LE PLAY Frédéric [LE PLAY Pierre, Guillaume, Frédéric]

Par André Caudron

Né le 11 avril 1806 à La Rivière-Saint-Sauveur (Calvados), mort le 5 avril 1882 à Paris ; ingénieur des mines, économiste, sociologue ; précurseur du catholicisme social ; fondateur de la Société d’économie sociale et des Unions de la paix sociale.

Frédéric Le Play, fils d’un officier des douanes, fit ses études dans un collège religieux du Havre puis au collège Saint-Louis de Paris avant d’entrer en 1825 à l’École polytechnique où il se lia d’amitié avec Michel Chevalier*, futur saint-simonien. Major de l’École des Mines en 1827, il franchira les différents grades de son corps jusqu’à celui d’ingénieur en chef. La révolution de 1830 l’impressionna beaucoup et accentua ses préoccupations sociales. Observant pendant l’hiver la vie des ateliers parisiens, il commença par l’Allemagne, avec son condisciple Jean Raynaud, une série de voyages en Europe. Il pratiquait cinq langues, et ses « excursions scientifiques » dans les régions en cours d’industrialisation s’étaleront, à la belle saison, sur plus de vingt années. En même temps, l’ingénieur était secrétaire de rédaction des Annales des mines et de la Statistique de l’industrie minière, conseiller d’un propriétaire de gisements en Russie, le prince Demidof. Professeur de docimasie depuis 1840, sous-directeur de l’École des mines, chargé de l’inspection des études, Le Play quitta ces fonctions lorsque, sur l’insistance de nombreux amis, tels Louis Blanc* , Montalembert, Tocqueville, Thiers, Lamartine*, Arago*, Sainte-Beuve, Armand de Melun* , Augustin Cochin, il entreprit la publication de ses études d’économie sociale.
De l’observation attentive de près de deux cents familles ouvrières, il retira la matière d’une soixantaine de monographies consignées dans un premier ouvrage, Les Ouvriers européens, paru en cinq volumes à partir de 1855, et où il accordait une attention particulière à l’étude des budgets familiaux. La nouveauté de sa méthode d’analyse des faits sociaux fut aussitôt ressentie comme un progrès remarquable. Il reçut le prix de statistique de l’Académie des sciences en 1856. Tout Le Play fut d’emblée dans cette oeuvre monumentale. Ses autres livres ne feront qu’étoffer l’aspect documentaire sans apporter d’autres réflexions importantes. Pour Le Play, le bonheur d’une communauté reposait sur deux piliers essentiels : le respect du Décalogue et l’affirmation de l’autorité. Toute organisation sociale devait s’appuyer sur la religion et la souveraineté. « La population de Paris et de sa banlieue est la plus ébranlée d’Europe », écrivait-il, car les forces morales s’y trouvaient diluées.
Il refusait la misère ouvrière. « Le monde économique, disait-il, est patriarcal, composé de cellules qui, à l’instar des familles, doivent par l’autorité et l’amour, rechercher le bien-être des hommes. » Par conséquent, les familles patronales avaient le devoir grave de protéger celles de leurs salariés, ce qui représentait une surcharge du prix de revient. Le Play récusait donc les fondements du libéralisme économique. Le « patronage » des « classes dirigeantes » pouvait seul permettre d’éviter la « lutte sociale » entre patrons et ouvriers. Dans un climat social où l’ouvrier n’était qu’un simple instrument de travail, la doctrine de Le Play représentait une évolution positive. Elle portait aussi en germe les perversions du paternalisme.
Napoléon III, intéressé par la personnalité et les idées de Le Play, le choisit en 1853 comme commissaire général de l’Exposition universelle de l’industrie, prévue pour 1855. Devenu président de la sous-commission impériale, chargée des préparatifs de l’exposition, celui-ci fut nommé conseiller d’État en 1855. Le souverain lui demanda de comprimer son ouvrage sous un format plus réduit : ce fut La Réforme sociale en France, déduite de l’observation comparée des peuples européens, en deux volumes (1864). Commissaire de l’Empire français pour l’Exposition universelle de Londres en 1862, Le Play fut encore commissaire général de celle de Paris cinq ans plus tard. Napoléon III le fit grand officier de la Légion d’honneur et l’appela, le 29 décembre 1867, au Sénat où il siégea jusqu’à la fin du règne. A l’intention de l’empereur, il avait aussi publié L’Organisation du travail (1869). Il se retira de la vie active en 1870.
La Société internationale des hautes études d’économie sociale - plus brièvement dite Société d’économie sociale - fut créée en 1856 pour la diffusion de ses idées. Il en était le secrétaire général. Cette organisation avait pour base la « conviction devenue générale que la situation des populations ouvrières et les rapports qui existent entre elles et les autres classes » réclamaient « des mesures spéciales de conservation et de réforme ». Elle comprenait trois cent vingt-six membres dont de nombreux catholiques, mais pas exclusivement. L’ » École de Le Play » ne voulait pas s’engager sur le plan confessionnel. Le Play lui-même se tint longtemps éloigné de la religion qui n’était pour lui qu’une force d’ordre. Il revint à la pratique trois ans avant sa mort.
Si la Société s’est bornée à des échanges sur les questions soulevées par les monographies de familles, plus active fut l’Union de la paix sociale, apparue en 1872 et transformée dès 1874 en « Unions", avec des implantations régionales qui permettaient de rassembler tous les disciples de Le Play. L’École de la paix sociale (1877) et la revue La Réforme sociale (1881) ont complété cet ensemble animé par deux proches du maître, l’abbé Henri de Tourville et Charles de Ribbe. Depuis 1857, Le Play dirigeait Les Ouvriers des deux mondes, oeuvre collective que ses disciples achevèrent en 1885.
Sa pensée eut une influence considérable et très diverse. Pionnier de la sociologie expérimentale, il a imprimé un élan décisif aux études sociales, conduites désormais à l’analyse des faits économiques et à la prise en compte des facteurs moraux et religieux. L’Action française s’est recommandée de celui qui dénonça les « faux dogmes de 1789 » et Charles Maurras fit partie de la Société d’économie sociale. Par ailleurs, Le Play fut de ceux qui ont contribué à atténuer les abus de la révolution industrielle. Maître à penser des catholiques sociaux du XIXe siècle, qui se reconnaissaient dans son esprit contre-révolutionnaire, il a notamment inspiré les fondateurs de l’œuvre des cercles, La Tour du Pin, Albert de Mun et Léon Harmel.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article33880, notice LE PLAY Frédéric [LE PLAY Pierre, Guillaume, Frédéric] par André Caudron, version mise en ligne le 20 février 2009, dernière modification le 27 janvier 2010.

