HUBER Aloysius ou HUBER Aloÿs ou HUBER Louis (orthographié aussi HUBERT Louis)

Par Notice revue et complétée par Michel Cordillot et Jean Risacher.

Né en 1815 à Wasselonne (Bas-Rhin), mort subitement en 1865 à l’occasion d’un voyage à Autun (Saône-et-Loire) ; ouvrier corroyeur parisien ; disciple de Pierre Leroux*, dirigeant de sociétés secrètes ; joua un rôle important dans le mouvement des clubs en 1848, en particulier lors de la journée du 15 mai.

De 1832 à 1834, il fut membre de la Société des droits de l’Homme, section « barricades » où se retrouvaient plusieurs corroyeurs comme François Léonor Moulin*. Le 12 avril 1834, il prit une part active à l’érection et à la défense de la barricade de la rue Beaubourg et de la rue Maubué (VIIe arr. ancien, maintenant rues du Renard et Simon-le-Franc, IVe). Blessé et arrêté, il fut pourtant mis hors de cause par la Cour des pairs et libéré en octobre (orthographié Hubert et prénommé Louis dans l’Inventaire).
Son cheminement au cours des cinq années qui suivirent, assez confus et avec des sources souvent discordantes, mériterait d’être approfondi, étant donné les soupçons qui pesèrent sur lui à diverses reprises.
Il est considéré comme membre de la Société des Familles. En 1835 et 1836, inculpé pour participation à un complot contre Louis-Philippe, dit complot de Neuilly (juin 1835), il fut condamné une fois à un an de prison pour insulte à magistrat et une autre fois à six ans d’emprisonnement, le 8 avril 1836. En février 1837, il tenta de s’évader de la prison de Clairvaux, ce qui lui valut une condamnation supplémentaire à six mois d’emprisonnement. Mais il bénéficia de l’amnistie générale en faveur des prisonniers politiques proclamée le 8 mai 1837 et fut libéré.
Ami de Lamieussens, il aurait participé peu après à la fondation de la Société des Saisons.
En décembre 1837, un nouveau complot contre la vie du Roi, appelé le complot de Boulogne fut découvert, dont il aurait été l’instigateur avec Antoine Annat*, Laure Grouvelle*, et Jacob Steuble*. Le procès d’assises ne s’ouvrit que le 7 mai. Le 25 mai, Aloysius Huber fut condamné à la déportation. Ici se posent quelques questions. Selon certaines sources, après l’amnistie, repéré par la police, il aurait été contraint à s’exiler en Angleterre. Après quelques semaines passées à Londres, n’y tenant plus, il débarqua à Boulogne. Arrêté dès son arrivée, il fut mis au secret et c’est sans doute l’origine du nom donné au complot. Selon d’autres sources, il aurait subi des pressions de la police qui comptait sur lui pour donner de précieux renseignements sur l’activité des sociétés secrètes. Il partit à Londres d’où il revint quelque temps après. D’après lui, selon un rapport lu au procès de Bourges en 1849, en reconnaissance de l’amnistie, il serait parti à Londres pour servir le roi et se serait engagé, fin août 1837, dans un complot pour le dénoncer. Quoi qu’il en soit, la police était au courant et il n’en fut pas moins condamné comme les autres avec de lourdes conséquences, tant pour lui que pour ses co-inculpés : Laure Grouvelle devint folle en prison et Jacob Steuble se suicida au Mont-Saint-Michel...
Il fut incarcéré à Doullens (Somme) et les rapports de la direction de la prison ne sont pas sans intérêt. Il y fut signalé le 21 septembre 1839 comme susceptible de se suicider lui aussi (Steuble le fit réellement le 30 décembre 1838) et fut autorisé à recevoir les visites d’une dame Rozé et d’un certain Moulin, de Paris (il s’agit sans doute du corroyeur), dont il recevait en cachette des lettres. Son état s’améliorant, il semble avoir fait l’objet de marchandages de la part de l’administration de la prison. Le 31 octobre 1839, il écrivit au préfet de la Somme pour protester contre l’isolement en cachot auquel il était soumis et invoquait sa souffrance depuis 2 ans. Dans une lettre, Moulin lui reprocha amicalement de se compromettre toujours pour les autres. Ses co-détenus appuyaient sa requête. Il semble effectivement avoir subi plus de tortures que les autres. Le 19 janvier 1840, la prison transmit une lettre de réclamation de Huber en expliquant qu’il ne l’avait écrite que sous l’influence de ses camarades et qu’il était « l’homme le plus perfide, le plus faux, le plus hypocrite que l’on puisse rencontrer »... Le 8 mars, avec Raban*, il avait répondu aux chants des autres co-détenus et criait à l’adresse des nouveaux venus qu’on le faisait mourir à petit feu. Le 10, il lançait des injures à la hiérarchie de la prison. Début avril, s’établit une correspondance entre le directeur de la prison et Rémusat, ministre de l’intérieur, selon laquelle Moulin, corroyeur à Paris, rue de la Lune (Ve arr., actuel IIe), est l’un des anarchistes les plus actifs et les plus dangereux, ancien membre des sociétés secrètes. Il était signalé comme ayant avec Huber une correspondance clandestine. Le 19 mai, Huber