ROBESPIERRE Maximilien (de)

Né le 6 mai 1758 à Arras (Pas-de-Calais), guillotiné à Paris le 10 thermidor an II (28 juillet 1794). Révolutionnaire démocrate.

Robespierre était issu d’une longue lignée de ruraux qui s’étaient élevés au XVIIe siècle aux professions juridiques. Son père était avocat au Conseil d’Artois. Sa mère, fille du brasseur Carraut, mourut en 1764. Ce sont les grands-parents Carraut qui élevèrent les enfants du veuf, lequel disparut un jour, et mourut à l’insu de sa famille et de ses contemporains à Munich où il fut enterré le 6 novembre 1777. (Bicentenaire de la naissance de Robespierre, Paris, 1958, p. 96.)
Robespierre fit d’excellentes études à Arras, puis à Paris, au collège Louis-le-Grand. Il s’y passionnait déjà, en dehors du programme, pour Jean-Jacques Rousseau. Pauvre comme lui, il l’admirait et l’aperçut un jour de promenade à Ermenonville. Licencié en droit en 1781 et gratifié par le collège d’une bourse de 600 livres, la plus forte qui ait jamais été décernée à un élève émérite, Robespierre regagna Arras. Il s’y fit inscrire au barreau, plaida devant la prévôté de l’évêché ou le Conseil d’Artois. Il vécut aisément de sa profession et il en fut une des illustrations locales.
En 1783, il défendit la cause d’un homme que ses voisins accusaient d’attirer la foudre sur eux parce qu’il avait doté sa maison d’un paratonnerre. Il l’emporta et son plaidoyer, qu’il publia et adressa à Franklin, fut signalé par le Mercure de France. Robespierre avait soutenu les droits de la raison et de la science, mais il se piquait aussi de bel esprit, voire de poésie, et il entra, également en 1783, à l’Académie d’Arras, puis au cénacle des Rosati. Son Mémoire sur les peines infamantes destiné à l’Académie de Metz fut encore loué par le Mercure de France, mais le moment était arrivé où la personnalité de Robespierre allait déborder le personnage de l’avocat arrageois qui faisait volontiers danser les demoiselles.
1786 fut l’année tournante. Ce fut d’abord le dénouement de l’affaire Deteuf : Clémentine Deteuf, une jeune servante, qui n’avait pas voulu pour amant d’un moine de l’abbaye d’Anchin, fut accusée par lui, avec le soutien du prieur, d’avoir volé ; le procès traînait depuis 1784 ; Robespierre s’écria dans un Mémoire au Conseil d’Artois : « Demandons que les lois soient faites pour tous, que toute injustice soit réparée quels que soient l’état et la qualité de celui qui l’a commise [...] Non, que jamais, sous quelque prétexte que ce soit, on ne voie l’oppresseur braver les cris du faible opprimé. » À propos d’une autre affaire, il disait : « L’autorité divine, qui ordonne aux rois d’être justes, défend aux peuples d’être esclaves. » Le Mémoire pour le sieur Dupond, où il attaquait les emprisonnements arbitraires, les lettres de cachet, et déclarait que « le moyen de prévenir les crimes, c’est de réformer les mœurs ; le moyen de réformer les mœurs, c’est de réformer les lois », acheva de brouiller Robespierre avec la bonne société d’Arras.
À l’annonce de la convocation des États généraux, il lança sous la forme d’une brochure politique un appel À la nation artésienne sur la nécessité de réformer les États d’Artois. Il y parlait d’« ennemis du peuple » et invitait le roi à prendre en main la « cause de la liberté ». Partisan du progrès en politique, soutien des pauvres sur le plan social, il avait maintenant de solides adversaires et des amis fervents. Choisi comme électeur par les habitants du Tiers État d’Arras qui n’étaient pas membres de corporations, choisi par les « savetiers mineurs » d’Arras, la plus pauvre corporation de la ville, comme rédacteur de leur cahier de doléances, il devint, le 26 avril 1789, le cinquième sur les huit députés du Tiers de l’Artois.
Il quitta Arras pour n’y plus revenir, à une exception près en octobre 1791. Il logea chez le menuisier Duplay à partir d’août 1791, vivant modestement, sur un mode austère, parlant sans hausser la voix et toujours d’une élégance vestimentaire recherchée.
