HEURTEBISE Charles

Par Gérard Boëldieu

Né le 24 août 1829 à Saint-Calais (Sarthe), mort le 18 juin 1881 à Paris (XIIIe arr.) ; principal clerc de notaire au Grand-Lucé (Sarthe) ; victime du coup d’État du 2 décembre 1851 ; exilé à Jersey (1852-1854) ; déporté en Algérie (1854-1859) ; employé à Paris.

Charles Heurtebise fumant la pipe, photographié à Jersey entre 1852 et 1854
Charles Heurtebise fumant la pipe, photographié à Jersey entre 1852 et 1854
(Source : Maison de Victor Hugo - Hauteville House à Guernesey, Album Philippe Asplet, fol. 25)

Lors du coup d’État du 2 décembre 1851, Charles Heurtebise, célibataire, principal clerc de notaire, membre d’organisations républicaines, demeurait au Grand-Lucé (Sarthe) chez son père, pharmacien dans ce chef-lieu de canton entre 1836 et 1850. Selon le plan établi le 5 décembre au Mans chez l’avoué Fameau afin de « défendre la Constitution violée », il tenta, dans la nuit du 5 au 6, de soulever les communes avoisinantes au cri de « vive la République démocratique et sociale ». À Pruillé-l’Éguillé, il réussit à constituer un petit « peloton » armé de fusils pris à la mairie et résolu à marcher sur Le Mans.

Une fois l’échec de la résistance reconnu, Heurtebise s’exila à Jersey. Le 13 février 1852, la Commission mixte de la Sarthe, sous l’inculpation « propagandiste actif et dangereux », le condamna à l’expulsion de France. Parmi les 199 condamnés par cette Commission mixte, outre Heurtebise, 7 résidaient dans le canton du Grand-Lucé : 3 au Grand-Lucé même (peines : une exclusion de la Sarthe, deux simples surveillances) et 4 à Pruillé-l’Éguillé (peines : une expulsion de France et 3 simples surveillances).

À Jersey, où, courant 1852, son père, surveillé par la police au titre de « socialiste exalté », lui fit de fréquentes visites, Heurtebise devint commissaire en marchandises sur le port de Saint-Hélier. Comme le docteur Jacques Barbier, un compatriote sarthois, il dîna plusieurs fois chez Victor Hugo à Marine-Terrace. Dans son Journal, Adèle, la fille de l’écrivain, raconte qu’en décembre 1853 Heurtebise y apporta un pâté expédié de France : « On plaisanta beaucoup sur le pâté ; on accusa l’infortuné pâté d’être empoisonné par Louis Bonaparte, ce qui n’empêcha ni Pierre Leroux, ni Ribeyrolles, ni Victor Hugo d’en manger de fort bon appétit ». Elle rapporte certains propos politiques divergents échangés à table. À Victor Hugo, partisan de « la discipline qui doit régir tout bon parti organisé », Heurtebise répliqua : « Il n’y a pas de discipline, c’est un mot […] Je nie la discipline […] » ; à Pierre Leroux qui refusait de porter « un toast à la délivrance des proscrits par l’insurrection », préférant le livre au fusil et « l’éducation de l’humanité par l’éducation de chaque individu », il rétorqua : « Citoyen Pierre, il faut les deux choses : il faut le livre et le coup fusil ». Avec Barbier, Heurtebise demanda à Victor Hugo de s’exprimer le 9 avril 1853 sur la tombe de Louis Hélain-Dutalilis, un autre exilé Sarthois, au cimetière de Saint-Hélier (voir aussi cimetière Macpela). Lors des obsèques, au départ du cortège, il fut de ceux qui écartèrent le prêtre catholique et arborèrent le drapeau rouge selon une volonté du défunt au lieu du drapeau français annoncé. Sur la tombe, Heurtebise fut un des premiers à parler. Il appela de ses vœux « la République universelle, démocratique et sociale ». Après des paroles de Piquet de la Nièvre qu’il jugea offensantes sur les « Républicains de la veille », Victor Hugo se retira sans avoir prononcé le discours que beaucoup de proscrits attendaient.

Sous un faux nom, Heurtebise se rendait clandestinement sur le continent afin d’y faire de la propagande contre l’Empire en répandant brochures et écrits divers de proscrits de Jersey dont Napoléon le Petit et Les Châtiments de Hugo. Le 20 avril 1854, la police l’arrêta à Port Bail (Manche) et l’incarcéra à Valognes où il fut tenu au secret pendant deux mois. Les conditions de cette arrestation restent obscures. Au centre de l’affaire, une domestique du hongrois Alexandre Téléki, renvoyée par ce dernier et qu’Heurtebise rencontra à Port Bail. Dans une lettre qu’il réussit (comment ?) à faire passer à la proscription, il l’accusa de l’avoir dénoncé pour se venger. Aux exilés de Jersey, elle affirma qu’Heurtebise se présenta à elle en donnant son véritable nom, sans se soucier des oreilles qui écoutaient. Dans le contexte répressif du moment (décret du 5 mars 1854), la proscription voyait Heurtebise transporté à Cayenne. Il le fut en Algérie.

Au début de juillet 1854, un oncle du Mans informa le préfet de la Sarthe qu’Heurtebise, toujours en France, avait fait sa soumission. Le 27 du même mois, de la prison de Blois, étape vers l’Algérie, Heurtebise demanda au préfet de faire hâter sa grâce, sa mère étant malade. Y eut-il pressions familiales ? Il ne bénéficia en fait d’aucune mesure de clémence.

