GRANDVALLET Jean-Pierre

Par Élie Fruit, Justinien Raymond

Né le 3 décembre 1870 à Boursault (Marne) ; mort le 5 novembre 1948 à Paris (XIe arr.) ; ajusteur et cheminot ; syndicaliste et militant socialiste redevenu trésorier du parti clandestin en mai 1944 ; conseiller municipal d’Aÿ.

Fils d’un maréchal-ferrant, Jean-Pierre Grandvallet était ouvrier aux ateliers d’Épernay (Marne) de la Compagnie de l’Est et militait activement au syndicat national des chemins de fer. Il fut nommé secrétaire du groupe local d’Épernay en 1905. Grandvallet peut être considéré comme un des meilleurs artisans du développement remarquable de l’organisation syndicale sur le réseau de l’Est, à partir de 1906.

Il réclama alors la réorganisation du syndicat national dans le sens d’une plus large autonomie des réseaux - cf. Tribune de la Voie ferrée, 18 février 1906. Le 11 février 1906 se tint à Châlons-sur-Marne le premier congrès régional des groupes de l’Est, qui organisa son comité de réseau : le secrétaire et le secrétaire adjoint en furent respectivement Paté et Grandvallet, tous deux d’Épernay. Dans un article publié par la Tribune de la Voie ferrée du 25 février 1906, Grandvallet réclama le droit, pour les groupes de réseaux, de transmettre leurs revendications particulières (salaires, conditions locales de travail, par exemple) au comité de réseau chargé de les présenter à la compagnie, tandis que les « grandes » revendications communes à l’ensemble des syndiqués (réglementation du travail, retraites, etc.) seraient l’affaire du conseil d’administration du syndicat national, qui en poursuivrait l’obtention au niveau du Parlement et des pouvoirs publics.

Dans une brochure de douze pages, intitulée Le Manuel du cheminot et publiée en 1909, Grandvallet développa plus largement sa conception d’un syndicat national rénové :

1) À la base, le groupe local réaliserait l’union des syndiqués sur le plan corporatif (entente des différentes catégories professionnelles du chemin de fer) et intersyndical (adhésion à la Bourse du Travail ou à l’union locale ou départementale).

2) Le comité de réseau, désigné chaque année par le congrès régional, aurait pour mission de coordonner les revendications du personnel et d’organiser la propagande.

3) Les membres du conseil d’administration du syndicat, au lieu d’être élus exclusivement par le congrès national parmi les syndiqués parisiens, seraient préalablement présentés sur une liste de candidats choisis par le congrès régional.

Questionné en 1909 par Carcanagues (étudiant en doctorat), Grandvallet se déclara partisan de la représentation proportionnelle dans les congrès. Il estimait d’autre part que la création éventuelle d’un « Labour Party » français serait « la mort du syndicalisme » ; qu’« il était absolument nécessaire de bannir du syndicat toutes discussions politiques ou confessionnelles » ; que « l’antimilitarisme, question politique, devait être exclu du syndicat » ; que « la grève générale était une utopie », parce que, disait-il, « la grève générale ne serait possible que le jour où tout le prolétariat serait conscient » et que, « ce jour-là, la grève serait inutile, car la révolution serait faite » ; que « l’arbitrage obligatoire serait toujours une duperie pour le prolétariat » ; que la capacité civile et commerciale des syndicats était « une grosse malice de M. Millerand » ; qu’enfin « les Conseils supérieurs du Travail étaient la cinquième roue du chariot de l’émancipation ouvrière ».

Dès 1909, Grandvallet manifesta son opposition aux « révolutionnaires » du syndicat national. Au meeting de clôture du 20e congrès, le 7 mai 1909, il fit ressortir l’inefficacité de « la méthode révolutionnaire et violente pure » qui « n’avait jamais joué qu’un rôle négatif et désorganisateur » et, à l’opposé, il prôna « l’action méthodique et organisatrice », « seule capable de réaliser l’émancipation définitive du prolétariat ».

