et maternelles de la ville. Une volonté qui s’étendit jusqu’à l’espace public : en 1883, on enleva la Croix de Mission érigée en 1811 sur la place du Peuple pour la transporter sur la terrasse de la Grand’Église.

Si la laïcisation unifiait la famille républicaine, les facteurs de division ne manquaient pas. En septembre 1882, les opportunistes qui souhaitaient installer une statue de Dorian s’affrontèrent aux socialistes qui préféraient une statue de la République. Lorsque le conseiller municipal Joly déclara : « on nous a prouvé que Dorian avait félicité les Versaillais, massacreurs du peuple de Paris », Duchamp répondit : « où peut-être l’intérêt du Conseil à renouveler les douleurs d’une famille ? » Le 2 janvier 1883, les 12 conseillers de la “minorité socialiste” s’opposèrent aux 10 conseillers de la “minorité opportuniste” désireux d’envoyer une délégation aux obsèques de Gambetta. Le maire et les conseillers de la “majorité radicale” demeurèrent spectateurs.

Derrière les batailles de symboles se profilait la question sociale. À la fin de février 1883, alors que la crise industrielle s’amplifiait, le Conseil engagea un débat sur la subvention à l’opéra. La minorité socialiste refusait une rallonge demandée par le directeur. Le 21, le conseiller Goudefer déclara : « Nous sommes dans une époque telle, il y a sur le pavé un si grand nombre d’ouvriers inoccupés, que je trouverais raide qu’il faille que cette masse de déshérités paie encore par contrecoup les distractions de ceux desquels ils ont fait la richesse ». Le constat de désaccord déboucha sur la démission de Dard-Janin, adjoint chargé des Beaux-Arts. Le divorce fut confirmé au début de janvier 1884 lors de la discussion du budget primitif. Les “collectivistes” contestèrent la nécessité d’un conservateur général des musées.

C’est dans cette atmosphère tendue qu’en février 1884 les ”sans travail” organisèrent une occupation éclair du bâtiment communal. De plus, l’état des finances municipales devenait inquiétant. La minorité opportuniste critiqua la folie des socialistes : « Vous n’avez rien prévu, vous avez gaspillé le présent et compromis l’avenir » déclara le 13 février 1883 le conseiller Laur. La division se transforma en cassure à propos de l’orphelinat du Rez. Pour couvrir une affaire d’abus sexuels sur les enfants, une partie du Conseil reprocha à Duchamp d’avoir laissée inachevée la laïcisation de l’institution. Le 6 février 1884, le Conseil se partagea encore en deux. Après une discussion longue et tendue le maire, désavoué, se retira. Cette profonde division de la gauche lassa l’opinion.

Duchamp resta conseiller général jusqu’à sa mort le 2 février 1887. Républicain de 1848, entré au Conseil au lendemain de l’installation de la IIIe République, figure marquante du radicalisme stéphanois, Victor Duchamp en incarna la version “socialisante” qui devait connaître une postérité durable jusqu’au milieu du XXe siècle. Le 1er mars 1907, une délibération du Conseil municipal attribua son nom à la rue Saint-Michel, reliant la rue Clovis Hugues à la rue de Montaud. Ainsi, même après sa mort, le républicain Duchamp contribua-t-il à la poursuite de la politique de laïcisation.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article30292, notice DUCHAMP Victor [né DUCHAMP Gaspard, Eliza, Victor ] par Jean-Michel Steiner, version mise en ligne le 20 février 2009, dernière modification le 20 mars 2021.

Par Jean-Michel Steiner

Victor Duchamp
Victor Duchamp

SOURCES : Arch. Nat., BB 30/396, P. 440, Dossier Riom. — Archives départementales de la Loire, 3M386, 3M384, 3M393. — Ménard François, Saint-Étienne pas à pas, Éditions Horvath, 1987. — Renseignements fournis par Marc Scaglione-Jacquemond.
SOURCES : Arch. Nat., BB 30/396, P. 440, Dossier Riom. — Arch. Dép. Loire : 3 M 386, 3 M 384, 3 M 393. — Arch. Mun. Saint-Étienne : 4 E 94, décès, 1887 ; C 2 1 à 4, registres des délibérations du conseil municipal ; Le Mémorial (1881-1887) - Notes de Marc Scaglione-Jacquemond.
BIBLIOGRAPHIE : Ménard François, Saint-Étienne pas à pas, Éditions Horvath, 1987. - Merley Jean, Querelles politiques et affrontements idéologiques sous le Second Empire. L’exemple de la presse stéphanoise, Saint-Étienne, 2005, 397 p. ; Jean-Michel Steiner, Gérard Thermeau, Les maires de la grande ville ouvrière. Une autre histoire de Saint-Étienne. Saint-Étienne, PUSE, 2015 ; Steiner, 2003.

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