Par Marie-Louise Goergen
Né le 19 mai 1927 au Mans (Sarthe), mort le 9 septembre 2011 au Mans ; ouvrier chaudronnier puis contrôleur adjoint ; dirigeant de l’Union Ouest de la Fédération FO des cheminots (1954-1966) ; secrétaire fédéral (1968-1972) ; responsable du centre de formation « La Brévière » de la CGT-FO (1972-1982).
Fils d’un monteur en moulin à farine, qu’il ne connut pas car ses parents divorcèrent peu de temps après sa naissance, André Frey grandit dans des conditions matérielles difficiles. Seule avec trois enfants, dont un garçon paralysé, sa mère vécut de « petits boulots ». Pris en charge très tôt par des instituteurs de l’école voisine, qui le faisaient assister au cours des enfants plus grands, André Frey se révéla un élève très doué, mais ne fut pas autorisé à passer son certificat d’études avant l’âge légal. En 2001 encore, il se souvient de ses instituteurs, « militant laïques qui, sans endoctriner, assuraient une instruction morale et civique ». Cette formation précoce, associée au fait qu’il était « déjà un peu révolté », supportant mal d’être catalogué comme enfant pauvre (« ma mère avait droit à l’aide du bureau de bienfaisance et je touchais une blouse tous les mois, le même sarrau noir à liseré rouge et les sabots à semelle de bois que les enfants de l’Orphelinat et ça me distinguait des autres »), le rendit sensible aux questions sociales. Arrivé l’âge de quatorze ans, après deux ans de cours complémentaire, un oncle qui avait soutenu financièrement la famille n’ayant plus de ressources, il lui fallut travailler.
En 1941, André Frey entra à l’école d’apprentissage du chemin de fer « parce que c’était la seule école d’apprentissage où on avait un salaire ». L’école de Matériel et Traction du réseau Ouest du Mans (Sarthe) préparait à quatre métiers : ajusteur, tourneur, chaudronnier et serrurier. André Frey fut affecté à la chaudronnerie, l’atelier auquel l’avait destiné la méthode de sélection « Carrard », qui avait comme but de détecter le métier pour lequel l’apprenti avait le plus d’aptitudes. Le besoin de main-d’œuvre lié à la guerre entraîna le déplacement des apprentis de troisième année « sur le terrain », où ils travaillaient désormais au contact de cheminots anciens et notamment de syndicalistes. Sensibilisé par les idées socialistes, notamment par ses instituteurs, André Frey subit l’influence de militants éprouvés, plus particulièrement Michel Corbin, Pierre Biglot, Jean Garnier ou encore Charles Paudois. La plupart d’entre eux étaient socialistes, les militants communistes avaient été arrêtés ou déportés, ou alors étaient passés dans la clandestinité.
André Frey adhéra à la CGT en 1944, puis prit ses distances avec la majorité en juin 1947 pour se rapprocher de la tendance Force ouvrière. Néanmoins, en novembre-décembre 1947, « en tant qu’adhérent discipliné », il fit la grève au dépôt. En pleine grève, le 10 décembre 1947, André Frey fut appelé au service militaire qu’il fit dans l’Aviation à Tours (Indre-et-Loire), dans le 1er Régiment aéroporté. Antimilitariste convaincu, il s’y fit remarquer par son attitude critique. Libéré au bout de six mois parce que « soutien de famille », il rentra chez lui au moment de la grève des mineurs. Rappelé aussitôt avec les classes 1946 et 1947, il fut affecté comme infirmier au service médical de Tours après un bref stage à l’hôpital militaire de Bordeaux (Gironde).
Réembauché en janvier 1949 dans son ancien lieu de travail, il passa un examen en 1951 pour entrer dans la filière administrative. En 1952, il fut affecté pour deux ans au service du personnel du dépôt de Montrouge (Seine, Hauts-de-Seine). Isolé syndicalement, car il était le seul représentant de FO, il continua à militer au Mans, notamment au moment de la grève d’août 1953, dirigée par son ami Yves Ferré. C’est à cette époque qu’il commença à accumuler des responsabilités syndicales importantes. Secrétaire adjoint du syndicat FO des cheminots du Mans à partir de 1953, il reprit ses fonctions au conseil d’administration de l’Union départementale FO de la Sarthe qu’il avait laissées au moment de son départ. Il devint également responsable de la Section technique régionale des agents administratifs. André Frey était, dans les années 1950 et 1960, membre du bureau de l’Union Ouest, qu’il représenta au conseil national de la Fédération FO des cheminots à partir de 1961.
