LEROY Gustave

Né à Paris le 6 août 1818, mort à Paris le 14 avril 1860. Brossier ; chansonnier.

Gustave Leroy
Gustave Leroy
Cliché fourni par Philippe Darriulat

Fils naturel d’un père qu’il ne connut jamais et d’une mère employée de théâtre, il eut une enfance très pauvre dans le milieu du spectacle parisien de la Restauration. Sa mère ne pouvant lui donner d’instruction, c’est un ami, célèbre danseur de corde, qui se charge de lui apprendre à lire et écrire. Très tôt il fréquente les goguettes – qu’il appelle « le Louvre du pauvre » - et notamment l’Enfer où il retrouve Charles Gille, Charles Colmance, Vinçard ou Alexis Dalès. Il fait même partie du groupe des vingt membres de cette société qui passent, le 6 janvier 1835, devant la 7e Chambre correctionnelle de Paris pour contravention à la loi du 10 avril 1834 sur les associations (Gazette des tribunaux, 7 janvier 1835). Ce procès, qui se solde par le renvoi des accusés, est la première tentative de la police de Louis-Philippe pour réprimer les goguettes parisiennes. Gustave Leroy devient assez rapidement une des principales vedettes de ces sociétés lyriques et connaît une grande renommée dans le petit monde des chansonniers parisiens. L’Écho lyrique du 24 septembre 1843 fait état d’une rumeur selon laquelle Leroy serait décédé, ce que le périodique s’empresse de démentir en insistant sur la popularité de l’intéressé au sein des goguettes. Eugène Balliet, quant à lui, parle de sa « grande influence sur les masses ». Outre l’Enfer, sa présence est attestée aux Enfants de Bacchus, aux Enfants du temple, aux Amis de la vigne à Ménilmontant et aux Ménestrels à Belleville. Ce serait lui qui aurait eu le premier l’idée des « ballades », ces goguettes qui changeaient chaque semaine de lieu de réunion afin d’échapper à la vigilance de la police. Il avait l’habitude de venir en blouse à ces réunions et pourtant, contrairement à nombre de ses collègues, il n’a jamais affiché avec fierté son appartenance à un métier manuel : nous savons seulement qu’il a été brossier. Il a aussi la particularité de composer la musique de certaines de ses chansons, celle des Farfadets connaît un grand succès et est même orchestrée pour les musiques militaires. Il se fait remarquer pour ses très nombreux refrains sociaux ou politiques qui reprennent les thèmes chers au parti républicain de la monarchie de Juillet. Ses productions sont imprimées sur de petites brochures vendues dans les rues pour dix centimes, mais il ne fit jamais paraître de recueil de ses œuvres pourtant très abondantes : Bachimont parle de 400 titres. En 1844, cependant, le libraire Eyssautier propose La Voix du peuple, œuvres complètes de chansons populaires de Gustave Leroy, mais il s’agit en fait d’une tentative de proposer une publication régulière des chansons présentées en goguette, Gustave Leroy n’est donc pas le seul auteur présent dans les deux livraisons conservées à la Bibliothèque nationale de France. Dans ses chansons, il célèbre la Révolution française – Le Quatorze juillet, 1844 – la cause polonaise – Les Martyrs de la Lithuanie, 1846 – la Liberté – Le Temple de la liberté, 1847 – prend la note anticléricale – Le Mariage de Maclou et Les Petits oiseaux -et chante surtout les vertus du peuple. Dans L’Entrée des Tuileries, l’ouvrier rappelle au soldat qui veut interdire aux « blouses et aux casquettes » de pénétrer dans le palais royal que le prolétaire, producteur et combattant de la Révolution comme de l’Empire, « vaut bien le riche qu’on renomme » ; dans Les Petits enfants, il affirme qu’il ne faut pas vieillir pour ne pas devenir militaire et tirer sur l’émeute populaire ; dans Ma Pauvreté, il met en scène un combattant de juillet qui refuse de devenir mouchard et se satisfait de son obscurité afin de ne pas être muscadin, « directeur de fabrique » ou juré ; dans Les Brebis il pleure le malheur des filles que la misère pousse à la prostitution, etc. Il semble que sa situation de fils naturel lui ait aussi beaucoup pesé : dès 1844 il écrit Les Incomplets où il plaint le malheur des « pauvres bâtards » et pendant toute sa carrière il chante les Vénus impudiques qui renoncent à leur honneur pour survivre. A cette époque, son plus grand succès, dont la musique a été souvent utilisée par d’autres auteurs, est La Lionne – représentation à la fois du peuple et de la nation - qui, « quoique blessée, (…) hérisse sa crinière » pour défendre ses petits, inculquer la vertu, chasser la censure, assurer l’abolition de l’esclavage et combattre « Albion ». Au lendemain des journées de 1848 il multiplie les titres qui témoignent de l’influence qu’exercent sur lui les idées de l’extrême gauche républicaine. Il est présent dans tous les recueils des chansonniers révolutionnaires - La Voix du peuple ou les républicaines de 1848, Le Républicain lyrique, Les Républicaines, etc. – et propose des compositions qui connaissent un important succès : Les Aristos, Un Logement SVP, La République française, Vive Paris, Les Députés de 1848, Les Faux Dieux, La Constitution républicaine, Les Hommes de la veille et ceux du lendemain et surtout Les Soldats du désespoir : « Je vis passer des soldats./ Tous la figure animée,/ Oh ! qu’ils étaient beaux à voir !/ Mes amis, c’était l’armée/ Des soldats du désespoir. » Le chansonnier se fait alors l’avocat systématique de la « cause populaire », des combattants des journées révolutionnaires et le défenseur d’une république soucieuse avant tout des questions sociales. Dans le cadre de la préparation de l’élection présidentielle il écrit Raspail et propose, l’année suivante, Les Députés montagnards de 1849 où il présente son programme : « Inaugurez une France sociale », en consacrant le « droit au travail », en répartissant la richesse, en secourant l’Italie et en assurant le retour des proscrits de juin. Ce chansonnier révolutionnaire violemment anti-bourgeois, défenseur des manifestants arrêtés pour avoir occupé l’Assemblée dans le but d’imposer une intervention militaire en Pologne (Prisonniers de Vincennes, ou l’affaire du 15 mai 1848), ne manque cependant pas une occasion pour appeler le peuple vainqueur à renoncer à la violence en faisant preuve de clémence vis-à-vis des « vaincus » : il propose même de remplacer la guillotine par « l’arme du ridicule » (Les Vainqueurs et les vaincus, ou républicains et royalistes). Il écrit aussi, au lendemain de l’élection de Louis-Napoléon à la députation, un texte où il fait preuve d’une certaine sympathie pour celui qui revient « parmi nous (…) après trente ans d’exil et de souffrance », tout en lui demandant de défendre les ouvriers, de respecter la république et de songer « à nos libertés ». Cette opinion plutôt favorable ne dure pourtant pas longtemps. Dès 1849 Gustave Leroy se fait remarquer par des chansons violemment antibonapartistes : Napoléon-le-Grand qui ironise sur les différences entre l’oncle et le neveu, Aux ouvriers démocrates, les élections de 1849 où il parle de ses craintes d’un futur coup d’Etat et surtout le Bal de la guillotine entonné par des démocrates-socialistes sur l’ensemble du territoire. Cette dernière chanson vaut à son auteur une condamnation à 300 francs d’amende et à 6 mois de prison qu’il passe aux Madelonnettes. A sa sortie de prison ses engagements aux côtés de la Montagne se font plus discrets. Il continue à chanter les souffrances des indigents – La Tourterelle du pauvre, Les Colons de l’Algérie – son mépris pour les valeurs aristocratiques – Le Duel – et ses convictions républicaines – Le Boulanger républicains, Les Feuilles honnêtes –, mais ses couplets sont moins agressifs à l’encontre du pouvoir et « d’une classe de citoyens ». Sous l’Empire il essaie de vivre de sa renommée en participant à de nombreux recueils destinés au colportage. On le retrouve, par exemple, en 1855 dans L’Écho des concerts, Les Echos populaires, Paris chantant, etc. Il y recycle parfois les moins compromettantes des chansons qu’il avait écrites précédemment. Mais il continue aussi de composer des complaintes populaires et retrouve des accents patriotiques au moment des guerres de Crimée et d’Italie (Départ du jeune Ottoman, Le bombardement d’Odessa, Le Désastre de Sinope, La Danse des Autrichiens, La Botte italienne, L’Autrichien malheureux, La guerre d’Autriche, etc.). Il participe à la Lice chansonnière, une des rares sociétés qui continue son activité pendant l’Empire. Gustave Leroy a influencé de très nombreux chansonniers et tous les témoins insistent sur son importance au sein du groupe des goguettiers de la monarchie de Juillet et de la deuxième République. En 1844 il a écrit Les Chants de l’avenir où il définit ce que doit-être, selon lui, le travail du chansonnier : « Chantez avec conviction./ Comprenez mieux ce que vous êtes./ Les droits qu’il vous faut soutenir,/ Et de vos rêves de poètes/ Laissez tomber quelques chants d’avenir. »

