TERSON Jean

Par Notice revue et complétée par Philippe Régnier

Né le 21 janvier 1803 à Fa (Aude), mort le 9 janvier 1883 à Paris ; ancien prêtre catholique ; saint-simonien.

Ancien élève du collège de Sorèze, officier de marine, David de Terson, le père de Jean, était protestant, issu d’une famille aristocratique d’origine anglaise. Chevalier de Malte, il fut fait prisonnier par les Barbaresques et échappa de peu à l’esclavage. Franc-maçon, ce disciple de Voltaire et surtout de Rousseau accepta de se convertir formellement au catholicisme pour épouser une demoiselle catholique, Rose Teichère, fille d’un notaire de Fa. Sous la Terreur, il passa quelque temps en prison pour avoir protesté contre l’exécution de Louis XVI.
Jean Terson alla à l’école que son père avait ouverte à Quillan sous la Révolution. Il y fut éduqué selon les préceptes de L’Émile. Mais comme, d’autre part, le curé du lieu le pressait de songer à la prêtrise, son père l’envoya en apprentissage à Carcassonne chez un marchand drapier. L’immoralité du personnage incita d’autant plus le jeune homme à tourner ses regards vers la carrière ecclésiastique. Son père s’étant enfin laissé convaincre, Jean reprit ses études et entra au séminaire de Chambéry, puis, en 1822, à celui des Missions étrangères, à Paris. Quoique scandalisé par le luxe du clergé et plus convaincu, rapporta-t-il plus tard, par la morale que par le dogme, Jean Terson alla jusqu’à l’ordination et fut vicaire d’un riche curé à Fanjeaux, puis, en 1828, à sa demande, curé de Counozouls, un petit village de montagne perdu dans les Pyrénées. Ayant eu à s’occuper des indigents de sa paroisse, il s’y convainquit, expliqua-t-il rétrospectivement dans le langage de 1848, qu’au rebours de « l’organisation du travail », « la charité publique érigée en principe d’ordre social, équi[valait] à l’abâtardissement de l’espèce humaine, à l’effacement du sens moral, au crétinisme de la classe indigente ». En délicatesse avec son évêque qui prétendait l’obliger à interdire à ses paroissiens de danser le dimanche, Terson entreprit l’instruction primaire de la population et prit l’habitude de réunir les bûcherons le soir pour parler religion, philosophie et politique. Il entendit un jour la confession d’une jeune fille enceinte des œuvres d’un prêtre, qui était de surcroît son propre frère : il ne supporta pas que la malheureuse fût conduite au couvent, alors que le prêtre incestueux était confirmé dans son ministère. Peu après, tenaillé par le doute et en proie à des vélléités suicidaires, il se décida à quitter une Église qui vendait des messes, qui accablait d’innocentes pénitentes...
Après avoir quitté sa paroisse en 1831 avec l’intention d’aller se jeter dans l’Océan, Terson fit à Toulouse la rencontre d’anciens condisciples carcassonnais qui l’initièrent à leurs convictions saint-simoniennes. La lecture de la « Lettre de Prosper Enfantin* à Ferdinand François* et Peiffer*, chefs de l’Église de Lyon », entraîna sa conversion. Reçu au « troisième degré », Terson, abjura le catholicisme et fit une profession de foi, au cours d’une cérémonie publique qui fit grand bruit, à l’Athénée de Toulouse, le 15 janvier 1832. Ayant ensuite rejoint Ménilmontant, il y prit sa part des travaux manuels et apprécia de se trouver ainsi en « communion réelle (et non mystique) avec la classe la plus infime de l’ordre social ». Lors de la dispersion, Terson fut de ceux qui, en novembre 1832, sous la conduite de Casimir Cayol*, se rendirent à pied de Paris à Lyon pour y trouver de l’ouvrage et faire l’expérience du prolétariat. Aide-paveur, puis aide-tourneur sur métaux (à raison de deux francs pour douze heures de travail journalier), il exposait le soir la doctrine saint-simonienne à ses compagnons de travail et à leurs familles qui le prenaient pour un républicain camouflé et voyaient dans le saint-simonisme une ruse de guerre : « C’est de ce moment, c’est à Lyon, la grande ruche industrielle, que Jean commença à se passionner pour la classe ouvrière. Il ne voyait guère qu’elle, il ne se plaisait qu’avec elle. » Il se lia avec les canuts, mais fréquentait aussi les salons des « bourgeois humanitaires » comme celui de Mme de Montgolfier qui recevait l’élite de la ville et faisait exécuter les hymnes saint-simoniens de Félicien David* et Dominique Tajan-Rogé*. Déconseillant l’insurrection comme une impasse en raison de l’alliance nouvelle de la bourgeoisie avec la monarchie et réfléchissant sur les vices du capitalisme, Terson préconisait l’association des producteurs comme le seul remède. Au début de février 1833, en compagnie d’Alexandre Massol*, Achille Rousseau* et Paul Justus*, qui refusaient pareillement d’adhérer au compagnonnage d’Émile Barrault*, il partit pour Bordeaux (Gironde) en passant par Vienne (Isère), Tournon (Ardèche), Valence (Drôme), Nîmes (Gard), Montpellier (Hérault), Béziers (Hérault), Narbonne (Aude), Castelnaudary (Aude), Castres (Tarn) et Toulouse (Haute-Garonne). Terson séjourna quatre mois à Bordeaux. Ce serait, à l’en croire, d’une excursion à Libourne (Gironde), où son auditoire l’aurait poussé à déborder sur le terrain politique, qu’il serait revenu pénétré à jamais de « l’esprit de la Révolution ».
