LEFRANC Jean-Baptiste, Antoine

Par Jean-Claude. Vimont

Révolutionnaire parisien ; jacobin ; suspect sous tous les régimes depuis 1795 jusques à la Restauration ; arrêté à plusieurs reprises .

Ce révolutionnaire malchanceux n’est pas totalement méconnu. Il fut victime d’un véritable acharnement répressif de la part de tous les régimes qui suivirent la chute de Robespierre et ceci jusqu’aux premières années de la Restauration. Richard Cobb a expliqué cette succession de rigueurs punitives -emprisonnements et déportations- par la fidélité de ce jacobin à l’idéal révolutionnaire et par la constance de son engagement militant. Non sans admiration, il le qualifia de « Gil Blas révolutionnaire ». On peut toutefois se demander s’il ne fut pas également victime de sa réputation et de quelques imprudences dans ses fréquentations. « Vieille moustache révolutionnaire", selon l’expression des agents de la préfecture de police, il fut l’objet d’une surveillance attentive dès la Convention thermidorienne, puis sous le Directoire, l’Empire et la Restauration.
Lefranc était architecte et entrepreneur en maçonnerie aux débuts de la Révolution. Demeurant rue Thomas du Louvre, il appartint à la section des Tuileries. En octobre 1793, il fut élu capitaine de la compagnie des canonniers de sa section qui fut rattachée à l’Armée Révolutionnaire dirigée par les hébertistes Ronsin et Vincent. S’il se qualifiait, à cette époque, de charpentier pour se « sans-culottiser », il était en fait probablement pourvu d’une certaine aisance financière. Richard Cobb pensait qu’il était le militant le plus riche de l’Armée Révolutionnaire. En novembre 1793, il descendit à Lyon avec plusieurs détachements de cette Armée pour y réprimer l’insurrection. Le décret de la Convention du 9 octobre avait ordonné la destruction de cette ville. Richard Cobb écrivait à propos du voyage de Paris à Lyon que Lefranc avait déployé tout le zéle d’un « terroriste accompli » et qu’il aurait fait de sa section une "école de la terreur". Le 28 novembre 1793, sur intervention de Fouché et Collot d’Herbois, Lefranc fut nommé membre adjoint du conseil général jacobin de la commune et intégré dans son comité des travaux publics. Il était chargé à la fois des démolitions et des reconstructions des édifices endommagés lors du siège. Plusieurs ordres du mois de décembre 1793 le convoquèrent avec d’autres sans-culottes pour "accélérer des mesures concertées", "pour prendre les mesures révolutionnaires que les circonstances pourraient exiger" dans des communes voisines de Lyon. Ces ordres posent le problème de son éventuelle participation aux répressions et fusillades. Il quitta Lyon en mai 1794. Il était avec sa compagnie à Besançon le 9 thermidor. En octobre 1794, il fut attaqué par Fréron et les muscadins. Il fut emprisonné aux Orties le 7 février 1795. Ce premier séjour carcéral fut interrompu au bout de huit jours car il avait adressé au Comité de surveillance générale une pétition afin de pouvoir poursuivre les travaux qu’il conduisait dans Paris — l’École Normale, la poudrière Saint-Germain — et afin de verser les salaires de ses nombreux ouvriers, peut-être 500 selon ses réponses à un interrogatoire. Il fut de nouveau incarcéré aux Orties en mars 1795 sous une triple accusation : avoir participé au mouvement insurrectionnel du 1er germinal, avoir été l’un des pétitionnaires du faubourg Saint-Antoine et avoir excité ses ouvriers à la révolte. Sa réputation commençait de peser sur sa destinée car on lui reprochait également des « horreurs commises à Lyon » et sa fréquentation trop assidue d’un café jacobin, le café Payen, repaire de ce que l’on commençait à nommer la « queue de Robespierre » Interrogé le 10 avril 1795 par la section de police du Comité de Sûreté Générale, il nia avoir participé aux mitraillades de Lyon et bénéficia de rapports favorables des représentants en mission dans cette ville. Dans la maison de sûreté nationale des Orties, Gracchus Babeuf* et de futurs membres de la Conspiration pour l’égalité étaient incarcérés aux côtés de Lefranc. Il fut relâché peu après son interrogatoire.
En 1796, il s’abonna aux journaux de Lebois et de Babeuf. Ce dernier l’inscrivit sur les listes des hommes propres à exercer un commandement lors de l’insurrection qu’il préparait. Lefranc était-il un authentique conspirateur babouviste ? Sa réputation avait-elle suffi à le classer parmi les révolutionnaires sur lesquels les Égaux espéraient compter ? Il fut de nouveau incarcéré plusieurs mois mais fut acquitté par la Haute Cour de Vendôme. La police ne relâcha pas sa surveillance et, en 1799, notait ses bavardages hostiles au gouvernement, bavardages tenus lors de promenades dans les jardins des Tuileries.
Lorsque Napoléon décida une rafle parmi les « anarchistes » de la capitale, après l’attentat royaliste du 24 décembre 1800, Lefranc fut du nombre. La liste avait été adressée par Fouché. Il fut incarcéré à Sainte-Pélagie en compagnie de l’ancien général Rossignol et d’autres ex-conspirateurs babouvistes. Le Sénatus Consulte du 14 nivôse an IX ordonna la déportation de 130 individus, les derniers militants jacobins de Paris. Lefranc et soixante-dix autres victimes de cette mesure de haute police furent acheminés aux îles Seychelles. Les colons de ces îles n’apprécièrent guère cette arrivée de déportés à la sinistre réputation. Ne risquaient-ils pas de pousser à la révolte leurs esclaves ? Lefranc parvint à s’enfuir mais sa chance ne dura guère. Il fut fait prisonnier par les Anglais qui le conduisirent sur l’un de leurs sinistres pontons. Échangé, il fut ensuite incarcéré quelques temps à Brest en 1803 puis placé en résidence surveillée à Lunel en 1804. Jusqu’en 1811, il perçut une indemnité comparable à celle qui était versée aux prisonniers d’État. Après la seconde conspiration du général Malet, il fut décidé d’arrêter les déportés jacobins rentrés en France et de les acheminer dans la chartreuse de Pierre-Chatel. Lefranc fut arrêté le 4 septembre 1813 à Bordeaux puis conduit de brigade en brigade vers la chartreuse. Il ne dépassa pas Angoulême et demeura dans l’infirmerie de la maison de correction jusqu’à la fin de l’Empire. Agé de 56 ans, il souffrait de la goutte. Il aurait corrompu son escorte de gendarmes afin de ne pas poursuivre son périple.
Lefranc revint à Paris mais ne resta pas longtemps en liberté. Il fut compromis dans l’affaire dite des « patriotes » de 1816 et de nouveau incarcéré, à la Conciergerie cette fois. La cour d’assises de la Seine le condamna à la peine de la déportation le 7 juillet 1816. Il multiplia les pétitions afin d’éviter un nouveau séjour outre-mer et publia un livre de mémoires sur ses infortunes passées. Il donnait des gages de sa soumission au nouveau pouvoir. Rien n’y fit. Récidiviste en matière de conspiration, il représentait une menace et le prototype de l’activiste sans-culotte détesté par les ultras. L’heure était au règlement des comptes révolutionnaires et Lefranc symbolisait la période exécrée de la Terreur. Le préfet de police Anglès souhaitait débarrasser les prisons parisiennes des agitateurs républicains. Son vœu fut exaucé en avril 1817 puisqu’une ordonnance royale affecta un quartier de la Maison Centrale du Mont-Saint-Michel aux déportés. Peu après, Lefranc fut conduit sur ce rocher. Il y séjourna avec Robert Babeuf*, le fils de celui avec qui il avait conspiré quelques années plus tôt. Il ne fut gracié qu’en octobre 1819.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article33690, notice LEFRANC Jean-Baptiste, Antoine par Jean-Claude. Vimont, version mise en ligne le 20 février 2009, dernière modification le 2 mai 2016.

