SAINT-JUST Louis, Antoine (de)

Né à Decize (Nièvre) le 25 août 1767, guillotiné à Paris le 10 thermidor an II (28 juillet 1794). Révolutionnaire démocrate.

Fils d’un ancien officier de cavalerie, chevalier de Saint-Louis et retiré à Blérancourt (Aisne), Louis-Antoine de Saint-Just fit ses études au collège des Oratoriens de Soissons, puis à l’école de droit de Reims. Rentré dans son village, il y composa un poème en vingt chants, Organt, qu’il fit paraître à la fin de 1789 ; c’était essentiellement une satire des idées reçues et des préjugés de l’ancien régime social, sans allusions politiques expresses, mais très irrévérencieux, c’est le moins qu’on puisse dire, pour la monarchie et pour la religion.
Pourtant, dès la publication de cet ouvrage littéraire, Saint-Just s’intéressait au développement politique de la Révolution. Il avait fait un voyage à Paris, pour se faire imprimer, et avait suivi les séances de l’Assemblée constituante et des Jacobins. À Soissons, il fut élu lieutenant-colonel de la garde nationale, et il vint deux fois à Paris en 1790, la première pour soutenir le choix de Soissons contre Laon comme chef-lieu de l’Aisne, la seconde pour assister avec les gardes nationaux de l’Aisne à la fête de la Fédération du 14 juillet. Il entra en relations par lettre avec Robespierre, le 19 août 1790 ; il demanda son intervention contre le transfert du marché de Blérancourt à Coucy, où siégeait le district. Il lui écrivait : « Je ne vous connais pas, mais vous êtes un grand homme. Vous n’êtes point seulement le député d’une province, vous êtes celui de l’humanité et de la République. »
Ce bel éloge s’adressait évidemment au Constituant démocrate, disciple de Jean-Jacques Rousseau. Pourtant, en 1791 encore, Saint-Just ne paraît être ni rousseauiste ni démocrate. Son Esprit de la Révolution et de la Constitution de la France s’inspirait presque uniquement de Montesquieu. Il jugeait la Constitution bonne, sans aucune des réserves de Robespierre à la même date sur le régime censitaire. « La France, disait-il, s’est rapprochée de l’État populaire autant qu’elle l’a pu, et n’a pris de la monarchie que ce qu’elle ne pouvait point n’en pas prendre. » Il condamnait d’autre part la peine de mort, et réprouvait les violences populaires.
Élu le 5 septembre 1792 à la Convention par le département de l’Aisne, Saint-Just monta à la tribune pour la première fois le 13 novembre : il plaça d’emblée le procès du roi sur un plan politique ; la Convention ne jugeait pas Louis XVI, elle le combattait ; tel est également le thème de son second discours, celui du 27 décembre. Il frappa ses collègues par la netteté de ses vues.
Le 28 janvier et le 12 février 1793, il traita des problèmes militaires : l’armée et ses chefs devaient être démocratisés ; les officiers seraient élus par la troupe, et les généraux nommés par la Convention. Dans la discussion constitutionnelle du printemps 1793, il s’efforça de faire prédominer le Législatif sur l’Exécutif, et son influence est visible dans la rédaction de la Constitution du 24 juin 1793, improprement appelée Constitution de l’an I. D’ailleurs, dès le 30 mai, il avait été adjoint au Comité de Salut public pour préparer les « bases constitutionnelles ». Réélu au renouvellement général du 10 juillet, il appartint au Comité de Salut public jusqu’à sa mort, plus longtemps que Robespierre, qui n’y entra que le 27 juillet.
Saint-Just, pendant l’automne 1792 et l’hiver 1792-1793, ne s’était pas mêlé au conflit des Girondins et des Montagnards, bien qu’il fût depuis longtemps l’ami de Robespierre. Le 29 novembre 1792, il s’était élevé, ainsi que les Girondins et la plupart des Montagnards aussi, contre la pétition de la Commune de Paris qui demandait la taxation des denrées de première nécessité. Il était partisan de la liberté économique, quelles que soient les entorses qu’il lui ait fait subir en 1794.
Auteur du rapport du 8 juillet 1793, contre les Girondins, qui contient plus d’une accusation invérifiable ou fausse, Saint-Just ne se montra aussi partial à leur égard que parce qu’ils attentaient à l’unité de la République. Occupé principalement à la réorganisation de l’armée du Rhin, d’octobre 1793 à janvier 1794, il montra jusqu’où, sur le plan social, pouvait l’entraîner le souci de l’unité de la République et de la défense de la nation. À Strasbourg, ce sont les sans-culottes qui ont été fidèles à la patrie. Saint-Just leur fait dire dans une affiche que signe le nouveau maire de Strasbourg, Monet, en qui il a toute confiance : « Peuple, lève-toi et bénis ton destin [...] L’esprit mercantile disparaîtra à Strasbourg et ses trésors s’ouvriront à tes besoins ; les pleurs de l’égoïste opulent font la joie de l’utile et vertueux sans-culotte [...] Familles indigentes et respectables des défenseurs de la patrie, le terme de vos longues privations est arrivé [...] La République reconnaissante vous assure un patrimoine dans le superflu insultant du riche insensible. »
À Strasbourg, les bourgeois furent déchaussés pour chausser les soldats, et les « patriotes indigents » reçurent des secours importants fournis par la contribution de guerre de neuf millions et par un supplément de un million deux cent mille francs levés sur les « riches contribuables ».
En tête de la liste des « riches contribuables », il y avait l’ancien maire Dietrich, banquier et intéressé dans l’industrie du fer. Saint-Just et son collègue Le Bas lui imposèrent une contribution totale de 300 000 livres dont une partie alla effectivement aux sans-culottes strasbourgeois. Il y aura en nivôse an III (décembre 1794) une proposition d’indemniser les contributaires forcés de novembre 1793. Robespierre avait dit par contre aux Jacobins le 1er frimaire an II (21 novembre 1793) : « Vous voyez qu’on a démantelé les riches pour couvrir et revêtir les pauvres. Cela a réveillé la force révolutionnaire et l’énergie patriotique. Les aristocrates ont été guillotinés, à commencer par les banquiers du roi de Prusse qui étaient dans Strasbourg. »
