VINÇARD aîné, dit aussi VINÇARD Jules [VINÇARD Louis, Edmé, Jean, Baptiste, dit]

Né le 12 thermidor an IV (30 juillet 1796) à Paris, section de la Cité, mort le 12 novembre 1882 à Saint-Maur-des-Fossés (Seine, Val-de-Marne) ; artisan, chansonnier et propagandiste saint-simonien ; animateur de La Ruche populaire ; installé à Saint-Maur-des-Fossés (Seine, Val-de-Marne).

Il existe des confusions sur son prénom et il subsiste des incertitudes. Dans Mémoires épisodiques..., Vinçard indique celui de Jules comme étant celui de son frère cadet, mort en bas âge. Georges Lubin, dans le volume 4 de la Correspondance de George Sand donne l’état civil que nous utilisons (repris par D. Armogathe et J. Grandjonc dans l’édition de Flora Tristan, Union ouvrière). Dans A. Dantès, Dictionnaire biographique et bibliographique, on trouve « L.-Edme ». Jusqu’en 1865, il signe toujours Vinçard ou Vinçard aîné ; c’est à compter de cette date qu’il signe Jules.

Né à la fin du XVIIIe siècle dans le quartier populaire de l’île de la Cité, Jules Vinçard fut sans conteste le plus important chansonnier saint-simonien. Sa mère était ravaudeuse, blanchisseuse de bas de soie et vendait dans la rue des vêtements d’enfants confectionnés avec des débris de vieux habits. Son père ouvrit un atelier de mesure linéaire en 1806. Jules ne fut pas scolarisé et sa mère se chargea de lui apprendre à lire. Un maître d’écriture vint compléter son instruction entre sa treizième et sa seizième année. Il entra en apprentissage chez un menuisier en 1811 mais son père, qui avait déjà perdu un fils au combat, le fit entrer, en 1814, à la fabrique d’armes de Versailles pour lui éviter les rigueurs de la conscription en cette période de guerres impériales.

Licencié au moment de l’invasion avec tous ses collègues, il se fit embaucher comme aide chez un boulanger, mais ne tarda pas à rejoindre l’atelier paternel. Les affaires y marchaient plutôt bien, les commandes affluaient et de nombreux ouvriers furent recrutés. Parmi ceux-ci, Jules Vinçard se lia d’amitié avec un certain Jean Marchand, qui connaissait la grammaire, lui fit lire des livres et le poussa à étudier pour parfaire sa connaissance du français et apprendre la musique. Tous les deux fréquentaient les goguettes, notamment les Enfants de la folie, où ils rencontrèrent des personnalités comme Debraux ou les frères Favard et y proposèrent leurs premières chansons. Dans ses Mémoires épisodiques d’un vieux chansonnier saint-simonien, Vinçard insiste sur le rôle politique de ces sociétés pendant la Restauration : véritables écoles de patriotisme, elles préparèrent efficacement les Trois Glorieuses.

En 1831, deux événements marquèrent l’existence de Jules Vinçard : la mort d’une mère particulièrement chérie et son affiliation à la religion saint-simonienne où il se fit tout de suite remarquer grâce à ses qualités de chansonnier. L’intérêt porté par « la doctrine » à l’éducation des ouvriers et à la figure de l’artiste permit à une personnalité comme Jules Vinçard de se sentir très valorisé au milieu de ses nouveaux compagnons. Lors de la scission opposant les partisans de Bazard à ceux de Prosper Enfantin, il prit ses distances et manifesta quelques réticences face aux emportements mystiques de ce dernier dont il n’acceptait pas toutes les idées, en particulier l’infaillibilité sacerdotale du « Père », la hiérarchie, le refus du suffrage universel : en somme tout l’autoritarisme hiérarchisé du système. Pour cette raison, il se tint au début à l’écart de la retraite de Ménilmontant. Pourtant lors du procès des membres de la retraite de Ménilmontant, il composa une chanson de solidarité présentée dans les goguettes, mais l’accueil fut assez froid. Il chercha à écrire des refrains lui permettant de diffuser les idées saint-simoniennes – Nouveaux chants saint-simoniens, Foi nouvelle (1835) - et composa des hymnes entonnés pour célébrer le retour à Paris des missionnaires qui avaient accompagné Enfantin. Les membres de la « famille » restés à Paris avaient alors pris l’habitude de se réunir dans un local loué par Vinçard qui, après avoir écrit des vers en l’honneur de George Sand, entra en contact et engage une correspondance avec la célèbre femme de lettres.