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article33929, notice LEROY Gustave , version mise en ligne le 20 février 2009, dernière modification le 7 février 2016.
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Gustave Leroy
Cliché fourni par Philippe Darriulat

ŒUVRES : Les Filles du peuple, recueil de chansons anciennes et nouvelles, Paris, Durand, sd [1851]. — La Voix du peuple, œuvres complètes de chansons populaires de Gustave Leroy, Paris, Eyssautier, 1844.

SOURCES et bibliographie : AN, ABXIX 721 (collection Bachimont). — Henri Avenel, Chansons et chansonniers, Paris, C. Marpon et E. Flammarion, 1890. — Eugène Baillet, De quelques ouvriers-poètes, biographies et souvenirs, Bassac, Plein-chant, 1994 [1898]. — Philippe Darriulat, La Muse du peuple, chansons sociales et politiques en France 1815-1871, Rennes, PUR, 2010. — Pierre-Léonce Imbert, La Goguette et les goguettiers, étude parisienne, 3e édition, Paris 1873. — Alphonse Leclercq « Les Goguettes d’autrefois » dans Les Échos parisiens, artistiques et littéraires, n°3, 5 et 7, 1ère année, juin, juillet et août 1873. — Jacques Rancière, « Le bon temps ou la barrière des plaisirs », dans Les Révoltes logiques, n°7, printemps-été 1978, pages 27-66. — Heinz Thoma, « La chanson et le problème des deux cultures (1815-1851) », dans Dietmar Rieger, La Chanson française et son histoire, Gunter Narr Verlag, Tübingen, 1988.

ICONOGRAPHIE : La Chanson française..., op. cit.

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