Par Bernard Desmars
Né le 19 mai 1814 à Paris, mort le 22 février 1878, à Paris (Ve arrondissement) ; ouvrier typographe et journaliste sous la monarchie de Juillet et la Seconde République ; fouriériste en contact avec d’autres courants socialistes ; auteur de poèmes et orateur lors des banquets phalanstériens dans les années 1840 ; candidat aux élections législatives en avril 1848 ; directeur-gérant de L’Écho de l’Ouest à Poitiers, de 1849 à 1851 ; commis d’économat au lycée de Versailles puis à Paris sous le Second Empire.
Eugéne Stourm, militant républicain et socialiste, doit tout d’abord être distingué de Dominique Augustin Africain Stourm (Metz, 1797- Paris, 1865) avocat, puis magistrat, auteur d’ouvrages de droit, député de l’Aube sous la monarchie de Juillet, proche de plusieurs compagnies ferroviaires, directeur général des postes et sénateur sous le Second Empire. Les deux hommes, souvent confondus dans des ouvrages, dictionnaires et notices bibliographiques, n’avaient pas de lien familial connu.
Né à Paris, dans une famille modeste, d’un père originaire de Trêves, Eugène Stourm apprit d’abord le métier de sculpteur sur bois entre 12 et 16 ans. Mais sous la monarchie de Juillet, il se fit d’abord ouvrier typographe, puis journaliste. Il fréquenta semble-t-il les saint-simoniens, puis rejoignit le mouvement fouriériste tout en restant ouvert aux autres courants socialistes. Avec Julie Fanfernot, il tenta vers 1833 de créer un périodique, L’Étincelle, dont seul parut le prospectus. Dans les années suivantes, il collabora à plusieurs organes : Le Bon Sens, dirigé par Cauchois-Lemaire, puis par Louis Blanc ; les périodiques fouriéristes La Phalange, Le Nouveau Monde, Le Premier Phalanstère (il fut le directeur de juillet à décembre 1841 de cet éphémère mensuel), La Démocrate pacifique ; et aussi le Courrier français, L’Union et La Voix nouvelle.
Sous la monarchie de Juillet, Stourm écrivit également de nombreuses poésies, déclamées lors des fêtes et banquets phalanstériens et recueillies dans de petits volumes. Il prononça également de nombreux discours lors de ces mêmes manifestations sociétaires, son éloquence en faisant un des orateurs les plus réguliers et les plus appréciés.
Il se maria au début des années 1840 et eut une fille, née en 1842. En 1844, il fut désigné secrétaire du comité chargé de recueillir des souscriptions afin d’élever un monument sur la tombe de Flora Tristan à Bordeaux. Vers 1846-1847, il participa à la seconde tentative de création d’une colonie sociétaire à Condé-sur-Vesgre, avec Boissy et Lenoir. L’expérience s’acheva très vite.
En avril 1848, il obtint, avec l’appui de Louis Blanc, la nationalité française, ce qui lui permit d’être candidat à l’assemblée constituante ; il ne fut cependant pas élu. Il collabora à L’Opinion des femmes (1848-1849) dirigé par Jeanne Deroin, avec qui il participa à la formation en 1849 d’une « Association fraternelle des démocrates socialistes des deux sexes pour l’affranchissement politique et social des femmes ».
À l’automne 1849, il partit à Poitiers avec sa famille et fonda avec un nommé Dècle le journal L’Écho de l’Ouest, paraissant trois fois par semaine. Il en dirigea la rédaction pendant plus de deux ans et en rédigea la plupart des éditoriaux ; il était aussi l’auteur d’une partie des textes publiés dans les rubriques « Feuilletons » et « Variétés » où l’on pouvait parfois lire certains de ces poèmes.
L’Écho de l’Ouest était d’orientation démocrate-socialiste ; cependant, il accordait assez peu de place aux problèmes sociaux, privilégiant nettement les questions politiques et en particulier la défense du régime républicain et de la démocratie. Il se faisait cependant l’écho d’initiatives ou de parutions émanant des différents courants et théoriciens socialistes (Louis Blanc, Auguste Blanqui, François Raspail, Pierre-Joseph Proudhon). Si on y trouvait la reproduction de quelques articles dus à des disciples de Fourier (Victor Meunier par exemple), des comptes rendus d’ouvrages publiés par des fouriéristes (Jules Delbruck, Charles Pellarin) ou l’écho de manifestations phalanstériennes, l’Ecole sociétaire n’y bénéficiait pas d’un traitement privilégié. Dans L’Écho de l’Ouest, Stourm s’efforçait de promouvoir des idées démocratiques et fraternitaires, qui s’imposeraient au pouvoir par les élections et non par l’insurrection. Ses articles dénonçant les restrictions au suffrage universel apportées par la loi de mai 1850 lui valurent d’être condamné à trois mois de prison et 300 francs d’amende, avant d’être acquitté en appel.
