FAURE Philippe [FAURE Amédée Philippe

Par notice complétée par Gauthier Langlois

Né le 14 décembre 1823 à Châlons-sur-Marne (Marne), mort le 13 janvier 1856, en exil, à Saint-Hélier (Jersey). Journaliste socialiste. Directeur du Bonhomme manceau, du 19 octobre 1849 au 30 mars 1850.

« Philippe Amédée Faure »
« Philippe Amédée Faure »
Colonne surmontée d’une urne, signalant la sépulture de Philippe Faure dans la tombe collective des proscrits au cimetière Macpela (source : Wikimedia). Ce monument a été élevé par la mère de Philippe et porte l’inscription suivante :
JEUNE SOLDAT, OU VAS-TU ?
JE VAIS COMBATTRE POUR TE RENDRE
SUR LA TERRE, UNE PATRIE
AU CIEL, TON DIEU.
QUE TES ARMES SOIENT BÉNIES, JEUNE SOLDAT.
PHILIPPE AMEDÉE FAURE.
Châlons-sur-Marne, 15 Décembre 1823.
Jersey, 13 Janvier 1856.
MA MÈRE, AU REVOIR
DANS UN MEILLEUR MONDE
OU NOUS SERONS TOUS RÉUNIS
NOUS QUI NOUS AIMONS.
AU SEIN DES IMMORTELS
DEVIENS UN DIEU TOI-MÊME.

Philippe Faure appartenait à une famille de militaires de Saint-Gaudens. Son père, Jean Simon, sous-intendant-militaire, avait reçu la Légion d’honneur et la croix de Saint-Louis pour sa participation aux campagnes de la Révolution, de l’Empire puis de la Restauration. Il avait épousé à Paris Virginie Didier qui éleva son fils, devenu très tôt orphelin. À six ans, il lisait déjà le latin couramment et comprenait assez de grec pour se passionner au récit des aventures d’Ulysse. Très jeune, grâce à sa mère, il entra en contact avec Béranger, Lamennais et Marrast (lui aussi originaire de Saint-Gaudens).

Il s’associa aux propagateurs de la « Société d’Enseignement » fondée par les disciples de Jacotot, puis, à l’âge de dix-neuf ans, il entreprit un voyage en Algérie dont il publia un compte rendu dans la Revue sociale, éditée à Boussac par Pierre Leroux. À Paris il devint, tout comme son ami Auguste Desmoulins, un disciple de Louis Raban, dont il fit l’éloge funèbre en 1845. Les deux amis, séduits par la doctrine de l’humanité, rejoignirent ensuite Pierre Leroux, dont ils devinrent des intimes.

Du 27 avril 1847 au 29 février 1848, Faure publia 22 lettres dans le journal de Leroux, L’Éclaireur du Centre. Il fréquentait, en outre, Jean Reynaud, Luc Desages, Louis Blanc, et Gustave Sandré.

Il affichait des opinions socialistes mais, à la veille de la révolution de 1848, tout comme Pierre Leroux, il aurait voulu temporiser. L’heure ne lui semblait pas propice pour proclamer la République dans un pays où les premiers germes de l’idée socialiste commençaient à peine à percer. Après avoir consulté Lamennais, il se décida à combattre sur les barricades de Février. Dans son testament, rédigé le 22, il affirmait son appartenance à la religion catholique. Dès le 29 février, dans sa dernière lettre à L’Éclaireur du Centre, il disait déjà sa déception : « L’ordre se rétablit peu à peu, les ouvriers s’assemblent, les clubs se rouvrent, l’agitation se calme... J’espère, je compte sur l’intelligence du peuple pour laisser le temps au gouvernement de satisfaire à ses réclamations et pour faire justice des honteuses excitations d’hommes qui n’ont pas osé paraître pendant le combat. En attendant, beaucoup se jettent à la curée des emplois ; c’est dégoûtant, et les vils laquais de l’ancien régime prennent la livrée républicaine avec un empressement repoussant. »