Le récit de sa déportation, rédigé par lui-même le 8 juin 1881, peu avant sa mort, figure comme pièce à conviction dans le dossier de demande de pension constitué après le vote de « la loi de réparation nationale » du 30 juillet suivant par sa mère (veuve non remariée depuis 1873) et sa veuve, née Caroline Constance Jamard : « Le 30 septembre [1854], trois mois après mon extraction de la prison de Valognes, avoir séjourné dans 43 prisons, parcouru 1 012 kilomètres les chaînes aux mains, j’étais écroué au fort Saint-Nicolas à Marseille, j’étais alors sous la dépendance de l’autorité militaire. Le 5 octobre, j’étais jeté sur le pont du navire Le Languedoc et le 7 je débarquai à Alger. Enfin le 20 octobre 1854, six mois après mon arrestation, j’étais enfermé au camp de l’Oued-Boutan (province d’Alger), immatriculé sous le numéro 6226 et compris dans la première catégorie des transportés c’est-à-dire soumis au régime des pénitentiaires militaires (travail forcé) ». Par la suite il fut interné à Blida. Au début de novembre 1857 il fut autorisé à passer trois mois de convalescence dans sa famille (Y alla-t-il ?). Père d’un garçon né à Blidah, en 1858, marié ensuite avec la mère à Alger, il rentra en France après l’amnistie de 1859.

Heurtebise est-il ce Charles Heurtebise qui, avec Léon Guyon, fils d’un médecin sarthois condamné à la surveillance dans son département hors du domicile, cosigna l’éditorial de La Feuille du Village. Courrier du Bonhomme manceau du 3 décembre 1871, intitulé « Vive la République française » ?

Heurtebise s’installa à Paris où il devint employé (sans plus de précision). En application de « la loi de réparation nationale », la commission départementale de la Sarthe sollicita une rente du montant maximum prévu, soit 1 200 F, à reverser sur sa mère (400 F) et « sa fille » [Faut-il lire sa “veuve” ?] ( 800 F).

Charles Heurtebise était franc-maçon. Il fut initié à la loge Les arts et le commerce, orient du Mans. En exil il visita la loge la Césarée, orient de Jersey, le 24 juin 1852 puis intégra cette loge en août de la même année. Il fréquenta par la suite les loges d’Algérie et de Paris.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article32477, notice HEURTEBISE Charles par Gérard Boëldieu, version mise en ligne le 20 février 2009, dernière modification le 8 janvier 2021.

Par Gérard Boëldieu

Charles Heurtebise fumant la pipe, photographié à Jersey entre 1852 et 1854
Charles Heurtebise fumant la pipe, photographié à Jersey entre 1852 et 1854
(Source : Maison de Victor Hugo - Hauteville House à Guernesey, Album Philippe Asplet, fol. 25)

SOURCES : État civil de Saint-Calais (Sarthe), de Paris (XIIIe arr.). — Annuaires administratifs de la Sarthe de 1830 à 1852 (Listes annuelles des pharmaciens). — Archives nationales, F/15/4081 (La loi de réparation nationale du 30 juillet 1881 ; dossier Sarthe). [On y lit à tort qu’Heurtebise est mort à Saint-Calais]. — Arch. dép. de la Sarthe : 4 M 422 à 424 (Condamnations prononcées à la suite du coup d’État) ; 4 M 427 (Dossiers individuels des condamnés H-L) ; 1 M 198-200 (Secours et dons accordés aux victimes du coup d’État du 2 décembre 1851). — Maison de Victor Hugo - Hauteville House à Guernesey, Album Philippe Asplet, fol. 25. — À la France. L’agent provocateur Hubert, Jersey : imp. universelle, [1853]. — Victor Hugo, « 1853-L’espion Hubert », Œuvres inédites de Victor Hugo. Choses vues, 1888, p. 291-330. — Adèle Hugo, Journal (de 1852 à 1855), 4 volumes, Lettres modernes Minard, Paris-Caen, 1968-2002. — Pierre Angrand, Victor Hugo raconté par les papiers d’État, Paris, 1961. — Philip Stevens, Victor Hugo in Jersey, Philimore, 1985. — Jean-Marc Hovasse, Victor Hugo II Pendant l’exil I (1851-1864), Paris, 2008. — Léon Guyon, Les martyrs du droit et de la liberté dans la Sarthe , Paris-Le Mans, 1883. — André Bouton, Les luttes ardentes des francs-maçons manceaux pour l’établissement de la République, 1815-1914, Le Mans, 1966 [Aucune mention de Charles Heurtebise dans les listes de francs-maçons, ni de son père, libre penseur qui fut enterré civilement à Saint-Cosme-de-Vair (Sarthe) en octobre 1873]. — Bnf, Fichier Bossu, Fiche 1 et Fiche 2. — Gérard Boëldieu, « Sur six proscrits sarthois, compagnons d’exil de Victor Hugo à Jersey », Gavroche, n° 158, avril-juin 2009. — Jean-Claude Farcy, Rosine Fry, « Heurtebise - Charles », Poursuivis à la suite du coup d’État de décembre 1851, Centre Georges Chevrier - (Université de Bourgogne/CNRS), [En ligne], mis en ligne le 27 août 2013. — Notes de Gauthier Langlois.

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