TISSOT Pierre, François

Par Sylvain Goujon (Lausanne)

Né à Versailles le 10 mars 1768, mort à Paris le 7 avril 1854, proche des républicains égalitaires et des babouvistes de 1792 à 1800, libéral d’avant-garde sous la Restauration.

Après de bonnes études, Tissot entra chez un procureur au Châtelet et s’y lia en 1786 avec Goujon, le futur Conventionnel dont il épousa la sœur en 1793. Dans une lettre inédite, Goujon lui écrivait le 4 février 1789 : « J’oubliais de vous féliciter de vos grands travaux ; il me semble déjà vous voir divisant par égales portions le parc de Versailles, ramassant toutes ses productions dans un grenier commun et les distribuant avec une scrupuleuse égalité. »
Le renvoi de Necker jeta les deux amis à la recherche d’armes dans Paris insurgé. Le 21 mai 1790 ils se retirent à Meudon, lisent Rousseau, Mably, Diderot (et sans doute Morelly), approfondissent leur opposition « à la liberté illimitée du commerce des grains ». Admis en 1791 à la Société des Amis de la Constitution, de Sèvres, ils participèrent dès le 29 août aux travaux de la société sœur de Versailles dont Dolivier était membre (Bibl. de Versailles, Ms. : 568-569 F). Tissot fut appelé à la présider en mars 1792.
Après la chute de la monarchie, Tissot fut attaché au bureau de Goujon élu procureur-général syndic de Seine-et-Oise. La campagne de Goujon en faveur du maximum et d’une organisation centralisée des subsistances finit par porter ses fruits : le 8 brumaire an II, il fut nommé président de la Commission des subsistances et approvisionnements qui venait d’être créée. Tissot l’y suivit en tant que secrétaire-général et, du 17 au 24 brumaire, y fut brièvement en contact avec Babeuf. Il démissionna comme Goujon en ventôse et entra à la Commission d’agriculture et des arts. De messidor à fructidor, il accompagna Goujon dans sa mission aux armées du Rhin et de la Moselle, marquée par de vastes mesures de déchristianisation.
Le 25 brumaire an III, Tissot fit l’objet de poursuites pour avoir tenté de reconstituer le club des Jacobins dissous. Du 15 germinal au 7 floréal, il fut détenu au Plessis, prison truffée de futurs babouvistes, « prévenu d’être l’un des auteurs de l’insurrection du douze germinal » (Arch. Nat., F 7/4775-31). Le 5 prairial, sa section décida son arrestation « comme prévenu d’avoir tenu, le 1er prairial, des propos tendant à l’avilissement de la représentation nationale et à fomenter la rébellion qui a éclaté le même jour » (F 7/2509). Tissot entra dans la clandestinité et s’efforça en vain de sauver Goujon et ses collègues. Dans un manuscrit inédit, il relate qu’il entendit « avec joie trois ouvriers se dire entre eux, en montrant la rue des Capucines [où siégeait la Commission militaire] : « Voilà, la rue des assassinats. »
Après l’amnistie de brumaire an IV, Tissot composa avec Buonarroti* un Chant de famille en l’honneur de Goujon, dont il publia plusieurs écrits qui obtinrent un grand succès dans les milieux démocrates, entraînant en particulier des éloges de Goujon dans le n° 36 du Tribun du Peuple, le Journal des Hommes libres du 23 frimaire et l’Orateur plébéien du 25. Tissot était intimement lié avec Antonelle* qui dîna chez lui le 29 nivôse et lui ouvrit les colonnes de son journal. Retiré au faubourg Antoine, Tissot travailla avec sa famille dans une manufacture d’aiguilles, petite rue de Reuilly, n° 8, adresse où la mère de Goujon était abonnée au Tribun du Peuple. Selon un informateur babouviste, le serrurier Albane, qui en avertit Cazin le 14 floréal, Tissot aurait été menacé de la police par un de ses supérieurs, s’il continuait à s’élever contre les vols et dilapidations commis par des administrateurs de cette maison nationale (F 7/4276).
Un rapport de police, antérieur à l’arrestation des babouvistes, signale Tissot parmi les hommes qui conspirent contre le gouvernement (ibid.). Il est possible que Tissot soit le « citoyen T » contacté par Paris et qui, sympathisant, ne put toutefois accepter de responsabilités dans la conspiration à cause de sa présence avec toute sa famille dans une maison nationale, et la poursuite, malgré la maladie, d’un ouvrage « consacré à soutenir la Démocratie à honorer ses défenseurs et ses martyrs » (F 7/4277, rapport de Paris du 19 germinal). Quoi qu’il en soit, Tissot, vu ses liaisons et sa notoriété politiques, son origine et ses compétences, est très probablement le Tissot désigné par le Directoire secret pour la Seine-et-Oise parmi les démocrates à adjoindre à la Convention nationale ; comme agent pour les subsistances au Conseil général de la Commune et, dans la même fonction, sur la liste des Commissions ministérielles (F 7/4277).
Les babouvistes arrêtés, Tissot composa une défense, mais un espion lut son travail et le dénonça, écrit-il dans des notes inédites. Le fait est que le 6 prairial un nommé Malherbe, qui signe « ex-général » une lettre provocatrice à Tissot, et « votre collègue et ami » à Rossignol, les dénonçait tous deux auprès de Carnot et de Cochon (F 7/4276). Le 23 messidor, Pérouse, détenu au Plessis, rapporta une conversation qui aurait été tenue entre Gagnant, ex-administrateur de police, et le journaliste Lebois, selon laquelle le « nommé Tissot était le principal auteur de ce mouvement qui avait existé et de ceux qui devaient avoir lieu dans Paris » (F 7/4276).
Comme beaucoup d’autres, contre lesquels un mandat d’arrêt avait été décerné dès le 24 floréal, Tissot échappa à l’arrestation, bénéficiant peut-être d’une confusion homonymique avec Tissot de Trévoux, désigné pour l’Ain, et Tissot tailleur d’habits qui abrita Babeuf au moment de son arrestation, que ces deux personnages fussent distincts ou non. En contact avec les conjurés de Grenelle, Tissot les avertit qu’ils couraient à leur perte et détourna des patriotes — probablement du faubourg Antoine — de se joindre au mouvement dont il soupçonnait le projet connu de la police (Tissot : Histoire complète de la Révolution..., t. VI, (1837), p. 160-161).
Après le remaniement ministériel du 26 messidor an V, Tissot entra au ministère de la Police, comme chef du bureau particulier. Il s’efforça d’appliquer les mesures répressives décrétées au lendemain du coup d’État du 18 fructidor, mais fut paralysé par la mollesse du bureau central parisien contre laquelle il protesta furieusement.
Le 28 germinal an VI, Tissot fut élu par l’assemblée de l’Oratoire au conseil des Cinq-Cents. L’observateur gouvernemental le désigne comme un des « coryphées de l’anarchie » (AF III/261). Brochure et placard l’accusent de babouvisme (AF III/100). Son élection fut annulée.
Tissot racheta alors, le 25 prairial an VII, la maison nationale de la petite rue de Reuilly à la République, et développa une modeste activité industrielle (AF III/608, pl. 4250).
Le coup d’État du 30 prairial et le retour des républicains prononcés au pouvoir le ramena au ministère de la Police, occupé par Fouché, qui se sépara assez vite de lui, peut-être à cause de l’activité de Tissot à la tribune du club du Manège où il réclama l’épuration des fonctionnaires. Tissot se consacra alors à l’édition des Souvenirs de la journée du 1er prairial an III et à une traduction en vers des Bucoliques.
En nivôse an IX, il fut incarcéré à la suite de l’attentat de la rue Saint-Nicaise. Monge et Berthollet, ses anciens collègues, le sauvèrent de la déportation au dernier moment.
Protégé ensuite par François de Nantes, Tissot fut employé dans l’administration des droits réunis. Rallié à l’Empire, il devint rédacteur de la Gazette de France, professeur de poésie latine au Collège de France en 1813. Sous la Restauration, il occupa une place en vue dans le journalisme politique : rédacteur du Constitutionnel, du Journal du commerce, collaborant à la Minerve, au Mercure, à l’Encyclopédie moderne, fondant le Pilote, journal agressivement libéral que le pouvoir écrasa. En 1821, Tissot fut chassé de sa chaire et révoqué.
Tissot entra en relations avec le saint-simonien Léon Halévy* qui lui écrivait le 17 mars 1827 : « C’est à vous que j’ai dû les premiers encouragements que j’ai reçus dans la carrière des lettres. »
Tissot retrouva sa chaire après la révolution de Juillet, qu’il appelle plaisamment « sa restauration », et entra à l’Académie française en 1833. Il publia son Histoire complète de la Révolution française, en six volumes, qui connut plusieurs éditions et une réédition partielle par Charles Ribeyrolles en 1850. Devenu infirme et presque aveugle, il participa néanmoins à l’agitation réformiste contre Guizot et présida en 1846 une réunion politique, place des Petits-Pères, que la police ferma parce qu’on y réclamait l’adjonction des « notabilités » au corps électoral.
En 1848, Tissot, malgré ses quatre-vingts ans, montra son enthousiasme républicain.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article38321, notice TISSOT Pierre, François par Sylvain Goujon (Lausanne), version mise en ligne le 20 février 2009, dernière modification le 3 décembre 2017.

