DUFRENOY Louis

Par Jacques Omnès

Né le 21 septembre 1881 à Granville (Manche), mort le 21 juin 1965 à Laval (Mayenne) ; cheminot ; syndicaliste ; dirigeant de la Fédération communiste de Mayenne.

Troisième enfant d’une famille qui en compta douze, Louis Dufrenoy connut une enfance difficile ; dès l’âge de dix ans, il dut travailler à la campagne. À treize ans, il fut placé chez un maréchal qui, selon Louis Dufrenoy, voulut l’obliger à aller à la messe. Louis aurait refusé, parce qu’il n’avait pas « été élevé dans ces idées-là ». Un dimanche, devant un nouveau refus catégorique de l’apprenti, le patron l’aurait giflé, ce qui aurait déterminé Louis Dufrenoy à partir sur le « trimard » du compagnon. À dix-sept ans, il aurait déjà été un militant anarcho-syndicaliste de la métallurgie.
À vingt-et-un ans, il partit pour le régiment. À son retour, en octobre 1905, il devint cheminot. Le 3 juillet 1906, il se maria à Granville et vint s’installer à Laval. En octobre 1910, il participa à la grève des cheminots, à l’issue de laquelle son père Élie Dufrenoy, militant syndicaliste et socialiste, prit sa retraite.
En 1912, Louis Dufrenoy adhéra au syndicat des cheminots. Pendant la guerre, il fut mobilisé sur place comme mécanicien aux chemins de fer.
En 1913, il avait été un des membres fondateurs de la « Maison fleurie » société coopérative d’HBM, filiale de l’« Émancipatrice », société mère dont il devint président en 1922.
En mai 1920, il participa à la grande grève des cheminots, qui fut très minoritaire à Laval (voir Joseph Martiniaux). Suspendu le 10 mai, il fut révoqué, avec quatre de ses camarades, le 15 (voir Paul Devenon, Henri Galliot, Georges Goinard). Il ne devait être réintégré qu’en 1924. Pendant ces quatre années, Louis Dufrenoy dut se faire agent d’assurance et même marchand forain pour subvenir aux besoins de sa famille. Accompagné de sa femme, il se rendit de bourg en bourg, vendant articles de mercerie, de bonneterie et de confiserie les jours de fête. Membre du Parti socialiste SFIO, il profita de ces déplacements pour faire de la propagande.
En décembre 1920, il fut délégué au congrès de Tours du Parti socialiste pour la Fédération de la Mayenne. Prenant brièvement la parole, il déclara :
« Vous savez que la Mayenne est un malheureux pays. Il est bien difficile d’y convaincre les camarades des villes, à plus forte raison ceux de la campagne. Je dois tout de même vous faire remarquer en passant, qu’un camarade, dans un petit village, a réuni vingt paysans qui ont donné un mandat pour l’adhésion à la IIIe Internationale (Applaudissements). Je suis mandaté par cette Fédération pour faire une propagande intense dans notre département. C’est ce qui manque le plus chez nous. Peut-être arriverons-nous à un résultat. »
Cette intervention reflète bien la situation difficile de la jeune Fédération socialiste de la Mayenne — elle avait été fondée officiellement le 1er février 1920 et comptait au maximum une centaine d’adhérents — dans ce département à dominante rurale et à forte tradition réactionnaire et cléricale. Il ressort également clairement des propos de Louis Dufrenoy que ses sympathies personnelles allaient à la IIIe Internationale. Ses votes semblent par contre indiquer que la majorité de la Fédération était hostile ou pour le moins hésitante face à la perspective d’une adhésion du Parti socialiste à la IIIe Internationale. En effet, sur les neuf mandats dont il disposait, Louis Dufrenoy en donna deux pour la motion Cachin*-Frossard*, favorable à l’adhésion, quatre à la motion du « comité de reconstruction » et en porta trois en abstention sur la motion Leroy-Heine. Les votes sur la réponse au télégramme de Zinoviev allèrent dans le même sens : quatre voix pour la motion Mistral, qui déclarait vouloir maintenir l’unité « actuelle » du Parti, deux pour la motion Renoult et trois abstentions.
Le 13 janvier 1921, Louis Dufrenoy rendit compte à ses camarades de la décision prise par la majorité du congrès de Tours : l’adhésion à l’Internationale communiste. Un vote acquis à la quasi-unanimité — une abstention et deux oui « avec réserves » — entérina le choix de Tours. Il n’eut cependant pas le mérite de la clarté. Il semble en effet que Louis Dufrenoy ait édulcoré la signification réelle de la décision du congrès. Rendant compte de la réunion des socialistes mayennais, Laval Républicain résume ainsi les propos de Dufrenoy :
« Il a donné connaissance des statuts de la nouvelle Internationale, qui ne diffèrent que par un mot de ceux des deux Internationales précédentes, et ne paraissent pas constituer cet épouvantail autour duquel les journaux ont fait tant de bruit. »
