VOYER D’ARGENSON Marc, René

Marc-René-Marie le Voyer de Paulmy, marquis d’Argenson. Né à Paris le 17 septembre 1771, mort à Paris le 1er août 1842, petit-fils du secrétaire d’État à la Guerre de Louis XV, Marc-Pierre (1696-1764), petit-neveu du ministre d’État de Louis XV, Marc-Antoine-René (1694-1787), républicain égalitaire de la monarchie de Juillet, ami de Charles Teste et de Buonarroti.

Orphelin de bonne heure, Marc-René Voyer d’Argenson était lieutenant de dragons en 1789. Jeune noble libéral, il embrassa la cause révolutionnaire aux côtés de La Fayette, le « héros des deux mondes ». Il devint l’aide de camp de La Fayette, pour qui il conserva toujours des sentiments d’amitié, mais il ne le suivit pas dans sa défection d’août 1792. S’il abandonna l’armée en 1793, ce fut surtout pour des raisons de famille. Il alla à l’étranger, puis en revint, ce qui, comme à beaucoup d’autres lui rendit malaisé de prouver que son intention n’avait pas été d’émigrer. L’émigration de fait fut quand même absoute et il se retira sous le Directoire sur ses terres de Touraine restituées.
Il y mena l’existence d’un agriculteur éclairé, féru d’agronomie à l’anglaise, et d’un bourgeois philanthrope. Il épousa la veuve du prince de Broglie et veilla sur l’éducation des enfants du disparu.
De temps à autre, il allait visiter les forges que sa famille possédait en Alsace, et spécialement à Oberbrück (Haut-Rhin). Sous l’Empire surtout, il apporta à l’exploitation et à la technique métallurgique des améliorations empruntées à l’Angleterre.
Napoléon Ier sut quelque chose de ses activités et de ses talents et désira qu’il entre au service de la machine administrative impériale.
Ainsi, Marc-René d’Argenson devint-il, en mai 1809, préfet du département belge des Deux-Nèthes, chef-lieu Anvers.
Napoléon 1er croyait sans doute s’attacher un homme d’ancien régime, portant un des plus grands noms de la noblesse de robe, au moment où il éliminait une partie du personnel administratif d’origine révolutionnaire. Il se trompait lourdement.
Voyer d’Argenson dirigea, certes, avec compétence les travaux de transformation du port d’Anvers, mais pas plus qu’il n’avait désiré être un courtisan du trône aux fleurs de lys, il ne se transforma en courtisan du trône aux abeilles d’or. En conflit avec les bureaux de Paris, pour manque de souplesse, il fut suspendu en 1811 et donna sa démission le 12 mars 1813.
Louis XVIII restauré, Voyer d’Argenson déclina l’offre de la préfecture de Marseille, fin mars ou début avril 1814. Les Bourbons, raisonnant aussi faux que Napoléon Ier, s’étaient imaginés que le grand seigneur, dégoûté de l’Empire, se précipiterait à leur service. Ils n’avaient pas compris que ce qui intéressait Voyer d’Argenson, c’était le service public, au sens le plus noble et le plus général de l’expression.
Voyer d’Argenson n’accepta que d’être représentant de Belfort (Haut-Rhin) à la Chambre des Cent-Jours. Même si ses opinions n’étaient pas explicites, elles le situent déjà parmi les républicains de sentiment pour qui le général Bonaparte représentait autre chose que l’empereur Napoléon.
Après Waterloo, Voyer d’Argenson fit partie d’une délégation de la Chambre auprès du commandement allié, délégation qui demanda vainement l’ouverture de négociations.
Aussi, à la Chambre introuvable, Voyer d’Argenson siégea-t-il parmi les députés d’extrême-gauche. Il se prononça contre la terreur blanche, pour la liberté de la presse, pour la liberté des cultes et pour la liberté économique, y compris le libre-échange.
Il se distinguait comme maître de forges aussi et, parmi eux, comme l’un de ceux qui ne réclamaient pas des droits protecteurs contre les fers anglais.
C’est à ce double titre qu’il attira l’attention de Claude-Henri de Saint-Simon* et qu’il encouragea à son tour de ses subsides L’Industrie de Saint-Simon vers 1818. Jusqu’où allèrent les contacts, c’est ce que seules des lettres pourraient révéler, s’il en existe encore.
En 1823, Voyer d’Argenson fut du petit nombre des députés qui s’opposèrent à l’expulsion de Manuel.
Battu en 1824, Voyer d’Argenson fut réélu en 1828 et démissionna en 1829. Il appartenait dès lors aux milieux politiques pour qui les Bourbons devaient disparaître, en entraînant avec eux les institutions vermoulues.
Il applaudit à la révolution de 1830. Et le 6 août, avant l’installation du roi des Français Louis-Philippe sur le fauteuil du roi de France Charles X, il précisait pour « un rédacteur de journal » dans une brochure datée des Forges d’Oberbrück, ce que devaient être les temps nouveaux.