En 1839, après la retraite du Père Enfantin et le départ de nombreux adeptes, le chansonnier prit l’initiative de transformer les réunions saint-simoniennes en comité de rédaction de La Ruche populaire, mensuel qui voulait donner la parole aux seuls ouvriers pour défendre les « intérêts populaires ». Outre les ouvriers saint-simoniens on y retrouvait des ouvriers déçus par le régime de Louis-Philippe, des fouriéristes comme Michel Derrion, qu’il rencontra à Lyon, des babouvistes, etc. Il espérait ainsi détacher des ouvriers républicains des sociétés secrètes, mais il semble qu’au contraire beaucoup d’ouvriers saint-simoniens travaillés par les sociétés secrètes passèrent alors au socialisme révolutionnaire. En dehors de ces arrière-pensées politique, La Ruche populaire vit le jour au moment où le mouvement des poètes-ouvriers commençait à prendre son envol. Ce sont d’abord les auteurs se réclamant de ce courant qui trouvèrent un accueil chaleureux dans les colonnes du nouveau périodique. Vinçard lui-même y publia plusieurs de ses chansons. « Appel », un hymne reprenant les thèmes pacifistes, universalistes et d’apologie du peuple travailleur des adeptes de la « doctrine », parut dès le premier numéro. En juin 1840 nous trouvons « Conseils aux pauvres gens » – le progrès et l’intelligence contre la spéculation –, en octobre 1840 « Élan » – celui du progrès qui mène à l’égalité –, en mai 1841 « Attente » – que l’inspiration permette au poète de défendre le prolétaire –, en juillet 1841 « Le Chant des travailleurs » – l’annonce de la victoire prochaine du travail, des beaux-arts et de l’industrie sur la guerre et l’exploitation –, en août 1841 « Le Prolétaire » – malgré sa misère il aime, il chante, a bon cœur et donne au monde toutes ses richesses –, en septembre 1842 « Travail et Chant ». Dans le même esprit il participa au recueil Poésie sociale des ouvriers qu’Olinde Rodrigues, un autre saint-simonien célèbre, fit paraître en 1841. Nous y retrouvons les mêmes pièces que dans la Ruche (« Attente », « Appel », « Elan ») ainsi que deux titres originaux : « Invocation » et « La Bonté ». À une époque où la note patriotique, belliciste et parfois franchement chauvine dominait, les chansons de Vinçard se singularisaient par leur fidélité à la doctrine pacifiste des saint-simoniens.

En 1843 il collabora aussi à L’Union bulletin rédigé et publié par des ouvriers. Pendant toute cette période, Vinçard continua à fréquenter assidûment les goguettes et notamment l’Enfer – il était présent lorsque la police dissolut cette assemblée – et la Lice chansonnière où il retrouvait de nombreux chansonniers comme Louis Festeau, qu’il convertit au saint-simonisme, ou Charles Gille. Ce dernier prépara alors le recueil La Chanson de nos jours qui parut en deux volumes en 1844. Vinçard y inséra certains de ses chants déjà publiés dans la Ruche ou dans Poésie sociale (« Appel » et « Attente » dans le premier volume ; « Le Chant des travailleurs », dans le second) ainsi que quelques nouveaux refrains : « Ramons tous à bord » – un hymne pacifiste –, « Le Siècle » – contre le journal accusé d’avoir trahi les Trois Glorieuses et de se faire l’écho des seuls intérêts mesquins de la bourgeoisie –, « La Paille et la poutre » – contre « nos fesse-mathieu bourgeois ».
Après avoir écrit une Histoire du travail et des travailleurs, publiée en deux volumes en 1845 et 1846, il vendit le fonds et les outils de la fabrique de mesures linéaires au lendemain de la mort de son père survenue en juin 1846. L’activité chansonnière et la participation aux goguettes mirent Vinçard en contact avec de nombreux républicains qui l’influencèrent et donnèrent à ses couplets une tonalité parfois un peu originale par rapport aux autres saint-simoniens. Il reconnaît dans ses Mémoires avoir participé à plusieurs réunions de démocrates et notamment, comme ancien directeur de la Ruche populaire, à la société des journalistes dite de La Réforme électorale.

