DUPRÉ Eugène

Par André Balent

Né le 18 juillet 1850 à Villeneuve-sur-Yonne (Yonne) ; mort le 13 décembre 1931 à Perpignan (Pyrénées-Orientales) ; menuisier puis cheminot à la Compagnie du Midi ; militant syndicaliste de Perpignan.

Ce fut sans doute à la suite de la guerre franco-allemande de 1870-1871 qu’Eugène Dupré quitta sa région natale pour s’établir en Languedoc, à Béziers (Hérault). Beaucoup plus tard, lors d’un meeting de la CGT, à Perpignan, contre la guerre (8 décembre 1912), Eugène Dupré expliqua longuement quelle fut son expérience personnelle en 1870-1871. La localité où il résidait alors fut occupée par les Prussiens du 21 octobre 1870 au 8 juin 1871. Il fut contraint de loger chez lui deux soldats prussiens.
En 1871 il fonda le premier syndicat du Languedoc méditerranéen : le syndicat des menuisiers de Béziers (Hérault). Il se fixa à Perpignan en 1884 et entra cette même année à la Compagnie des chemins de fer du Midi. En 1891 il adhéra au syndicat des cheminots de Narbonne (Aude) et, en 1893, il fonda le syndicat des cheminots de Perpignan qui adhéra à la Bourse du Travail dès sa fondation (1894). En 1896 ce syndicat comptait 312 adhérents (rapport de police, Arch. Dép. Pyrénées-Orientales, 3 M1 228) : c’était le plus important des syndicats de la Bourse du Travail de Perpignan.
Eugène Dupré qui, à l’exception de rares intervalles fut secrétaire, trésorier ou membre du bureau du syndicat des cheminots perpignanais, milita également dans les comités radicaux-socialistes de Perpignan : le 14 mai 1900, au deuxième tour de scrutin, il fut élu conseiller municipal de Perpignan (liste de coalition entre les radicaux-socialistes et l’Union socialiste des Pyrénées-Orientales, l’organisation des « ministérialistes » catalans). Eugène Dupré représenta le type parfait de syndicaliste réformiste attaché à l’idéologie républicaine et représentatif du syndicalisme roussillonnais de la fin du XIXe siècle. Tout comme Joseph Bazerbe*, il se fit le champion de la collaboration entre les syndicats de la Bourse du Travail de Perpignan et les radicaux. À partir de 1906, lorsque la tendance révolutionnaire commença à faire des progrès dans certains syndicats roussillonnais, Eugène Dupré s’opposa à cette évolution. En 1910, lors de la grève des cheminots, il soutint le secrétaire de son syndicat, Bessière et la majorité de ses membres qui refusèrent d’y participer. Mais Eugène Dupré, vieux militant, ne pouvait empêcher l’évolution de nouveaux militants, soit vers le syndicalisme révolutionnaire, soit vers la collaboration avec le Parti socialiste. Toutefois, de 1910 jusqu’à sa mort (1931) il ne cessa, en dépit de sa mise à la retraite, de militer très activement dans les rangs du syndicat des cheminots de Perpignan, de la Bourse du Travail de Perpignan et de l’UD-CGT des Pyrénées-Orientales.
Eugène Dupré fut un des derniers présidents de la Bourse du Travail de Perpignan, avant la suppression de ce poste.
Après la crise qui agita les rangs du syndicat des cheminots perpignanais à la suite de la grève de 1910, Eugène Dupré fut amené à s’occuper activement de cette organisation. En 1912, il succèda à Guillaumou au secrétariat du syndicat des cheminots de Perpignan qui groupait 160 adhérents en juillet de cette même année. Il en fut le délégué au IIe congrès de l’UD-CGT des Pyrénées-Orientales (1er septembre 1912). Il fut élu (ou réélu ?) au Comité de l’UD. En 1913 et en 1914, il siégea en qualité de titulaire au Comité général de la Bourse du Travail de Perpignan. Le 24 janvier 1913 il fut élu trésorier adjoint de la Bourse du Travail de Perpignan. Le 8 décembre 1912 il participa au grand meeting des organisations ouvrières perpignanaises contre la guerre. Il fut délégué du syndicat de Perpignan au congrès national de la Fédération des cheminots (Paris, 11-12 avril 1913). Le 11 mai 1913, il présida le IIIe congrès de l’UD-CGT des Pyrénées-Orientales.
Pendant la Première Guerre mondiale, il participa activement à la vie des syndicats confédérés des Pyrénées-Orientales qui, dans un premier temps du moins, soutinrent sans faille la politique d’« union sacrée ». Des fonctions qu’il assura dans le mouvement syndical pendant cette période, nous savons qu’il siégea au Comité général de la Bourse du Travail en 1914, 1915 et 1916. Il était également membre de la CA de la Bourse et en fut élu (ou réélu ?) trésorier le 28 janvier 1916. Le 10 avril 1916 il participa à la réunion constitutive du « comité d’action perpignanais » contre la « vie chère » qui regroupait des représentants de la CGT et du Parti socialiste qui décidèrent de créer une coopérative de consommation. Sans doute continua-t-il d’occuper ces mêmes fonctions en 1917, 1918, 1919 et 1920. Mais dans l’immédiate après-guerre d’autres militants (voir Louis Dessang, Léonce Raynaud, Édouard Tournaire, Sébastien Xéridat) occupèrent le devant de la scène et prirent les rênes du syndicat des cheminots. Ce dernier qui prit 10 400 timbres confédéraux en 1919 était, de très loin, le plus important des syndicats adhérant à l’UD-CGT. Toutefois la répression qui s’abattit sur les militants les plus en vue lors des grandes grèves de cheminots du printemps 1920, désorganisèrent le syndicat confédéré. Par ailleurs, après la scission de 1922, les unitaires furent nettement majoritaires parmi les cheminots syndicalistes des Pyrénées-Orientales.