Terson décida alors de quitter l’habit saint-simonien pour en créer un autre bien à lui, « dans la pensée d’un apostolat plus sévèrement démocratique, d’une représentation plus humble de la classe la plus pauvre, la plus misérable ». Il se fit donc faire, en cuivre plein et poli, un carcan, une chaîne et une plaque, en forme de cœur, gravée, en lettres majuscules, de la formule « LE PEUPLE SOUFFRE !!! ». Ce collier brochait sur une jaquette et une large culotte de grosse toile bleue serrée aux genoux par un ruban du même tissu et tenue par une corde à la ceinture. Ne portant ni bas ni chaussures, Terson arborait en guise de coiffure une sorte de casque bas, fait d’une « peau noire et très velue », avec deux grandes lanières flottant de de chaque côté. Un sac de la même peau, une couverture adaptable en hamac et un grand bâton complétaient cet équipement avec lequel il entreprit, en juin 1833, de parcourir les Landes et de traverser les Pyrénées par la vallée d’Andorre, d’où le viguier lui conseilla de partir sans s’attarder, le Roussillon où il se fit lapider à l’incitation du curé, pour aboutir à Perpignan, où il fut emprisonné. Profitant de son succès de curiosité, il prêchait sur son passage une « organisation de la commune démocratique nouvelle ». Une famille de charbonniers l’admit à partager sa vie dans les bois de l’Ariège pendant trois semaines. Fêté à un endroit, lapidé dans un autre, mais ne passant jamais inaperçu, Terson prêcha son saint-simonisme démocratique de village en village et de ville en ville jusqu’à Marseille, où il arriva pour assister au départ pour l’Orient de ses frères en Saint-Simon, les Compagnons de la femme. C’est là qu’estimant sa tâche accomplie, il coupa sa barbe et reprit l’habit bourgeois.
De retour à Lyon, où il retrouva un milieu saint-simonien actif, Terson se fit précepteur puis teneur de livres (comptable), fréquentant à la fois les milieux ouvriers et le cabinet de lecture, la table et les soirées littéraires de Mme Durval, ou les soirées dansantes d’Arlès-Dufour*. C’est à cette occasion qu’il rencontra le préfet de Gasparin qui connaissait ses activités et souhaitait s’entretenir avec lui de la situation de la classe ouvrière lyonnaise, tout en le faisant surveiller. C’est l’agent-indicateur chargé de cette tâche qui, le 8 avril 1834, la veille de l’insurrection, le prévint qu’à l’occasion de la reprise du procès des mutuellistes, suspendu depuis le 5, un formidable traquenard était tendu contre ces derniers et les républicains. Pour preuve, il lui livra le détail des opérations. Terson informa de son mieux les intéressés en essayant de les persuader de la vanité des prises d’armes. Il fit valoir que la question de la forme politique du pouvoir, mise en avant par les instigateurs du mouvement, était secondaire en regard de la question économique et sociale. Mais il ne put qu’être un spectateur navré de la révolte. Quelques mois plus tard, apprenant que le peuple voulait prendre sa revanche, il publia une petite brochure, Un saint-simonien au peuple de Lyon. Il y combattait les légitimistes, le juste milieu, les républicains. Seuls les saint-simoniens comprennent ceux qui souffrent ; mais leur tâche est d’amener riches et pauvres à s’associer. Plus de politique ! L’organisation du travail. A un niveau individuel, c’est à l’intervention de Terson auprès d’Arlès-Dufour que la saint-simonienne républicaine Agarithe Caussidière* — sœur de Marc Caussidière* — dut alors l’obtention d’un passeport pour l’Égypte. L’année suivante, il renforça ses positions avec Le Cri du peuple.
Vers 1839, ayant pu faire assez d’économies pour remonter à Paris, Terson, tout en vivant d’écritures de commerce et de leçons particulières, continua son apostolat dans la capitale en y publiant des brochures de Dialogues populaires. En 1845, 1845, voulant créer une nouvelle organisation, il publia la Ligue nationale contre la misère des travailleurs, puis lança une revue, Les Droits du peuple, dont le mot d’ordre n’était autre que la fameuse devise saint-simonienne : « Toutes les institutions sociales doivent avoir pour but l’amélioration morale, physique et intellectuelle de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre. » Les objectifs étaient néanmoins plus subversifs et plus concrets qu’en 1830 : il s’agissait de mener une « enquête sociale permanente » et d’indiquer au peuple les « moyens légaux » de « conquérir pacifiquement » ses droits, ainsi la création d’« Athénées communaux » laissés à la libre initiative des municipalités et faisant fonction à la fois de bibliothèques publiques, de musées et de cabinets de lecture gratuits, d’ateliers sociaux, de caisses de retraite... Il critiquait en passant ses frères qui, après avoir juré de vivre une vie d’apôtres, étaient revenus au monde comme des saltimbanques decendu de leurs trétaux. Il tentait de démontrer qu’une réforme morale et politique pouvait permettre l’application du principe saint-simonien « A chacun selon ses capacités, à chaque capacité selon ses œuvres. » Dans cette même revue, Terson publia le début de ses Mémoires. Mais la justice gouvernementale ne tarda pas à réduire le périodique au silence. Le n° 8, ayant inséré un article de Pitois*, ancien secrétaire du maréchal Bugeaud, elle lui infligea un procès, une amende et quatre mois de prison. Du coup, la Revue indépendante de Leroux accueillit Terson à partir de mars 1846 pour une série de « Lettres sur la religion ». L’un des premiers souscripteurs des Droits du peuple fut Eugène Süe*, avec qui il était en relation, comme le prouve une lettre du 29 novembre 1844 que lui avait envoyée ce dernier et comme il l’indique lui-même dans ses Mémoires.