était à nouveau considéré comme ayant l’un des caractères les plus faux et les plus hypocrites. Le 11 septembre, il reçut une caisse « fabriquée par le sieur Gadebois, layettier emballeur républicain, parvenue à Huber par l’intermédiaire du nommé Moulin. Caisse truquée à double paroi pour passage de correspondance, et petit matériel, limes etc. Huber avait déjà été sur le point de s’évader de Clairvaux. C’était déjà Moulin qui lui avait fait parvenir le matériel ». Il refusa de participer à l’évasion collective du 17 septembre, mais fut signataire de la pétition Charles Lombard*. Son correspondant, le corroyeur Moulin est sans doute celui qui était avec lui à la SDH. Aloysius Huber resta à Doullens toute l’année 1840, puis fut interné au Mont-Saint-Michel, le 28 février 1841. Là aussi il subit de terribles épreuves. Il avait tenté de s’évader le 11 septembre 1841, mais une erreur d’appréciation le fit échouer dans l’appartement du directeur... Dans les divisions qui séparaient les détenus, il était plus proche des amis de Auguste Blanqui* que de ceux de Armand Barbès*. Il était en très mauvais état de santé après un séjour aux « loges » le 20 juillet 1842. Néanmoins, il y fut maintenu. Il fut extrait pour Doullens le 1er septembre 1843.
Avec Michel Dupoty*, il rejoignit Auguste Blanqui* au pénitencier de Tours (Indre-et-Loire) en février 1844 et, pour raison de santé (il avait contracté une tuberculose chronique), à l’hospice en juin 1844. Il y reçut beaucoup de monde, comme l’avocat parisien et député Marie et eut des relations suivies avec le président du tribunal de première instance, Narcisse Épaminondas Carré. Outre son rôle de propagandiste, il avait écrit en 1845 une brochure, L’Esclavage du riche publiée par Étienne Cabet* au bureau du Populaire et qui était fort répandue. Il en avait peut-être commencé la rédaction au Mont-Saint-Michel. Il ne bénéficia pas des remises de peine de 1844, il resta à Tours jusqu’en février 1848 et ne fut pas inquiété au moment des troubles de novembre 1846 ni aux procès qui suivirent.
Lors de la révolution de Février, il quitta Tours pour rejoindre Paris, « en cabriolet orné de drapeaux, acclamé sur toute la route ».
Nommé président honoraire du Club des Alsaciens fondé en mars 1848, Huber fut également élu le 2 avril président du Club des clubs qui envoyait en province des délégués chargés d’y faire de la propagande politique. Lui-même décida peu après de retourner à Tours pour y défendre sa candidature à la Constituante. Ayant totalement échoué, il fut rapidement de retour à Paris, où il fut élu président du Club du Progrès, affilié à la Société des droits de l’Homme, qui tenait ses séances rue Neuve-Coquenard (IIe arr. ancien, maintenant rue Rodier, IXe) et fut à l’origine de la journée du 15 mai.
Souvent mis en cause à propos de la journée du 15 mai, Huber a été accusé d’avoir joué un rôle d’agent provocateur au service de la police. Il semble qu’il n’en ait rien été. Cependant , là aussi, il n’est pas simple d’accorder les sources. Lorsque la question fut soulevée début mai d’organiser une manifestation en faveur de la Pologne, Huber réagit négativement. Jusqu’au 10 mai, il demeura opposé à l’organisation d’une telle manifestation — de même que Jean-Jacques Danduran* —, essentiellement parce qu’il considérait que ce n’était pas la manière la plus efficace de pousser le gouvernement à l’action. Cependant d’après une lettre qu’il adressa à Marie, membre du gouvernement provisoire, la manifestation, prévue le 9, ne pouvait se tenir dans le local du Club des Clubs, 16 rue de Rivoli (Ierarr., ancien et actuel), immeuble occupé par Joseph Sobrier* et par La Commune de Paris, qui venait d’être affecté à la garde mobile, et il lui en fallait un autre pour réunir les délégués des clubs parisiens formant le Club des Clubs. Voir Amable Longepied*.
Le 10, Huber céda devant la demande pressante du Club des Amis du Peuple de Raspail et il accepta que le Comité révolutionnaire prenne la tête de la démonstration prévue. Aucune date n’avait encore été fixée. Les partisans de Fançois-Vincent Raspail* décidèrent alors de forcer le cours des événements en retenant la date du 13 sans en prévenir Huber, lequel n’eut connaissance de ce fait que fortuitement dans l’après-midi du 12. Au même moment se tenait dans le restaurant-jardin de Dourlans à la barrière de l’Étoile, une assemblée de délégués pour discuter de l’organisation pratique de cette journée. Huber s’y rendit sur le champ. Reconnu et acclamé, il fut porté par les quelque 500 délégués présents à la présidence du bureau. Il s’aperçut bientôt qu’une majorité des présents étaient résolus à aller au devant de l’épreuve de force avec le Gouvernement. Huber se prononça pour sa part avec détermination pour une manifestation pacifique. La réunion dégénérant en tumulte, il claqua la porte et retourna rendre compte