Il s’étonnait que ces temps nouveaux ne commencent pas par une sévère épuration (le terme n’est pas dans la brochure, mais le sens est celui-là). Il signifiait en outre que le « but des combattants de Juillet » c’était « le soulagement du peuple ». Il déclarait enfin que le « premier soulagement que vous devez aux classes laborieuses » ne saurait être que l’abolition des taxes sur le sel et les boissons ainsi que la réduction de la taxe sur le tabac. Du changement de monarque, point question. De la forme républicaine de l’État, pas de mention expresse. L’essentiel, c’est, sinon une révolution sociale, du moins un rajustement social.
Voyer d’Argenson l’emporta comme député de Chatellerault (Vienne) le 3 novembre 1830. Il prêta serment à Louis-Philippe et à la Charte de 1814 rajeunie, avec difficulté, désirant ajouter à son serment la restriction suivante : « sauf le progrès de la raison publique ». Il se soumit à la formalité quand on lui posa l’alternative, serment ou invalidation, mais siégea ouvertement dans la minorité républicaine.
Il intervint à diverses reprises, subventionna la presse républicaine, paya les amendes du National et celles de feuilles plus intéressées que le journal d’Armand Carrel à la « question sociale ». Il soutint les associations luttant pour la liberté d’expression et des personnes.
En 1833, Voyer d’Argenson était membre de la Société des droits de l’Homme, dont il signa le Manifeste et publia à ses frais une courte brochure de quatre pages à laquelle Charles Teste* avait collaboré : Boutade d’un riche à sentiments populaires. Auguste Mie l’imprima. C’était un imprimeur républicain de tendance égalitaire, établi à Paris, 9, rue Joquelet. Voir Auguste Mie *
Nous retiendrons deux phrases de la Boutade : « Toute richesse vient du travail et ne peut avoir d’autre origine », et « ainsi, c’est à [ses] quinze millions de travailleurs que la patrie est redevable de son revenu annuel de huit milliards. » Ces deux phrases prouvent que Voyer d’Argenson n’avait pas mal retenu les leçons de Saint-Simon. La Boutade fut traduite en allemand en 1834 et imprimée par Schuler, à Strasbourg. Elle valut à Charles Teste, à Voyer d’Argenson et à Auguste Mie d’être poursuivis, et acquittés par le jury.
À la Chambre, Voyer d’Argenson et Pierre Audry de Puyraveau* contre-attaquaient vivement les ministres de Louis-Philippe, le 6 janvier 1834. Enthousiaste, la Société des droits de l’Homme et du citoyen faisait aussitôt imprimer leurs discours. La brochure se vendit bien, car Etienne Cabet* la réédita comme 18e publication du Populaire.
Proche des Égaux par la pensée, Voyer d’Argenson recueillit chez lui Philippe Buonarroti* à la fin de sa vie. Il participa, ainsi que Charles Teste, à la défense des accusés au Procès d’avril (1835), ayant tenté en vain de visiter avec Auguste Blanqui* les prisonniers de Sainte-Pélagie.
Il semble que si les raisons de son retrait de la vie politique restent aussi peu claires que celles qui l’avaient déterminé à préférer la Vienne au département du Haut-Rhin aux élections législatives de novembre 1830, hormis éventuellement l’âge, il ne s’est pas fait radicalement. Il est daté généralement de l’été 1836, lorsqu’il se retira à La Grange par La Haye Descartes (Indre et Loire), comme en témoigne une lettre qu’il adressa à Cabet (conservée à Amsterdam IISG, Archief Cabet). L’on sait aussi qu’il ne devait pas être sur place pour signer l’Appel au Peuple de Paris du Comité de la Société des Saisons du 12 mai 1839. Cependant, lors de perquisitions opérées au domicile de Jean Charles*, le trésorier des Saisons et chez qui les dirigeants de la Société se réunissaient régulièrement, l’on découvrit un Programme électoral de Voyer d’Argenson datant de 1837, sans doute au moment de la dissolution de la Chambre qui eut lieu le 3 octobre. Ce qui prouve bien qu’il n’était pas si loin et que sa signature de 1839 n’était forcément usurpée...
Il revint aussi à Paris pour y mourir.
Des articles nécrologiques parurent : anonyme dans La Fraternité, août 1842, n° 16, p. 82, et d’Henri Bonnias dans l’Almanach icarien pour 1843, p. 129-131.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article38909, notice VOYER D'ARGENSON Marc, René, version mise en ligne le 20 février 2009, dernière modification le 26 novembre 2018.