Voyant le citoyen dans le soldat et l’homme dans le citoyen, Saint-Just veillait non seulement au vêtement ou à l’alimentation et à la santé des troupes, mais à leur vie morale et politique. Il encourageait l’amitié et la fraternité, bases d’une véritable armée populaire ; il s’intéressait aux familles des défenseurs de la patrie. Il aimait les hommes, sans exception pour les plus humbles.
Théoricien de la Terreur et du Gouvernement révolutionnaire, Saint-Just aperçut dans le groupe politique des ultra-révolutionnaires plus ou moins liés à Hébert et connus pour cela comme Hébertistes, puis chez les amis de Danton ou Indulgents, des factions en lutte contre l’unité de la République comme naguère les Girondins. Les Hébertistes avaient voulu « diviser Paris contre lui-même » ; les Indulgents « avaient une dureté singulière envers le peuple, mais ils étaient indulgents envers l’aristocratie ». Saint-Just fut le porte-parole des comités de gouvernement (Salut public et Sûreté générale) au cours de toute leur lutte contre les factions. Le 8 ventôse (22 février 1794), il attaqua ouvertement les Indulgents et désarma les Hébertistes, qui soutenaient les revendications populaires parisiennes qu’avaient soutenues avant eux Jacques Roux et les Enragés, en faisant voter par acclamation le séquestre des biens des suspects : « La force des choses nous conduit peut-être à des résultats auxquels nous n’avons point pensé. L’opulence est entre les mains d’un assez grand nombre d’ennemis de la Révolution, les besoins mettent le peuple qui travaille dans la dépendance de ses ennemis. Concevez-vous qu’un empire puisse exister si les rapports civils aboutissent à ceux qui sont contraires à la forme du gouvernement ? » Le 13 ventôse (3 mars 1794), il obtint le recensement par communes de tous les « patriotes indigents » et promit un rapport ultérieur « sur les moyens d’indemniser tous les malheureux avec les biens des ennemis de la révolution. » Ces idées étaient communément répandues parmi les sans-culottes, et les bourgeois révolutionnaires les acceptaient souvent ou les mettaient en avant comme la seule solution, puisque les sans-culottes matériellement intéressés au succès de la Révolution la feraient plus sûrement triompher.
« Les malheureux sont les puissances de la terre », « le bonheur est une idée neuve en Europe », avait dit Saint-Just en présentant les décrets de ventôse. Leur portée limitée ne doit pas les faire prendre pour une révolution dans la propriété, mais seulement comme une tentative, avortée d’ailleurs, et politiquement liée à la lutte contre l’hébertisme de constituer par l’accession à la petite propriété quelques centaines de milliers de « patriotes indigents » en une force sociale totalement dévouée à la Révolution. Le 23 ventôse (13 mars) Saint-Just attaquait les Hébertistes comme « faction de l’étranger » ; le 27 ventôse (17 mars) ce fut le tour d’Hérault de Séchelles ; les 11 et 15 germinal (31 mars et 4 avril) ce fut le tour des Indulgents.
Il avait proclamé contre les Hébertistes : « Savez-vous quel est le dernier appui de la monarchie ? C’est la classe qui ne fait rien, qui ne peut pas se passer de luxe, de folies ; qui, ne pensant à rien, pense à mal ; qui promène l’ennui, la fureur des jouissances et le dégoût de la vie commune [...] C’est cette classe qu’il faut réprimer. Obligez tout le monde à faire quelque chose, à prendre une profession utile à la liberté [...] Quels droits ont dans la patrie ceux qui n’y font rien ? Ce sont ceux-là qui ont du bonheur une idée affreuse et qui sont les plus opposés à la République... »
Le 26 germinal (15 avril) Saint-Just, dans son rapport sur la police générale, demanda que tous les conspirateurs fussent envoyés devant le Tribunal révolutionnaire de Paris et fit adopter un décret dans ce sens.
Les trois derniers mois de sa vie, il les passa soit en mission à l’armée du Nord, soit à Paris au Comité de Salut public. Il participa à la victoire de Fleurus (26 juin 1794) et rentra définitivement à Paris, trois jours plus tard. Les 4 et 5 thermidor, lors des réunions plénières des Comités de Salut public et de Sûreté générale, il s’efforça de concilier les points de vue des adversaires de Robespierre et ceux de Robespierre. Le 9 thermidor, sans être peut-être absolument d’accord avec son ami, il vola à son secours, mais la coalition antirobespierriste ne le laissa pas achever. Il fut mis hors la loi, emprisonné, délivré par la Commune, pris à l’Hôtel de Ville dans la nuit du 9 au 10 thermidor, et décapité le 10 vers six heures du soir.
Révolutionnaire intrépide et pur de tout calcul médiocre, il laissa un souvenir puissant parmi ses contemporains.
En 1800, des amis, au nombre desquels son ancien secrétaire Gateau, firent paraître son ouvrage posthume Fragments sur les Institutions républicaines, qui décrit une société à l’antique avec fêtes poliades, souci de l’éducation morale de la jeunesse, égalité politique et limitation de la richesse des particuliers. Une tradition d’ascétisme révolutionnaire, vivace dans la France républicaine et populaire du XIXe siècle, y prit sa source, ainsi que dans l’exemple d’ascétisme et de pureté donné par l’homme lui-même, tel qu’il apparaissait à travers ses rapports et ses discours.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article37540, notice SAINT-JUST Louis, Antoine (de) , version mise en ligne le 20 février 2009, dernière modification le 1er juin 2021.