au Club des clubs (désormais rebaptisé Club centralisateur) qui était alors en séance. À sa demande, et pour couper l’herbe sous le pied des éléments les plus exaltés, il fut décidé de retenir la date du 15 pour la manifestation. Au cours de la préparation, il fut décidé que les participants s’arrêteraient au pied de l’obélisque de la Concorde, et que seuls Huber et cinq délégués s’en iraient à pied porter les pétitions à la Représentation nationale. Néanmoins, Huber ne put empêcher que des dispositions soient prises par les éléments les plus déterminés pour se procurer rapidement des armes en cas de collision avec la police ou la Garde nationale. Conscient que cette journée pouvait se révéler à haut risque, Huber écrivit le 14 à Armand Marrast* pour le supplier de ne rien faire qui puisse être interprété comme une agression contre les manifestants, et en particulier de ne faire battre le rappel sous aucun prétexte.
Le 15 mai, c’est avant tout le déroulement des événements — et notamment une impressionnante série de maladresses de la part du commandement de la Garde nationale — qui explique l’envahissement de l’Assemblée nationale. A son corps défendant, Huber se retrouva en première ligne lorsque les manifestants pénétrèrent dans l’hémicycle. A partir de là, on peut dire que le principal tort de Huber fut de s’être trouvé en ce lieu à ce moment précis. Incapable de raisonner, affaibli par la maladie et suffoqué par la chaleur, cet homme connu aussi pour son tempérament irascible et cyclo-thymique se laissa porter par le tourbillon des événements. Il s’empara de la tribune et y planta un grand écriteau portant cette inscription : « Au nom du Peuple, l’Assemblée est dissoute », avant d’être victime d’un malaise et de rester évanoui durant plus d’une demi-heure. Lorsqu’il retrouva ses sens vers 16 heures 30, il se vit entouré par un groupe qui criait à la trahison, tandis que le rappel battait alentours. La manifestation s’était transformée en « journée ».
Alors que les manifestants repartaient en direction de l’Hôtel de Ville, Huber fut arrêté par un garde peu après être sorti du Palais-Bourbon. Il fut relâché sur ordre du maire du IVe arrondissement, qui prétendit n’avoir pas vu ce qu’avait fait Huber, qui put se dérober à toutes les recherches, encore que les insurgés aient envisagé d’en faire un ministre des Finances. Le 2 juillet, dans une autre lettre à Marie, Huber expliquait que depuis six semaines « un ami » le protégeait contre un arrêt de proscription et il ajoutait, alors que personne ne lui demandait rien : « Mon cher citoyen, je vous déclare, sans craindre un démenti, que je n’ai pris aucune part, ni directe ni indirecte, à l’insurrection de Juin. »
Il aurait fini par être arrêté ou se serait volontairement livré à la justice. Quoi qu’il en soit, il comparut, comme tous les autres inculpés de l’affaire du 15 mai, devant la Haute Cour de Bourges. C’est à l’audience du 23 mars 1849 que Monier, ancien secrétaire général de la préfecture de police, vint donner lecture du rapport adressé par Huber au préfet de police, le 10 août 1838. Il y disait qu’après avoir obtenu du roi une remise de cinq années de prison, il était parti pour Londres afin de servir le roi et s’était engagé, à la fin d’août 1837, dans un complot contre le roi. Il affirmait qu’il avait informé les autorités de tous les préparatifs et tout mis en œuvre pour permettre l’arrestation des conjurés. Les gens de police avaient eu, sans doute, du mal à saisir toutes les subtilités de l’attitude de Huber, puisqu’il avait été arrêté.
Le rapport se terminait ainsi : « Je n’ai pas oublié un seul instant ce que je devais au roi, et la preuve, c’est que depuis l’amnistie, je lui ai sauvé la vie. Je n’ai fait que remplir un devoir, mais je l’ai fait par gratitude alors que d’autres l’auraient fait par calcul. Maintenant, je pense que le roi n’oubliera pas non plus ce que j’ai fait pour lui. »
Chose curieuse : ces textes parurent en général moins accablants que les présomptions relatives au 15 mai.
Huber fut condamné par la Haute Cour de Bourges à l’emprisonnement dans une enceinte fortifiée, interné à Doullens, puis à Belle-Île-en-Mer, il fut l’un des premiers à demander sa grâce. Gracié sous l’Empire, il s’y rallia au point d’en obtenir plusieurs concessions de travaux publics, celle entre autres relative à la construction du boulevard Richard-Lenoir qui recouvre le canal Saint-Martin. Pierre Joseph Proudhon* le vit à plusieurs reprises et s’intéressa à ses entreprises comme à des preuves de capacité économique chez un ouvrier.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article32556, notice HUBER Aloysius ou HUBER Aloÿs ou HUBER Louis (orthographié aussi HUBERT Louis) par Notice revue et complétée par Michel Cordillot et Jean Risacher. , version mise en ligne le 20 février 2009, dernière modification le 14 août 2017.

