LE DREUILLE François, Auguste, Agathocle

Par André Caudron

Né le 10 avril 1797 à Saint-Martin-de-Fontenay (Calvados), mort le 17 septembre 1860 à Paris ; ouvrier, professeur, prêtre ; aumônier parisien de la Société Saint-François-Régis pour les ouvriers.

« Fils du peuple et sorti providentiellement de ses foules », selon son expression, François Le Dreuille (écrit parfois Ledreuille) eut un itinéraire singulier. Ouvrier dans sa jeunesse, il entra ensuite au séminaire du Mans où il reçut le diaconat (1819). Licencié de théologie en Sorbonne en 1820, il resta longtemps « professeur abbé », enseignant la philosophie puis la théologie. Il fit paraître une traduction en vers de L’Enfer de Dante (1837) et un Précis de littérature française (1842). En 1836, il avait fondé une revue, Le Conciliateur, « journal de la Religion, des Sciences, de l’Industrie et des Bonnes Oeuvres », qui contribua peut-être à l’orienter vers l’action sociale. Sept ans plus tard, il se mit au service de la Société Saint-François-Xavier dont il allait devenir l’aumônier, en fait le directeur, et le plus populaire de ses orateurs à Paris.
Cette œuvre s’était implantée dans plusieurs villes de France pour l’instruction religieuse des adultes et particulièrement des ouvriers qui voulaient « s’instruire de la doctrine catholique ». Elle était surtout prospère dans la capitale où, établie en 1840, elle comptait six mille adhérents sur douze paroisses à l’arrivée de Le Dreuille. Celui-ci lui imprima un nouvel élan : quinze mille ouvriers, appartenant à quinze paroisses, la fréquentaient en 1847. Entre-temps, à l’âge de quarante-huit ans, Le Dreuille était enfin devenu prêtre. Entouré d’une foule d’ouvriers, il fut ordonné le 17 mai 1845 à Notre-Dame de Paris et prononça ce jour-là, puis le 22 mai en l’église Saint-Roch, un sermon dont le contenu prophétique, très virulent, lui valut la censure des journaux catholiques :
« Si vous ne patronnez pas les classes laborieuses, vous verrez de jour en jour s’étendre et s’élargir le gouffre béant du paupérisme », dit-il à un auditoire fortuné. « Vous aurez beau y jeter le denier de la bienfaisance et les pièces d’or de la charité, le gouffre s’agrandira toujours (...) Sur mille familles, une à peine travaille assez pour nourrir tous ses membres (...) Si l’on n’y prend garde, l’année prochaine, demain peut-être, le peuple formidable, secouant la résignation comme une poussière immonde ou s’en dépouillant comme d’un vêtement incommode, marchant à la conquête de ses droits méconnus... »
Ces propos inquiétèrent la police royale et réjouirent les fouriéristes dont l’organe, La Démocratie pacifique, déclarait le 15 juin 1845 à l’adresse de celui qu’on appelait « le prêtre du peuple » ou « le père des ouvriers » : « Allez ! Allez toujours, car vous marchez dans la voie des traditions de l’Evangile, des vraies, des grandes traditions de l’Église ». Les paroles de l’abbé Le Dreuille tranchaient sur les propos lénifiants que distillaient habituellement les conférenciers des séances dominicales de Saint-François-Régis, propos dont les socialistes chrétiens de L’Atelier dénonçaient le dolorisme résigné. Le Dreuille voulait s’identifier avec le peuple dont il était issu : « Pour moi, mes amis, que j’ai souvent nommés mes frères, je suis heureux de me trouver près de vous. Je vous aiderai, je vous servirai. Je me jette à corps perdu au milieu du peuple ; je me fais peuple de corps et d’âme (...) Si vous voulez être ma famille, ô mes chers ouvriers, je vous aimerai », s’écriait-il dans un discours du 6 octobre 1844.
S’efforçant de trouver des solutions au problème social, il avait ouvert à l’automne 1844, au 27 rue des Vieux-Augustins, une maison pour le placement gratuit des ouvriers, qui aurait offert six mille emplois en un an. Celle-ci fut intégrée en 1847 dans une œuvre du travail, installée 5, rue Jean-Jacques-Rousseau — et encouragée par Mgr Affre, archevêque de Paris —, avec des services de consultations médicales gratuites et d’aide juridique.
L’influence de Le Dreuille contribua sûrement au climat favorable qui entoura l’Église dans les premiers temps de la révolution de 1848. Il se présenta le 23 avril, à Paris, aux élections pour l’Assemblée constituante, et subit un échec honorable avec 31 797 voix. Battu une deuxième fois au scrutin complémentaire du 4 juin, il fut nommé second aumônier au Val-de-Grâce le 23 octobre 1848, puis premier aumônier le 8 juillet 1850. En décembre 1851, Louis-Napoléon Bonaparte, président de la République, lui remit la croix de la Légion d’honneur « pour les soins zélés donnés aux soldats malades et pour le dévouement et le talent consacrés aux réunions ouvrières de Saint-François-Xavier ». Le Dreuille y poursuivait ses causeries. En novembre 1849, son soixante-septième discours fut consacré au Catéchisme des socialistes. Mais l’œuvre avait perdu une bonne partie de son public. Il est vrai que les ouvriers pouvaient désormais se réunir ailleurs que dans les églises. Les sanglantes journées de juin, au demeurant, avaient creusé un fossé entre les classes sociales. Le Dreuille aurait voulu, comme il l’affirmait en 1846, que sa Société fût une « pépinière d’hommes sociaux », mais elle ne sut pas confier de véritables responsabilités aux ouvriers, et aucun militant, semble-t-il, n’est sorti de ses rangs.
François Le Dreuille, en désaccord avec l’évolution de l’Empire, démissionna de ses fonctions d’aumônier en 1859 « pour raison politique ». Il demeura sans poste jusqu’à son décès.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article33640, notice LE DREUILLE François, Auguste, Agathocle par André Caudron, version mise en ligne le 20 février 2009, dernière modification le 8 août 2022.

Par André Caudron

OEUVRE ; L’abbé Faudet a édité les Discours prononcés aux réunions des ouvriers de la Société Saint-François-Régis par M. l’abbé F.-A. Le Dreuille, Paris, presbytère de Saint-Roch, 1861, 512 p.

SOURCES : Archives diocésaines de Paris, renseignements communiqués par Philippe Ploix — Ami de la Religion, 20 décembre 1851 — Abbé Henri Avoine, Trente ans de ministère à Paris, Paris, Amat, 1905 — Jean-Baptiste Duroselle, Les Débuts du catholicisme social en France (1822-1870), Paris, P.U.F., 1951 — Pierre Pierrard, L’Église et les ouvriers en France (1840-1940), Paris, Hachette, 1984.

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