Révoqué au moment de la grève des cheminots de 1910, Grandvallet obtint de sa compagnie en 1911 « une pension de 360 francs par an pour vingt-sept années de services accomplis » ; cependant, en 1914, la compagnie de l’Est fit des difficultés pour le réintégrer dans son ancien emploi.

Parallèlement à ses activités syndicales, Grandvallet s’adonna à la politique socialiste. Il avait fondé dès 1894 un groupe guesdiste à La Villa d’Ay, et s’était efforcé par une propagande inlassable de 1906 à 1909 d’orienter la paysannerie vigneronne de son département vers l’organisation socialiste, notamment par les articles qu’il publia dans La Lumière et La Défense des Travailleurs, organes socialistes de la Marne. Il n’y parvint pas, mais, quelques années après les émeutes vigneronnes de 1911, le syndicat des ouvriers vignerons qu’il préconisait s’organisa – 1914 – sous une forme régionale, puis départementale (syndicat des ouvriers viticoles de la Marne), et il adhéra à la CGT.

S’il ne fut jamais élu qu’au conseil municipal d’Ay, Grandvallet se présenta à plusieurs élections dans la Marne, même quand il eut quitté le département et prit, dans le Parti socialiste SFIO, un rôle à l’échelle nationale. En 1906, il obtint 502 voix aux élections législatives dans la 3e circonscription de Reims, 4 181 en 1914 dans l’arr. d’Épernay, et 503 voix sur 4 435 votants pour le conseil général dans le canton d’Ay en 1907. En 1919, quatrième sur la liste des sept candidats socialistes aux élections législatives dans la Marne, il recueillit 10 612 voix sur 69 475 votants. Il restait attaché à la fédération de la Marne qu’il représenta aux congrès nationaux de Toulouse (1908), Nîmes (1910), Brest (1913) et Strasbourg (février 1920) où, en outre délégué de la Seine, il demanda que le congrès entérinât sans débat l’exclusion des députés indisciplinés comme Levasseur et Rozier. Au congrès de Lyon (1912) il fut porté à la CAP de la SFIO où il siégea jusqu’à la Seconde Guerre, exerçant à partir de 1920 la fonction de trésorier du Parti, à la suite de Loriot, démissionnaire. En cette qualité, il siégea au congrès de scission de Tours (décembre 1920).

Grandvallet avait rallié pendant la guerre le courant pacifiste dans le Parti socialiste. Avec quatre autres membres de la CAP, il signa, à la veille du congrès national de 1916, l’appel au Parti lancé par le comité pour la défense du socialisme international. Aussi, lorsque le renversement de majorité se produisit au Conseil national (28-29 juillet 1918), il demeura au sein des organismes centraux. Mais au congrès de Tours, il ne suivit pas la majorité au Parti communiste et continua dans le Parti socialiste le rôle administratif qu’il avait joué dans le Parti unifié.

Jean-Pierre Grandvallet était marié.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article4539, notice GRANDVALLET Jean-Pierre par Élie Fruit, Justinien Raymond, version mise en ligne le 30 juin 2008, dernière modification le 15 avril 2020.

Par Élie Fruit, Justinien Raymond

ŒUVRE : Grandvallet a collaboré aux organes socialistes de la Marne, La Lumière (1906) et La Défense des Travailleurs (1909).
Il a écrit deux brochures La Vérité sur la grève des cheminots et Le Manuel du Cheminot. Celui-ci comporte une analyse pertinente des diverses tendances syndicales en France : syndicalisme « révolutionnaire », syndicalisme « jaune », syndicalisme « réformiste », syndicalisme « neutre de l’Internationale syndicale », encore qualifié par l’auteur de « syndicalisme socialiste » (Musée social, n° 11083).

SOURCES : Arch. Nat., F7/13 666, dossier 16, note de police M (9555) du 21 décembre 1914. — Arch. PPo., B a 1413, rapport du 8 mai 1909. — Carcanagues, Sur le mouvement syndicaliste réformiste, Paris, 1912, p. 129 à 131. — Hubert-Rouger, Les Fédérations socialistes II, op. cit., p. 378-384, passim et ibid. III, p. 548.

ICONOGRAPHIE : Les Fédérations socialistes, op. cit., p. 380.

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