LEBALLEUR-VILLIERS Charles, Alexandre (fils)

Par Michel Cordillot, Roger Vignaud

Né le 2 février 1815 à Lisieux (Calvados), mort le 12 décembre 1870 à Toulouse (Haute-Garonne). Démocrate rouennais ; journaliste, fondateur de l’Union démocratique ; transporté en Algérie en 1852.

La famille Hugo. Photographie prise à Guernesey, attribuée à Leballeur
La famille Hugo. Photographie prise à Guernesey, attribuée à Leballeur
Communiqué par Jean-Marc Gomis

Fils de Pierre Alexandre Leballeur-Villiers, il fut d’abord successivement filateur, puis journaliste. Démocrate ardent (qualifié par la police de « fou furieux politique »), il se consacra à la propagande radicale à la fin de la monarchie de Juillet et mit sa fortune personnelle au service de la cause démocratique.

Au lendemain de la Révolution de février 1848, il fonda l’Union démocratique de Rouen. Parti à Paris, il fut inquiété à la suite des événements de juin 1848.

Quelques mois plus tard il était de nouveau à Rouen. Il y fut alors l’un des principaux orateurs du Club de la rue Nitrière à compter de janvier 1849. Le 4, il y traita de « la question politique de la République », puis dans un long discours déclara « qu’il n’y a de salut pour la nation que dans le socialisme ». Le 8 janvier, il félicitait les « Rouges » de Rouen pour leur dynamisme, et, « après avoir peint tout ce qu’a de déplorable et de poignant la misère du prolétaire, il la compara à l’insolente opulence du riche ». Il serait ensuite reparti pour Paris. Voir Letellier.

Condamné en 1850 à un mois de prison avec sursis pour un délit de presse, il subit en 1851 deux nouvelles condamnations à 6 et 18 mois de prison ferme pour cris séditieux, et une autre à 1 mois de prison pour distribution de journaux interdits. En fuite pour échapper à ces condamnations il se réfugia à Jersey où il participa, avec Seigneuret, Bonnet-Duverdier, Lemeille et Jean Geistdoerfer négociant-brasseur à Dinan, à un petit hebdomadaire, La Sentinelle du peuple, qui était adressé depuis Dinan aux militants républicains de Paris et de l’Ouest de la France. Dans le 1er numéro, daté du 23 octobre 1851 an IV de la République il reprit la série d’articles sous forme de lettres qu’il avait abandonnée avec la disparition de son journal L’Union démocratique. Au moment du coup d’État du 2 décembre 1851, le journal lança un appel au soulèvement. Les membres du comité révolutionnaire organisèrent même une expédition en France, en sachant que leur tête serait mise à prix et qu’ils risquaient la mort. Mais l’apathie générale les obligea à regagner rapidement Jersey pour échapper à la répression. Alexandre n’eut pas cette chance. La Gazette des Tribunaux du 31 décembre 1851 raconte son interpellation à Rennes le dimanche 30 alors qu’il tentait de s’inscrire sous un faux nom à l’Hôtel-de-France. Le commissaire de police lui ayant rappelé qu’il était rédacteur du Proscrit, il partit pour Paris le jour même.

Il avait prit apparemment une part active à la résistance au coup d’État de Louis-Napoléon en décembre et resta un opposant farouche à l’Empire (il eut au total à subir treize condamnations). Transporté en Algérie en 1852, il s’évada d’Oran le 27 décembre 1853 et se réfugia sur les îles Zaffarines, puis à Barcelone.

Rentré en France après l’amnistie, il s’installa rue des Rosiers à Paris (IVe arr.), pour y exercer la profession de photographe (il n’est toutefois pas répertorié par Elizabeth Anne McCauley dans son ouvrage Industrial Madness, Commercial Photography in Paris, 1848-1871, Yale University, 1994). De juillet à décembre 1860, il passa six mois sur l’île de Guernesey. Il devait photographier toutes les pièces de Hauteville House, la maison de Victor Hugo, mais pour une raison inconnue, le projet n’aboutit pas et c’est finalement Bacot qui réalisa ce travail en 1862. Nous savons néanmoins que Leballeur-Villiers avait la réputation d’être fantasque et colérique.

Il fut condamné en 1867 à Paris à trois mois de prison (peine confirmée en appel) pour avoir, sur la voie publique, exprimé tout haut l’empathie qu’il ressentait pour Bérézowski l’auteur des deux coups de feu tirés, le 6 juin, contre Napoléon III et Alexandre II, empereur de Russie.

