LEBON Napoléon, Aimé

Par Notice revue et complétée par Jacques Grandjonc

Né le 3 février 1807 à Dieppe ; membre des sociétés secrètes républicaines, théoricien néo-babouviste

Fils de Charles Adrien Lebon, juge suppléant au tribunal civil, Napoléon fut d’abord étudiant en médecine à Paris et, dès 1826, semble avoir été en contact avec Buchez Philippe* et les anciens des Amis de la Vérité, la Charbonnerie, puis avec Godefroy Cavaignac* et la fraction républicaine de la Société Aide-toi le ciel t’aidera.
Lors des journées de Juillet, il se battit en compagnie de ses deux frères Charles et Olympiade, qui fut tué. Lui-même fut blessé le 29 juillet, probablement lors de la prise du Louvre, où Joseph Guinard* fut le premier à hisser le drapeau tricolore.
A l’issue des journées de Juillet, il participa aux activités dans les milieux étudiants. Il fut l’un des onze étudiants en médecine décorés de Juillet et s’associa plus tard aux protestations contre les conditions de l’attribution de cette distinction imposées par la monarchie nouvelle. Il est parfois cité comme étudiant en droit, mais en 1834, il était toujours étudiant en médecine à moins que, comme cela se pratiquait parfois à l’époque, il se soit inscrit aux deux Écoles. Parallèlement il adhéra très vite à la Société des Amis du Peuple et lors d’un changement de bureau, en octobre ou novembre 1831, il en devint trésorier, représentant avec Auguste Blanqui* et Alexandre Plocque*, la minorité « dure », une tendance plutôt jacobine et robespierriste, face à la majorité modérée, composée de François Raspail*, Ulysse Trélat*, Jean-Louis Hubert* et Godefroy Cavaignac. Il soutint les propositions d’Auguste Caunes* de former des sections ouvrières qui furent à l’origine de la Société des Droits de l’Homme, et il participa à la création de la société. Il appartint aussi au bureau de l’Association républicaine pour la liberté de la presse et la liberté individuelle.
Il fut écroué à diverses reprises sans suite, tout étant bon pour le pouvoir en vue de mettre fin aux activités de la SAP : le 16 mars 1831 pour provocation au crime (il demeurait 5, rue Corneille, XIe arr. ancien, actuel VIe), en février 1832, à la suite du complot légitimiste de la rue des Prouvaires, en mai, à la suite des émeutes bonapartistes ; enfin le 26 novembre, à la suite de l’affaire du coup de pistolet.
Lebon fut membre de la Société des Droits de l’Homme depuis sa fondation ; en avril 1833 il participa avec trente-six autres chefs de sections à une rébellion à caractère démocratique et populaire contre le Comité directeur auquel les membres reprochaient de leur être inconnu et de se réserver une autorité absolue, ce qui provoqua une scission partielle de la Société, connue sous la forme de l’opposition entre le « Comité Lebon » et le « Comité Raspail ». En août de la même année, Lebon entrait au Comité directeur encore tenu secret vis-à-vis du public, mais non plus des membres, et il fut élu en novembre au nouveau Comité directeur, dont la composition fut rendue publique. L’opposition entre Lebon et Raspail (qui sortit de prison en avril 1833 et y rentra de nouveau en août) semble d’ailleurs avoir été moins une question de principe que de tactique. Le Comité de novembre représentait une direction de compromis où, indépendamment de l’inclassable activiste René de Kersausie*, l’aile gauche néo-babouviste (Camille-Louis Berrier-Fontaine* secrétaire, Marc-René Voyer d’Argenson,* N. Lebon, Jean-Jacques Vignerte*, François Delente*, Pierre Audry de Puyravault*) semblait l’emporter sur les Jacobins (G. Cavaignac président, Arthur-Jacques Beaumont*) et l’aile droite républicaine bourgeoise (Guinard, Adrien Recurt*).