Par Notice revue et complétée par Michel Cordillot et Jean Risacher.

ŒUVRE : L’Esclavage du riche par un prolétaire, Aloysius Hubert (sic), détenu politique, publié par les soins de M. Cabet, au bureau du Populaire, Paris, février 1845, in-8°, 24 p. — Au peuple. Lettre sur la présidence, Paris, s. d. [nov. 1848], impr Malteste, in-fol. — Quelques paroles d’un proscrit, Paris, Rouanet, 1848, in-8°, 32 p. — Nuit de veille d’un prisonnier d’État, Paris, E. Dentu, 1862, in-16, 332 p.

SOURCES : Arch. PPo., A a/428. — Arch. Dép., Somme, série Yb 15, citadelle de Doullens. — Pascal Rhaye, Les Condamnés de Versailles, Paris, chez l’éditeur, 1850. — Gustave Lefrançais, Souvenirs d’un Révolutionnaire, Bibl. des « Temps nouveaux », n° 27, Bruxelles s. d., préface de L. Descaves, fév. 1902, XII + 604 p., rééd. Paris, SEF/Tête de Feuilles, 1972. — Louis Blanc, Révélations historiques, t. II, p. 83 et 85. — Gustave Glotz, « Les papiers de Marie », La Révolution de 1848, t. I, n° 5, 1904, p. 151-158. — Lucas, Les Clubs et les clubistes, Paris, Dentu, 1851. — E. L’Hommedé, Le Mont Saint-Michel. Prison politique sous la Monarchie de Juillet, Paris, Boivin, 1932. — Peter H. Amann, Revolution and Mass Democracy. The Paris Club Movement in 1848, Princeton University Press, 1975. — Peter H. Amann, "The Huber Enigma : Revolutionary or Police Spy ?", International Review of Social History, Bd 12 (1967), 2, pp. 190-203. — Cour des pairs. Procès politiques, 1830-1835, Inventaire dressé par J. Charon-Bordas, Paris, Archives Nationales, 1983. CC 587 d.1 n° 746, section « barricades », (orthographié Hubert). — Ph. Matthey, Les Membres des sociétés secrètes républicaines parisiennes sous la monarchie de Juillet, mémoire de maîtrise sous la direction de Philippe Vigier, Paris X, 1986. — L.-A. Blanqui, œuvres I. Des origines à la Révolution de 1848, textes présentés par D. Le Nuz, Nancy, Presses Universitaires, 1993. —

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