LAMBERT Charles [LAMBERT bey Charles, Joseph] ou LAMBERT bey

Par Philippe Régnier

Né le 2 mai 1804 à Valenciennes (Nord), mort le 13 février 1864 ; polytechnicien, ingénieur des Mines ; dirigeant saint-simonien

Cliché fourni Jean-Frédéric Lambert

Issu d’un milieu modeste (son père était un petit commerçant, ruiné, semble-t-il, et devenu domestique), Charles Lambert, boursier de la ville de Valenciennes, fit ses études secondaires dans cette ville et à Douai, puis entra à Polytechnique en 1822 et aux Mines en 1824. À l’issue de ces études, il fut nommé aspirant ingénieur des Mines, chargé du service des départements d’Ille-et-Vilaine, des Côtes-du-Nord et de la Mayenne, en résidence à Rennes. Gagné aux idées saint-simoniennes dès la fin de 1829 au moins, c’est lui qui y aurait amené Euryale Cazeaux*, Michel Chevalier et Abel Transon, tous trois comme lui polytechniciens et élèves des Mines. Élu au « Collège » le 13 septembre 1829, il se trouva chargé, en juillet 1831, de dispenser à l’Athénée des enseignements saint-simoniens spécialement destinés aux médecins et aux étudiants en médecine, ainsi qu’aux hommes de science en général. Ayant pris position pour Prosper Enfantin contre Saint-Amand Bazard en novembre 1831, il eut alors la responsabilité, avec Transon, Stéphane Flachat et Chevalier, de la propagande en direction des ingénieurs. Mais à partir de 1832, Charles Lambert remplit surtout la fonction de conseiller d’Enfantin en matière de dogme : à Ménilmontant, dont il fut l’un des apôtres, ses capacités d’abstraction et sa culture scientifique furent systématiquement exploitées par le Père pour mettre en forme les théorisations du Livre nouveau.
S’il se tint à l’écart des expériences lyonnaises — prolétariennes et féministes — de Hoart* et de Barrault*, Lambert retrouva un rôle de premier plan dès la sortie de prison d’Enfantin. Parti en Égypte à ses côtés en 1833, il dut en effet à ses compétences d’ingénieur et à son sens de la diplomatie de devenir, après la défection de Fournel*, le principal intermédiaire entre le « Père » et le pacha Mohammed Ali tant pour l’organisation de l’instruction publique que pour l’élaboration des plans du barrage du Nil entrepris par ce souverain. Lambert reçut en particulier la mission de fonder l’École polytechnique de Boulac, qu’il dirigea de 1838 à 1847, et qui fut la pépinière de toute la première génération des ingénieurs de l’Égypte moderne. Surchargé d’expertises et de responsabilités scientifiques et techniques, mais aussi d’honneurs (dont ce titre ottoman de bey, devenu partie intégrante de son identité), il demeura dans ce pays jusqu’en 1851 (étant tombé en disgrâce sous Abbas pacha) pour y entretenir la flamme saint-simonienne dans les milieux français du Caire et d’Alexandrie comme parmi les Égyptiens qu’il avait plus ou moins ralliés au saint-simonisme : ministres et hauts-fonctionnaires, tels Ibrâhîm Adhâm et Abdel Rachmann Rouchdy, ingénieurs, tels Mazhar, ou intellectuels, tels Bayyûmi ou Rifâ`a al Tahtâwî, l’initiateur de la Nahda « la Renaissance » et du socialisme égyptiens. Son rôle sur place, en association avec Linant de Bellefonds, fut déterminant dans la constitution de la Société d’études du canal de Suez, créée par Enfantin en 1846, dont la structure internationale et les plans furent plus ou moins légitimement utilisés par Ferdinand de Lesseps.
Dépositaire de la pensée d’Enfantin, Lambert la pratiqua hardiment, y compris en fait de morale amoureuse, où il se déclarait partisan de « la multiplicité avec préférence ». Amant de Pauline Roland*, puis, en Égypte, de Suzanne Voilquin* et de Judith Grégoire (mère d’une fille naturelle de Lambert, Aline, Prospère, Pénélope), il eut un fils d’une femme copte — sœur de la compagne de Bruneau* —, Saïd Youssouf Prosper, lui-même à l’origine d’une descendance égyptienne attestée jusque sous Nasser. Séparé de sa femme égyptienne, il épousa en 1844 Pauline Marguerite Bruneau, la fille de son ami, le capitaine Bruneau. Son sens de la complexité de la vie fut apprécié de Maxime Du Camp, venu en Égypte en compagnie de Flaubert : Lambert recueillit ses confidences, le tira d’une grave dépression et le gagna durablement au saint-simonisme. Réintégré en 1847 dans la nationalité française (qu’il avait perdue pour avoir accepté sans autorisation d’être fonctionnaire égyptien), et nommé la même année ingénieur en chef des Mines, Charles Lambert rentra définitivement en France en 1851. Reprenant à Marie Talon* la responsabilité de la conservation des archives du mouvement, il anima à Paris un groupe néo-saint-simonien, dont Du Camp fit partie, et dont les spéculations philosophiques sur le libre-arbitre et sur la Trinité débouchèrent dans la Revue philosophique et religieuse de Lemonnier. Certains travaux de Lambert en géométrie, en analyse et en astronomie ont eu des échos dans des revues scientifiques. Voir Lambert Sophie*.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article33201, notice LAMBERT Charles [LAMBERT bey Charles, Joseph] ou LAMBERT bey par Philippe Régnier, version mise en ligne le 20 février 2009, dernière modification le 25 mars 2018.

Par Philippe Régnier

Cliché fourni Jean-Frédéric Lambert

SOURCES : Bibl. Arsenal, Fonds Enfantin. — Enfantin, Enseignements, in œuvres d’Enfantin, vol. 2, Paris, Dentu, 1868. — Maxime Du Camp, Souvenirs littéraires, 1883, t. I, p. 469-470.

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