Contre vents et marées, Eugène Dupré qui était en 1925 le doyen de l’UD-CGT des Pyrénées-Orientales s’employa à maintenir en vue le syndicat confédéré des cheminots de Perpignan.
Le 21 janvier 1921, le comité général de la Bourse du Travail l’élut (ou plus vraisemblablement, le réélut) à sa commission administrative et au poste de trésorier général (qu’il occupait pendant la guerre). Il présida le comité général de la Bourse du Travail réuni le 20 janvier 1922 : ce même jour il fut réélu à la CA et au poste de trésorier général de cette organisation. En 1921 l’autre délégué du syndicat des cheminots au comité général de la Bourse du Travail était Coll ; en 1922 c’était A. Massoc.
Eugène Dupré siégea au comité général de la Bourse du Travail en qualité de suppléant en 1924 et en 1927 et en qualité de titulaire en 1925, 1926, 1928 et 1929. Pendant de nombreuses années, il fut, en dépit de son âge, un des rares militants actifs du syndicat confédéré des cheminots de Perpignan.
Jusqu’en 1927 les seuls militants qui apparaissent, de façon éphémère, aux côtés d’Eugène Dupré sont : Ayats, Montès et Millau (ou Milhau ?). Ces militants représentèrent avec lui le syndicat confédéré des cheminots au comité général de la Bourse du Travail (Ayats en 1925 et en 1927 ; Montès en 1926 ; Millau en 1927). Eugène Dupré fut le délégué de son syndicat aux XIIe et XVe congrès de l’UD-CGT des Pyrénées-Orientales (XIIe : 7 septembre 1924 ; XVe : 9 octobre 1927). Il s’employa avec obstination à reconstituer les organisations confédérées parmi les cheminots de Perpignan et des Pyrénées-Orientales. En sa qualité de secrétaire du syndicat de Perpignan - il assura cette fonction au moins jusqu’en octobre 1927 - Eugène Dupré organisait des réunions de propagande. En 1926 - il avait alors 77 ans - il fut particulièrement actif. Ainsi, le 26 novembre 1926, il présida une réunion de Valentin Peyrat, secrétaire général de l’Union confédérée du réseau du Midi qu’il avait fait venir à Perpignan. Il visita également, en compagnie de Léon Coudun, délégué à la propagande de la Fédération CGT des cheminots, ses collègues confédérés de la gare internationale de Cerbère (Pyrénées-Orientales).
En 1927, les efforts d’Eugène Dupré avaient porté leurs fruits. Bien que modestes, en comparaison avec le nombre de cheminots, les effectifs du syndicat de Perpignan affilié à la CGT étaient loin d’être négligeables : cette organisation prit 311 timbres entre le 1er janvier et le 31 août 1927. Eugène Dupré céda le secrétariat du syndicat des cheminots de Perpignan à un nouveau militant, André Amblard (la cession était effective dès le mois de décembre 1927). Toutefois, Eugène Dupré continua de participer aux réunions de son syndicat auquel adhéraient des cheminots qui quittaient la CGTU.
André Amblard prit donc la relève d’Eugène Dupré. Il siègea au comité général de la Bourse du Travail de Perpignan en 1928 et en 1929 en qualité de titulaire. Le 23 janvier 1931 André Amblard fut par ailleurs élu à la commission de contrôle de la Bourse du Travail. Le 20 octobre 1929 il représenta le syndicat des cheminots au XVIIe congrès de l’UD-CGT des Pyrénées-Orientales. Il assura les fonctions de secrétaire du syndicat des cheminots de Perpignan en 1928 et en 1929. Le syndicat prit 250 timbres confédéraux entre le 1er janvier et le 30 juin 1928 et 350 entre le 1er janvier et le 31 août 1929. André Amblard fut le prédécesseur d’Adrien Grau qui présida aux destinées du syndicat perpignanais des cheminots dans les années 1930, avant et après l’unité syndicale de 1935.
Eugène Dupré mourut le 13 décembre 1931. Le 15 décembre 1931 on lui fit d’imposantes obsèques civiles. L’amicale des retraités des chemins de fer y était représentée par Bessière, le secrétaire syndical de 1910 ; Adrien Grau qui représentait le syndicat des cheminots de Perpignan, l’Union du réseau du Midi et la Fédération des cheminots confédérés et Joseph Berta délégué par la Bourse du Travail de Perpignan et l’UD-CGT prononcèrent chacun un discours. Six conseillers municipaux de Perpignan étaient également présents aux obsèques. L’un d’entre eux, Ouradou, tint à prononcer l’hommage funèbre d’Eugène Dupré.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article3527, notice DUPRÉ Eugène par André Balent, version mise en ligne le 30 juin 2008, dernière modification le 13 avril 2012.