Lamennais accueillit Faure à bras ouverts à la rédaction du Peuple constituant. Quand ce journal sombra (« Silence aux pauvres ! »), Proudhon enrôla Faure dans l’équipe du Représentant du Peuple, puis du Peuple. Quand ce dernier eut succombé sous les amendes et les emprisonnements de ses rédacteurs, Faure défendit dans La Voix du Peuple la liberté de la presse, la liberté de réunion et d’association, la Pologne, la République romaine, la Hongrie. Il se mêla ardemment aux luttes électorales du « Comité socialiste de la Seine », à la direction duquel il appartenait.

Devant les mesures coercitives qui frappaient la presse de province, les républicains de la Sarthe avaient décidé de s’unir à ceux de Maine-et-Loire pour faire paraître, en commun, un organe susceptible de rassembler toutes les nuances de l’opinion républicaine. Le choix se porta sur le Courrier de la Sarthe de Silly, couvert de dettes et d’amendes et qui devint, le 19 octobre 1849, Le Bonhomme manceau. Madier de Montjau leur conseilla d’en confier la direction à Faure, à qui la disparition du Peuple laissait des loisirs. Napoléon Gallois en était l’un des rédacteurs. La difficulté était de faire accepter par les républicains modérés un ancien collaborateur de Pierre Leroux et de Proudhon. En raison du caractère conciliant de Philippe Faure, il n’y eut pas de heurt au début : « Le Bonhomme manceau que l’on renflouait, restera ce qu’il était : fidèle défenseur des institutions républicaines, champion de l’égalité, apôtre de l’union des sectes, des classes, des partis... C’est pourquoi Le Bonhomme manceau a pour principe la souveraineté du peuple ; il combattra de toutes ses forces l’influence cléricale, l’arbitraire gouvernemental, l’exploitation capitaliste. »

Dans le premier numéro de sa nouvelle série Le Bonhomme manceau inséra de vives attaques contre le cléricalisme qui plurent à tout le monde. Puis éclata la grève des mineurs de Sablé, qui réclamaient une augmentation de salaires. Faure s’efforça de démontrer que la justice et le bon droit étaient du côté des travailleurs : « Une question de salaire est une question économique et non politique ; qu’ils soient républicains ou royalistes, les ouvriers n’en sont pas moins tous atteints dans leur existence, dès qu’il s’agit de toucher au salaire qu’ils reçoivent en rémunération de leur labeur ; et tous, sans exception de parti, discutent et débattent leurs intérêts avec les capitalistes pour lesquels ils travaillent [...] la République réalisera les progrès réclamés par la justice et marchera à l’abolition du prolétariat, à l’extinction du paupérisme. »

Grâce à l’action de Faure, l’opinion publique se rangea en majorité du côté des grévistes qui ne furent condamnés qu’à cinq ou quinze jours de prison. Toutefois, cette campagne de Faure amena une rupture entre socialistes et républicains modérés. Le 13 février 1851, parut Jacques Bonhomme, organe des modérés. À la fin de 1850, en quelques jours, Le Bonhomme manceau avait été condamné trois fois par le tribunal correctionnel d’Angers. Le montant des amendes était de 4 100 francs et son gérant avait eu, en outre, un mois de prison. Le dernier numéro parut le 28 novembre 1851.

