ESCABASSE Émile

Par Gabriel Désert

Né en juillet 1876 à Carnac-Rouffiac (Lot), mort en juin 1936 dans le Lot ; cheminot, employé au service de la voie et des bâtiments ; militant ouvrier du Calvados.

Vieux militant, Émile Escabasse fut l’un des fondateurs de la Bourse du Travail à Caen (Calvados) en 1903, membre de la Ligue des Droits de l’Homme et de la section socialiste caennaise, Escabasse se montra très actif lors de la grève des cheminots, en 1910, ce qui lui valut d’être révoqué. Réintégré, son ardeur resta aussi grande comme en témoignent sa participation à de multiples réunions syndicales et politiques, de 1911 à 1913, et le soutien qu’il apporta à Lévy-Darras, candidat socialiste dans la circonscription de Caen, lors des élections législatives de 1914, ainsi que son inscription sur le carnet B. Cette activité reçut sa récompense en 1914 avec son élection comme secrétaire général de l’UD-CGT et de la Bourse du Travail, fonctions qu’il occupera respectivement jusqu’en 1916 et 1919.

Si, en septembre 1914, il participa à la réunion constitutive du Comité d’action Parti socialiste-CGT, il n’en accepta pas moins la politique d’Union sacrée et appartint à la tendance « majoritaire de guerre ». Cette attitude l’amena à participer à diverses commissions créées par l’administration, telle la commission du ravitaillement. C’est pour la même raison que lors d’une réunion des cheminots caennais, en février 1918, il fit rejeter une motion de soutien aux cheminots poursuivis pour avoir déclaré « qu’il fallait arrêter la guerre par tous les moyens ». En cette occasion il affirma : « Personne ne veut arrêter la guerre en désertant, mais il faut enrayer la guerre par des actions diplomatiques et politiques. »

Malgré sa position modérée, Escabasse n’en délaissait pas pour autant l’action syndicale qui redevint active en 1917. Il fut alors élu, en avril, à la Commission d’études économiques chargée, notamment, pour lutter contre la hausse du coût de la vie, d’étendre l’activité de la coopérative « la Solidarité caennaise ». Pendant la même année, il collabora au journal l’Ouest-État et aida à la création du syndicat de l’habillement et de l’équipement militaires ainsi qu’à la réorganisation de celui des métaux. En 1918 il participa à trois grandes réunions intercorporatives tenues à Caen. La première en août, avec présence de Jouhaux*, la dernière, en décembre, en l’honneur du président Wilson. En juillet, il collabora à la fondation du journal syndical. Le Réveil des Travailleurs et, dans le premier numéro, en présenta les objectifs.

L’année 1919 fut pour Escabasse une année de grande activité en même temps qu’un tournant. Pendant le premier trimestre il fit une tournée de propagande dans les principaux centres miniers du département, comme Gouvix, May-sur-Orne, Saint-Rémy. Puis quand la grève des travailleurs du sous-sol éclata, il la soutint activement. En cette occasion, il organisa, en juin, une réunion, à Bretteville-sur-Laize, destinée aux mineurs et carriers. Il leur demanda de n’accepter aucun engagement local sur la journée de 8 heures et l’augmentation des salaires, ces problèmes devant être réglés sur le plan national. Il leur précisa, d’ailleurs, que si aucune solution n’était trouvée, alors serait entreprise une action plus ample au sein d’un cartel regroupant les syndicats des cheminots, des métaux, du bâtiment, des mines et des PTT, qui obligerait la bourgeoisie à composer. En mars, il prit la parole lors d’un meeting organisé à Caen avec la participation de Merrheim et, en avril, il participa au congrès régional de Laval comme délégué des cheminots caennais.

L’attitude d’Escabasse évolua alors. Lui, l’ancien majoritaire de guerre, le « patriotard blanquiste » suivant l’expression de Zoretti, rallia le camp des minoritaires et en devint un des leaders locaux. Son évolution se situe au cours de l’été 1919 et semble due à l’échec des mouvements ouvriers, échec dont il rendit responsable la direction de la CGT. Ne déclara-t-il pas, en octobre, à l’occasion d’une réunion des cheminots, que « la classe ouvrière aurait dû faire, le 21 juillet, le geste qui aurait donné une leçon à la bourgeoisie et au capitalisme ». Délégué au congrès confédéral de Lyon, en septembre, il y vota contre le rapport présenté par Jouhaux*. Son évolution était aussi commandée par l’admiration qu’il portait à la Révolution russe, révolution dans laquelle il mettait ses espoirs de militant, ce qui le conduisit à condamner l’attitude de la France. Ne déplorait-il pas, en juin, que trop de soldats restent mobilisés et soient utilisés contre les révolutionnaires hongrois et russes.
Le durcissement de sa position l’amena à participer à la lutte politique. Candidat sur la liste socialiste et ouvrière, lors des élections municipales, il arriva en 3e position, ce qui témoigne de sa popularité dans l’électorat ouvrier caennais. Il ne fut cependant pas élu, pas plus que lors des élections législatives de novembre auxquelles il se présenta sur la liste socialiste.