Dès le mois de juin 1789, Barère, dans Le Point du Jour, notait « sa dialectique très fine, sa grande netteté d’élocution, la pureté de ses intentions et sa chaleur patriotique ». « Il ira loin, il croit tout ce qu’il dit », prophétisera bientôt Mirabeau, selon la tradition. Si l’Assemblée constituante suivit rarement ses avis, c’est parce que Robespierre apparut très vite, avec Petion et quelques autres, comme un des rares démocrates qu’elle comptait dans son sein. Mais ses nombreuses interventions eurent de l’écho dans les tribunes et dans la presse. La droite de la Constituante et les journaux qu’elle inspirait, Les Actes des Apôtres de Rivarol, Le Petit Gautier, etc., raillaient son accent artésien, lui prêtaient des maîtresses, le dépeignaient comme un « monstre sanguinaire ». Quand l’Assemblée refusa d’entendre son discours sur le marc d’argent, où il combattait les privilèges politiques des riches, ou bien son discours sur la réorganisation de la garde nationale, en 1791, il les lut à la tribune du club des Jacobins. Du club des Jacobins il était membre depuis un certain temps déjà, sans doute, quand on est sûr de l’y rencontrer pour la première fois, le 26 avril 1790, jour où il le préside.
Surnommé l’Incorruptible par le peuple parisien en 1791, Robespierre combattit la fiction de l’enlèvement du roi, le 20 juin. « Louis XVI écrit à l’Assemblée nationale de sa main, il signe qu’il prend la fuite, et l’Assemblée, disait-il, le 14 juillet 1791, par un mensonge bien lâche, bien grossier, bien perfide, a affecté d’appeler la fuite du roi un enlèvement. » Il ne put parler le 21 juillet à l’Assemblée, mais affirma le soir aux Jacobins, sous les applaudissements de huit cents auditeurs : « L’Assemblée nationale trahit les intérêts de la nation. »
Il obtint que les Constituants ne puissent être élus à la Législative. Le terme de la Constituante (30 septembre 1791) fut par suite le triomphe de Robespierre et de Petion, alors son ami : la foule parisienne vint les remercier à l’issue de la dernière séance de tout ce qu’ils avaient proposé pour elle, et surtout d’avoir défendu ses droits politiques, niés par la Constitution adoptée malgré eux.
Et cependant, maintenant qu’elle existait cette Constitution, Robespierre entreprit d’en tirer tout ce qu’il était possible d’en tirer et d’interdire à la contre-révolution de faire rétrograder la France en deçà. Tel est le sens du titre de son journal, Le Défenseur de la Constitution (12 numéros, du 17 mai au 20 août 1792).
Élu accusateur public du tribunal criminel du département de Paris avant sa sortie de la Constituante, Robespierre ne s’en tint pas à cette fonction. Il poursuivit avant tout au club des Jacobins son action démocratique. En décembre 1791, il résista à la propagande belliqueuse de Brissot et d’Isnard ; il dénonça les combinaisons de la cour qui voulait la guerre pour rétablir l’ancien régime ; il mit en garde les masses populaires contre la démagogie belliciste et contre les outrances en général ; il rappela comme l’ambition politique gagne facilement les chefs militaires victorieux.
Dans la campagne de presse pour la venue à Paris des gardes nationaux volontaires des départements, qui auront mission de faire avorter les intrigues des aristocrates et qui contribueront avec les sectionnaires parisiens à renverser le trône de Louis XVI, le 10 août, Le Défenseur de la Constitution a une place aussi importante que le journal de Marat, dont Robespierre était d’ailleurs un fidèle lecteur. C’est l’essentiel des numéros 9 (14 juillet), 10 (22 juillet) et 11 (31 juillet). Mais là se borna l’action de Robespierre, comme celle de Marat. Robespierre n’appartint pas plus que Marat aux organismes dirigeants de l’insurrection du 10 août, s’il fut nommé à la Commune insurrectionnelle par sa section, celle des Piques.
À la Commune insurrectionnelle de Paris, après le 10 août, Robespierre employa son influence, qui était grande, à faire pression sur la Législative moribonde pour qu’elle décrétât la convocation au suffrage universel d’une Convention nationale. Avec le suffrage universel, qu’il réclamait depuis 1790, et des mesures fiscales qui restreindraient les fortunes, on a l’essentiel des idées sociales de Robespierre en septembre 1792, le 5 exactement, quand il fut désigné comme premier député du département de Paris. Au cours de ces élections, Robespierre s’était efforcé d’introduire, étant donné l’imprécision de la procédure improvisée et les habitudes censitaires prises en 1791, le maximum de contrôle des plus pauvres citoyens. Le vote ayant lieu au second degré, il fit adopter pour les délégués, ou électeurs, le scrutin public — ainsi les mandataires ne se prononceraient-ils pas ensuite en sens inverse de leurs mandants — et une ratification des élus par les citoyens assemblés dans les sections.