Cette position à la tête de la rédaction de L’Écho de l’Ouest fit de Stourm l’un des chefs du parti démocratique de la Vienne ; aussi son nom figurait-il sur les listes des « hommes professant des idées subversives » élaborées par la préfecture de la Vienne et utilisées au lendemain du 2 décembre 1851. Son journal parut une dernière fois le 6 décembre. Cependant, à la différence de plusieurs de ses amis viennois, il ne fut pas traduit devant la commission mixte du département, le préfet considérant que son éloignement de Poitiers suffisait. Peut-être aussi bénéficia-t-il de la protection d’Hippolyte Fortoul, ministre de l’Instruction publique, qui lui fit obtenir un emploi de commis à l’économat du lycée de Versailles. Il y resta d’août 1852 à août 1859, avant d’être muté au lycée Saint-Louis à Paris, où sa femme tenait une « pension bourgeoise ».
Même si son nom apparut dans l’Almanach des femmes dirigé par Jeanne Deroin entre 1852 et 1854, il restreignit ses activités militantes et, en particulier, ne participa pas aux efforts menés par quelques-uns de ses condisciples pour reconstituer un mouvement sociétaire dans les années 1860 ; quand, en 1865, reprit la tradition des banquets phalanstériens organisés chaque 7 avril pour célébrer l’anniversaire de la naissance de Fourier, il ne les fréquenta pas, alors qu’il en avait été l’un des principaux orateurs sous la monarchie de Juillet. Tout juste donna-t-il quelques comptes rendus de lecture à L’Économiste français, fondé en 1861 par le fouriériste Jules Duval. Lui-même publia deux ouvrages sur des thèmes religieux.
En 1869, il quitta ses fonctions au lycée Saint-Louis pour un poste d’employé convenant mieux, disait-il, à son âge et à sa santé déclinante. Sans doute faut-il attribuer à son éloignement d’avec le mouvement sociétaire le fait que l’organe fouriériste, le Bulletin du mouvement social, n’annonça son décès que dans son numéro du 15 avril, soit avec un retard de près de deux mois.
Par Bernard Desmars
ŒUVRE : A Fourier (15 mai 1836), Paris, Imp. Deshayes, s. d. [1836 ?], 8 p. – Rapports du théâtre avec le sentiment religieux, Paris, 1836, 5 p. – Essai de poésie phalanstérienne, Paris, bureau du Nouveau Monde, 1841, 16 p. – Aperçu philosophique sur le système thalysien de J.-A. Gleizès, Paris, 1846, 22 p. – Idée sommaire de la théorie de Fourier, [Paris], Imp. Lange Lévy et Cie, s. d. [années 1840], 4 p. – Aux électeurs de la Seine, Paris, Imp. E. Duverger, 1848, 3 p. – Compte rendu du banquet qui a eu lieu à Poitiers le 24 février 1850 pour célébrer la fête de la République, Poitiers, Imp. Coignard et Bernard, 1850, 24 p. – Extraits de L’Écho de l’Ouest sur la question des voies d’accession du chemin de fer de Poitiers, Poitiers, Imp. Bernard, 1851, 11 p. – Dieu et la liberté. Réponse aux nouveaux panthéistes, fatalistes et athéistes, Versailles, E. Portier, 1859, 108 p. – Pièce de vers composée par Eugène Stourm et lue par lui, le 3 juillet 1861, en présence d’une assemblée fraternelle de soixante et quelques invités réunis à l’occasion de l’inauguration d’un terrain situé à Billancourt, Paris, Imp. de Michels-Carré, 1861, 4 p. – Étude sur Antoinette Bourignon, la prophétesse des derniers temps, Paris, Sandoz et Fischbacher, 1876.
SOURCES : Archives nationales, F/17/21750, dossier de fonctionnaire – Archives nationales, fonds Fourier et Considerant, 10 AS 36 – Archives de Paris, état civil – Archives départementales de la Vienne, 4 M 57, 58, 59 et 60 ; 6 T 10 ; 2 U 1599 – Maurice Mathieu, La Vie politique dans la Vienne sous la Seconde République (fin 1846-courant 1852 : le rôle des forces économiques et sociales et des mentalités collectives, université de Poitiers, 1968, thèse de troisième cycle, trois volumes, XXXVII-716 p. – Dictionnaire biographique du fouriérisme (www.charlesfourier.fr)