Par Notice revue et complétée par Michael Sibalis
Né le 12 mars 1814 à Paris, mort le 10 juillet 1870 à Plainpalais (banlieue de Genève, en Suisse) ; ouvrier tailleur à Paris ; communiste, puis militant associatif, coopératif et mutuelliste.
Son père était d’origine bâloise, et Wahry lui-même n’a jamais été naturalisé français, bien que (selon une lettre de sa belle-fille, écrite en 1883) il en ait eu l’intention.
Wahry montra des tendances radicales dès l’âge de dix-huit ans. En avril 1832, signant « Wahry républicain », il contribua pour cinquante centimes à une souscription ouverte dans les bureaux de La Tribune pour payer une amende infligée au journal.
Il quitta Paris à la fin de mai 1832 pour faire son Tour de France. Il passa une année à Lyon (Rhône), environ deux ans et demi à Marseille (Bouches-du-Rhône), puis il se rendit à Niort (Deux-Sèvres), où il arriva en septembre 1836, par Nîmes (Gard), Agen (Lot-et-Garonne) et Bordeaux Gironde).
Wahry, qui avait été membre de la Société des Amis du Peuple à Paris, devint membre de la Société des droits de l’Homme à Marseille. Il devint également membre de la Société philanthropique des ouvriers tailleurs vers la fin de 1833 pendant son séjour à Marseille. La Société philanthropique était une association organisée à l’échelle nationale, avec des sections dans beaucoup de villes françaises.
En arrivant à Niort (Deux-Sèvres), Wahry constata que la Société philanthropique, établie dans cette ville quelques années auparavant, n’y existait plus. Avec plusieurs camarades, il la releva en novembre 1836 et en devint secrétaire. Le 11 mai 1837, Wahry fut condamné — avec quarante-huit autres ouvriers tailleurs de Niort, La Rochelle, Rochefort, Saintes et Saint-Jean-d’Angély — par le tribunal correctionnel de Saintes à deux francs d’amende comme « prévenu de faire partie d’une association non-autorisée de plus de vingt personnes ». Ce jugement, d’une indulgence qui surprit le procureur, fut maintenu sur appel par le tribunal de première instance de Niort, le 30 juin 1837.
Le 22 février 1838, à Saint-Maixent (Deux-Sèvres), Wahry épousa Marie-Louise Millet, couturière, née en 1814 au Palais (Morbihan). Ils vécurent à Paris et y eurent trois enfants : Louis Zacharie (né le 12 décembre 1838), Louise Victorine (née le 6 octobre 1846) et Delphine Clarisse Marceline (née le 29 novembre 1847). Pour une raison inexpliquée, les deux époux se marièrent une deuxième fois, le 12 décembre 1854, en Suisse.
En octobre-novembre 1839, Pierre Wahry était le gérant de La Propagande. Journal des intérêts populaires, journal lancé par Albert Laponneraye* et qui n’eut que deux livraisons. En 1840, Wahry écrivit au banquier Goudchoux pour proposer un projet d’association entre ouvriers tailleurs. Découverte par la police à l’époque de la grève des tailleurs en 1840, sa lettre lui valut dix mois de détention préventive (« Eh bien à mon tour, écrivit-il en décembre 1840, je demande des juges ou la liberté ; voila assez de prévention ») et enfin une condamnation, en juin 1841, à deux années de prison comme chef de coalition d’ouvriers (qu’il purgea dans la centrale de Poissy). (En 1848, il demandera au nouveau gouvernement républicain un poste d’inspecteur de la centrale de Poissy !)
Il fut proche de la tendance de La Fraternité, en rapport avec André Savary*, Voignier* et Wolff*.