Désormais, la carrière de Robespierre se confond trop avec la grande histoire de notre nation pour qu’il soit aisé de la résumer. Rappelons que ce fut la Gironde qui commença la lutte contre Robespierre, comme elle l’avait commencée contre Marat. Rappelons que Robespierre demanda contre la Gironde la mise en jugement du roi et que ses accusations précédèrent les preuves que l’on découvrit dans les papiers de l’Armoire de fer. Rappelons que la lutte de Robespierre contre les intrigues et les trahisons avant le printemps de 1793 trouva sa confirmation dans la trahison de Dumouriez en mars. Il dit clairement, et avec raison, que si les Girondins répugnaient aux mesures énergiques, c’est parce qu’ils avaient peur de la force populaire, et il légitima ensuite la journée populaire du 2 juin 1793 qui fut celle de la chute de la Gironde. Entré au Comité de Salut public le 27 juillet 1793, il l’anima une année jour pour jour. Lui qui avait redouté la guerre quand il était encore possible de l’écarter, il dirigeait maintenant une guerre impitoyable. Il s’agissait de sauver la Révolution contre l’aristocratie française et contre l’aristocratie européenne. Et pour gouverner en temps de guerre il faut de tout autres moyens que les moyens de gouvernement en temps de paix. Il l’expliqua en une série d’aphorismes dans son discours du 15 nivôse an II (25 décembre 1793) : « Le but du gouvernement constitutionnel est de conserver la République ; celui du gouvernement révolutionnaire est de la fonder. La révolution est la guerre de la liberté contre ses ennemis ; la constitution est le régime de la liberté victorieuse et paisible. Le gouvernement révolutionnaire a besoin d’une activité extraordinaire, précisément parce qu’il est en guerre. Il est soumis à des règles moins uniformes et moins rigoureuses parce que les circonstances où il se trouve sont orageuses et mobiles et surtout parce qu’il est forcé à déployer sans cesse des ressources nouvelles et rapides pour des dangers nouveaux et pressants [...] Le gouvernement révolutionnaire doit aux bons citoyens toute la protection nationale ; il ne doit aux ennemis du peuple que la mort. » Le 18 pluviôse (5 février 1794), il ajoutait : « Si le ressort du gouvernement populaire dans la paix est la vertu, le ressort du gouvernement populaire en révolution est à la fois la vertu et la terreur... »
Dominant la Convention et le Comité de Salut public par son prestige, exerçant par là dans la dictature collective du Comité et de la Convention une influence personnelle indéniable, Robespierre usa de cette influence non pas pour se constituer un parti (le club des Jacobins n’en fut pas un), non pas pour s’emparer de la direction de l’armée ou de la police, mais pour agir sur l’opinion révolutionnaire dans le sens qui lui semblait le plus avantageux pour la Révolution. S’il lutta dans les derniers mois de 1793 contre les déchristianisateurs, c’est parce que, à ses yeux, la déchristianisation ajoutait encore aux difficultés du gouvernement révolutionnaire. Le désir de tout faire plier sous sa volonté, qu’on lui prête lors de la lutte contre les Hébertistes et contre les Indulgents (mars-avril 1794), n’a rien à voir avec la réalité, qui est que, entrer en conflit comme le faisaient les factions avec les Comités de gouvernement (Salut public et Sûreté générale) signifiait rendre l’espoir à la contre-révolution. Robespierre porte devant l’histoire la responsabilité d’actes qu’il n’a pas commis seul, mais dont il a été ensuite commode, pour ceux qui les avaient commis avec lui, de les rejeter exclusivement sur lui. Il y a longtemps que Cambacérès a dit que son procès avait été jugé, mais non pas plaidé.
Robespierre succomba le 8 thermidor (26 juillet 1794) après un discours applaudi, sur une simple manœuvre parlementaire bien préparée et qui fit rapporter la décision prise par la Convention de l’impression publique du discours. Cette manœuvre succédait à des dissentiments à l’intérieur des deux comités de gouvernement. Dans la nuit du 8 au 9, cependant que Robespierre répétait avec succès son discours aux Jacobins, la conjuration s’organisait et, le lendemain 9 thermidor (27 juillet), Robespierre ne put parler à la Convention. Il fut arrêté et sera mis hors la loi dans la nuit. Emprisonné, il avait d’abord refusé sa libération par la Commune de Paris. Il avait ensuite hésité, et ses adversaires, plus prompts, enveloppèrent ses partisans devant l’Hôtel de Ville. Étant hors la loi, il fut envoyé à la guillotine ainsi que ses amis, sur simple constatation d’identité, sans jugement.