En 1961, André Frey passa l’examen de contrôleur adjoint au Service du contrôle des marchés et fut nommé, en octobre de la même année, au service régional à Paris-Saint-Lazare. Il devint secrétaire général du syndicat de Paris-Ouest-Rive droite avant de devenir, en 1966, permanent à la fédération, occupant le titre de secrétaire fédéral jusqu’en 1972. À cette date, il quitta la Fédération FO des cheminots pour travailler au centre de formation de la Confédération CGT-FO à La Brévière. En 1975, il devint le responsable du centre, qu’il ne quittera qu’en 1982, ayant atteint la limité d’âge après avoir formé « sans doute plus de dix mille stagiaires ».
À l’âge de la retraite, décoré de la médaille d’or de la SNCF, André Frey prit des responsabilités parmi les retraités, au Mans d’abord puis au bureau national à la suite d’Yves Ferré à partir de 1985 ; en 2001, il faisait partie du conseil national de la fédération au titre des retraités. En 2000, il enregistra un disque consacré aux chansons du mouvement ouvrier, répertoire dont il ne refuse pas de donner un aperçu chanté au moment des rencontres militantes.
Se disant profondément attaché à l’anarcho-syndicalisme et à l’esprit de la charte d’Amiens, André Frey est également un militant de la Libre-pensée, à laquelle il adhéra dès avril 1946 et où il eut des responsabilités départementales et nationales — avec de brèves interruptions liées à son militantisme syndical — jusque dans les années 1990. Très intéressé par la franc-maçonnerie, il ne franchit pas le pas d’adhérer au Grand Orient, dont il partageait les orientations et dont il lisait les études..., pour des raisons financières : « ... à l’époque c’était pratiquement l’équivalent d’un mois de salaire, il n’était pas question d’amputer le budget familial ».
Adhérent du Parti socialiste SFIO jusqu’en 1958, il le quitta au moment de la guerre d’Algérie : « ... je n’ai jamais pardonné à Guy Mollet* d’avoir négocié avec le Vatican — [...] les organisations catholiques avaient été très engagées contre la guerre d’Algérie — et pour négocier leur neutralité, Guy Mollet avait proposé au pape le financement de l’école privée. C’était déjà le marchandage de la laïcité. » Il rejoignit le Parti socialiste autonome (PSA) qu’il quitta en 1960, désapprouvant la venue des militants chrétiens au socialisme dans le cadre du Parti socialiste unifié (PSU).
André Frey s’était marié en novembre 1950 au Mans avec Gisèle Turenne, la fille d’un manœuvre à la SNCF, aînée de sept enfants. Jeune socialiste à l’époque, il avait accepté d’encadrer des enfants dans le cadre des Amis de l’enfance ouvrière ; les jeunes frères et sœurs de Gisèle Turenne, couturière, faisaient partie de ces enfants. André et Gisèle Frey eurent trois enfants : Jean-Claude, né en 1952, qui dirige une association qui s’occupe de colonies de vacances ; Nadine, née en 1954, qui travaille à l’Association pour l’emploi des cadres (APEC) ; Natalie, née en 1966, salariée de la Caisse nationale d’assurance maladie. Leur fils est militant FO et fait partie du conseil d’administration de la Mutualité française.
Ses obsèques eurent lieu le mardi 13 septembre 2011 au Mans.
Par Marie-Louise Goergen
SOURCES : Arch. Fédération CGT-FO des cheminots. — Le Rail syndicaliste. — Notes de Louis Botella et de Noël Mazet. — Entretien avec André Frey. — Information transmise le 12 septembre 2011 par la Fédération FO des cheminots.