Louis Dufrenoy espérait-il ainsi obtenir plus facilement l’approbation de ses camarades ? Désirait-il éviter à tout prix une scission dans une Fédération encore fragile ? Ou bien ne mesurait-il pas lui-même pleinement la portée de la décision du congrès ?
Il reste, qu’après ce vote, les adversaires de l’adhésion ne reconstituèrent pas une Fédération socialiste SFIO maintenue face à la section communiste avant la fin de 1926.
En mai 1924, Louis Dufrenoy ne figura pas sur la liste du « Bloc ouvrier-paysan » présentée par le Parti communiste pour les élections législatives. Le fait est d’autant plus curieux que sur les quatre candidats communistes il avait fallu en prendre trois dans le département limitrophe de l’Ille-et-Vilaine. Déformation ouvriériste de la recommandation du congrès de Lyon du Parti communiste de veiller à l’origine ouvrière des candidats ou prudence de Louis Dufrenoy dans la perspective de sa prochaine réintégration aux chemins de fer ? Voir Paul Devenon.
À la fin de 1926, Louis Dufrenoy participa activement au redressement du Parti communiste en Mayenne avec Émile Kervran. L’organisation s’était en effet trouvée décapitée par le départ de son secrétaire, Alphonse Bouchard, en 1925. Lorsqu’à son tour le nouveau secrétaire Émile Kervran dut quitter le département après avoir été licencié pour fait de grève en 1929, Louis Dufrenoy assura la survie du Parti communiste en Mayenne. Dans un rapport en date du 22 juillet 1929, le commissaire de police de Laval notait :
« La cellule communiste de Laval qui se composait de seize membres est considérée à présent comme presque inexistante à la suite du départ de Laval de certains de ses membres, notamment de M. Kervran (...). Dufrenoy (...) est le seul animateur de la cellule. C’est un homme intelligent, devenu très prudent et par conséquent pas dangereux dans une minorité. »
La « prudence » de Louis Dufrenoy avait tout de même des limites. Il devint très vite pour les militants comme pour la population de Laval l’incarnation même du Parti communiste en Mayenne. Sa participation systématique aux élections contribua certainement à sa popularité.
Dès 1928, il avait représenté le Parti communiste dans la première circonscription de Laval pour les élections législatives et avait obtenu 789 voix sur 18 720 suffrages exprimés (4,2 %).
Il n’y eut pas de liste communiste pour les élections municipales du 5 mai 1929 à Laval. Louis Dufrenoy ne fut pas pour autant absent de la bataille électorale. Ainsi, le 4 mai, il intervint dans une réunion publique de la « liste de concentration républicaine » pour accuser notamment ses candidats de donner des gages à la réaction et au cléricalisme. Ses critiques furent particulièrement virulentes à l’égard des quelques socialistes (voir Louis Coulange, Auguste Richard) représentés sur cette liste.
Le 18 octobre 1931, Louis Dufrenoy fut candidat dans le canton de Laval-Est pour les élections au conseil général. Il obtint 133 voix sur 3 324 suffrages exprimés (4 %).
Le 1er mai 1932, il se présenta aux législatives dans la circonscription de Laval et obtint 202 voix sur 19 629 suffrages exprimés (1 %).
À cette époque, Louis Dufrenoy était également secrétaire du syndicat unitaire (CGTU) des cheminots depuis le 8 avril 1931 au moins. À la fin de 1932, le 11 décembre, il fut élu (ou réélu ?) secrétaire de l’Union locale unitaire. À ce titre il participa au congrès de la 17e Union régionale de la CGTU tenu à Rennes le 20 mai 1933 et y fit une intervention.
Le 12 février 1934, Louis Dufrenoy prit la parole au nom du Parti communiste et des syndicats unitaires au cours du meeting antifasciste de Laval qui regroupait notamment le Parti communiste, le Parti socialiste, la CGT, la CGTU, la Ligue des Droits de l’Homme et la Ligue des Combattants de la Paix. À la suite de cette manifestation unitaire un comité antifasciste local fut constitué, qui organisa le 6 mai un nouveau meeting qui rassembla plusieurs centaines de personnes.
Le 24 septembre 1934, Louis Dufrenoy adressa à Albert Brossaud*, secrétaire fédéral de la SFIO, une lettre en prévision des élections cantonales :
« Camarade secrétaire,
Je suis mandaté pour porter à la connaissance de la section socialiste SFIO de Laval, que la cellule communiste « assistée de plusieurs sympathisants » a décidé de ne pas présenter de candidat aux prochaines élections cantonales, de vous faire des propositions de front unique afin d’engager les camarades à porter leurs voix sur les candidats de la section socialiste et ce sur la base suivante : action nécessaire et sans répit contre les décrets-lois, contre les menaces du gouvernement envers les instituteurs laïcs et contre le renouvellement des provocations fascistes.
