DURAND Claude

Né le 26 décembre 1801 à Mauzé-sur-le-Mignon (Deux-Sèvres), mort, en cette commune, le 24 février 1895 ; poète, chansonnier et militant révolutionnaire, exilé à Jersey.

Claude Durand en 1854 à Jersey, photographié par Auguste Vacquerie
Claude Durand en 1854 à Jersey, photographié par Auguste Vacquerie
La photographie est accompagné de la dédicace suivante : « A Jersey le 29 septembre 1854, à mon ami Charles Asplet. »
(Source : Archives de l’Oise, 96J17, Album Charles Asplet, fol. 19)

Claude Durand appartenait à une famille de cultivateurs et de vignerons et fit ses études à l’école primaire du lieu de sa naissance où il eut, comme condisciple, René Caillé, le futur explorateur africain. Il devint conseiller municipal de la commune sous la monarchie de Juillet, puis maire en 1848. Il se présenta, sans succès, à la députation en avril 1848.

Lors des élections du 13 mai 1849 à la Législative, il fut candidat sur la liste des travailleurs démocrates socialistes. Dans sa profession de foi, reproduite dans le journal L’œil du Peuple du 1er mai, il déclarait :

« Citoyens, je viens d’apprendre que le comité central des travailleurs socialistes de Niort a porté mon nom sur la liste des candidats pour la représentation nationale. C’est plus qu’un devoir pour moi, homme de travail et de dévouement, de répondre à cet appel ; surtout quand l’avenir est aussi gros d’orages, et que l’on voit toutes les aristocraties se donner la main pour étouffer le socialisme, ce souffle régénérateur que la révolution de Février a jeté dans le monde [...] Car, il faut bien le dire, jusqu’ici il n’y a eu que les habits dorés de représentés, cependant les vingt-cinq millions de prolétaires qui produisent les fortunes de France valent bien la peine qu’on s’en occupe. Chers campagnards, puisque mes sympathies vous sont acquises, criez donc avec moi : Vive la République démocratique et sociale ! seule forme de gouvernement possible, qui respectera les personnes, la famille, la propriété et protégera en même temps l’avenir des pauvres et la fortune des riches ; cette République, enfin, qui nous rendra le milliard d’indemnité qui fut alloué aux émigrés pour avoir été chercher les Cosaques ; qui emploiera cette somme au remboursement des 45 centimes ; qui réformera les mauvaises lois qui ruinent les vingt-cinq millions de producteurs pour enrichir huit ou dix millions de fainéants qui pavanent dans des calèches ; qui mettra l’organisation du travail à la place de l’aumône, qui allongera les vestes sans rogner les habits. La République de tous, par tous et pour tous... »

Claude Durand n’obtint que 1 876 voix sur 56 851 votants ; mais dans le canton de Mauzé, il recueillait 606 voix, ce qui révélait une forte influence locale. Il faut noter, d’ailleurs, que lors de l’élection présidentielle du 10 décembre 1848, les socialistes de Mauzé avaient apporté 69 voix à Raspail contre 13 à Ledru-Rollin.

Dans les Deux-Sèvres, Claude Durand était proche des communistes icariens. Voir Paul Guay. Voir aussi Jean Fayette, Jean-Jacques Goutière et Louis Leroy.

Son fameux Chant des Vignerons va rendre bientôt Claude Durand célèbre dans tous les milieux révolutionnaires français :

Les Montagnards pour nous sont la lumière,
Drapeau du riche et de la pauvreté,
Car si les p’tits n’ont pas le nécessaire,
Pour tous les gros pas de sécurité.
(Refrain)
Bons, bons vignerons,
Aux prochaines élections,
Il faut, campagnards,
Voter montagnard.
N’écoute plus cette aristocratie
Qui convertit ta sueur en écus,
Quand tu voudras, usure et tyrannie,
Dans un seul jour tout aura disparu.
Bons, bons vignerons, etc...
Pauvre ouvrier, tu construis pour ton maître
De beaux châteaux, de somptueux palais ;
Tu fais aussi des prisons pour t’y mettre,
Car, tu sais bien, les gros n’y vont jamais.
Bons, bons vignerons, etc...
C’est encore toi, pauvre, qui fais la guerre ;
Tu forges aussi des fers au genre humain ;
À l’occasion c’est toi qui tues ton père,
Et bien souvent tu refoules ta faim.
Bons, bons vignerons, etc...
Ouvre les yeux, paysan, l’on escamote
Les plus beaux fruits de la riche moisson.
Tu sèmeras, hélas ! c’est l’oisif qui récolte,
À lui la fleur et pour toi le gros son.
Bons, bons vignerons, etc...
Quand l’élection sera démocratique,
Tous les impôts des pauvres ouvriers
Seront payés dans notre République
Par les richards et par les gros banquiers.
Bons, bons vignerons, etc...

Victor Hugo dira plus tard : « Le Chant des Vignerons est historique et vivra après son auteur. » Il valut à Claude Durand de comparaître devant la cour d’assises des Deux-Sèvres, le 18 mai 1850, sous l’inculpation d’« acte de rébellion et d’excitation à la haine des citoyens les uns contre les autres » mais l’auteur fut acquitté.

