DUVEYRIER Honoré Constant Charles

Par Ph. Régnier

Né à Paris le 12 avril 1803, mort à Paris le 9 novembre 1866. Avocat, journaliste et homme de lettres saint-simonien.

Le père de Duveyrier était un avocat, ami de Mirabeau, qui connut la prison sous la Terreur et fit fortune dans les fournitures sous le Directoire avant de soutenir l’ascension de Bonaparte. Ce baron d’Empire, premier président de la Cour impériale, fut destitué sous la Restauration, et présidait alors le conseil d’administration de la Caisse hypothécaire, dont Olinde Rodrigues* fut le directeur et Enfantin* le caissier. Une conséquence signifiante, entre autres, de ces origines privilégiées, qui n’étaient pas rares parmi les dirigeants saint-simoniens, est le fait que, lors de sa comparution en justice en 1832, Charles Duveyrier, pour se justifier de son engagement, tint à évoquer son affection pour la domestique qui l’avait élevé et que la misère avait contrainte à abandonner son propre fils aux Enfants-Trouvés.
Duveyrier débuta par un « Essai sur le corps électoral selon la Charte », écrit en 1828 pour un ouvrage de son père, Histoire des premiers électeurs de Paris, en 1789. Saint-simonien dès cette année-là, et disciple d’Eugène Rodrigues*, il rédigea dans les années 1828-1829 plusieurs textes demeurés inédits, notamment sur le thème de la vie éternelle, qui contribuèrent à la transformation religieuse de la doctrine saint-simonienne. Membre à ce titre du « Collège », il accomplit une mission de propagande à Nantes et dans le Sud-Ouest, en compagnie de J. Lechevalier, peu après la révolution de Juillet. En juillet 1831, il remplaça Margerin*, qui avait démérité, à la tête de la seconde mission de Belgique et participa à la fondation, à Bruxelles, de L’Organisateur belge (17 mai 1831-24 novembre 1831). Il se rendit en Angleterre, en janvier 1832, avec G. d’Eichthal*, pour s’informer des réalités sociales et industrielles de ce pays et établir des relations avec les milieux owenistes et certaines personnalités intellectuelles (dont John Stuart Mill). L’un des principaux soutiens d’Enfantin lors du grand débat qui l’avait opposé à Bazard à la fin de l’année précédente, il fut alors nommé au nouveau " Collège » et plus spécialement affecté à la rédaction du Globe. La plupart des articles consacrés par ce journal à l’aspect religieux du saint-simonisme lui seraient dûs. Il y signa, le 12 janvier 1832, un article qui, sous couvert d’une référence au Banquet de Platon, explicitait la morale nouvelle prônée par le Père en appelant ouvertement à l’invention d’une pluralité amoureuse. Relevé par le ministère public comme attentatoire à la morale, cet article fut cité dans l’acte d’accusation dressé contre les saint-simoniens lors du procès qui leur fut intenté dès l’automne suivant. Briguant la fonction d’interprète inspiré de la pensée d’Enfantin, Duveyrier se fit aussi remarquer par plusieurs essais d’une prose poétique d’allure prophétique qui lui valurent pendant la Retraite de Ménilmontant la responsabilité de « chef de la musique » et le titre de « poète de Dieu ».
Revenu à la vie civile dès novembre 1832, Duveyrier, souvent en collaboration avec son frère aîné, Honoré, dit Mélesville (1787-1865), mena une longue carrière d’auteur de vaudevilles, de comédies, de drames et de livrets d’opéra tout en assurant un temps la critique de théâtre au Monde, en collaborant (irrégulièrement) au Journal des Débats et à L’Artiste et, surtout, en publiant régulièrement, conformément à sa première vocation, des essais politiques sur des sujets d’actualité. Cette production intellectuelle ne l’empêcha pas de créer et de gérer la première agence de publicité de presse, la Société générale des Annonces, avec, entre autres objectifs, celui de contrôler une partie des journaux en vue de favoriser la Société d’études du Canal de Suez fondée par Enfantin bien avant que F. de Lesseps ne se lance dans l’aventure. Complété par un intérêt soutenu pour le développement des chemins de fer, cette spéculation fit à Duveyrier la réputation d’un affairiste et lui attira quelques-unes des foudres prodiguées aux saint-simoniens en vue dans le pamphlet de Toussenel, Les Juifs, rois de l’époque (1845). Marié depuis 1839 à une Anglaise catholique, d’esprit assez étroit, selon Arlès-Dufour, Duveyrier resta cependant toujours disponible pour Enfantin. C’est ainsi qu’à sa demande, il se rendit en 1843 à Londres auprès du duc de Bordeaux pour inciter les légitimistes à s’allier à la mouvance socialiste contre la bourgeoisie orléaniste. Sous la Seconde République, Duveyrier, appelé par Louis Blanc, le 1er mars 1848, à siéger à la Commission du gouvernement pour les travailleurs, créa, avec Louis Jourdan, le journal Le Spectateur républicain (mars à mai 1848). Il fut ensuite le rédacteur en chef du quotidien républicain modéré Le Crédit, en réalité lancé, soutenu et dirigé en sous-main par le « Père ». L’Empire venu, il ne se rangea pas dans l’opposition. Mais, en relation permanente avec d’autres saint-simoniens influents tels que Michel Chevalier*, Arlès-Dufour* ou les Péreire*, il continua son œuvre de publiciste politique sous la forme de brochures et d’essais qui eurent une audience certaine et où il s’efforçait de tirer la politique intérieure et extérieure de Napoléon III dans des directions conformes à l’esprit industrialiste, social et pacifiste du saint-simonisme.
Charles Duveyrier est le père du géographe et explorateur du Sahara Henri Duveyrier (1840-1892).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article30604, notice DUVEYRIER Honoré Constant Charles par Ph. Régnier , version mise en ligne le 20 février 2009, dernière modification le 15 novembre 2022.

Par Ph. Régnier

ŒUVRES : « A Dieu ! », « Au Père ! », « La Ville nouvelle ou le Paris des saint-simoniens », poèmes de 1832, dans Le Livre nouveau des saint-simoniens, éd. du Lérot, Tusson (Charente), 1992. — L’ingénieur ou la mine de charbon, mélodrame en trois actes, 1836. — Oscar ou le mari qui trompe sa femme, comédie en trois actes par Scribe et Duveyrier, 1842. — Lettres politiques, Paris, 1833, 2 vol. — Les Vêpres Siciliennes, opéra en cinq actes de Scribe et Duveyrier, musique de Verdi, 1855. — [sous l’anonymat] Nécessité d’un congrès pour pacifier l’Europe, par un homme d’État, 1855. — L’Autriche dans les Principautés danubiennes, 1858. — L’Avenir et les Bonaparte,1864, 330 p. — [sous l’anonymat] Paroles d’un homme d’État., s. d.

SOURCES : Bibl. Arsenal, Fonds Enfantin, en part. mss. 7616, 7631, 7668/18, 7677/56. — S. Charléty, Histoire du saint-simonisme, Paris, Hartmann, 1931. 2e éd. — Eudes Blanc, « A la recherche des grands succès oubliés : les Duveyrier-Mélesville à Marly », Le Vieux-Marly, bulletin de la Société archéologique, historique et artistique de Marly-Le-Roy, t. III, n° 4, 1970-1971, p. 43-49. — André Noël, « Un saint-simonien, homme de théâtre, à Marly : Charles Duveyrier », ibid., p. 50-56.

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