Par André Caudron

ŒUVRE : Outre les œuvres déjà citées : L’Organisation de la famille, 1871. — La Question sociale et l’Assemblée, 1874. — La Méthode expérimentale et la loi divine, 1875. — La Constitution de l’Angleterre, 2 vol., 1875. — La Réforme en Europe et le salut de la France, 1876. — L’École de la paix sociale, son histoire, sa méthode, sa doctrine, 1881 — La Constitution essentielle de l’humanité, 1881, etc.

SOURCES : G. Vapereau, Dictionnaire universel des contemporains, 5e édit., Paris, 1880. — Charles de Ribbe, Le Play d’après sa correspondance, Paris, 1884. — Abbé A. Riche, Frédéric Le Play, Paris, 1891. — Auburtin, Frédéric Le Play d’après lui-même, Paris, 1906. — Maurice Éblé, Les Écoles catholiques d’économie politique et sociale en France, Paris, 1905 — Jean-Baptiste Duroselle, Les Débuts du catholicisme social en France, Paris, 1951 — G. Thuillier, « Le Play et la Réforme sociale », Revue administrative, mai-juin 1958 — M. Dion, « Science sociale et religion chez Frédéric Le Play », Archives de sociologie des religions, n° 24, 1967 — Henri Rollet, « L’Apport de Le Play au catholicisme social », Études sociales, n° 79-80, 1969 — Catholicisme, VII, 1975 (H. Rollet) — Pierre Pierrard, L’Église et les ouvriers en France (1840-1940), Paris, 1984.

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
fiches auteur-e-s
Version imprimable