Nos camarades seraient désireux de savoir quelle sera votre position au 2e tour, envers les candidats radicaux qui n’auront pas pris l’engagement par écrit de lutter sur les mêmes bases ci-dessus. Nous pensons, nous, que ces candidats qui refuseraient cet engagement, seraient des traîtres à la classe ouvrière et qu’ils devront être combattus au 2e tour autant que les candidats réactionnaires de droite. (...) »
Ayant reçu d’Albert Brossaud les assurances nécessaires, Louis Dufrenoy intervint au cours d’une réunion publique de la SFIO le 29 septembre pour inviter les travailleurs à voter pour le candidat socialiste Auguste Richard aux élections cantonales.
Les pourparlers, un moment engagés avec la SFIO pour une liste commune aux élections municipales de 1935 n’ayant pas abouti, Louis Dufrenoy conduisit le 5 mai la liste communiste à Laval (voir Kérandelle*, Albert Le Mée, Alfred Pavard, Georges Tessier, Marcel Thibault*). Il obtint 698 voix sur 5 668 suffrages exprimés (12,3 %).
Le 26 avril 1936, celui qu’on surnommait « l’éternel candidat », représenta à nouveau le Parti communiste dans la circonscription de Laval aux élections législatives qui devaient amener la victoire du Front populaire. Il obtint un résultat des plus modeste (502 voix sur 19 211 suffrages exprimés, soit 2,6 %), mais il avait résumé par avance sa philosophie électorale au cours d’une réunion publique le 18 avril :
« Si nous sommes élus, nous triompherons ; si nous sommes battus, ça ne fera qu’une veste de plus à accrocher au vestiaire. »
Le 10 octobre 1937, il fut candidat pour les élections au conseil général dans le canton de Laval-Est. Il obtint 157 voix sur 3 565 suffrages exprimés (4,4 %).
Quelques mois auparavant, il avait été contacté par Jacques Doriot* mais avait refusé tout contact avec cet ancien dirigeant communiste passé entre-temps au fascisme.
La même année, il commença à collaborer aux Nouvelles Mayennaises, hebdomadaire du rassemblement populaire.
Au début de la guerre, Louis Dufrenoy fut en contact avec Fernand Grenier*, député de Paris, membre du Comité central du Parti communiste mobilisé à Laval, pour la diffusion de matériel clandestin. Arrêté après une perquisition infructueuse le 21 janvier 1941, interné à Laval puis au château de Lassay (Mayenne), il fut libéré le 21 avril 1941.
Arrêté une deuxième fois le 24 juin 1941, il fut, après quinze jours d’internement à Rennes (Ille-et-Vilaine) et une heure et demie d’interrogatoire, transféré au camp de Compiègne. Il ne fut libéré que le 24 décembre 1942, vraisemblablement en raison de son état de santé.
Après la guerre, il siégea au comité départemental de Libération. Le 23 septembre 1945, il fut candidat aux élections cantonales à Laval-Est. Sa candidature fut présentée en commun avec celle du socialiste Eugène Duverger pour Laval-Ouest. Il obtint 2 123 voix, soit 24,3 % des suffrages exprimés et ne se représenta pas au deuxième tour.
Élu au conseil municipal de Laval, il ne le quitta qu’en 1958.
Durant ses dernières années, Louis Dufrenoy, malade, dut restreindre son activité militante. Il ne pouvait plus assister aux réunions du bureau fédéral et du comité fédéral de la Mayenne dont il fit néanmoins partie jusqu’à sa mort. Mais il s’occupa assidûment de la cellule communiste des cheminots retraités et fut trésorier de la cellule de Laval en 1963. Il fut également président de la Fédération nationale des déportés et internés résistants et patriotes (FNDIRP) de Mayenne de 1959 à 1963 au moins.
Sa mort le 21 juin 1965 fut durement ressentie par les militants ouvriers de la Mayenne.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article3462, notice DUFRENOY Louis par Jacques Omnès, version mise en ligne le 30 juin 2008, dernière modification le 15 avril 2020.

Par Jacques Omnès

SOURCES : Arch. Dép. Mayenne, 1 W 467, 534, 535, 538, 540, 2879, 2884, 2892, 2922 ; M 2822 ; 3 M 2810, 2816, 2826, 3550. — Laval Républicain, 16 janvier 1921. — La République Ouvrière et Paysanne, 18 mai 1929. — Le Travailleur Unitaire, avril-mai 1931, juin 1933. — Le Courrier du Maine, 25 octobre 1931, 8 mai 1932. — Travail, 30 septembre 1934. — Les Nouvelles Mayennaises, 1937-1939, 23 et 30 septembre 1945, 7 octobre 1945. — Fernand Grenier, C’était ainsi, op. cit. — Sténogramme du congrès de Tours du Parti socialiste SFIO (décembre 1920). — Oraisons funèbres prononcées par MM. Jean Primet et Francis Robin. — Souvenirs inédits de Monsieur Eugène Le Moign (manuscrits). — Renseignements et documents fournis par Monsieur Jean Suret-Canale.

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