MOREAU Pierre [MOREAU Florimond, Pierre], dit Tourangeau

Né le 14 janvier 1811 à Château-Renault (Indre-et-Loire), décédé le 24 Novembre 1872 à Château-Renault. Ouvrier puis artisan serrurier, marchand de nouveautés, adjoint au maire de Château-Renault en 1871. Réformateur du compagnonnage.

Descendant par sa mère d’une famille de paysans et de meuniers installés à Château-Renault dès le début du XVIIIe siècle, Pierre Moreau semble avoir également eu des origines rurales et tourangelles par son père. Il est surtout connu par la polémique qu’il entretint avec Agricol Perdiguier au sujet de la réforme du compagnonnage, et parce que Flora Tristan* le cite au nombre des ouvriers dont les écrits lui inspirèrent l’idée de l’Union ouvrière. Il n’existe à ce jour aucune étude biographique qui lui soit propre ; non seulement des aspects importants de son œuvre demeurent peu connus, mais de nombreuses études qui le citent reproduisent des faits et des dates inexacts.
On verra surtout en lui d’abord un hardi novateur en matière d’organisation ouvrière, puis un propagandiste décidé de l’idée républicaine dans la campagne tourangelle.
« Fatigué de travailler avec mon père à cultiver des terres que la cupidité des propriétaires et d’énormes impôts nous rendaient ingrates, je me décidai [...] à me faire artisan [...] dans l’esprit mal fondé de monter d’un degré la pénible échelle sociale. » Après trois ans et demi d’apprentissage à Château-Renault, il entreprit, le 12 août 1833, son Tour de France. Parti en direction de Saumur, il passa par Nantes, Bordeaux, Agen, Marseille, Toulon, et finit par arriver à Paris en juin 1837. En quittant Château-Renault, il savait ce qu’était la misère des paysans et des ouvriers de l’industrie du cuir. Il comprit d’autant mieux l’erreur des ouvriers qui, sur le Tour de France, se querellaient et se battaient à mort lorsqu’ils appartenaient à des sociétés rivales. Plus encore : à l’intérieur de la même société, les plus anciens, les compagnons rançonnaient les jeunes apprentis. Moreau, aspirant du Devoir, ne chercha pas à se faire recevoir compagnon. Mais il rêvait d’un autre compagnonnage, où il n’y aurait plus de « mystères » et qui ne serait pas le soutien de « l’édifice vermoulu et croulant du monopole ».
C’est dans cet esprit qu’en 1837, à Paris, il adhéra à la Société de l’Union. Les origines de celle-ci sont encore mal élucidées. Peu importe d’ailleurs qu’elle ait, ou non, pris naissance à Toulon en 1830. Un fait est certain, c’est qu’entre le 4 juin 1832 et le 1er octobre 1832 quatre bureaux furent légalement déclarés à Bordeaux, Lyon et Toulon. Dès son adhésion, Moreau devint un des plus zélés propagandistes de la nouvelle organisation.
Étant revenu travailler à Auxerre, il fut nommé Secrétaire de l’Union en 1840 ; cette organisation n’avait pas encore de bureau dans cette ville. Moreau en créa un. Cette initiative et l’activité qu’il déploya par la suite lui feront décerner par ses amis le titre de fondateur. C’est cependant une erreur d’en déduire, comme on l’a fait, que Moreau est à l’origine de la Société. Il est également inexact de le compter parmi les fondateurs de L’Atelier. Ses idées étaient fort éloignées de celles des rédacteurs de ce journal et ses écrits y furent vivement critiqués.
C’est à Auxerre qu’il décida de se mettre lui aussi à écrire. Il va lutter contre le compagnon menuisier Agricol Perdiguier* qui prétendait que le compagnonnage était une excellente institution et qu’elle devait s’étendre. Un journal d’Auxerre, L’Intelligence, aurait accueilli, dès 1838, les premières protestations de Moreau qui estimait devoir ouvrir les yeux aux ouvriers du Tour et les attirer au sein de l’Union (ses articles ne se rencontrent pas dans les numéros de la collection très incomplète, que conserve la Bibliothèque nationale, à Paris). Telle fut l’origine de la première brochure de P. Moreau qui parut à Auxerre en 1841 et qui avait pour titre : Un mot aux ouvriers de toutes les professions, à tous les amis du peuple, sur le compagnonnage ou guide de l’ouvrier sur le Tour de France.
On voit que Moreau alertait non seulement les travailleurs, mais aussi cette partie de la bourgeoisie où son adversaire avait trouvé d’illustres appuis. Il jugeait d’ailleurs insuffisants et inefficaces les écrits émanant « d’écrivains courageux et dévoués », mais qui vivent loin des ouvriers. « Pour connaître ceci, écrit-il, il faut être ouvrier. C’est donc à nous, ouvriers, à nous instruire les uns les autres. » Mais le « féroce serrurier » se laissa emporter par son zèle de prosélyte et d’iconoclaste. Orgueilleux, ardent, autoritaire, il montra du ressentiment à l’égard du compagnonnage auquel il avait appartenu comme aspirant. Il renouvela et prolongea les luttes entre sociétés rivales. Il n’hésita pas à s’affirmer le champion du progrès social, allant jusqu’à présenter ses adversaires, y compris Perdiguier, comme des ennemis de celui-ci. Le biographe d’Avignonnais-la-Vertu, l’abbé Jean Briquet, a vu dans les deux hommes les représentants de deux générations. Ils n’ont cependant que six ans d’écart. Mais l’un fut par tempérament un conciliateur, l’autre un réformateur intransigeant. Il apparaît surtout que le fait d’avoir eu vingt ans sous Charles X plutôt qu’au début de la monarchie de Juillet marquait non seulement l’écart d’une génération mais l’écart d’une révolution.