La rapidité de cet effondrement témoigne aussi de la fragilité du pouvoir que Robespierre détenait en personne. La coalition parlementaire comptait les amis de Danton, ceux des Hébertistes, et la masse qui a suivi Robespierre jusqu’à ce moment, celle qui avait pratiqué à son égard la flagornerie, le Marais ou la Plaine comme on disait, à qui dans la nuit du 8 au 9 les promesses de toute sorte avaient été prodiguées. Les plus actifs, dans cette conjonction hétéroclite, furent les terroristes « aux mains sales », les députés d’affaires, que Robespierre avait menacés dans son discours du jour. Hors de la Convention, ce fut le poids d’une politique sociale insuffisante qui se fit sentir sur les robespierristes : les décrets de ventôse (voir Antoine de Saint-Just*) n’avaient été qu’une promesse vague, le coût de la vie montait et les salaires ne suivaient pas. De plus, beaucoup de militants sans-culottes de Paris avaient subi et subissaient encore la répression du printemps 1794 contre les hébertistes. L’élan dans les quartiers populaires de Paris pour courir au secours de Robespierre et de ses amis, à l’appel d’Hanriot, fut freiné par tout cela.
Le robespierrisme ne mourut pas avec Robespierre. Son idéal social : la petite propriété, la production morcelée, survivra. Il y aura un grand mouvement robespierriste, ouvrier et bourgeois sous la monarchie de Juillet. Le déisme de Robespierre, tel qu’il s’affirmait dans le discours du 18 floréal an II (7 mai 1794) et dans la fête du 20 prairial (8 juin), aura des quantités de zélateurs républicains. L’Être suprême, pour Robespierre, garantissait aux pauvres la certitude d’une victoire finale du bien sur le mal, et l’immoralité de l’âme était une consolation aux malheurs dont les pauvres étaient accablés et que la société ne pouvait pas, ou pas encore guérir (discours du 18 floréal).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article37145, notice ROBESPIERRE Maximilien (de) , version mise en ligne le 20 février 2009, dernière modification le 27 juillet 2020.
Statue de Robespierre, boulevard Carnot à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis)

ŒUVRES : La Société des Études robespierristes fondée par Albert Mathiez en 1908 publie les œuvres de Maximilien Robespierre. Ont paru :
œuvres littéraires en prose et en vers, par Eugène Déprez et Émile Lesueur, Paris, 1912, in-8°, 248 pp. — œuvres judiciaires (plaidoyers et mémoires), par Émile Lesueur, Paris, 1914, in-8°, 409 pp. — Correspondance de Maximilien et Augustin Robespierre, par Georges Michon, Paris, 1926, in-8°, 334 pp., avec un fascicule complémentaire, Paris, 1941, in-8°, 180 pp. — Le Défenseur de la Constitution, par Gustave Laurent, Nancy et Paris, 1939, in-8°, 399 pp. — Discours (1789-1790), par Marc Bouloiseau, Georges Lefebvre, Albert Soboul, Paris, 1950, in-8°, 703 pp. — Discours (janvier-septembre 1791), par les mêmes, Paris, 1952, in-8°, 784 pp. — Discours (octobre-1791-septembre 1792), par les mêmes, Paris, 1954, in-8°, 481 pp. — Discours (septembre 1792-27 juillet 1793), par les mêmes plus Jean Dautry, Paris, 1958, in-8°, 642 pp.
À paraître :
Lettres de Maximilien Robespierre, membre de la Convention nationale de France, à ses commettans (30 septembre 1792-25 avril 1793), et la fin des Discours, par M. Bouloiseau, J. Dautry, G. Lefebvre et A. Soboul.
On pourra utiliser pratiquement Robespierre. Textes choisis, Paris, Éditions sociales, 1956-1958, en trois volumes, préface et commentaires de Jean Poperen.

SOURCES : Bornons-nous à quelques indications. L’historien Hamel a consacré à Robespierre, sous le Second Empire, une Histoire toujours utile. On se reportera aux travaux d’Albert Mathiez, Autour de Robespierre, Paris, 1958, 2e édition, et Études sur Robespierre, Paris, 1958. On retiendra également Jean Massin, Robespierre, Paris, 1956 ; Marc Bouloiseau, Robespierre, Paris, 1957 ; Walter Markov, Maximilien Robespierre, 1758-1794, Beitrâge zu seinem 200e Geburtstag, Berlin, 1958 ; Bicentenaire de la Naissance de Robespierre, numéro spécial des Annales historiques de la Révolution française, Paris, 1958.

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