ŒUVRES : Outre de nombreux discours parlementaires imprimés officiellement et une participation aux écrits relatifs à La Fayette (mort en 1834), Voyer d’Argenson a fait paraître Lettre à un rédacteur de journal, in-8°, 8 pp. (Bibl. Nat., Lb 51/1924), dont la traduction allemande s’intitule Unwille eines von volksthümlichen Geiste beseelten Reichen (von Voyer d’Argenson), in-8°, 4 pp. (Bibl. Nat., Lb 51/1925). — Lettre de M. Voyer-d’Argenson, adressée à MM. les électeurs de l’arrondissement de Belfort. Paris, le 4 juin 1831 (profession de foi pour les élections, suivie d’une "Notice sur M. d’Argenson"), Belfort, Imp. de J. -P. Clerc, s. d. , in-4°, 2 p. — Sur la loi des céréales, 1er novembre 1831 (et son incidence sur le prix du pain, pour une grande partie des consommateurs), Paris, Imp. de E. Duverger, 1831, 3 p. — Quelques observations à l’occasion de la loi des entrepôts (« Que représentent pour l’homme de peine ces centimes ou ces nouvelles taxes ? Du travail de plus et toujours pour un salaire invariable »), , 8 p. —, idem, 8 p. — Profession de foi exposant sa doctrine politique, son vote sur le droit de propriété, son opinion sur la Déclaration des Droits de l’homme de Robespierre etc., circulaire du 29 octobre1833, in-4°, 3 p.— Les deux brochures éditées en dehors de Voyer d’Argenson sont également intitulées : Discours énergiques des citoyens d’Argenson et Audry de Puyraveau en réponse aux attaques du ministère de Louis-Philippe (Bibl. Nat., Lb 51/4798, pour l’édition de la Société des Droits de l’homme et du citoyen, et Le 62/529, pour l’édition du Populaire). — Les Opinions et discours de d’Argenson, publiés à Paris, en 1846, en deux volumes in-8°, par les soins de son fils, manquent à la Bibliothèque nationale.

SOURCES : Arch. Nat., CC 729, n° 472. — Procès des citoyens Voyer d’Argenson, Charles Teste et Auguste Mie, prévenus d’avoir excité le mépris et la haine contre une classe de personnes, et d’avoir provoqué à la guerre civile, etc., Paris, Adolphe Havard, 1834, in-8, 18 p. — Notice de la Grande Encyclopédie. — Jean-François Rittiez, Histoire du règne de Louis-Philippe, Paris, V. Lecou, 1855, 3 vol.. — Paul Robiquet, Buonarroti et la secte des Égaux. D’après des documents inédits, Paris, Hachette, 1910. — G. Weill, Histoire du Parti républicain en France (1814-1870), 2e éd. Paris, 1928. — Alessandro Galante Garrone, Philippe Buonarroti et les révolutionnaires du XIXe siècle, Paris, Champ libre, 1975. — L.-A. Blanqui, œuvres I. Des origines à la Révolution de 1848, textes présentés par D. Le Nuz, Nancy, Presses Universitaires, 1993. — Notes de J. Grandjonc et J. Risacher.

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