Le 1er novembre 1845, alors qu’il demeurait, 20 rue de la Ferme-des-Mathurins (Ier arr. ancien, maintenant rue Vignon, IXe), il participa, aux côtés de Léopold Amail*, Benjamin Flotte* et Alexandre Raisant*, à la fondation de la « Compagnie des industries unies », dite Gardèche et Compagnie (voir Jean Gardèche*), qui espérait donner aux ouvriers les moyens de fabriquer pour leur propre compte et de se passer du patronat et de l’intermédiaire en vendant directement au consommateur. Il fit partie du premier conseil d’administration. L’affaire périclita rapidement. Elle ne manquait pas d’intérêt, cependant. Gérée par vingt et un administrateurs, élus tous les ans par l’ensemble des corporations, afin d’introduire une solidarité entre toutes les branches industrielles, elle était alimentée en argent par des cotisations mensuelles, remboursables en nature et donnant droit au travail, avec participation aux bénéfices. La gérance, dès qu’elle aurait jugé la consommation assurée pour telle industrie, aurait fait élire par les souscripteurs de cette spécialité une administration de neuf membres pour l’organiser. La Société devait tendre à égaliser le salaire selon le temps et la quantité de travail. En 1848, Raisant reprendra cette entreprise sous le nom de Société des travailleurs unis.
A ce moment Wahry, très actif dans le mouvement coopératif, avait rejoint l’Association des tailleurs de Clichy dont il se détourna d’ailleurs bientôt : l’égalité des salaires aboutissait à une plus grande inégalité par suite de la multiplication des employés permanents. L’expérience acquise lui permit alors de conseiller Désirée Gay, rédactrice de La Politique des femmes, qu’il engagea à former, avec Jeanne Deroin* et Mme Lermier*, les associations fraternelles des ouvrières lingères et des ouvrières chemisières de la rue de la Corderie-Saint-Honoré (IIe arr. ancien, maintenant rue Gomboust, Ier).
Lui-même s’inspirait de Pierre Leroux* et de Pierre-Joseph Proudhon* dans l’organisation et les principes de l’association dont il prit l’initiative en 1849. Il voulait « arriver à ce qu’une heure de travail passée à façonner un produit puisse procurer à consommer une heure de travail d’un autre produit quel qu’il soit ».
Ce fut l’Association Carra et Cie, « La Réciprocité », définitivement constituée en 1850, groupement collectif de producteurs et de consommateurs unis pour l’exploitation de différentes industries, qui reposait sur les avances, faites par les consommateurs, sous forme de bons de consommation, aux producteurs associés qui leur livraient les produits au prix de revient, sans bénéfice. Sur ces bases et avec ce même nom de La Réciprocité, il commença par une association d’ouvriers tailleurs d’abord installée, 5 rue Jean-Jacques-Rousseau (IIIe arr. ancien, actuel Ier), et qui s’établit en janvier 1850, 148 rue Saint-Lazare (Irarr. ancien, actuel IXe). En 1851, elle se trouvait, 1 rue du Coq-Héron (IIIe arr. ancien, actuel Ier). Elle comprenait une trentaine de membres.
Au lieu d’un capital productif d’intérêt, il y avait des bons de consommation de 0,50 F, de 1 F, de 2 F, échangeables en marchandises et vendables contre argent. Les consommateurs avaient collectivement la qualité de commanditaires du groupe ouvrier producteur. Pour ses membres producteurs, La Réciprocité disposait d’une caisse « mutuelle » fournie par des retenues de salaires, dites « impôts de la fraternité » et destinée à pourvoir à l’éducation des enfants et à accorder des secours aux malades, aux vieillards et aux infirmes.
Wahry se voulait le doctrinaire de l’organisation des associations, réagissant vivement contre la différenciation entre travailleurs associés et travailleurs salariés, tout ouvrier employé par l’association devant être associé. Il condamnait l’exclusivisme pratiqué vis-à-vis de telle ou telle association dans les tentatives de regroupement unitaire de celles-ci, entrant en conflit tantôt avec les délégués du Luxembourg, tantôt avec l’Union des Associations de travailleurs de Jeanne Deroin, tantôt avec tel journal qui mentionnait certaines associations conformes à ses principes et oubliait les autres.
Il correspondait avec le groupe de Boussac et avait en particulier des relations avec Bosson*, Chevrelle*, Auguste Desmoulins* et Vendris*.