Par André Balent

SOURCES : Arch. Dép. Pyrénées-Orientales, 3 M 1/174, 3 M 1/228. — Arch. Mun. Perpignan, État civil. — La CGT et le mouvement syndical, Paris, 1925, p. 560-561. — Horace Chauvet, La politique roussillonnaise (de 1870 à nos jours), Perpignan, 1934. — Étienne Frenay, « Les débuts du mouvement syndical dans les Pyrénées-Orientales (1894-1914) », Cahiers d’études et de recherches catalanes des archives, N° 30, Perpignan, 1965, p. 298-299 (il existe une autre édition de cet article dans le N° 1 des Cahiers de l’Institut Maurice ThoreZ, Paris, 1966). — Le Cri Catalan (hebdomadaire officieux de la Fédération socialiste des Pyrénées-Orientales), 29 janvier 1921, 22 janvier 1922. — L’Action syndicale (mensuel des syndicats confédérés de Perpignan et des Pyrénées-Orientales), nombreux numéros de 1912 à 1932 et plus précisément celui de janvier 1932 (nécrologie). — Entretien avec Joseph Berta, militant du syndicat confédéré des boulangers, secrétaire de la Bourse du Travail de Perpignan et de l’UD-CGT des Pyrénées-Orientales (1971).

ICONOGRAPHIE : L’Action syndicale, janvier 1932.

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