LECHEVALIER SAINT-ANDRÉ Jules [LECHEVALIER SAINT-ANDRÉ André, Louis, Jules]. Dit souvent Jules LECHEVALIER ou LECHEVALIER Jules

Par Notice revue et complétée par J.-C. Dubos

Né en 1806 à Saint-Pierre (Martinique), mort le 10 juin 1862 à Paris. Officier d’artillerie. Propagandiste saint-simonien, puis fouriériste.

« Étrange destinée que celle de cet écrivain ! C’est peut-être, malgré son âge peu avancé, le plus ancien socialiste que nous ayons. C’est peut-être l’un de ceux qui se sont le plus occupés des systèmes économiques. Et cependant les républicains ne l’acceptent qu’avec hésitation, tandis que la bourgeoisie lui fait une guerre implacable. C’est que Jules Lechevallier a cru longtemps pouvoir détruire la tyrannie du capital par les capitalistes eux-mêmes. Cette illusion, il l’a perdue comme tant d’autres, mais on ne lui a pas encore pardonné de l’avoir abandonnée tardivement. » écrivait Pascal Rhaye en 1850.

On lui reprochait également d’avoir participé à des journaux ministériels sous la monarchie de Juillet.

Né à la Martinique, mais élevé en France à Pont-Levoy, Jules Lechevalier ne fut pas polytechnicien, comme il est dit généralement, mais élève à Paris de Victor Cousin et de Hegel à Berlin. Rallié au saint-simonisme dès 1829, il prit part à tous les travaux, toutes les publications de l’école. Il entreprit en 1831 une grande tournée de propagande qui le mena à Toulouse, Bordeaux, Montauban, Limoges, Lyon, Dieppe, Rouen, Le Havre, Grenoble, Dijon et Besançon. Là, en juillet 1831, ses prédications furent interdites par la Municipalité. Grâce à Just Muiron*, l’Impartial publia sa longue lettre de protestation, mais en même temps, Muiron et Clarisse Vigoureux* tentaient de l’amener au fouriérisme. Ébranlé, Lechevalier fut définitivement converti par de nouvelles discussions avec Victor Considerant en novembre à Metz, et en février 1832 il ouvrit à Paris rue Taranne le premier cours de fouriérisme, destiné aux saint-simoniens qui furent nombreux à le rejoindre, notamment Abel Transon*, Constantin Pecqueur*, Charles Pellarin*, Désirée Véret*, Eugénie Niboyet*. Parmi ses auditeurs se trouvaient aussi Béranger* et Théodore Jouffroy.

En juin 1832 les fouriéristes décidèrent de lancer un journal Le Phalanstère dont la direction fut confiée conjointement à Considerant et Lechevalier.

Conjointement avec Victor Considerant, Lechevalier avait rédigé l’Introduction au Phalanstère, avec le titre de membre de la Commission de propagation. Les deux auteurs disaient : « Ce n’est donc pas une théorie abstraite que nous venons enseigner, c’est une fondation dont nous exposons le devis. Nous apportons un Fait aux hommes avides de faits et de réalités [...] Assez de systèmes ont été proposés, discutés [...] Toutes ces conceptions ont échoué au contact de la réalité... » Après avoir fait de Fourier et de ses doctrines un éloge enthousiaste, les deux disciples déclaraient qu’il ne s’agissait pas d’appliquer toutes les idées du Maître, mais que le but immédiatement proposé était la « création d’une entreprise industrielle », organisant « le ménage du peuple » et faisant appel pour ces fins à « la commandite intéressée du riche ». Tous les individus y seraient constitués en une association selon la formule : travail, capital, talent. Il y serait appliqué une répartition proportionnelle des bénéfices de manière à satisfaire chaque individu au moyen de dividendes apportés au travail, au capital, au talent.

En juin 1831, avec deux anciens polytechniciens, Raucourt et Perdonnet, il avait fondé, pour éduquer le peuple, l’Association polytechnique, qui ouvrit ses cours en 1833-1834, dans le faubourg Saint-Antoine où elle avait une centaine d’auditeurs. En 1835, l’association sera subventionnée par l’État. En 1833, il avait posé, sans succès, sa candidature à la chaire d’économie politique du Collège de France, vacante par la mort de Jean-Baptiste Say. Le programme de son cours (publié dans l’Impartial) prévoyait notamment l’étude du saint-simonisme et du fouriérisme.

En janvier 1834 Lechevalier fonda la Revue du Progrès social. pour laquelle il essaya vainement d’obtenir la collaboration de Victor Hugo* et de Lamartine*. Mais vers la fin de l’année, il se détacha du fouriérisme. Attiré — selon Pellarin — vers la grande presse par ses embarras d’argent, il dirigea en 1837-1838 le Journal de Paris, puis il fut chargé par le comte Molé d’une mission sur l’abolition de l’esclavage dans les Antilles britanniques, suivie d’une autre en 1843-1844 sur la colonisation de la Guyane, dont il rapportera un volumineux Rapport sur les questions coloniales publié en 1844, sous les auspices de la commission coloniale présidée par le duc de Broglie et dont il était le secrétaire. » Toujours fouriériste en 1843, Lechevalier devint secrétaire de la commission coloniale de La Phalange.

En 1846, il retourna en Allemagne pour y faire une série de conférences sur le socialisme. Il y était allé une première fois de 1826 à 1828 et y avait pris une teinture de philosophie hégélienne.