Vers la fin de 1851, deux mois avant le coup d’État, il fut parmi les fondateurs et les membres du Conseil social (aux côtés, notamment, d’Auguste Desmoulins) de la « Société de la presse du travail », qui se proposait de fonder un journal intitulé : L’Association, moniteur du travail et des corporations industrielles, artistiques et scientifiques. Elle avait en vue, aussi, la création d’une sorte de Bourse du Travail et l’ouverture de bazars dans tous les centres. Le coup d’État fit avorter tout cela. La société avait eu le temps, cependant, de se donner un siège social, d’abord au bureau de la Presse du travail, 13 rue (ou ruelle) des Jardiniers (VIIIe arr., maintenant impasse Amelot XIe), puis, 27 rue Saint-André-des-Arts (XIe arr. ancien, actuel VIe). Elle tenta de soulever les ouvriers parisiens contre le coup d’État.
Arrêté le 2 février 1852, Wahry fut condamné (« Algérie plus ») le 15 février suivant et déporté à Douéra. Selon sa femme, c’est par suite d’« une dénonciation calomnieuse, à laquelle les anciennes opinions du Sr Wahry ont dû donner une certaine apparence de vérité. » Mais le procureur général déclara : « Une volumineuse correspondance [...] prouve que Whary [sic] était en relation avec les hommes les plus avancés du parti démagogique ; associé de l’association fraternelle des tailleurs, il avait été délégué à la société de la presse du travail. Il avoue [...] avoir fait de la propagande socialiste, dont il s’est toujours occupé. » La société de la presse du travail y est décrite comme « société secrète des plus dangereuses, composée de tous les chefs et délégués des associations fraternelles, ayant pour but en réunissant les hommes influents du parti démocratique d’être à même de diriger un mouvement à un signal donné. »
Apparemment amnistié (on ne sait pas quand) Wahry s’installa en Suisse. À Genève, il fit partie de la rédaction de L’Égalité (1868-1872), journal de l’Association internationale des travailleurs, Il y mourut, selon sa veuve, « à la suite d’une maladie qu’il a contractée en Afrique »). En 1881, suite à sa pétition en tant que femme d’une victime de décembre 1851, le gouvernement octroya à sa veuve une pension de 800 F par an.
Il fut victime des principes de son association : crédit mutuel, gérance trinitaire, confusion du producteur et du consommateur, qui firent prendre cet ancien communiste, depuis longtemps séparé du communisme qui répugnait à ces expériences de réformes sans conquête du pouvoir politique, pour un dangereux révolutionnaire socialiste.
Par Notice revue et complétée par Michael Sibalis
ŒUVRE : « Des différentes formes de l’Association ouvrière », Almanach des Corporations nouvelles pour 1852, p. 117-123.
SOURCES : Arch. Nat., BB 22 132B, dossier 139 ; F15 4084, dossier 21 ; BB 24 195/218, dossier S1-802, pétition de Wahry père au Roi, 16 septembre 1841 ; CC 786, lettre manuscrite du 15 décembre 1840, de Wahry au journal Le Peuple. — Arch. Min. Guerre, B 1547. — Arch. PPo., A/a 366, pièce 524, demande de Wahry (1848). — Arch. Dép. Paris (Seine), V2E 1560, déclaration de naissance, 12 mars 1814 (une copie de l’acte de mariage de 1838 y est jointe) ; V2E 3919, déclaration de naissance, 12 décembre 1838 ; V2E 5019, déclaration de naissance, 6 octobre 1846 ; V2E 5186, déclaration de naissance, 29 novembre 1847. — Arch. Dép. Deux-Sèvres, 3 U 2, dossier non-classé sur l’association des tailleurs en 1837 ; registre non-classé des Jugements correctionnels du Tribunal de Première Instance de Niort, 1837-1838 — Arch. Dép. Charente-Maritime, U 8106, Jugements du Tribunal Correctionnel de Saintes. — La Tribune, 17 avril 1832. — Gazette des tribunaux, 20 juin 1841. — Jean Gaumont, Histoire générale de la coopération en France, Paris, Fédération Nationale des coopératives de consommation, t. I, 1923. — René Bianco, Un siècle…, op. cit. — Note de Marianne Enckell.