Le ton de Moreau est toujours celui d’un pamphlétaire. D’où sa vigueur, son énergie, mais aussi ses outrances et ses partis pris. Lorsqu’en 1843, il publia sa seconde brochure, De la réforme des abus du compagnonnage et de l’amélioration du sort des travailleurs, il lui plut de se référer à son « compatriote Paul-Louis Courier ».
Perdiguier ne se fit pas faute de rectifier certaines inexactitudes et de relever quelques « amabilités » à son égard et à l’adresse de tous les compagnons ; il donna aussi des conseils de prudence et de modération. « Prenez garde, monsieur Moreau, que votre zèle trop aveugle n’aboutisse à une lutte plus fratricide, essayez de ne pas vous complaire dans ce rôle « d’accusateur public ». La polémique se poursuivit par la Lettre à M. Moreau... à laquelle le représentant des Sociétaires répliqua par les Explications à tous les ouvriers à propos de la lettre de M. Perdiguier. La querelle aurait pu s’éterniser.
Dès la fin de cette même année 1843, Moreau revint à Paris pour mettre au point un nouveau règlement de la Société de l’Union alors en plein essor. Ce règlement, fort détaillé, n’a pas manqué d’être critiqué par les compagnons. Il n’est pas douteux qu’il ait contribué au bon fonctionnement de la Société dont le bureau général demeurait fixé à Lyon. Il est non moins certain que la tâche énorme et difficile de rédiger cette nouvelle constitution de sa Société, qui échut à Moreau, a enrichi sa pensée et discipliné son style.
Durant son séjour à Paris, Moreau rencontra Flora Tristan avec laquelle il était en correspondance. C’est par la première brochure de Moreau qu’elle avait eu connaissance de la Société de l’Union et de la possibilité de créer l’Union ouvrière. Au cours de son Tour de France, elle ne trouvera de soutien et d’audience qu’auprès des Sociétaires. Elle, la paria, fut, d’accord avec Moreau pour déplorer « l’état d’abjection auquel [les ouvriers sont] réduits » ; comme lui, elle eut le sentiment d’appartenir à une « classe », comme lui également elle consacra toutes ses forces à instaurer un ordre nouveau « dans lequel les hommes enfin égaux et libres [...] obéiraient à ceux qu’ils auraient reconnus aptes à les diriger ». Flora Tristan était persuadée qu’elle avait une mission divine et rédemptrice à accomplir. Sans aller aussi loin, Moreau mit lui aussi toutes ses forces physiques et morales à transformer le monde. Et, comme elle, il mourut à la tâche.
C’est avec raison qu’on a vu en Pierre Moreau un précurseur en matière d’organisation ouvrière. Allant même au-delà d’une « centrale » nationale groupant tous les ouvriers de toutes les professions, il ouvrit la voie à une Internationale. Il pensa, avec Perdiguier d’ailleurs, que « nous ne devons pas repousser les ouvriers suisses, piémontais, allemands, belges, italiens, espagnols, polonais, anglais, etc... » Bien qu’emporté par sa fougue, Moreau ne fut pas un détracteur systématique de Perdiguier. Celui-ci reconnut l’honnêteté foncière de son contradicteur. Leur réconciliation était totale en 1848 et Moreau pourra écrire, en septembre 1849, « notre ami Perdiguier ».
Comme à peu près tous les écrivains ouvriers de son époque, Moreau a proclamé la nécessité de dispenser une culture qui assure la formation intellectuelle et professionnelle ; la base morale ne fait pas non plus défaut à l’organisation ouvrière idéale que Moreau voulait faire triompher. Mais, plus réaliste que Flora Tristan, il voulut parer aux effets actuels de la misère par la création de mutuelles plutôt que s’attaquer prématurément aux causes du mal. C’est pour ces raisons qu’il ressentit plus que tout autre combien le défaut d’organisation fut responsable de l’échec de la révolution de 1848.
Pierre Moreau revint s’installer au pays natal dès 1844. Il garda le contact avec ses amis du Tour. Le zèle qu’il apporta à propager ses idées à Château-Renault fit de lui le point de mire de la bourgeoisie désireuse de vengeance. Considéré comme « l’un des hommes les plus dangereux du département », il fut arrêté à la suite du 2 décembre. Condamné à la déportation en Algérie il vit sa peine commuée en détention à Tours. Libéré, mais placé sous surveillance, le 25 février 1853, il retrouva sa maison en déconfiture et fut dans l’obligation d’abandonner son métier. Mais il entendit ne pas abandonner la place. Il se fit marchand ambulant et, tandis que sa femme tenait le magasin de nouveautés et de rouennerie, il s’en alla sur les routes du canton, poursuivant son opposition à l’Empire et faisant des adeptes à la cause de la République. Au moment où celle-ci remplaça l’Empire, la santé de Moreau était ruinée par le pénible et incessant combat qu’il avait mené. Il accepta cependant d’exercer des fonctions municipales à Château-Renault lors de l’invasion allemande et mourut épuisé le 24 novembre 1872.
Pierre Moreau, autodidacte, admirateur de la Révolution française, restait un homme de 1848. Anticlérical, il mit, en tête de son ouvrage intitulé De la Réforme, une phrase de Lamennais. Homme de progrès, il fustigea les attardés. Homme de cœur, il leur tendit la main, « l’Union qui fait la force étant fille de l’Amour ».
Voir Chabaud*, Fournioux*, Guérin*, Laurent*, Léger*, Page Jean*, Thévenot dit Bourguignon-la-Fidélité*.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article35235, notice MOREAU Pierre [MOREAU Florimond, Pierre], dit Tourangeau , version mise en ligne le 20 février 2009, dernière modification le 20 février 2009.