Naturellement en pleine sympathie avec la révolution de Février, Terson, qui avait visité les barricades fusil en main, mais sans tirer, faute, dit-il, de munitions, reçut de Caussidière mission d’aller expliquer les événements de Paris dans l’Allier : il y présida à la bénédiction d’un arbre de la Liberté par un prêtre et incita à la fraternisation entre ouvriers, moyenne bourgeoisie et militaires. En juin 1848, bien qu’il se fût abstenu, cette fois, assura-t-il, de participer aux combats, c’est sa notoriété de démocrate qui aurait suffi à provoquer son arrestation, sa déportation et sa détention en Algérie, à Bône, puis à Lambèse (où il se livra à l’archéologie), et enfin à Constantine.
Avant son arrivée en Afrique, il séjourna dans plusieurs prisons françaises, comme en témoignent des lettres adressées à Pecqueur. L’une, datée du 29 janvier 1849, du fort de l’Île-Pelée en rade de Cherbourg (Manche), évoquait ses « bons amis Pierre Leroux*, Agricol Perdiguier* et Rosa Bonheur* », ajoutant : « Dites à P. Leroux qu’il peut compter sur mon concours, le lendemain même de ma remise en liberté. (...) Mais l’œuvre principale et la plus urgente consiste à éclairer les populations de la campagne plongées dans l’ignorance et abandonnées aux mauvaises influences des prêtres et des bourgeois sans entrailles. » Une autre lettre est datée du 5 avril 1849, de la prison de Belle-Île-en-Mer (Morbihan). Elle indique qu’avec d’autres détenus, Terson avait organisé une école primaire et que les prisonniers attendaient des livres d’une libraire parisienne dont le mari partageait leur détention. Il cite encore P. Leroux, Schoelcher, Perdiguier... : « Puisqu’on nous laisse en prison [...], nous avons organisé une école primaire qui marche parfaitement, mais nous manquons de livres élémentaires [et] de quoi composer une bibliothèque publique ». Il ajoute : « Mme Leblanc, libraire 75 rue Rambuteau a reçu de son mari, détenu avec nous, les instructions nécessaires à l’effet de recueillir et de nous envoyer les livres qui lui seront remis à notre adresse [...] Je vais écrire à P. Leroux, à Victor Schoelcher* et à Perdiguier. Votre ami et frère J. Terson ».
C’est peut-être encore lui qui se trouvait parmi les prisonniers rassemblés à Brest (Finistère), sur le ponton La Guerrière en 1850 (Voir Tresson*).
Comme il refusait de demander la grâce qu’Arlès-Dufour et Enfantin se proposaient de lui faire obtenir, ce n’est qu’en 1861 qu’il fut libéré, à l’occasion de l’amnistie générale. Aidé par Charles Lemonnier* à son retour à Paris, il reprit ses activités de teneur de livres avant d’accepter de s’occuper de la comptabilité d’Alexis Petit*, dans sa propriété de Vauzelles, près de Chateauroux (Indre). Il se fixa dans cette campagne pendant une quinzaine d’années, jusqu’en 1881, année où le président de la Chambre, Henri Brisson, fit de lui un étrange bibliothécaire du Palais-Bourbon : il portait encore les cheveux flottants et la barbe des révolutionnaires de 1848. Ses derniers actes militants connus sont la publication, en 1881, d’une brochure anti-anticléricale : Supprimer le prêtre, serait-ce supprimer la religion ? et, en 1882, d’une utopie intitulée L’Idéalie.
En janvier 1883, Jean Terson partit pour Puteaux (Seine) et dîna dans une auberge. Après le repas, il vida ses poches, laissant sur la table ses papiers et sa montre puis se dirigea vers la Seine. Au milieu d’un pont, il se lia les mains et se jeta dans le fleuve. Il avait tout juste quatre-vingts ans.
Si précieux qu’ils soient, les Mémoires inédits de Terson sont à utiliser avec précaution. Influencés par le roman populaire, notamment par Eugène Sue*, dont Terson assure avoir été l’un des informateurs pour Les Mystères de Paris, ce qui semble incontestable pour certains faits particuliers, ils donnent en outre une image sans doute excessivement moralisante de leur auteur. Terson, qui relate ses tentatives chevaleresques pour sauver d’intéressantes personnes de la prostitution, se garde ainsi de rappeler que l’habit saint-simonien lui fut quelque temps retiré à Ménilmontant pour cause de fréquentations légères.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article38138, notice TERSON Jean par Notice revue et complétée par Philippe Régnier , version mise en ligne le 20 février 2009, dernière modification le 29 août 2019.