Suite au coup d’État du 2 décembre 1851, Faure et d’autres républicains appelèrent à l’insurrection. En conséquence il fut poursuivit et condamné par la Commission mixte de la Sarthe à l’expulsion, motivée par les considérants suivants :

« Considérant, en ce qui concerne les Srs Fameau, [Édouard] Laboussinière, [Victor] Louchet, Michel, [Joseph] Butté, Philippe Faure, [Alexis] Hamonet, [François] Neveu, [Louis Martin] Jouffreau, Louis Lair, [Jean Joseph Félix] Milliet qu’ils sont tous depuis longtemps affiliés, comme directeurs ou agents principaux, à la société politique qui, sous divers titres, s’était donné la mission de répandre, dans le département de la Sarthe les principes démagogiques ou socialistes ; qu’à toutes les époques on les a vu rédiger ou distribuer des écrits de cette société, convoquer ou présider ses réunions, assurer l’exécution de ses décisions et, en un mot, s’efforcer de diriger l’opinion publique dans le sens de ses doctrines, ainsi que l’attestent toutes les pièces saisies au domicile du sieur Bouteloup. Que lors des événements du 2 décembre, ils étaient à la tête d’une organisation dont le but était de changer la forme du Gouvernement, sauf à attendre l’époque et saisir le prétexte que les circonstances fourniraient, et que pendant le moment venu, ils se sont efforcés d’assurer l’exécution des plans par eux depuis longtemps médités ; qu’en négligeant les allées et venues des premiers jours ainsi que la tentative faite dans la nuit du 3 décembre contre l’hôtel de ville du Mans, il ressort de l’instruction que le 5, à une heure de l’après-midi, les sus nommés se sont assemblés au domicile du sieur Fameau, l’un d’eux, qu’ils ont désigné comme Président et qu’ils ont ouvert une délibération ; que l’objet de cette délibération était : prendra-t-on les armes ? Quel jour et à quelle heure le fera-t-on ? Qu’il fut résolu d’attendre au lendemain 5, à quatre heures de l’après-midi ; que le plan était de remplacer violemment toutes les autorités alors en exercice ; d’installer à leur place des administrations provisoires et de paralyser ainsi toute l’action gouvernementale du Président de la République. (...)
Considérant, qu’outre sa participation à cette mesure générale, chacun des sus-nommés s’est efforcé d’en assurer la réalisation ; qu’ainsi le Sr Faure, venu de Paris tout exprès, avait répandu à Bonnétable et au Mans des nouvelles inquiétantes et a porté l’ordre de s’insurger ; que le Sr Hamonet, dans la nuit du 5 est vu dans plusieurs communes du département et notamment dans les cantons de Bouloire, du Grand-Lucé et de St Calais, prêchant partout l’insurrection, donnant l’ordre de sonner le tocsin et marchant lui-même à la tête des détachements soulevés par sa parole, complétant ainsi par l’action la détestable propagande dont il s’est fait depuis trois années dans le département de la Sarthe, etc. »

Faure avait-il été arrêté ou s’était-il enfui comme plusieurs de ses camarades ? Contrairement à Silly et Fameau, il figure pas sur l’avis de recherche publié par les autorités en janvier 1852.

En fuite ou expulsé, il vécut d’abord à Londres, où il fréquenta l’« Union socialiste ». Puis, à Jersey, près de Victor Hugo, qui le mit en relation avec Cobden. Revenu à Londres il donna des leçons de français. De nouveau à Jersey, il apprit le métier de typographe, travailla pour L’Homme de Ribeyrolles, ou d’accord avec Pierre Leroux à la fois comme traducteur des textes du hongrois Lajos Kossuth et comme compositeur typographique. Sa sœur et sa mère, Virginie Didier, l’avaient accompagné dans son exil.

En octobre 1855, suite au « Coup d’État de Jersey » il fut, avec François Taféry, Claude Victor Vincent, Jégo, Kosiell et le docteur Gornet, de ceux qui défendirent l’Imprimerie Universelle. N’ayant pas signé la protestation à l’origine de cet événement, il ne fut pas expulsé et contrairement à la majorité des proscrits, décida de demeurer dans l’île.