Une même inspiration anime son Chant populaire sur la misère et l’ignorance :

Dans les discussions de salaires,
Entre travailleurs et patrons,
Chass’pots, vos balles mercenaires
Sont de tristes solutions.
(Refrain)
Répandons la lumière ;
À l’ignorance, à la misère,
Déclarons une guerre à mort ;
Ces deux ennemis, sur la terre,
Sont en ce moment les plus forts.
Malgré les chass’pots et les trônes,
La misèr’ veut finir son bail,
L’ouvrier ne veut pas d’aumônes,
Il veut vivre de son travail.
Répandons la lumière, etc...
Car l’aumône dégrade l’homme,
Elle abrutit sa dignité ;
Les véritables droits de l’homme
Sont dans la solidarité.
Répandons la lumière, etc...
Formons notre sainte alliance,
Debout, modestes producteurs,
Le quatrième état s’avance,
C’est le règne des travailleurs.
Répandons la lumière, etc...

En décembre 1851, les autorités considéraient Claude Durand comme un chef peu dangereux du parti socialiste, ce qui n’empêcha pas la Commission mixte des Deux-Sèvres de le condamner, par contumace, le 10 février 1852, à la transportation en Algérie. Il est vrai que Durand, bien que malade, avait tenté de fomenter une insurrection à Mauzé, le 3 décembre. D’après une tradition locale, il se serait longtemps caché dans un cuvier où sa femme venait lui apporter à manger. Il réussit finalement à gagner la Belgique puis s’installa à Saint-Hélier (île de Jersey) où il devint l’un des familiers de Victor Hugo. Le 21 octobre 1853 il participa à l’assemblée générale des proscrits républicains résidant à Jersey, qui déclara le sieur Julien Hubert comme espion et agent provocateur de la police de Napoléon III. Il forma un recours en grâce, en 1856 et put rentrer à Mauzé, le 30 mai 1856.

Sa rencontre avec Victor Hugo devait être décisive pour son œuvre. Ses chansons y perdirent beaucoup de leur spontanéité, influencées qu’elles étaient par l’illustre modèle, tant pour le style que pour la pensée.

Après son retour, il chanta Sur le glas du vieux monde qui doit beaucoup à Hugo, mais rappelle aussi un poème de Eugène Pottier que certainement Durand ignorait. Il annonça La République universelle, composa un Chant américain sur la mort de l’esclavage :

Plus d’esclaves dans la patrie,
Le noir n’est plus un vil bétail.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article30508, notice DURAND Claude, version mise en ligne le 20 février 2009, dernière modification le 7 janvier 2021.
Claude Durand en 1854 à Jersey, photographié par Auguste Vacquerie
Claude Durand en 1854 à Jersey, photographié par Auguste Vacquerie
La photographie est accompagné de la dédicace suivante : « A Jersey le 29 septembre 1854, à mon ami Charles Asplet. »
(Source : Archives de l’Oise, 96J17, Album Charles Asplet, fol. 19)

ŒUVRES : On trouvera les chansons de Claude Durand dans l’ouvrage La « Chanson des vignerons » et la poésie populaire dans les Deux-Sèvres. Claude Durand et ses chansons. Étude littéraire précédée d’une notice sur sa vie, avec portrait, musique et autographe. L. Clouzot, libraire-éditeur, Niort, 1886. Outre le Chant des Vignerons et le Chant populaire sur la misère et l’ignorance, donnés ci-dessus, on trouvera notamment : La Barbarie aux prises avec la civilisation, Appel aux armes, Jersey, À Victor Hugo, La Marseillaise de la paix, Les Droits du seigneur, De la nécessité du mandat impératif, Sur le glas du vieux monde, Chant américain sur la mort de l’esclavage.

SOURCES : Archives départementales des Deux-Sèvres, 4 M 6/17 ; 4 M 15/4. — Archives de l’Oise, Album Charles Asplet. — Maison de Victor Hugo - Hauteville House à Guernesey, Album Philippe Asplet, fol. 58. — Musée d’Orsay, Portrait de Claude Durand. — Journal L’œil du Peuple, 1er mai 1849. — Émile Monnet, Archives politiques du département des Deux-Sèvres, t. 1er. — A la France. L’agent provocateur Hubert, Jersey : imp. universelle, [1853]. — Victor Hugo, « 1853-L’espion Hubert », Œuvres inédites de Victor Hugo. Choses vues, 1888, p. 291-330. — Jacques Nanteuil, « Un compagnon de Victor Hugo à Jersey : Claude Durand, poète, vigneron, et révolutionnaire », Le Miroir de l’Histoire, p. 73, année 1956. — Jean-Claude Farcy, Rosine Fry, « Durand - Claude », Poursuivis à la suite du coup d’État de décembre 1851, Centre Georges Chevrier - (Université de Bourgogne/CNRS), [En ligne], mis en ligne le 27 août 2013. — Notes de Gauthier Langlois.

ICONOGRAPHIE : Portraits dans l’ouvrage Claude Durand et ses chansons et dans Jacques Nanteuil, art. cité, p. 96. — Mme Armand Morin, 152, Grande-Rue, à Mauzé-sur-le-Mignon, arrière-petite-fille de Claude Durand, possède un portrait de son aïeul peint dans un café à Rochefort.

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