Lebon était en outre membre d’un Comité d’action ou de propagande fondé au sein de la Société en septembre-octobre 1833 en compagnie de Philippe Buonarroti*, Zael Efrahem*, du tailleur Alphonse Grignon*, de Berrier-Fontaine, Félix Mathé* Jean-Jacques Vignerte et Voyer d’Argenson. A ce titre Berrier-Fontaine, Lebon, Vignerte et Mathé furent arrêtés le 8 décembre 1833 avec une dizaine d’ouvriers, dont le serrurier François Allard* et le bonnetier Zéphir Seigneurgens* et inculpés comme Efrahem et Grignon déjà incarcérés, « comme instigateurs des Coalitions d’ouvriers » (Étienne Cabet*), ce pour quoi ils furent condamnés en avril et octobre 1834 à des peines de trois à cinq ans de prison (Le Réformateur, 11 octobre 1834 et Gazette des tribunaux, 15 octobre 1834). Il demeurait alors 27, rue Saint-Jean-de-Beauvais (XIIe arr. ancien, actuel Ve), avec J.-J. Vignerte et c’est chez eux que se tenait la réunion au cours de laquelle ils furent arrêtés. Leurs dossiers furent intégrés dans le vaste procès des accusés d’avril de la Cour des pairs où il fit partie du Comité de défense qui désigna les défenseurs républicains et où il réclama en vain la défense d’Hauterive, de Lille. Il fut en outre condamné à la déportation à vie en janvier 1836, bien que déjà emprisonné lors des événements d’avril 1834.
C’est à cette époque, entre la mi-décembre 1833 et la mi-avril 1834, qu’il rédigea à Sainte Pélagie une série de tracts anonymes, connus sous le nom d’Aphorismes de Lebon, lithographiés à l’extérieur de la prison grâce à une filière de sortie de documents. Les lithographies originales des deux Aphorismes conservés, A ceux qui nous accusent et De la communauté des produits, se trouvent parmi les documents saisis le 26 mai 1835 chez le compositeur d’imprimerie Henri Stévenot* ; ces pièces, après avoir été immédiatement utilisées dans l’instruction ouverte contre Stévenot, Pierre Quignot* etc., le furent de nouveau pour la préparation des actes d’accusation contre les participants au soulèvement de mai 1839 et de l’attentat du 15 octobre 1840 (affaire Edmond Darmès*), ce qui en explique la présence dans les cartons d’un procès politique venu devant la Cour des pairs des années plus tard. Un autre de ces Aphorismes, non conservé et intitulé De la communauté des biens fut saisi lors d’une perquisition effectuée après les journées de juin 1849 au domicile de Lebon, 56 rue de la Cité (IXe arr. ancien, actuel IVe).
Incarcéré avec les accusés du procès d’Avril, il s’évada avec vingt-quatre autres le 12 juillet 1835 et fut condamné, par contumace à la déportation le 23 janvier 1836. Indésirable en Belgique comme nombre de ses compagnons, il poursuivit sur Londres. Il y participa, peu après leur arrivée sans doute, à la création de la Société démocratique française. Dès 1837 en effet un journaliste allemand du nom de Jäger, qui participa à certaines réunions de l’organisation, précisait qu’on y débattait de politique, qu’on y refaisait le monde, qu’on introduisait la communauté des biens, etc.
On sait peu de choses sur l’activité de Lebon de 1835 à 1848. Il est remarquable qu’à partir de son évasion en juillet 1835, Lebon ait plongé sinon dans la clandestinité, du moins dans l’anonymat ; on ignore par exemple jusqu’à son métier : la fiche de police établie le 10 décembre 1833 après son arrestation le déclare étudiant en médecine ; le Tableau synoptique des accusés d’Avril le dit étudiant sans autre précision ; d’après les proclamations de 1848 il aurait été ingénieur. Il est vraisemblable qu’après des études de médecine il dut chercher une autre formation pour vivre, d’abord à Londres où sa présence est attestée en 1836 et sans doute encore au-delà (il était encore vraisemblablement à Londres lors de la rédaction du Rapport sur les mesures à prendre à l’automne 1839). Après avoir cherché à s’établir en Belgique, il quitta Londres pour Jersey où il était en 1842 « depuis plusieurs années » (?) selon un rapport de police. En février 1847, Theodor Schuster, ancien dirigeant de la Ligue des Bannis (Bund der Geächteten), lié d’amitié avec Charles Teste* et devenu informateur des polices allemandes, parlait de Lebon comme d’un radical ou communiste parisien.