Par Sylvain Goujon (Lausanne)

ŒUVRES : Outre l’Histoire complète, retenons d’abord parmi les nombreux ouvrages que publia Tissot, les écrits de son beau-frère Goujon, qu’il fit paraître en l’an VIII : Souvenirs de la journée du 1er prairial an III (Bibl. Nat., Lb 41/1820) et Défense du représentant du peuple Goujon (Bibl. Nat., Lb 41/1861). — De ses propres écrits de l’époque révolutionnaire, mentionnons seulement : Adresse de la Société des amis de la Constitution de Versailles à l’Assemblée nationale, le 21 juin 1792 (Bibl. Nat., 8° Le 33/3 x, in-8°, 4 pp.), mais notons cependant qu’il y aurait sans doute à glaner dans ses rapports administratifs manuscrits et imprimés (ces derniers échelonnés de fructidor an II à nivôse an III). — Très probablement franc-maçon et d’un haut grade, Tissot est l’auteur vraisemblable de : L’unique et parfait tuileur, in-8°, 80 pp., 1812 (Bibl. Nat., 8° H. 2247). — La collection du Pilote à la Bibliothèque nationale (Fol. Lc 2/2803) part du 24 décembre 1821 et s’arrête, incomplète, le 24 mai 1827.

SOURCES : Arch. Nat., AF III/100, 261, 608 ; F 7/2509, 4276, 4277, 4775 (31). — Les papiers privés des héritiers de Goujon et les papiers Tissot, retrouvés en Corse, ont été acquis en 1965 par la Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne, où ils sont en cours de classement. — Paul Fromageot : « Pierre-François Tissot (1768-1854) » in Revue de l’histoire de Versailles et de Seine-et-Oise, 1901, pp. 255-267. — L. Thénard et R. Guyot, Le Conventionnel Goujon (1766-1795), Paris, 1908, XVII + 243 pp. — W.-C. Holbrook : « Tissot premier historien des derniers Montagnards, documents inédits », in Annales historiques de la Révolution française, 1937.

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