Biographie élaborée pour l’essentiel par M. Jacques Marillier.

SOURCES : Arch. Mun. Château-Renault. — Arch. Dép. Indre-et-Loire, série M. — Arch. Dép. Yonne. — Archives privées de la famille de P. Moreau. — Simon, Étude historique et morale sur le Compagnonnage et sur quelques autres associations d’ouvriers depuis leurs origines jusqu’à nos jours, Paris, 1853. — Louis Rivière, Recherches sur l’origine de la Société de l’Union, Paris, 1875. Martin Saint-Léon, Le Compagnonnage, Paris, 1901. — J.-L. Puech, La vie et l’œuvre de Flora Tristan (1804-1844), Paris, 1925. — Compagnonnage, par les Compagnons du Tour de France, préface de Raoul Dautry, Paris, 1951, abondante bibliographie (1066 N°s) cf. n° 123. — Jacques Marillier, « Pierre Moreau et l’Union » dans Actualité de l’Histoire, n° 5, oct. 1953. — Jean Briquet, Agricol Perdiguier, Paris, 1955. — Maurice Agulhon, « Aperçus sur le Mouvement ouvrier à Toulon sous la monarchie de Juillet ». La Provence historique, avril-juin 1957. — J.-P. Rocher, « Les élections dans l’Yonne sous la monarchie de Juillet », Diplôme d’Études supérieures (1959) Arch. Dép. Yonne. — Marquet, Notice historique sur la fondation de la Société de l’Union des Travailleurs du Tour de France. — Flora Tristan, Lettres, éd. par Stéphane Michaud, Paris, 1980, p. 241. — Maurice Agulhon, Une ville ouvrière au temps du socialisme utopique. Toulon de 1815 à 1851, Paris et La Haye, 1970. — Flora Tristan, Union Ouvrière, éd. par Daniel Armogathe et Jacques Grandjonc, Paris, 1986, p. 301, 327.

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