Lors de la révolution de Février il était depuis une date inconnue en Espagne comme l’atteste son passeport, établi le 6 mars 1848 à Barcelone et saisi avec ses autres papiers en juillet 1849. On peut se demander s’il n’est pas, vers le milieu des années quarante, parmi les informateurs révolutionnaires de la Société démocratique française et de l’Association communiste de formation ouvrière (Communistischer Arbeiter-Bildungs-Verein) à Londres sur les affaires d’Espagne (voir par exemple le compte rendu de Bruno Hildebrand sur la séance du CABV du 14 avril 1846). D’après Pascal Rhaye, il était parti en Espagne après avoir refusé l’amnistie royale de 1840.
Pendant la révolution, refusant une position offerte par le gouvernement provisoire, il fut ultérieurement élu délégué au Comité démocratique-socialiste pour l’organisation des élections de 1849. Il collabora en avril-mai 1849 à l’Égalité. Journal des campagnes (voir Victor Chipron*). Il fut candidat aux élections législatives de mai 1849, ce qui devait être incompatible avec sa présence à la commission des vingt-cinq. Il collabora au journal de Raginel L’Égalité. Dans un texte intitulé « Rouge ou Blanc » (également paru sous forme de placard), il déclarait en conclusion : « Plus de juste-milieu. Les Partis sont tranchés, et leurs couleurs aussi : Républicain ou monarchiste, Rouge ou Blanc. Que notre couleur soit le rouge ! et notre cri de ralliement : Vive la République démocratique et sociale ! » Compromis — à quel titre on l’ignore — dans la journée du 13 juin 1849, il fut de nouveau condamné par la Haute-Cour de Versailles à la déportation, le 13 novembre 1849. Et, après Doullens, il était encore à la forteresse de Belle-Île en 1855 et où il fut en compagnie de Blanqui, Sébastien Commissaire*, Jérôme Langlois*, Victor Pilhes*, etc., lorsque Charles Delescluze* y fut transféré à son tour. Il fut libéré en 1856, ayant obtenu sa grâce. On ne sait ce qu’il devint après cette date.
Avec les Aphorismes, pour la première fois sans doute dans la pensée révolutionnaire, le domaine économique est abordé en termes d’analyse économique et non pas seulement et avant tout en termes moraux et politiques. L’exigence de « solution rigoureuse » dans l’analyse du « mécanisme de l’action sociale sur les matériaux élaborés par elle », les diverses amorces d’analyse concernant la propriété, « instrument de notre exploitation », les conditions préalables à l’égalité sociale, la constitution de « valeurs surajoutées par la communauté des efforts », l’éducation considérée comme un « capital social », le débat sur « l’égalité de salaire », présupposaient comme condition de l’action politique révolutionnaire à laquelle souscrivait Lebon une approche scientifique des problèmes économiques et sociaux. « Solution rigoureuse », autrement dit analyse rationnelle et synthèse, ou approche scientifique des problèmes économiques et sociaux : voilà qui situe ce texte du socialiste néo-babouviste Lebon dans la lignée de la « science sociale » formulée au début du siècle par Charles Fourier*, puis par Owen et les saint-simoniens — de la « science révolutionnaire » dira Karl Marx* — comme une nécessité pour qui veut entreprendre de changer la société.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article33535, notice LEBON Napoléon, Aimé par Notice revue et complétée par Jacques Grandjonc , version mise en ligne le 20 février 2009, dernière modification le 8 mai 2017.