À la fin de l’Empire, Leballeur-Villiers avait déménagé pour s’installer à Marseille et était connu dans cette ville comme un vieux militant blanquiste. Président de la société de la Libre pensée de Marseille, il faisait scandale dans les milieux bien-pensants par ses négations répétées de Dieu, de la famille et de la propriété. « Ce qu’il faut au peuple, déclarait-il, c’est la révolution permanente. » Dans chacun de ses meetings, les discours de Leballeur-Villiers étaient d’une violence extrême. Le 30 septembre 1869, au cours d’une réunion qui se tint au théâtre Musset, il appela le peuple à la révolution sociale dans ces termes : « Le jour du triomphe des principes socialistes est proche, s’il n’arrivait pas bientôt, les ouvriers n’auront qu’à organiser une grève nationale pour le faire éclater. Le travail doit être tout, le capital rien. Les ouvriers dont la situation est pire que celle des nègres dans les colonies trouveront dans la révolution la fin de leur misère et de leur souffrance. Et que l’on comprenne bien, ce n’est pas seulement la République qu’il faut conquérir mais la Révolution, c’est-à-dire la suppression de l’armée, du clergé, de la magistrature, du capital ». Leballeur-Villiers, franc-maçon comme son père, était, en 1869, correspondant de L’Action maçonnique pour le Midi de la France.

Leballeur-Villiers ne semble pas avoir participé directement à la Commune révolutionnaire qui fut proclamée le 1er novembre 1870, mais les idées qu’il avait diffusées servirent de terreau à tous ceux qui se lancèrent dans cette bataille.

Le vieux révolutionnaire mourut à Toulouse le 22 novembre 1870 à six heures du matin dans une maison située 5, rue traversière des chalets à l’âge de 56 ans. La veille de son enterrement, un tambour de la Garde nationale parcourut les rues de la ville rose invitant les citoyens à se rendre à ses obsèques. Adolphe Roannez, venu de Marseille avec une vingtaine de personnes fit un discours invitant frères et amis à se rendre à l’enterrement de celui qui était mort comme il avait vécu, en républicain matérialiste et athée. Le lendemain, le convoi funéraire traversa les rues de Toulouse précédé par deux clairons et un tambour de la Garde nationale en costumes. En tête du cortège, on trouvait Armand Duportal, préfet de Haute-Garonne et de nombreux officiels venus de Sète et de Montpellier. Pas moins de sept cent à huit cents personnes étaient présentes, parmi lesquelles la moitié seulement étaient de Toulouse. Le préfet Duportal n’hésita pas à faire un discours sur sa tombe qui fut une véritable oraison funèbre en hommage au républicain.

Leballeur-Villiers fut également l’un de ceux qui concoururent financièrement au lancement à Montpellier le 1er juin 1870 du journal Les Droits de l’homme. Il semble d’ailleurs avoir habité dans cette ville quelques mois à l’automne 1870. Sa mort fut annoncée aux lecteurs le 14 décembre 1870 par un vibrant article du jeune Jules Guesde.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article33499, notice LEBALLEUR-VILLIERS Charles, Alexandre (fils) par Michel Cordillot, Roger Vignaud, version mise en ligne le 20 février 2009, dernière modification le 19 novembre 2022.

Par Michel Cordillot, Roger Vignaud

La famille Hugo. Photographie prise à Guernesey, attribuée à Leballeur
La famille Hugo. Photographie prise à Guernesey, attribuée à Leballeur
Communiqué par Jean-Marc Gomis
Bonnet-Duverdier, Leballeur-Villiers et Hennet de Kesler photographiés à Guernesey en 1860
Bonnet-Duverdier, Leballeur-Villiers et Hennet de Kesler photographiés à Guernesey en 1860
Bien que l’identification au crayon soit d’une main inconnue, elle semble fiable. Cette photographie fait partie de l’album de Miss Joss (proche des Hugo pendant l’exil) et est conservée sous le numéro MVHP-PH-1013 f.26.

ŒUVRE : La Sentinelle du peuple, Dinan, 1851.

SOURCES : Arch. Mun. Rouen, Registre des procès-verbaux de police judiciaire concernant le club Nitrière. — Compère-Morel, Jules Guesde. Le socialisme fait homme, 1845-1922, Paris, 1937, p. 54. — Marcel Boivin, Le Mouvement ouvrier dans la région de Rouen, 1851-1876, Rouen, PUR, 1989. — Horace Bertin, Histoire d’un garde civique, Paris 1873. — La Gazette du Languedoc cité par Aubray et Michélési dans Les événements insurrectionnels à Marseille du 4 septembre 1870 au 4 avril 1871, p. 222. — Gazette des Tribunaux, 31 décembre 1851, p. 1272, 1ère col. — Journal de l’Ain, juillet 1867. – A. Olivesi, La Commune de 1871 à Marseille, op. cit.. — Jean-Claude Farcy, Rosine Fry, « Leballeur-Villiers - Charles Alexandre », Poursuivis à la suite du coup d’État de décembre 1851, Centre Georges Chevrier - (Université de Bourgogne/CNRS), [En ligne], mis en ligne le 27 août 2013. — Benjamin Gastineau, Les Victimes d’Isabelle II la Catholique, ex-Reine d’Espagne, Paris, R. Le Chevalier, 1868, p. 7. — Notes de Roger Vignaud, Stéphanie Duluc, Jean-Marc Gomis, Alain Soirat, Pierre Baudrier, Julien Chuzeville, Gauthier Langlois.

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