En 1848, nous le retrouvons, avec son célèbre « Appel aux travailleurs », dans le recueil Les Républicaines comme dans le Républicains lyrique. Il collabora au Spectateur républicain de Ch. Duveyrier et L. Jourdan, posa sans succès sa candidature à la Constituante avec une profession de foi très républicaine et participa en 1850 à L’Almanach du peuple préfacé par Greppo. Grâce à un ami de la Lice il trouva une place aux ateliers nationaux, en qualité de commis aux écritures et le 20 juin 1848, il demanda l’autorisation d’établir un atelier d’apprentissage devant s’autofinancer au bout de trois mois, pour deux à trois cents enfants détenus à la Roquette.
Après le coup d’État il continue à participer à la Lice où il présenta notamment Le Travail qui obtint le premier prix d’un concours organisé pour la préparation de l’Exposition universelle de 1855, en partie grâce à un ami d’Enfantin secrétaire de la Commission des récompenses. Il se fit alors construire une petite maison à la campagne à Varenne-Saint-Maur, où il compose notamment la Ronde de Saint-Simon ou Bonhomme et s’occupa de la fondation d’une société de secours mutuel pour les adeptes de la « doctrine ».
Par l’entremise d’Auguste Perdonnet, ancien saint-simonien et administrateur de la Compagnie de l’Est, il se vit alors offrir vers 1860 un emploi alimentaire de « surveillant des plantations », chargé de l’entretien des haies vives plantées le long des voies ferrées.
En 1865 il fut à l’origine de la publication de La Mutualité, Journal du travail, des sociétés coopératives et de secours mutuel, qui paraissait à Bruxelles et auquel collaborait son neveu Pierre Denis Vinçard. Il y donna de nombreux articles presque tous consacrés aux problèmes du mouvement coopératif. En 1866, J. Vinçard s’intéressait aux comités qui aidaient à la constitution des sociétés coopératives parisiennes et collabora à La Nouvelle gazette des abonnés. À Paris, il est l’associé de « L’Universelle », coopérative connue de Valence (Drôme). Il écrivit également à cette date pour L’Économiste français, journal dirigé par Jules Duval, dans lequel il tenait une « chronique du travail et de la coopération » et, en 1867, dans Le Nouvelliste judiciaire. Son dernier projet, qu’il ne put mener à bien, était d’écrire une « Histoire du peuple français ». Ses Mémoires parurent en 1878.

Il mourut à 90 ans à Saint-Maur-des-Fossès où il habitait avec sa femme, Catherine, Victoire Buchette, 73 ans, 44 rue Bourdignon. Son acte de décès présentait Louis, Edme, Jean-Baptiste Vinçard comme étant né à Paris, fils de Jean-Baptiste Vinçard et Marie Thérèse Françoise Millot.
Il était le père de Marie Vinçard et l’oncle de Pierre Vinçard.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article38813, notice VINÇARD aîné, dit aussi VINÇARD Jules [VINÇARD Louis, Edmé, Jean, Baptiste, dit], version mise en ligne le 20 février 2009, dernière modification le 29 juin 2021.

ŒUVRES : Chansons de Vinçard, Paris, sd . — La Ruche populaire, journal des ouvriers rédigé et publié par eux-mêmes sous la direction de Vinçard, 10 volumes de décembre 1839 à décembre 1848 . — Mémoires d’un vieux chansonnier saint-simonien, Paris, E. Dentu, 1878 . — Plusieurs chansons dans Olinde Rodrigues, Poésie sociale des ouvriers, Paris Paulin, 1841 et dans Charles Regnard et Charles Gille, La Chanson de nos jours. Chansons populaires contemporaines, Paris, 1844.

SOURCES : AN, ABXIX 730, BB30 315 n°1086. — Philippe Darriulat, La Muse du peuple, chansons sociales et politiques en France 1815-1871, Rennes, PUR, 2010. — Christine Donat, « La Chanson socialiste utopique à l’époque de la monarchie de Juillet – les exemples de Vinçard aîné et de Louis Festeau. », dans Dietmar Rieger, La Chanson française et son histoire, Gunter Narr Verlag, Tübingen, 1988, p. 149-165. — Pierre-Léonce Imbert, La Goguette et les goguettiers, étude parisienne, 3e édition augmentée avec six portraits à l’eau forte par L. Bryois, Paris, 1873. — Ralph P. Locke, Les Saint-simoniens et la musique, Liège, Mardaga, 1992. — Flora Tristan, Lettres réunies, présentées et annotées par Stéphane Michaud, Paris, Seuil, 1980. — État civil : acte de décès. — A. Perdonnet, C. Polonceau, Portefeuille de l’ingénieur des chemins de fer, 2e éd., 1861. — Jean-Loup Dulhoste, « Haies vives pour lignes vertes. Le plaidoyer d’un ancien ouvrier saint-simonien », Historail, n°49 (2019), p. 86-91. — Notes de Georges Ribeill.

ICONOGRAPHIE : P. Brochon, Le Pamphlet du Pauvre, Éditions Sociales, 1957, p. 22 (d’après Bibl. Nat., estampes).

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