Par Jean-Claude. Vimont

œUVRE : Les infortunes de plusieurs victimes de la Tyrannie de Napoléon Bonaparte..., Paris, 1816

SOURCES : Arch. Nat.,, F7 / 6274, F7 / 4774 (12), F7 / 4276, F7 / 4277. — Arch. Ppo. AA 335, AA 274. — Richard Cobb, L’armée révolutionnaire parisienne à Lyon et dans la région lyonnaise, frimaire-prairial an II, Lyon, sans date. — Richard Cobb, Les armées révolutionnaires, instruments de la terreur dans les départements, Paris, Mouton, sans date. — A. Soboul et R. Monnier, Répertoire du personnel sectionnaire parisien en l’An II, Paris, 1985. — R. Legrand, Babeuf et ses compagnons de route, Paris, 1981. — J.-Cl. Vimont, Enfermer les politiques. Aux origines des régimes de détention politique (1810-1848), Thèse dact., Paris VII, 1991, 1295 p. — J.Cl. Vimont, La prison politique en France, Genèse d’un mode d’incarcération spécifique, XVIIIe-XXe siècles, Paris, Anthropos, 1993, 503 pages. — .— Victor Advielle, L’Odyssée d’un Normand à Saint-Domingue au dix-huitième siècle, Paris, Libr. Challamel, 1901 [famille].

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