La notification de sa grâce, publiée par le Moniteur du 4 février 1856, ne lui était pas parvenue lorsqu’il mourut, dans sa trente-troisième année. Le mardi 15 Janvier 1856, un nombreux cortège de proscrits de tous les pays accompagnait au cimetière Macpela dans la paroisse Saint-Jean, la dépouille de Philippe Faure. Ses amis Auguste Desmoulins et Alphonse Bianchi prononcèrent son éloge funèbre. Julian Harney, retenu à Londres par une maladie, avait envoyé une lettre d’adieu qui fut lue par Desmoulins. En 1860 sa mère était encore (ou à nouveau ?) à Jersey et allait chaque jour prier sur sa tombe.

Phlippe Faure était franc-maçon. Il avait reçu une initiation au compagnonnage par un certain le Nantais. Il était présent à la réunion tenue à Londres le dimanche 9 décembre 1855, du Temple mystique du rite oriental de Memphis.

Philippe Faure était l’oncle d’Adolphe Pelleport qui vint régulièrement rendre visite à Hugo et aux proscrits de Jersey et Guernesey à partir de 1863, et leur dédiera des poèmes, publiés plus tard par Hugo, Vacquerie et Louis Blanc.


Voir aussi Gallois Napoléon, Sand George.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article30808, notice FAURE Philippe [FAURE Amédée Philippe par notice complétée par Gauthier Langlois, version mise en ligne le 20 février 2009, dernière modification le 4 décembre 2021.

Par notice complétée par Gauthier Langlois

« Philippe Amédée Faure »
« Philippe Amédée Faure »
Colonne surmontée d’une urne, signalant la sépulture de Philippe Faure dans la tombe collective des proscrits au cimetière Macpela (source : Wikimedia). Ce monument a été élevé par la mère de Philippe et porte l’inscription suivante :
JEUNE SOLDAT, OU VAS-TU ?
JE VAIS COMBATTRE POUR TE RENDRE
SUR LA TERRE, UNE PATRIE
AU CIEL, TON DIEU.
QUE TES ARMES SOIENT BÉNIES, JEUNE SOLDAT.
PHILIPPE AMEDÉE FAURE.
Châlons-sur-Marne, 15 Décembre 1823.
Jersey, 13 Janvier 1856.
MA MÈRE, AU REVOIR
DANS UN MEILLEUR MONDE
OU NOUS SERONS TOUS RÉUNIS
NOUS QUI NOUS AIMONS.
AU SEIN DES IMMORTELS
DEVIENS UN DIEU TOI-MÊME.

ŒUVRE : Auguste Desmoulins, gendre de Pierre Leroux, a publié en 1860, à Jersey, les correspondances envoyées en 1848 à L’Éclaireur du Centre, sous le titre Journal d’un combattant de Février.

SOURCES : Bnf, Fichier Bossu et suite de la fiche. — Pierre Leroux, « La Grève de Samarez. Poème philosophique. chapitre XXXIII - Philippe Faure », L’Espérance. Revue philosophique, politique, littéraire, avril 1859, p. 247-248. — Jules Clarétie, « La vie à Paris », Le Temps, 4 août 1883. — Léon Guyon, « Un journaliste de 1848 : Philippe Faure », La Révolution de 1848, n° 17 (nov.-déc. 1906), et n° 18 (janv.-févr. 1907). — Pierre Angrand, Victor Hugo raconté par les papiers d’État, Paris, 1961. — Gérard Boëldieu, « Sur six proscrits sarthois, compagnons d’exil de Victor Hugo à Jersey », Gavroche, n° 158, avril-juin 2009, p. 24-33. — Thomas C Jones, « Rallier la république en exil. L’Homme de Ribeyrolles », dans : Thomas Bouchet éd., Quand les socialistes inventaient l’avenir. Presse, théories et expériences, 1825-1860. Paris, La Découverte, 2015, p. 348-360. — Jean-Claude Farcy, Rosine Fry, « Faure - Philippe », Poursuivis à la suite du coup d’État de décembre 1851, Centre Georges Chevrier - (Université de Bourgogne/CNRS), [En ligne], mis en ligne le 27 août 2013.

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