ŒUVRES : Charles Vellay a composé un Essai d’une bibliographie de Saint-Just, Le Puy, 1910, in-8°, 31 pages, et donné un « Complément à la bibliographie de Saint-Just » dans la Revue historique de la Révolution française, 1911, p. 601. Le même auteur a publié œuvres complètes de Saint-Just, Paris, 1908, in-8°, deux volumes de 466 et 544 pages, dans la collection L’Élite de la Révolution, chez l’éditeur Fasquelle. Sans qu’elles soient complètes, les œuvres fondamentales de Saint-Just s’y trouvent. De larges extraits ont été procurés par divers historiens ou hommes de lettres, Jean Cassou, Jacques Gaucheron, etc. Il faut mettre à part : Henri Calvet. Saint-Just, Monaco, 1950, in-8°, 267 pages (Les grands orateurs républicains, aux éditions Héméra) et Albert Soboul, Saint-Just. Discours et Rapports, Paris, Éditions sociales, 1957 (Les Classiques du Peuple), à cause de l’exceptionnelle compétence de leurs auteurs.
En dehors des rapports et des discours, dont il existe souvent des tirés à part de l’époque révolutionnaire, Saint-Just a écrit : Organt... Au Vatican, 1789, in-18, 2 volumes. — Esprit de la Révolution et de la Constitution de la France, Paris, 1791, in-8°, VIII + 174 pages. Essai de Constitution, lu à la séance de la Convention du 24 avril 1793, Paris, in-8°, 40 pages.
Les Fragments sur les Institutions républicaines, ouvrage posthume de Saint-Just, Paris, Fayolle, 1800, in-8°, 94 pages, ont été réédités par Albert Soboul, qui en a confronté le texte imprimé en 1800 avec le manuscrit de la Bibliothèque nationale : Louis de Saint-Just, Frammenti sulle Istituzioni republicane, Turin, Einaudi, éd., 1952, in-8°, 313 pages. La version française augmentée d’inédits précède la traduction en italien. Albert Soboul a publié pour la première fois « De la nature, de l’état-civil, de la cité ou les règles de l’indépendance du gouvernement » dans les Annales historiques de la Révolution française, 1951, p. 321 et sq. et « Correspondance et opérations des représentants du peuple Saint-Just et Lebas envoyés extraordinairement à l’armée du Rhin » également dans les Annales historiques de la Révolution française, 1954, pp. 193 et sq., pp. 299 et sq.

SOURCES : Ernest Hamel, Histoire de Saint-Just, député à la Convention nationale, Paris, 1859, in-8°, 628 pp. — E. N. Curtis, Saint-Just, colleague of Robespierre, New-York, 1935, in-8°, 403 pp. — Albert Ollivier, Saint-Just et la force des choses, Paris, 1954, in-8°, 587 pp. (cf. le compte rendu critique de A. Soboul, dans les Annales historiques de la Révolution française, 1956, p. 83.)
Les principaux manuscrits de Saint-Just ont été donnés à la Bibliothèque nationale de Paris en 1946 et 1947 ; ils portent les cotes : Nouvelles Acquisitions françaises, 12947, 24136 et 24158.

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