Par Notice revue et complétée par Jacques Grandjonc

ŒUVRE : De la Société des Droits de l’homme : Instruction. 15-21 septembre 1833, Paris, Imp. d’Herhan, sd, in 8°, 4 p. — A ceux qui nous accusent, ou seulement nous plaignent de vouloir l’impossible , tract lithographié, [Paris 1834], 3 p. — De la communauté des produits, tract lithographié, [Paris 1834], 3 p., reproduits in Les Révolutions du XIXE siècle, 1834-1848, EDHIS, Paris, vol. 12 et Jacques Grandjonc, Communisme/Kommunismus/Communism. Origine et développement international de la terminologie communautaire prémarxiste des utopistes aux néo-babouvistes, Trier, Karl Marx Haus, 1989, p. 386-392 — Rouge ou blanc, Paris, impr. de Dondey-Dupré, s. d. [1849], in-folio, 2 p.

SOURCES : Arch. Nat., CC 772. — Arch. PPo., A 421, pièce 132. — Arch. Dép. Paris (Seine), registres d’écrou DY/4 6-295 ; DY/4 7 n° 590 ; DY/8 8-1165. — Arch. Dép. Ille-et-Vilaine, M 160, lettre du 17 avril 1842. — Dieppe, Bibl Mun., État civil. — Cour des pairs, Affaire du mois d’avril 1834. Rapport fait à la Cour des pairs par M. Girod (de l’Ain), Imprimerie royale, Paris, 1834-1836. — Tableau synoptique des accusés d’avril jugés par la cour des pairs établi par Marc Caussidière, Lyon, imprimerie de Boursy fils, 1837, Arch. Nat. BB 30/294, Bibl. Nat. in-4° Lb 51/24984. — Cour des pairs. Procès politiques, 1830-1835, Inventaire dressé par J. Charon-Bordas, Paris, Archives Nationales, 1983, CC 590 d 1 n° 554. — « Arrestation de la Rue Saint-Jean-de-Beauvais », La Tribune, 12 décembre 1833. — Pascal Rhaye, Les Condamnés de Versailles, Paris, 1850 — A. Lucas, Les Clubs et les clubistes, Paris, Dentu, 1851 — G. Weill, Histoire du parti républicain en France de 1814 à 1870, Paris, 1900 — I. Tchernoff, Le Parti républicain sous la monarchie de Juillet, Paris, 1905.. — Gabriel Perreux, Au temps des sociétés secrètes. La propagande républicaine au début de la monarchie de Juillet, Paris, Hachette, 1931. — F.-V. Raspail ou Le bon usage de la prison... présentation par D. Ligou, Paris, 1968. — H. Wouters, Documenten betreffende de Geschiedenis der Arbeidersbeweging (1831-53), vol. 1, Louvain, Paris, 1963. — A. Jäger, <EM>Der Deutsche in London, 2 vol. Leipzig, 1838. — M. Dessal, Un révolutionnaire jacobin, Charles Delescluze*, 1809-1871, Paris, 1952. — Bund der Kommunisten..., t. 1, Berlin, 1970. — J.-Cl. Caron, La Société des Amis du Peuple (1830-1833), mémoire de maîtrise, sous la direction de Louis Girard, Paris IV, 1978. — J.-Y. Mollier, Dans les bagnes de Napoléon III. Mémoires de C. F. Gambon, Centre des Correspondances du XIXe siècle, Paris IV-Sorbonne, PUF, 1983. — Ph. Matthey, Les Membres des sociétés secrètes républicaines parisiennes sous la monarchie de Juillet, mémoire de maîtrise sous la direction de Philippe Vigier, Paris X, 1986. — J.-C. Caron, La Jeunesse des Écoles, Paris 1815-1848, Thèse de doctorat sous la direction de Maurice Agulhon, Paris I, 1989. — Jacques Grandjonc, Communisme/Kommunismus/Communism. Origine et développement international de la terminologie communautaire prémarxiste des utopistes aux néo-babouvistes, Trier, Karl Marx Haus, 1989. — J, Dautry, 1848 et la Seconde République, Paris, 1957. — Claude Mazauric, "Un républicain néo-babouviste : Napoléon Lebon", Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 1999 (77), pp. 29-38 Notes de Michel Cordillot, Jean Risacher, Rémi Skoutelsky.

ICONOGRAPHIE : Portrait lithographié dans la série des « Prévenus d’avril » par Ligny, publié par Bourdin.

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