En 1848, l’Association polytechnique connut une scission : les non-polytechniciens en sortirent pour fonder l’Association philotechnique.

Dès sa création en 1848, il collabora au Représentant du peuple de Proudhon En 1848, il fut candidat à la Constituante dans le département de la Seine. Dans sa profession de foi, il déclarait notamment : « Qu’est-ce que la liberté politique si elle n’est pas le moyen d’assurer à tous les citoyens [...] le bien-être, la libre disposition de leurs outils et instruments de travail ? Un vain mot qui cache de bien dures réalités : le despotisme et l’exploitation... Qu’est-ce que l’égalité politique, si elle ne conduit pas à effacer dans la société humaine cette division en deux classes, cette scission légale, mère de toutes les oppressions, de tous les vices, de toutes les misères ? Les riches et les pauvres, les capitalistes et les travailleurs, les pauvres et les dénudés, les oisifs volontaires qui n’ont pas besoin de travailler pour vivre et les oisifs malgré eux qui n’ont pas le droit de mal vivre même en demandant à travailler beaucoup. Qu’est-ce que l’égalité politique au milieu de toutes ces inégalités sociales et civiles ? Une illusion. La fraternité n’est elle-même qu’une déception, si elle maintient entre les républicains [...] ce conflit anarchique de tous les intérêts et de tous les efforts, cet antagonisme fratricide faussement appelé libre-concurrence. » Il ne fut pas élu.

Quand, le 15 juillet 1848, Proudhon publia les statuts de la Société nationale de la Banque d’échange et la composition du bureau, Jules Lechevalier y figurait comme vice-président. Ce fut lui qui, en janvier 1849, à la place de Proudhon donna lecture, au Club de l’Organisation du Travail, du projet de Banque du Peuple. En même temps, il déployait une grande activité journalistique. En 1849, il était l’un des rédacteurs du journal de Proudhon, La Voix du Peuple, et depuis le 24 février 1848, il collaborait à La République de l’ancien saint-simonien Bareste. En dépit de tous ses efforts, il ne put empêcher la chute de la Banque du Peuple, au printemps de 1849. Il devait faire l’objet d’une citation en correctionnelle, pour avoir dit, le 1er juin 1849, au club de la salle de la Fraternité, 9, rue Martel : « Le socialisme est le communisme de transition, le communisme est sa fin logique et nécessaire. »

Compromis dans l’affaire du 13 juin 1849, il était membre du Comité démocratique-socialiste pour l’organisation des élections de 1849. Lechevalier ne fut poursuivi pour complot que comme membre du Comité de la presse. Il fut cependant condamné par contumace à la déportation. Il se réfugia à Londres où il entra en relations avec les socialistes chrétiens anglais et fonda avec eux une œuvre de propagation de la coopération, la « Société pour l’extension des associations ouvrières », qui entreprit immédiatement une vaste propagande pour le développement de l’association de production « de type parisien ». En 1850 il fit, à Londres, un cours sous les auspices de la Société pour l’extension des associations ouvrières. Il préconisa un système d’association qui apparaît comme une synthèse du fouriérisme et du proudhonisme.

Démocrate-socialiste de 1849, Jules Lechevalier avait participé à la malheureuse affaire du Conservatoire des Arts et Métiers, le 13 juin 1849, en qualité de membre du Comité socialiste. Il avait présenté sa défense lui-même (brochure de 16 pages in-8°, Londres, 1849) devant la Haute Cour de Versailles et résumé sa vie, ses rapports avec l’école saint-simonienne, puis avec Victor Considerant.

En Angleterre, Lechevalier, à partir de 1855, vécut pauvrement de « travaux statistiques » pour le ministère français de l’Intérieur. Rentré en France en 1857, rallié au Second Empire, il mourut, « dans la détresse » (Pellarin) d’une maladie de cœur, le 10 juin 1862.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article33572, notice LECHEVALIER SAINT-ANDRÉ Jules [LECHEVALIER SAINT-ANDRÉ André, Louis, Jules]. Dit souvent Jules LECHEVALIER ou LECHEVALIER Jules par Notice revue et complétée par J.-C. Dubos , version mise en ligne le 20 février 2009, dernière modification le 16 septembre 2011.

Par Notice revue et complétée par J.-C. Dubos

SOURCES : l’Impartial, 24 et 31—juillet 1831 ; 23 mai 1833. — Pascal Rhaye, Les Condamnés de Versailles, Paris, l’auteur, 1850. — H. Fournel, Bibliographie saint-simonienne. — Charles Pellarin, Une page de l’histoire du saint-simonisme et du fouriérisme. Notice sur Jules Lechevalier et Abel Transon, Paris, 1877, in-8°, 20 pages. — Hayward Jack, « Jules Lechevalier West Indian fiascos, 1838-1844 », in Daget Serge, dir. : De la traite à l’esclavage. Actes du colloque international sur La Traite des noirs, Nantes, 1985, Nantes, Centre de recherches sur l’histoire du monde atlantique, 1988, Tome II, p. 605-626. — Jonathan Beecher, Fourier. Le visionnaire et son monde, Paris, Fayard, 1993, p. 439 et sq. — Olivier Chaibi, Jules Lechevalier, pionnier de l’économie sociale
(1806-1862). Des socialismes "utopiques" aux modèles coopératifs
, Préface de Pierre Ansart, L’Harmattan, 2009.

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