Par Notice revue et complétée par Philippe Régnier

ŒUVRE : Anonyme, Un saint-simonien au peuple de Lyon à l’occasion des événements d’avril 1834, Lyon, 1834, 15 p., in-8°. — Terson, ancien prêtre catholique, Le Cri du peuple, Paris-Lyon, 1835, 79 p. in-12. — Dialogues populaires sur la politique, la religion et la morale, Paris, 1839, 106 p., in-8°. — Ligue nationale contre la misère des travailleurs, ou Mémoire explicatif d’une pétition à présenter à la chambre des députés dans le courant de 1845, Paris, Librairie centrale de la Démocratie, 108 p. in-12. — Vérités et Mensonges, Paris, Librairie centrale de la Démocratie, 1845. — Les Droits du peuple, Paris, 1845, dont quatre numéros parurent de mai à septembre. — Mémoires de Terson, bibliothèque de l’Arsenal, Mss., fond Enfantin, nos 7786, 7787, 7788.

SOURCES : Bibl. Arsenal, Fonds Enfantin, en part. 7 787 et 7 788, et papiers en provenance d’Henri Brisson entrés en 1995. — IISG, Amsterdam, Fonds Pecqueur, correspondance numérotée, CN 15 et CN 16. — Le Globe, 23 février et 15 mars 1832. — H.-R. d’Allemagne, Les Saint-simoniens, 1827-1837, Paris, 1930, p. 277. — Marcel Emerit, « Les Mémoires de Terson, déporté de 1848 », Revue Africaine, Alger, 1948, p. 1-7, qui énumère les ouvrages de Terson. — Marcel Emerit, « La révolte des canuts (1834) vue par Terson, informateur d’Eugène Sue », Actes du quatre-vingt-neuvième congrès national des Société savantes, Lyon, 1964, section d’Histoire moderne et contemporaine, tome II, (volume I), Paris, Imprimerie nationale, 1965, p. 351-365. — Marcel Emerit, « Un curé de l’Aude atteint du mal du siècle : Jean Terson », Actes du 102e congrès national des Sociétés savantes, Paris, Bibliothèque nationale, 1978, p. 351-360. — Daniel Fabre, présentation et notes à : Terson J., Mémoires d’un apôtre saint-simonien, FAOL, Carcassonne, 1978, et, en préparation, Jean Terson, piéton de l’utopie. — Daniel Fabre, « Terson Jean », Les Audois. Dictionnaire biographique, sous la direction de Rémy Cazals et Daniel Fabre, Carcassonne, 1990. — Notes de Jean Risacher et Jacques Thbaut.

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