En 1920, il fut l’un des « meneurs » du mouvement ouvrier dans le cadre départemental ce qui lui valut cette appréciation du préfet : « Cheminot sot et bavard mais non dépourvu d’action. » Dès la fin février, lors d’une réunion ayant pour but de préparer la grève, il déclarait : « Jusqu’ici on ne nous a donné que ce que nous avons pu arracher, mais nos grandes revendications essentielles restent : l’échelle des traitements, les statuts du personnel, la nationalisation et la socialisation des chemins de fer. » Son engagement total lui valut d’être élu délégué, en avril, au congrès national de la salle Japy à Paris. À la suite de son action au début de la grève du mois de mai, un mandat d’arrêt fut lancé contre lui, dès le 12 mai, pour atteinte à la sûreté de l’État et une perquisition fut faite à son domicile. Arrêté après quelques jours de recherches, il fut libéré en août. Son incarcération n’eut comme résultat que de renforcer ses opinions minoritaires. « Il m’est impossible de changer mon fusil d’épaule, déclarait-il alors, aussi je prends l’engagement qu’au fur et à mesure que la situation s’aggravera, j’en dénoncerai les auteurs responsables, soit dans la presse, soit par la parole. » Révoqué, Escabasse devint alors marchand des quatre saisons. Il s’occupa aussi d’assurances et fut domicilié successivement à Mondeville et Cormelles-le-Royal, communes de la banlieue caennaise.

Ces difficultés ne l’empêchèrent pas de continuer de militer activement. En novembre 1920, au cours de la réunion des groupes socialistes du Calvados, il soutint la motion Cachin qui obtint 80 % des voix. Sur le plan syndical, bien qu’ayant une position de tendance nettement minoritaire, il voulait sauver l’unité du mouvement ouvrier, c’est pourquoi il favorisa la tentative de conciliation confiée à Content. La rupture n’ayant pu être évitée, il rejoignit les rangs de la CGTU. Élu successivement secrétaire adjoint de l’UD unitaire (avril 1922) et secrétaire général (août 1922) il occupa ce dernier poste jusqu’en 1924. Chargé, cette même année 1922, de constituer la région de propagande de Basse-Normandie, il fit preuve d’une grande activité. Il écrivit alors plusieurs articles dans le Populaire Normand, dirigé par les minoritaires et des membres de la SFIC à laquelle il adhéra dès 1921. Il anima de multiples réunions et conférences dans plusieurs villes du Calvados et dans les principaux centres ferroviaires des départements voisins. Devenu permanent de l’UD-CGTU, bien qu’il fût en théorie hostile à une telle fonction, il fut aussi nommé secrétaire confédéral unitaire de la 5e région.

En 1923, son dynamisme ne faiblit pas. Il se rendit à Vire où une grève du textile avait éclaté, à l’initiative du syndicat CGT. Il y organisa des réunions, des soupes communistes, et réussit à créer, avec quelques grévistes un syndicat unitaire du textile. En avril il fut choisi par le congrès départemental des syndicats unitaires pour les représenter au congrès interfédéral de la SFIC qui devait se tenir à Rouen. Il y obtint que dans le futur journal — Le Communiste du Nord-Ouest — qui devait remplacer le Populaire Normand, une page soit réservée à la vie syndicale.

Responsable syndical et militant communiste, Escabasse n’hésitait pas à s’engager quand l’occasion lui en était offerte. C’est ainsi, qu’en décembre 1921, il fut nommé président du Comité local de défense sociale pour les marins de la mer Noire et l’amnistie totale, qu’en 1923, il était membre du Comité d’action départemental contre la guerre et que l’année suivante, il participa à des réunions électorales au cours desquelles il soutint les candidats du Parti communiste. C’est à l’occasion de ces élections législatives que nous voyons apparaître Escabasse pour la dernière fois dans la presse et les documents d’archives du Calvados. Sa candidature envisagée par la Fédération avait été refusée par le Comité directeur (IMTh. bobine 62).

Émile Escabasse milita ensuite à La Garenne-Colombes (Seine) où il fut délégué syndical puis, retiré dans le Lot, il participa à la campagne électorale du communiste Roussel en avril 1936 et prit la parole au Théâtre de Cahors. Victime d’un accident de travail dans une ferme, il mourut en juin 1936. L’hebdomadaire communiste Notre Quercy ouvrit une souscription pour lui ériger un buste.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article3624, notice ESCABASSE Émile par Gabriel Désert, version mise en ligne le 30 juin 2008, dernière modification le 3 octobre 2022.

Par Gabriel Désert

SOURCES : Arch. Dép. Calvados, M 480, 1583, 9130, 9132, 9133, 9133 bis. — Le Populaire Normand. — Le Réveil des Travailleurs. — C. Billy et J. Quinette, Le Mouvement ouvrier dans le Calvados, 1884-1922, mémoire de maîtrise, Caen, 1971. — J. Roquebert, Les Cheminots du Calvados, 1891-1939, mémoire de maîtrise, Caen, 1973. — M. Simon, Le Mouvement ouvrier dans le Calvados, 1919-1931, mémoire de maîtrise, Caen, 1973. — Notre Quercy, 12 décembre 1936. — Jérôme Letournel, Socialisme et socialistes dans le Calvados des origines à la fin du XXe siècle (1864-1998, Université de Caen, 2013.

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