GENOUX Claude

Par Philippe Darriulat

Né à Saint Sigismond (Savoie) le 19 mars 1811, mort à Paris le 8 septembre 1874. Ramoneur et chansonnier socialiste.

Claude Genoux
Claude Genoux
Cliché fourni par Philippe Darriulat

Né dans une famille misérable de Savoie, Claude Genoux immigre vers Paris à l’âge de huit an. Pendant le voyage, pour subvenir à ses besoins, il propose ses services comme ramoneur et mendie, souvent en s’aidant de ses qualités vocales. Dans ses Mémoires il raconte par exemple comment il promet, en échange d’une obole, à une malade de chanter un cantique devant la guérir. Il suit des saltimbanques qui font des tours, dansent et chantent ; il joue aussi au théâtre d’Avallon dans des pièces où il y a des morceaux lyriques. Arrivé dans la capitale il est recueilli dans un orphelinat, il passe une nuit avec d’autres pensionnaires de cette établissement à la prison de la préfecture : on s’y endort au son de chansons. Commence alors la période la plus aventureuse de se vie. A quatorze ans on le retrouve à Rome et peu de temps après il s’engage comme mousse dans la marine sarde. Blessé au cours d’un combat naval contre les barbaresques, il est débarqué et, une fois guéri reprend la balle pour Chambéry, Paris, le Languedoc… En 1830 il est à, Marseille où il écrit des chansons, qui lui sont payées trois francs, pour les chanteurs du port et pour les colporteurs des campagnes. Il réussit à embarquer, comme cuisinier, dans un des vaisseaux de la flotte mobilisée pour l’expédition d’Alger. Il n’est donc pas à Paris lorsqu’éclate la révolution de juillet ; il affirme cependant qu’il est devenu républicain dès 1827. Sa vie de matelot le mène alors successivement au Brésil, où il parcourt la jungle, en Bolivie, au Pérou où il devient soldat, à bord d’un baleinier faisant le tour du Pacifique, à Manille, et enfin, de nouveau à Rio de Janeiro, d’où il repart à la chasse à la baleine, cette fois dans l’Antarctique. Il rentre en France en 1835 avec seulement 25 centimes en poche. Il occupe alors plusieurs professions : valet de chambre, maçon et surtout, de 1836 à 1850, ouvrier margeur à l’imprimerie de Paul Dupont qui publie notamment, en 1845, Le Prompt Calculateur des salaires, tarif des maitres et des ouvriers. C’est à cette époque qu’il affirme avoir été converti aux doctrines sociales par l’Atelier, la Fraternité et l’Union, qu’il appelle les « organes de la classe ouvrière ». Dans le même temps il fréquente les goguettes où il se lie d’amitié avec les principaux chansonniers : Savinien Lapointe l’introduit à la rédaction de l’Union ouvrière où il retrouve, entre autres, Vinçard. En 1847 circule une édition des Flèches populaires contenant une chanson de Claude Genoux - « Satan agent provocateur » - considéré par le Procureur de Paris comme « contenant des outrages à la morale publique, politique et religieuse ». Pendant la deuxième République il publie dans La Voix du peuple « Rome moderne » : une chanson à la gloire de Pie IX, encore considéré par les démocrates comme un « Pontife libérateur » capable de prendre la tête du mouvement pour l’unité italienne à laquelle ce savoyard attache une très grande importance, au point de correspondre avec Cavour et plusieurs ministres piémontais. Sa « Rome moderne » est reprise dans le Républicain lyrique de septembre 1848 ; le même journal proposant dans son édition de mai 1849 le « Chant des associations », un titre qui rencontre un indéniable succès sur le thème de l’adieu au vieux monde et de la promesse d’un avenir républicain radieux. En 1850 ses chansons sont réunies dans un recueil qui lui vaut une certaine renommée : Les Chants de l’atelier. Dans l’avant-propos qu’il rédige à cette occasion il affirme avoir décidé d’arrêter son activité de chansonnier : « comprenant enfin que mes vers ne sont que de médiocres vers, comprenant aussi que la médiocrité n’est pas supportable en poésie, lecteur, je fais à la muse d’irrévocables adieux. » Les titres regroupés dans Les Chants de l’atelier sont assez divers, la chanson sociale y domine cependant tout à fait naturellement : « Philosophie pratique », « Nina l’ouvrière » et « Plus heureux qu’un roi » - l’ouvrier reste gai et chante malgré la dureté de sa condition – « Paradoxe » - une des rares chanson de cette époque dénonçant les méfaits du progrès, « un torrent où le riche s’abreuve », responsable du chômage et de la perte de la force physique des travailleurs – « Nos vieux travailleurs » - une chanson dédiée à Vinçard en l’honneur de ceux qui ont bâti toutes les merveilles du monde – « Le Chant des goipeurs » – à la gloire de la « sainte canaille », les travailleurs qui demandent le droit de vivre « l’honneur, du travail et du pain » - « Solidarité » - entre les ouvriers et les paysans dans leur « Guerre aux monopoleurs » - et « Les Compagnons du tour de France » dédiée à Agricol Perdiguier. Les chansons historiques occupent aussi une place importante : « La mort de Capet » - « Ta mort, Capet, c’est l’école des rois » - « Vercingétorix » - le vieux Gaulois en lutte contre César – « Jeanne d’Arc » - la « vierge » qui combat « les froids Anglais » - « Le Neuf Thermidor » - Robespierre, Saint-Just, Couthon, Lebas, ces « sauveurs de la France », vaincus malgré le peuple intrépide et « Pèlerinage », un vieillard qui se recueille au pied de la « colonne » et se souvient des révolutions qu’il a connu depuis 1789. Les chansons liées à l’actualité politique sont plus rares notons « Le 24 février », dédiée à « mon ami Pierre Lachambeaudie » et « L’impôt du vin », à Félix Lebreton, président du comité central des boissons. Les déceptions de ce démocrate sur le cours des événements depuis la chute de Louis-Philippe sont sensibles dans « Rêve de bonheur » - Il a rêvé des merveilles du phalanstère « Mais le coq chante, et la réalité/ Vient dissiper les rêves de mon âme ;/ Je me réveille, adieu communauté (…) tout l’Eden n’est qu’un mirage ! » - et dans « Boutade » - « la république devient folle » parce que le peuple a été trop généreux avec les « aristos ». Parmi les autres titres notons des chansons à boire ou d’amour, au ton léger - « Conseils à Célina » prêche même l’amour libre - et d’autres franchement anticléricales, « Satan panthéiste ». « Les Préjugés du peuple » s’en prend à une marquise qui l’a reçu et s’est moquée de lui et de sa mise mais « rira bien qui rira le dernier » ; « Cosmos », « dédiée à mon excellente amie Madame Marie d’Agoult », annonce la venue d’une république universelle et « Aux chansonniers du peuple » définit la tâche des « Bardes du peuple » qui doivent être incorruptibles et consoler les travailleurs de leurs misères. La dernière strophe de cette chanson est un hommage à Béranger avec lequel Claude Genoux a tissé des relations suivies pendant la deuxième République. Pendant cette période il est rentré en Savoie pour soutenir Nicolas Parent, fondateur et rédacteur du Patriote Savoisien (1848-1851) et a été, à la vielle du coup d’Etat, secrétaire d’Eugène Sue. Le 2 décembre l’oblige à l’exil, il revient en France en 1854 mais, comme il s’y était engagé dans l’avant-propos des Chants de l’atelier, n’écrit plus de chansons. Il se suicide d’un coup de couteau en plein poitrine à l’âge de soixante-trois ans après avoir été vu cireur de chaussures boulevard de Sébastopol.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article31569, notice GENOUX Claude par Philippe Darriulat, version mise en ligne le 20 février 2009, dernière modification le 9 janvier 2022.

Par Philippe Darriulat

Claude Genoux
Claude Genoux
Cliché fourni par Philippe Darriulat

ŒUVRES : Chants de l’atelier, Paris, Georges Dairnvaell, 1850 ; Les Mémoires d’un enfant de Savoie, les carnets d’un colporteur, avec une introduction de Lucien Chavoutier, Les Carnets de la vie, La Fontaine de Siloé, 1994

SOURCES et bibliographie : AN, ABXIX 717 (collection Bachimont), BB18 1453 n°3926. — Philippe Darriulat, La Muse du peuple, chansons sociales et politiques en France 1815-1871, Rennes, PUR, 2010. — Pierre-Léonce Imbert, La Goguette et les goguettiers, étude parisienne, 3ème édition, Paris 1873. — Edgar Leon Newman, « The New World of the French Socialist Worker Poets : 1830-1848 », dans Stanford French Review, Winter 1979, III, 3, p. 357-368. — Alphonse Leclercq « Les Goguettes d’autrefois » dans Les Échos parisiens, artistiques et littéraires, n°3, 5 et 7, 1ère année, juin, juillet et août 1873.

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